L’INQUIETANTE RUPTURE DE SARKOZY AVEC LE LIBERALISME POLITIQUE
Racisme d’Etat : on fouille désormais les poubelles de l’Histoire, en attendant que revienne le temps des ratonnades…
La création d’un Ministère de l’identité, puis la circulaire préfectorale contre les Rroms l’annonçaient –une première en France depuis Pétain-, et bien que cette dernière ait été déclarée anticonstitutionnelle par le Conseil d’Etat en vertu de l’article 1 de la Constitution Française garantissant l’égalité des droits de tous devant la Loi, la tentative aujourd’hui d’étendre les prérogatives de l’Etat à la sphère privée en suspendant l’espace public pour littéralement le nationaliser à l’exemple des pires dictatures, au prétexte d’un débat sur la laïcité, confirme l’idée selon laquelle le néolibéralisme de Nicolas Sarkozy rompt de manière inquiétante avec les principes philosophiques qui ont fondé le libéralisme politique.
Par parenthèse, il n’est pas anodin de rappeler dans ce contexte que les propositions issues de l’exécrable débat sur la laïcité falsifient l’idéal républicain français, l’article 1 de la Loi de 1905, que l’on voudrait vider de sa substance, affirmant que «La République assure la liberté de conscience (et) garantit le libre exercice des cultes». Car rien n’indique dans cet article, bien au contraire, que les religions doivent être rejetées dans la sphère de l’intime, bouclée entre les quatre murs de la cellule familiale ou d’un lieu de culte quelconque, toute liberté de conscience impliquant une liberté d’expression que l’Etat français s’est engagé constitutionnellement à respecter, et donc les manifestations des opinions dans la rue, y compris religieuses.
Nous connaissons ainsi en France la forme la moins enviable du néolibéralisme, celle dans laquelle l’accord sur les valeurs communes ne peut venir que de la coercition. De fait, nous ne sommes plus dans un Etat libéral. Les libéraux eux-mêmes devraient s’en inquiéter. La clique au pouvoir a fini d’en trahir les prémisses philosophiques. Car le libéralisme politique était originellement une conception morale du service de l’Etat, fondée essentiellement sur la norme de l’égal respect des personnes. Une norme qui est entrée dans la pensée du monde occidentale il y a des siècles, et en France en tout premier lieu, comme réponse adéquate aux guerres de religion qui ravageaient le pays ! Or voici que sous couvert d’une nouvelle guerre de religion l’on vient de rompre avec cette norme. Car aujourd’hui, non seulement l’Etat n’apporte plus de réponses adéquates aux difficultés que rencontrent les français, mais il est le fauteur de troubles qui divise, attise les haines et dresse des murs d’incompréhension.
Dans le vieil ordre libéral, l’Etat ne devait intervenir qu’en fonction d’une morale élémentaire, susceptible de produire la plus grande quantité possible de valeur commune. Ici, à l’inverse, l’on ne cherche qu’à détruire le plus grand nombre possible de valeurs communes, au mépris du principe de neutralité présenté naguère par les philosophes du libéralisme politique comme le meilleur opérateur de cette conception morale minimale du service de l’Etat. Une neutralité qu’un penseur américain du libéralisme politique, Charles Larmore, décrit volontiers comme un idéal procédural impliquant une neutralité des fins, en vertu de laquelle les principes politiques ne peuvent favoriser aucune des conceptions controversées de la «Vie Bonne» qui orientent intimement les convictions et le destin de chacun au plus intime de son être, à commencer par les convictions religieuses. L’action étatique non partisane par excellence, apte à construire le principe de l’ordre politique enfin abstrait des conceptions controversées de cette Vie Bonne, voilà précisément ce avec quoi rompt le néolibéralisme de Nicolas Sarkozy, pour le plus grand danger de tous. --joël jégouzo--.
Modernité Et Morale, Charles Larmore, PUF, 1993, coll. Philosophie morale, 257 pages, 24 euros, 2-13-046045-3.