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La Dimension du sens que nous sommes

COMMENT ORGANISER UNE NOUVELLE SUBJECTIVITE DU CHANGEMENT SOCIAL ?

30 Novembre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

guattari.jpgLe rendez-vous est ancien : il date des années 80, et cela se ressent autant dans le vocabulaire déployé par Guattari et Negri pour comprendre les enjeux de la société qui arrivait, que dans les propositions formulées, essentiellement : la mise en dissidence de la subjectivité.

Au tout début des années 80 et sans doute sous l’effet du prisme des luttes anti-nucléaires finissantes, l’un et l’autre voyaient dans l’Etat nucléaire la figure centrale du capitalisme intégré, selon leur formule d’alors, avant que ne s’impose le terme de mondialisation. Une figure intégrant nécessairement et autoritairement toutes les dimensions du social et du politique sous la pression de la terreur qu’inspirait l’énergie nucléaire et sa difficile maîtrise, qui engageait l’humanité dans son devenir même, sur un très long terme. On pouvait en effet imaginer à l’époque que les libertés civiles allaient en pâtir. Mais c’est autre chose qui arriva et ces mêmes libertés eurent à pâtir d’un autre type d’oppression sociale, beaucoup plus redoutable dans la mesure où elle fut partagée sinon promue par une certaine gauche convertie aux sirènes libérales, sous la pression de l’économie dite de marché cette fois, et du déplacement des bassins d’emploi vers d’autres mondes.

Pour autant, si la compréhension est vieille, il en demeure quelques aspects intéressants sur lesquels il conviendrait aujourd’hui de faire retour.

Comme du constat de nos deux penseurs que Mai 68 inaugura essentiellement l’exploration de nouvelles subjectivités collectives. Il n’est que de se rappeler les mouvements de contestation qui foisonnèrent alors, de celui des femmes à celui des prisons, en passant par les gays et les écolos : un morcellement des luttes certes, et la dispersion des revendications. Mais le symptôme d’une société en recomposition, d’une société traversée souterrainement par des failles dont les observateurs avaient tort de croire qu’elles pouvaient trouver rapidement leurs réponses. Au lieu de voir Mai 68 comme un mouvement fermé sur lui-même, sans doute aurait-il fallu l’appréhender comme le début de quelque chose de plus ample et le replacer dans la longue durée d’une histoire peut-être comparable à celle qui bouscula à la Renaissance la société occidentale, pour en mesurer les attentes tout comme les effets. C’est un peu cette longue durée que nous restituent Guattari et Negri.

Et si, pour l’essentiel, l’éclipse révolutionnaire (appelons-là comme cela, pourquoi pas), concerna la lutte des classes, inaugurant d’une sorte de fin de l’éthique du changement social dans la soumission au concept de marché, la nécessité de réinventer les finalités de nos droits et de nos libertés ne fut jamais vraiment perdue de vue.

Du danger de l’abandon de l’éthique du changement social, la pression de l’insécurité de la vie quotidienne, de l’insécurité face à l’emploi, de la fragilité des libertés civiles, firent la démonstration brutale, dont nous mesurons aujourd’hui à peine encore les effets.

Alors il y a bien certes quelque chose de désuet dans le vocabulaire de Guattari à vouloir faire des valeurs de désir qu’elles orientent mieux la production. Mais peut-être pouvons-nous en comprendre les raisons quand, après tout, nous découvrons que le capitalisme financier s’avère radicalement anti-social et qu’il ne relève que de notre volonté qu’il soit réglementé. De même : aujourd’hui l’insécurité est devenue le point d’appui fondamental de la gestion du pouvoir. Mais on voit bien qu’il nous faut aussi assumer une alternative sous peine de nous laisser enfermer dans une conception du pouvoir des plus effrayantes et préjudiciable à nos libertés civiles.

La question serait alors de savoir à nouveaux frais organiser politiquement une nouvelle subjectivité du changement social.

De ce point de vue, les réponses de Guattari et Negri paraîtront formulée dans un vocabulaire trop typé pour nous aider à y voir clair. Leur "multicentralisme fonctionnel" par exemple, ne fait guère écho en nous. Voire. Le front des luttes est innombrable. La formule est inexacte grammaticalement, mais il faut la maintenir. On le sent bien, y compris dans ses traductions politiques, avec l’éparpillement des forces de contestation, autant à gauche qu’à droite.

Il existe ainsi une réelle difficulté à réaliser une synthèse idéologique de toutes les révoltes qui émergent aujourd’hui, voire de toutes les consciences qui se sont fait jour et demeurent une nécessité sociétale.

Le front des luttes ne peut ainsi que se reformuler dans la recherche d’alliances entre les diverses grammaires du changement social. Une recherche qui ne peut pas, en outre, ne pas tenir compte du déplacement de l’éthique du changement social vers de nouveaux acteurs sociaux et politiques, de nouveaux médias et de nouveaux médiums, sous l’impulsion desquels les lieux de résistance (internet par exemple, pour ce qu’il en va de la liberté d’expression et de la possibilité qui nous est offerte de nous soustraire au pouvoir des grands médias d’information), sont aussi devenus des agencements de production de nouvelles réalités sociales et de nouvelles subjectivités collectives. De nouvelles lignes d’alliance sont à tracer, à travers les engagements plurielles des forces sociales, engagements qui ne pourront faire non plus l’économie d’une réflexion en termes de luttes des classes, non plus qu’en termes d’insurrections post-coloniales, si bien que la proposition de Guattari et Negri, de "penser et vivre autrement" dans un "être pour" susceptible de créer les conditions de possibilité de surgissement d’une intentionnalité collective, conserve tout de même encore de sa pertinence. --joël jégouzo--.



Les nouveaux espaces de liberté, Félix Guattari et Toni Negri, éditions Lignes, octobre 2010, 224 pages, 16 euros, ean: 978-2-35526-058-2.

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PROJET DE LOI DEPENDANCE ET GRANDE DEPENDANCE : ADOPTEZ UN VIEUX…

29 Novembre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

vieux-pierre-gagnon.jpgLe narrateur vient justement d'en adopter un. Pour meubler sa retraite peut-être. Se sentir lui-même moins seul. Il vivait jusque là sans enfants, sans parents proches. Le vieux s’appelle Léo. Il a 99 ans. De légers troubles cognitifs. Du coup le narrateur a entrepris quelques travaux chez lui, pour l’accueillir. On n’imagine pas ce que cela implique : la salle de bain devient la pièce principale et la chambre, beaucoup trop grande –les vieux sont agoraphobes- doit être raccourcie. La baignoire remontée, les WC aussi, les marches rabaissées. Et puis il y a le problème de la nourriture : Léo ne peut plus mastiquer. Ensuite, un vieux c’est comme un bébé : ça occupe tout votre temps. Un bébé enthousiaste mais lent, qui peut demeurer des heures entières dans le salon sans bouger. Infatigable. A ne rien observer. Ou bien appelant pour satisfaire des envies cocasses. Aujourd’hui Léo veut un coffre. Un petit coffre en bois. Quand on le lui offre, il pleure : le coffre est vide. Il faut le remplir. De n’importe quoi. Tout lui convient. Au fond, Léo n’est pas difficile à vivre. Il s’occupe de petits rituels désuets. C’est même plus apaisant qu’un bocal de poissons rouges. Léo vit du reste comme eux, au présent. Un tout petit présent sans étendue réelle. Le narrateur, ça lui rappelle son père, quand ce dernier l’emmenait à la cathédrale le mardi pour écouter de la musique et, peut-être, y apprendre à mourir. Mais apprend-on cela ? Chacun fait de son mieux. Un jour après une chute malencontreuse, Léo devient encore plus vieux. Il oublie tout, s’étouffe, oublie encore le peu de consignes données. Une comptine l’arrête, sortie du fonds des âges, qu’il fredonne toute la journée. Tous les jours. Toutes les nuits. Car il se lève la nuit à présent, urine partout, oublie l’emplacement de sa chambre, s’endort dans le couloir. Peu à peu la vie le quitte. On voit bien ça. La maladie, la fatigue, qui le charrient vers le grand nulle part. A l’observer, le narrateur croit devoir comprendre que vivre, c’est ne jamais cesser d’abandonner ceux qu’on aime. Puis tout s’est déglingué. Il faut répéter, Léo ne comprend plus. Il faut parler de plus en plus fort, mimer, surveiller sans relâche Léo. Leur onzième mois de vie commune arrive. Le narrateur remet Léo au centre où il l’a trouvé. Voilà. Dans l’impuissance de savoir lui offrir une meilleure place. Les vieux semblent n’être "praticables" qu’en tant qu’ils ne sont pas trop vieux encore. Après, personne ne sait qu’en faire. -- joël    jégouzo--.

 

 Mon vieux et moi, Pierre Gagnon, éditions Autrement, coll. Littératures, sept. 2010, 88 pages, 9 euros, EAN : 978-2-7467-1436-6.

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DESCARTES, LE COGITO

28 Novembre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

penseur.jpgPour Kant, la découverte du cogito ne relevait pas de l’évidence mathématique, mais d’un paralogisme : Descartes passe de la forme vide de la pensée à un contenu –"Je" pense. Mais dans ces conditions de questionnement, il aurait très bien pu obtenir une réponse autre : ça pense. Mais qu’est-ce qui pense ? Que faire, en effet, du contenu variable de la chose qui pense ? Kant ne lisait pas les langues africaines. S’ils les avaient lues, il se serait aperçu que le cogito de Descartes demeurait parfaitement intraduisible dans la plupart de ces langues. "Je suis quoi, où, comment ?, auraient-elles questionné aussitôt, tant ils leur auraient paru improbable de poser un cogito comme pure entité spirituelle non spatiale, improbablement immatérielle. Le cogito, en définitive et malgré les préventions qui nous commandent de ne l’appréhender que sous les espèces de l’énoncé d’une réflexivité qui en serait la vraie découverte (je pense que je pense), n’est ainsi attaché qu’à la présence de la présence requise. Mais l’on peut se poser la question de savoir dans quelle mesure cette conscience de soi est connaissance de soi. Le moi de ce cogito qui s’affirme comme une pure intellectualité vide d’idées, un penser sans contenu, n’est qu’une enveloppe vide, postulée plus qu’assurée. La conscience que définit Descartes repose ainsi tout entière dans le postulat intellectuel. C’est dans la permanence de son attention qu’elle soutient la certitude de son essence. Que l'idée y devienne en outre un mode de l’Esprit, c'est ce que Malebranche conteste : pour ce dernier, l’âme n’était pas mieux connue que le corps, la conscience n’étant qu’un sentiment interne, obscur, tandis que l’idée n’est pas un mode de l’Esprit, mais un objet de la pensée. Quant à Leibniz, pour lui Descartes appelait clair ce qui n’était en rien clair et n’était en définitive que présence de l’esprit à soi-même. L’intuitionnisme de Descartes lui apparaissait de la sorte suspect car fortement teinté de subjectivisme. Ce qui conduira Leibniz à réfléchir sur la formalisation de la logique des relations, là où Dieu restera la clef de voûte du système cartésien. --joël jégouzo--.

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DESCARTES, La METHODE DU C.Q.F.D.

27 Novembre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

descartes.jpgTraditionnellement, la philosophie de Descartes est pensée comme l’étude de la relation de l’ontologie à la connaissance. Descartes se serait efforcé de déterminer les conditions qui permettent à la pensée d’aller du connaître à l’être. Mais peut-être convient-il de distinguer les deux moments de sa démarche pour en apprécier la profondeur et les écueils : le moment du Discours de la méthode, et celui des Méditations.

 Précisons simplement et en préalable, que dans le rationalisme du XVIIème siècle, la vérité était à découvrir, non à construire, et que la raison s’affirmait comme un don, non une conquête. Or c’est cela que, d’une certaine manière, Descartes va interroger.

Le Discours de la Méthode se présente comme méthode de la puissance du Bien penser, réglé sur le modèle de la logique mathématique. C’est en menant méthodiquement la recherche de la vérité que le vrai devient indubitable. Descartes pose ses règles à partir de deux prémisses intellectuelles : l’universalité du bon sens et la centralité de la logique mathématique comme lieu d’expression de cette puissance du Bien penser, plutôt que celle du syllogisme.

La première règle qu’il pose est celle de la clarté de l’évidence, de sa fulgurance, de son immédiateté. Elle est victoire de l’intuition, conception d’un esprit attentif, présent à lui-même.

La deuxième règle (diviser en autant de parcelles qu’il en faut, etc. …) pose le problème fondamental du découpage de l’objet, de sa déconstruction analytique.

La troisième règle est celle de la déduction et de la combinaison, du plus simple au plus compliqué.

Et la quatrième, celle de la vérification.

La méthode relève du CQFD : l’argumentation est conduite par la seule nécessité des raisons. La déduction mathématique devient ici le protocole et le prototype de la pensée claire et assurée. A partir de Descartes, tout le XVIIème siècle fera du modèle mathématique le paradigme de la pensée philosophique. La portée de ce modèle est incontestable. En revanche, plus incontestable est la première règle, qui installe l’intuition en Puissance d’unification de l’Esprit. Car ce qui est clair ici, n’est au fond que ce qui est présent et manifeste à un esprit attentif… Mais encore ?, sommes-nous tenté de demander. Et au delà : qu'est-ce qui pouvait bien motiver une pareille détermination ? C’était en fait le souci cartésien d’unifier le savoir, et accessoirement, les sciences entre elles. L’image que Descartes se forgeait du monde était celle d’une nécessaire unité des phénomènes et des essences, qui permettait de remonter vers un principe premier, fédérateur et organisateur du monde, autorisant de déplier ce monde comme un enchaînement logique, quasi mécanique. Ce sera l’effort des Méditations. Et c’est ainsi sa volonté de voir le monde sous les traits de l’UN qui l’aura conduit à installer l’intuition au cœur de son système philosophique.--joël jégouzo--.

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MAURICE BLANCHOT, LA CONDITION CRITIQUE.

25 Novembre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #LITTERATURE

blanchotLes éditions Gallimard nous offrent, avec ce gros recueil d’articles, une récollection inédite des critiques publiées par Maurice Blanchot de 1945 à 1998. Critiques littéraires, études, textes à caractères théoriques et même quelques tirés à part.

La condition critique, qui donne son titre au volume, est en fait un texte publié dans L’Observateur le 18 mai 1950, dans lequel Blanchot s’interroge sur la validité de l’exercice, "qui réfléchit peu" et commente beaucoup. Cherchant à en saisir le sens, il lui découvre celui "d’attirer les œuvres hors d’elles-mêmes" pour les introduire dans les remous du monde, allant ainsi à rebours de tout ce qui se pensait dans le même temps au niveau des théoriciens de la littérature, la critique ayant dès lors sous sa plume plus à voir avec l’air du temps qu’avec le génie de l’œuvre elle-même. Curieusement, Blanchot place sa réflexion sous l’autorité de Sainte-Beuve, qui n’eut jamais peur de faire "le sale boulot", à savoir : satisfaire les caprices du curieux. Etrange filiation soit dit en passant, sous la plume d’un écrivain qui ne fait aucune référence à Adorno ni à Benjamin, ni aux écoles russes, polonaises, anglaises ou américaines, pour n’en référer qu’aux seuls français !

La critique versatile donc, puisque soumise au temps et aux devenirs historiques des idées et des goûts… Certes, tout comme l’œuvre, non ? Hé bien non : pour Blanchot, il existe une solennité (il emploie le mot) de l’œuvre, voire une opacité que le critique s’ingénierait à réduire, à dissoudre… Le tout au nom d’un objectif plus que d’un dessein, presque malhonnête : livrer l’œuvre à la réflexion de la vie…

"Sans art au propre", "sans talent personnel" (mais Blanchot y met pourtant tout le sien), le critique s’avancerait ainsi tel un vagabond (l’image est belle tout de même), sinon un maraudeur (celle-là aussi), vers cette intimité fermée qu’est une œuvre, pour, du dehors, lige lui-même de ce dehors, la trahir, l’interpréter, l’ouvrir "tout entière à la vérité d’un jour commun".

On mesure l’ambiguïté de la formulation, la vérité n’ayant pas grand chose à voir avec le sens commun, sinon qu’en effet ce dernier s’en revendique et s’en pare pour mieux asseoir sa duplicité -mais certes, sensus communis de Kant dans sa version "noble", quand plus généralement cette vérité se réduit au préjugé et autres lieux communs… Ambiguïté qu’il faut cependant maintenir, car cette vérité, en effet, a bien quelque chose à voir avec l’effort critique dans sa saisie, difficile, de ce que l’on pourrait nommer la cohérence de l’œuvre, sa vérité.

Ambiguïté qui au fond n’a qu’une fonction dans la pensée de Blanchot : celle d'amarrer la critique à la versatilité du présent et l’enfermer dans une véritable soumission confuse à l’œuvre qu’elle tente "d’éclairer un moment", dans l’attente de nouveaux éclairages plus séduisants semble-t-il permis d’écrire.

Certes, la critique française s’est bien illustrée par sa superficialité en la matière, donnant largement raison à Blanchot. Il n’est que de convoquer ici la fortune critique de Gombrowicz, quand on s’efforce de la suivre tout au long des années 40 et jusque dans les années 70 : son œuvre aura été passée au filtre de tous les courants littéraires qui se sont succédés en France, de l’existentialisme au Nouveau roman en passant par le structuralisme et autres hochets à la mode. Mais, à s’enfermer dans l’hexagone, on perd tout de même beaucoup en réflexion. Avec Blanchot, sur ce point, on est hélas loin des efforts théoriques d’un Benjamin ou d’un Adorno, thématisant l’un et l’autre l’acte critique avec une rare pertinence…

Reste à savoir si Blanchot aura été, finalement, un bon critique… Pas si certain… Qu’a-t-il lu par exemple, qui méritât l’exercice de son talent critique ? Giraudoux, Sartre, Melville, du Bos, Malraux, Sade, Hölderlin, Restif de la Bretonne… Rien que de très convenu en somme… Passé qui plus est à la moulinette d’une conception de l’écriture séduisante, le vide du tombeau articulant, selon une formule tout de même bien usée, les conditions de possibilité d’une vérité du langage. Vide qui cependant, sous sa plume d’écrivain quand il se veut critique, ouvre, quand il lit Au-dessous du Volcan de Malcom Lowry, à une fascination convaincante pour ce roman de la fascination, "œuvre plus profonde que ses profondeurs", convoquant cette foi avec sagacité les propos de Nietzsche sur les Grecs : "une œuvre qui a sa profondeur à sa surface". Ce qui du reste est vrai de toutes les grandes œuvres. --joël jégouzo--.

 

La condition critique, Maurice Blanchot, articles 1945-1998, Gallimard, Les cahiers de la NRF, septembre 2010, 502 pages, 32 euros, EAN : 978-2-07-012754-2

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LA RAISON D’ETRE DE LA LITTERATURE, GAO XINGJIAN

24 Novembre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #LITTERATURE

gao.jpgLes éditions de l’Aube ont réédité en 2008 le discours prononcé par le Prix Nobel de Littérature, le 7 décembre 2000. Un discours mesuré, qui s’efforçait surtout, contre ce que Gao Xingjian nommait le fléau de l’engagement, d’affirmer «la voix d’un individu». Ce qu’il fallait comprendre par là, l’entretien qui suivait le précisait. Nourri de l’œuvre de Gombrowicz, qu’il citait à de multiples reprises, Gao Xingjian refusait de mettre la littérature au service d’autre chose que d’elle-même, quel qu’en fut le prix à payer. Et le Prix Nobel de Littérature de stigmatiser, comme conséquence nécessaire de la position qu'il défendait, la "frustration" du monde occidental, plus attentif aux conséquences politiques de la réception de son œuvre en Chine, qu’à son travail d’écrivain. Cela dit, tout ne paraissait pas aussi clair dans son esprit. Dans la hiérarchie qu’il construisait, Gao Xingjian plaçait certes l’écriture au-dessus de la littérature, mais ne lui reconnaissait pour seule valeur que celle de «la vie». L’écriture fonctionnait ainsi sur le modèle romantique conventionnel, comme pure consolation si l'on veut, tout en restant soumise au vieux principe de réalité. Détachée du devoir de prétendre dire d'une quelconque manière le monde, mais lige de ses réalités... La quête de l’écrivain dès lors, ne cessait d’être, à ses yeux, celle du «réel», sans que l’on sût jamais ce qu’il fallait mettre sous ce vocable. De fait, l’écrivain oscillait-il lui-même entre l’amertume du dernier Mallarmé et l’enthousiasme de l’aventure proustienne. D’un côté l’écueil de l’art pour l’art (expression à laquelle le contraignait inopportunément son dialogue avec Denis Bourgeois), de l’autre une mystique de la litérarité que ce dialogue ne parvint jamais à dessiner. Une suite à ce dialogue aurait été heureuse, mais elle ne vint jamais…--joël jégouzo--.

 

La raison d’être de la littérature, Gao Xingjian, traduit du chinois par Noël et Liliane Dutrait, suivi de : Au plus près du réel, dialogues avec Denis Bourgeois, éditions de l’Aube, poche, réédition janvier 2008, 180p., 8 euros, ISBN : 9782752604095.

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ANDRE GIDE : DE L’INFLUENCE EN LITTERATURE…

23 Novembre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #LITTERATURE

De-l-influence-Allia.jpgDe l’imitation des maîtres en fait, non du plagiat -par exemple.

Dans cette petite conférence prononcée à Bruxelles le 29 mars 1900, Gide traita surtout de l’art d’être influencé, d’accepter, de nourrir l’imitation des grands maîtres que l’on se choisit. Lui, c’est Goethe.

Le topos est ordinaire tout d’abord : on vient de quelque part. Soit. A subir aussi de bien ténébreuses influences. Re soit. Inutile de convoquer l'une de ces fadaises dont Nietzsche avait le secret pour s’en convaincre, comme lorsqu’il affirmait que les boissons avaient une influence sur l’esprit national, la bière pour les allemands balourds, le vin pour les subtils français... Ni Michelet certifiant qu’il y a du blé et du silex dans l’âme des français… Du blé, moi qui suis asthmatique… Du silex !, grand Dieu…

Pour Gide donc, évacuées les influences occultes, les meilleure d’entre elles restent celles d’élection. Goethe et Rome, où il se sentit naître enfin à lui-même. Une sorte de révélation intérieure, pas moins ésotérique que l’histoire du silex de Michelet…

Toutefois l’intérêt de la conférence de Gide ne réside pas là, mais dans ses réflexions sur les impasses de la subjectivité moderne, qui commande que chacun ait sa personnalité, entretenue à grand frais. Une personnalité qui ressortit au devoir d’originalité, composée avec l’air du temps souvent de manière saugrenue, puisque l’accent doit être mis sur l’artifice d’être soi. On voit ce que cela donne dans les Lettres contemporaines, d’Amélie Nothomb à Houellebecq. L’art contemporain, si violemment centré sur soi comme monde, nous offre ainsi beaucoup d’éloquence, et bien peu d’invention. Car à la longue, les écarts s’amenuisent entre les différences qui sont ici et là glorifiées. Des écarts de foison, plutôt que de style, l’originalité confinant à la bizarrerie, quand le "Grand homme", lui, ne cherche rien moins qu’à demeurer banal.

Reste une dernière idée dans cette conférence, intéressante : un seul homme, fût-il génial, ne suffit pas à débusquer toute la richesse d’une pensée forte. Dès lors, dès que la pensée est levée, la suivre jusqu’au bout commande que des centaines d’autres, à sa suite, en prennent le relais. Voyez le cogito de Descartes, dont aujourd’hui encore le périmètre ne cesse de s’accroître et nous surprendre.

Quant au pastiche, il est pour Gide l’œuvre des gens sans œuvres, qui ont refusé toute influence et restent en surface de leur ouvrage. Il est l’agitation de ceux qui ne cherchent que le reflet du métier, son esbroufe, et qui ne nourrissent à vrai dire, pour les raisons d’être de la littérature, qu’une incompréhension totale. Ainsi de nombre d’éditeurs, qui ne publient au fond que ce qui déjà existe.joël jégouzo--.

 

De l’influence en littérature, André Gide, éd. Allia, sept. 2010, 50 p., 3 euros, isbn : 978-2-844-853585

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RROMS EN D’ETRANGES CONTREES…

22 Novembre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #poésie

en d'étrangesC’est la Biennale Internationale de la Poésie en Val de Marne qui, la première, donna un accès au poète Muzafer Bislim. Une vraie découverte dont nous devons lui savoir gré, à inscrire qui plus est au mérite d’une instance qui est l’une des rares à défendre une conception vivante et exigeante de la poésie contemporaine.

L’anthologie publiée en 2009 fut ainsi largement consacrée aux poètes Rroms, accueillis pour l’occasion en France du 11 au 17 mai 2009 dans le cadre du Festival International de Poésie inauguré par la Biennale. Un moment intense, à la rencontre de cette aventure des peuples et des langues si rarement provoquée en France, et dont l’anthologie ne restitue nécessairement qu’un modeste écho.

Echo qui plus est subsumé sous un tire curieux -En d’étranges contrées-, pour évoquer un peuple sans contrée, errant depuis des siècles sans l’espoir, ni peut-être aujourd’hui l’envie de retrouver un jour sa terre, sinon à ré-enraciner ses origines dans cette langue qui s’invente et se réinvente chaque jour à travers l’Europe, si bien que ces étranges contrées passeraient davantage pour être les nôtres, sols bardés de droits mais sans hospitalité pour ce peuple fugitif, "convive de nos terres noires", de ces pays de promission qui ne leur ont offert que la misère et l’exclusion.

L’anthologie propose ainsi un panorama de la création poétique Rrom tout à fait intéressant, sans que l’on puisse cependant affirmer qu’il est exhaustif, ni que l’on sache les raisons d’une pareille sélection. C’est du reste ce que l’on peut regretter, qu’aucune présentation ne nous soit faite de cette création poétique dispersée en écritures tout de même peu familières du public français, finalement incapable de comprendre les enjeux d’une création faite souvent au rebours de la tradition poétique contemporaine.

Entre Jeanne Gamonet faisant face au monument de l’Histoire sauvage, Hamid Tsmaïlov, vagabond ouzbek flamboyant, ou Kutjim Paçaku dont l’écriture est secrètement traversée par un mot d’ordre divin, on aurait aimé mieux comprendre ce qui dans cet exil se refonde, que dénombre l’horizon poétique. --joël jégouzo--.

 

En d’étranges contrées, Anthologie BIPVAL 2009, Actions Poétiques éditions, 208 pages, 15 euros, isbn : 978-2-854-631869.

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L’IMPOSSIBLE DIMANCHE (Marek Hłasko)

21 Novembre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

marek_hlasko.jpg"La ville dormait immobile, terrassée sous l’éclat tranchant des étoiles. (…)

- Et alors rien, dit-il. Je continuerai à vivre… La course au bonheur est terminée. Toujours sans objet, mais qui vaut quand même la peine qu’on y consacre sa vie. Ce n’est pas moi qui dit ça, c’est Stendhal…

"La journée qui venait de s’écouler avait, pendant des heures et des heures, torturé les maisons, les corps, les pavés et les arbres avec son ciel de métal fondu.

"L’homme est séparé de l’homme par des ténèbres.

"Les gens sont épuisés, ils tombent, la gueule la première… Et le cynisme, à une vitesse record, devient l’unique morale.

"Est-ce qu’en fin de compte quelque chose de valable peut surgir dans un monde qui maintient son équilibre grâce au chantage ?

"Dimanche matin. Il pleut. Plus tard, il pleut.

 

Varsovie, dans les années 50. Ses grandes cités grises, closes, repliées sur elles-mêmes. Un jeune couple amoureux. Sans lieu. Sans intimité où vivre leur amour. La misère. Sauvage, inexorable. La vie sans pitié. La pauvreté retournant comme un gant l’intimité des gens qu’elle expose au regard de tous. La seule vie en partage. Vivre son désir. Où ? Comment ?

 

"A la fin, elle s’étala parmi les boîtes de conserves vides, les tessons de bouteille, dans la terre grasse détrempée. Elle l’entraîna dans sa chute. Il s’abattit sur elle.

"Les hommes ne valent pas mieux que les bêtes. Il ne faut pas penser que ça pourrait être différent.

"Après ce qui va se passer, nous ne pourrons plus nous regarder dans les yeux. Et ce sera la paix. La paix, enfin. Sans désir. Sans amour. Sans espoir.

"Nous avons attendu un jour qui n’est pas arrivé. Et qui ne viendra pas. Il faut attendre pourtant. Il faut en avoir la force. Ne pas se laisser tromper. Lutter. Se défendre."

  

L’une des œuvres les plus bouleversantes de la littérature polonaise des années cinquante. Témoignant de la misère matérielle, de l’abîme qui dévore les vies, les dépèce quand la pauvreté vous enclôt sur vous-même et pas même vous : vous avale dans sa grande bouche béante. Une œuvre dédiée aux ghettos urbains, cités ouvrières, lumpen sans âme, blocs de béton arasés –pas même une ville. Et au milieu de ce grand nulle part, la jeunesse polonaise, entassée, parquée, exclue. Accablée dans l’immonde promiscuité des désirs que l’on n’en finit pas de ravaler, de déglutir, de régurgiter. Le désespoir des mal-logés, des domiciles où l’on s’entasse sans espoir. Un livre coup de poing, qui connaîtrait aujourd’hui une réelle actualité, transposez donc : les cités françaises, ces millions mal logés. Notre grande misère où se désarticulent les vies démembrées, littéralement.

A l’époque, le livre avait ému. On l’avait traduit aussitôt en France. Il nous parlait d’une misère que nous jugions insupportable : celle des pays communistes. D’une misère dont nous nous sentions solidaires. Ces jeunes polonais devaient nous ressembler. Pas comme ceux des cités d’aujourd’hui, infréquentables au point que leur sort laisse indifférent médias et responsables d’opinion.--joël jégouzo--

 

L’impossible Dimanche (le huitième jour de la semaine), de Marek Hłasko, édition Julliard, 1959, traduction Anna Posner. Epuisé.

L'impossible dimanche. (Le huitième jour de la semaine). Traduit du polonais par Anna Posner, Editions Cynara, 1988, épuisé.

Photo : Marek Hłasko.

 

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LA PHILOSOPHIE GRECQUE

20 Novembre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

philos.jpgLe travail accomplit par Long et Sedley est tout simplement colossal. Il est heureux qu’un éditeur français ait osé le proposer en livre de poche. Recueil des sources directes de la philosophie hellénistique, qu’aucun ouvrage n’avait jusque là rassemblées, il en discute les matériaux dans les langues d’origine et parcourt mille témoignages des plus éclairants. Très savant, il n’en demeure pas moins attentif au lecteur qui ne serait pas familier de cette histoire - surtout dans son premier volume. Le second est certes un peu plus ardu, avec un appareil critique particulièrement fouillé. Mais administré par un glossaire érudit, un index ingénieux et un jeu de renvois multiples, il facilite et commande une lecture en arborescence particulièrement subtile. Une lecture qui permet par exemple d’échapper au parti pris parfois trop "doctrinal" des auteurs. Ces derniers le reconnaissent d’ailleurs bien volontiers : leur composition a privilégié une histoire des philosophes hellénistiques, "école par école". L’ensemble crée du coup un effet trompeur quant à l’unité apparente des doctrines. Certes, l’index des philosophes permet d’échapper à ce principe d’ordre, pour recomposer par exemple des itinéraires plus individuels de pensée. Mais l’on voit bien comment s’en trouvent évacuées les philosophies non standard, en particulier celles des Cyniques. Alors sans doute serait-il passionnant de poursuivre ce travail déjà monumental par quelques autres volumes qui camperaient résolument sur les restes et les excédents de cette philosophie, toujours trop calibrées sur ses doctrines majeures.—joël jégouzo--.

 

Les philosophes hellénistiques, Long et Sedley, traduit de l’anglais par Jacques Brunschwig et Pierre Pellegrin, GF-Flammarion, avril 2001, volume I : Pyrrhon, L’épicurisme, 312p., ISBN : 2080706411, volume II : Les Stoïciens, 570p., ISBN : 208070642X, volume III : Les Académiciens, La renaissance du pyrrhonisme, 256p., ISBN : 2080706438.

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