Législatives : fin de Partis ?
Il n’y aura pas de vague Insoumise. D’abord parce que le gouvernement de campagne de Macron raflera la mise sur un vaste périmètre, Macron présentant, ainsi que l'a commenté avec pertinence Mélenchon, partout, 3 candidats : 1 LR, 1 PS et 1 En marche... Ensuite parce que son gouvernement de campagne offrira aux Droites extrêmes le tandem Collomb-Strzoda capable de les séduire. Monsieur Flashball saura mater les manifestants et Collomb pourra mener en grand ses chasses aux pauvres, aux rroms, aux sans-papiers, pour satisfaire la clientèle lepéniste. Parce que, toujours, le Premier Ministre, Edouard Philippe, en approfondissant l’œuvre droitière du précédent gouvernement saura attirer les Droites forcenées : LR et socialistes, conforté dans ses décisions par un Bruno Le Maire décidé à faire rendre gorge aux chômeurs et aux tributaires des minimas sociaux. La Ministre du travail, Muriel Penicaud, qui a passé sa vie à arpenter les salons des conseils d’administration des grandes entreprises internationales, saura, elle, «libérer» le travail, dont on sait depuis la guerre de 39-45 combien il peut «rendre libre»… Pour les inquiets de l’Europe, l’européaniste béate Marielle de Sarnez saura donner du cor et nous faire entendre que cette Europe de la finance est notre seul salut et que toute opposition à cette Finance de l’europe ne peut être que rétrograde, sinon réactionnaire. Enfin et surtout, le tandem Hulot-Nyssen saura séduire une frange importante d’écologistes et de démocrates de bonne volonté, sinon de bonne composition : quel beau signe, nous diront-ils, qu’une ministre de la culture cultivée. Ne pourrions-nous pas leur accorder au moins le crédit de l’ouverture d’esprit ?
Il n’y aura pas de vague Insoumise, parce que les Partis moribonds n’en ont pas fini d’agoniser. EELV, comme à son habitude, traîne déjà ses gamelles pour manger à tous les râteliers. Là, c’est moins le Parti qu’il faut sauver que des carrières mesquines. Accords à droite, à fausse gauche, à gauche, tout est bon pourvu qu’on leur serve leur brouet quotidien. Le PS, lui, jusqu’à la lie viendra faire barrage aux Insoumis. Accords avec la Droite, accords avec Macron, accords avec EELV, accords avec le PCF… et que dire de ce dernier, qui déjà a passé ses accords pour se maintenir sous respiration assistée ?
Il n’y aura pas de vague Insoumise, parce qu’il ne faut pas se leurrer : avec les législatives, c’est leurs calculs politicards que nous prenons en pleine figure. Les appareils savent compter en outre : passer un certain seuil, 1 électeurs rapporte 8 euros. Hamon ne le sait que trop bien, lui qui s’est aussi maintenu pour gagner ses 5% et son remboursement de campagne… Il ne faut pas se leurrer, parce que le jeu de financement public des partis est un jeu de dupe. Tout comme celui des subventions accordées aux médias qui nous enfument, ou bien cet argent public qui file dans les poches des cadres supérieurs à travers les subventions accordées aux grandes écoles et aux classes prépas, dont ils sont les bénéficiaires patentés. Nous payons notre Domination. Très cher. Partout. Toujours.
Il n’y aura pas de vague Insoumise, parce que sur le terrain, les appareils s’y emploient. La presse s’y emploie. Parce que la République française n’est qu’un formidable leurre. Parce que les législatives n’ont qu’un but : maintenir résolument les citoyens en dehors du périmètre de production de la norme. Parce que la représentation politique française dispose d’un pouvoir discrétionnaire qui interdit que nous passions de l’expression de nos besoins à celle de nos droits. Parce que les législatives sont faites pour désarmer la volonté populaire.
Il n’y aura pas de vague Insoumise, parce que les arbitres seront nombreux cette fois, outre le PCF, le PS, EELV, il y aura encore et toujours le FN. Pour contrer cet espoir qui nous retient peut-être de trop au chevet d'une démocratie assassine. Il n’y aura pas de vague Insoumise, parce que les législatives sont faites pour étouffer tout espoir, tout comme pour épuiser la possibilité d'une issue politique. Elles signent en réalité le retour à la normale de l’aliénation joyeuse. Elles sont le symptôme du renoncement à toute forme de radicalité. Tina : There Is No Alternative. Exit les poussées aux extrêmes, la figure du député est bonasse : regardez-les dormir dans l’hémicycle. Eux-mêmes savent combien le poste est peinard. La normalisation de la vie publique est en cours, on est prié de ne pas réveiller les dormeurs de la République.
Que reste-t-il alors ? Nous avons perdu la bataille culturelle, nous avons perdu la bataille sociale, nous allons perdre la bataille politique. Demain, Macron lèvera ses armées : médias aux ordres et bruits de bottes dans la rue. Les mouvements sociaux seront réprimés dans l’effroi, Macron les empêchera de poursuivre leurs tentatives de rouvrir de force la nasse où gît l’espoir politique. Que faire ? Déserter l’espace public politique, tellement corrompu et tellement verrouillé ? Le réinventer ailleurs ? Faut-il partir en exil, comme le conseille Negri ? Avec le gouvernement Macron, l’illusion politique atteindra son summum. Faux changement mais bon casting. Il reste ce souffle puissant des Insoumis qui n’a pas encore trouvé son exacte traduction politique. A l’heure où il nous faut envisager d’affronter un échelon supplémentaire d’aliénation politique, le danger serait au fond que cette énième défaite nous pousse au dégoût de tout. La souffrance sociale est toujours là. Peut-être faut-il procéder autrement, ne surtout pas créer de Parti des Insoumis, mais amplifier le mouvement, l’étendre, lui laisser la bride sur le coup, encourager partout la prise de parole, ouvrir partout des Cahiers de Doléances à la manière de l’enquête de Bourdieu sur la Misère du monde. Que cette fin de partie ne marque pas l’émergence de nouveaux renoncements : devenons multitude, devenons le nombre et la justice, puisqu’aucune des injustices et des souffrances dont nous souffrons ne sont représentées politiquement.
Crédit photographique : Julien Brygo, reporter, julien-brygo@wanadoo.fr
Né en 1980 à Dunkerque, Julien Brygo est journaliste indépendant. Il travaille entre autres pour Le Monde diplomatique.
Merkel valide l’élection française…
Macron rentre donc de Berlin. Voyage obligé pour tous les présidents de la République française : il faut que Merkel ratifie leur élection. Elle lui a confié sa feuille de route. La même qu’à Hollande, Sarkozy, Chirac : l’Europe, quel qu’en soit le prix. L’Europe de la chancelière, il va de soi. Qui déjà a prévenu : les français devront faire des sacrifices. Après tout, les grecs ne viennent-ils pas d’accepter un nouveau plan de rigueur proposé par ses banquiers ? Amusante, cette tradition de soumission de l’idée européenne à la finance internationale. Rappelez-vous Monnet, le père de l’Europe. Qui se rappelle que Monnet avait été banquier justement, un banquier qui s’entoura de technocrates pour penser notre destin européen, qui devait rester l’affaire des nantis. Quand bien même son projet de CECA élargissait la base sociale de l’Europe à ces couches que l’on avait ignorées jusque-là : les paysans, les ouvriers. Qui se rappelle que ce cher Jean Monnet était proche de la famille Dulles, dont Allen fut le fondateur de la CIA ? Qui se rappelle ce Monnet, proche des sphères du pouvoir américain, venant chercher sa feuille de route, dans les années 50, auprès du fameux groupe de Harvard, chargé de réfléchir une construction européenne favorable aux Etats-Unis ? Qui se rappelle le jeune banquier accomplissant toute sa carrière dans la finance internationale, soupçonneux des exigences démocratiques des peuples et ne songeant qu’à se délester au plus vite des forces sociales tout comme des frontières nationales pour mieux asseoir sa vision capitaliste de l’Europe ? Un Monnet peu attaché au cadre de l’état nation. Une carrière au fond emblématique du destin européen que les banquiers nous ont fabriqué. L’Europe aura toujours été l’affaire de la finance internationale, une construction anti-démocratique par excellence, dont les peuples sont aujourd’hui les prisonniers. Prisonniers d’une Europe méprisant les électorats nationaux, d’une Europe dictant, sous la pression allemande, ses conditions aux états membres, d’une Europe construite autour de la notion d’allégeance plutôt que de consensus, relevant non pas de la participation civique, mais de l’adhésion coutumière. D’une Europe dont la force repose sur la faiblesse politique de ses peuples. Et plus que jamais, d’une Europe autoritaire exaltant la suspicion, cherchant toujours à contourner les volontés populaires. Une Europe bidouillée avec un faible soutien social, tour de force administratif que les faucons américains nous envient, tant elle est un modèle du genre, pour des régimes que leur démocratie, même fausse, embarrasse désormais.
Macron déjà en guerre contre la société civile ?
Il faut prendre très au sérieux la nomination de Patrick Strzoda au poste de directeur de cabinet de Macron : cet homme était le préfet de Bretagne. Celui qui a structuré, libéré la violence policière à Rennes tout particulièrement, la plus féroce menée en France contre des manifestants. Macron sait que les législatives passées, et vraisemblablement gagnées à force d'arrangements avec le PS et LR, et ce quel que soit notre optimisme, c'est dans la rue que s'organisera la résistance. En le nommant, il adresse à la société civile le même signe autoritaire que celui de sa parade en blindé sur les Champs. Son intransigeance affichée face aux demandes de retrait de la Loi travail se doublera demain d'une intransigeance totale à l'égard de la société civile. Les prochaines manifs seront réprimées encore plus durement que sous Cazeneuve, sinon interdites...
Confessions de Nat Turner
Ces confessions furent le point de départ de l’écriture du scénario du film de Parker : « The Birth of a Nation », écho ironique au film de Griffith (1915), dressant l’apologie du Ku Klux Klan. Le récit lui-même date de 1831. Nat Turner est en prison, il va être pendu pour avoir été l’instigateur d’une des premières rébellions d’esclaves noirs. Tous les autres insurgés ont été exécutés. Le récit lui-même n’est pas de sa main et n’est évidemment pas celui d’une rébellion, mais du meurtre barbare de familles blanches… Dont la liste des victimes s’étale en fin de confessions. Nat doit y faire l’aveu du caractère barbare de son action, d’une action qui doit apparaître comme incompréhensible aux yeux du lecteur. Le texte insiste donc sur le caractère «démoniaque» de ce que nous, nous appellerons une insurrection. Et Turner doit s’y évoquer comme «égaré», «embrouillé». D’autant plus fourvoyé que rien ne laissait prévoir de tels actes aux yeux des blancs. Rien ne laissait deviner cette révolte, encore une fois incompréhensible. Thomas R. Gray, qui recueille son témoignage, tente alors d’ne comprendre les prémisses dans la biographie de Nat. Quels traits pourraient expliquer la «folie» qui s’est emparée de Turner ? Peut-être cette enfance d’enfant doué songe-t-il. Trop doué. Nat apprit seul à lire et très vite, posséda un très grand ascendant sur ses condisciples. Pieux, Gray en fait un illuminé qui croit entendre des voix célestes lui promettre un destin exceptionnel. Adulte, esclave, désarticulé entre le fantasme d’un destin exceptionnel et la réalité de sa condition, sans doute a-t-il nourri beaucoup d’amertume à l’égard des blancs qui «l’employaient»… Nat s’enfuit du reste une première fois, pour revenir auprès de son maître, ne sachant que faire de sa liberté. C’est alors que lui vient cette vision terrible : il doit abattre des blancs. Ce combat, lui dit la Voix qui l’habite, c’est ton destin. Il échafaudera ses plans au cours de l’année 1830 : massacrer des familles entières de blancs. Là est sa folie. Que William Styron ré-écrira le premier en 1967, dans un livre analysant en fait surtout le rapport des esclaves noirs américains à la religion, et qui fera scandale. Jusqu’à Parker, qui à travers son film a tenté d’affirmer qu’il s’agissait-là de la première tentative d’émancipation des esclaves noirs. Nouveau scandale : le meurtre de masse ne peut être un outil d’émancipation. Et pourtant, quand on y réfléchit bien : poussés à bout, enfermés et soumis non aux lois d’une nation, mais d’individus retors, battus, torturés, tués sans forme du moindre procès, que leur restait-il donc ? Les travaux les plus récents sur l’esclavage des noirs aux Etats-Unis montrent qu’en fait de tous temps il y eut des révoltes, matées dans le sang. Au-delà des manifestations les plus désespérées comme les plus cruelles, celle de Nat Turner, les esclaves noirs auront tout tenté pour résister à leurs conditions, en vain pendant trois siècles ! Du sabotage des machines au ralentissement des cadences de travail dans les champs de coton, en passant par les fuites, les incendies de propriétés ou les suicides collectifs comme acte suprême de résistance, pendant trois siècles les esclaves noirs américains auront lutté avec une énergie peu commune, ignorée de la plupart de nos contemporains aujourd’hui encore, pour soulever un joug que rien, semblait-il, ne pouvait lever…
Naissance d’une Nation, Confessions de Nat Turner, suivi de : Une révolte en noir et blanc, de M. Roy, éditions Allia, traduit de l’américain par Michaël Roy, décembre 2016, 76 pages, 6,50 euros, ean : 9791030404739.
Les Prédateurs au Pouvoir : main basse sur notre avenir
Un opuscule de combat. Macron, Trump, le PS, Fillon… Au cœur du débat, l’argent, «qui transforme les plus riches en surhommes». L’argent, seule finalité d’une société au sein de laquelle l’humain est devenu une simple variable d’ajustement. 8 milliardaires, rappellent les Pinçon-Charlot, possèdent 50% des richesses mondiales. 8. Qui affament les peuples. En vrai. Rappelez-vous 2008 et leur spéculation sur les denrées de première nécessité : le maïs, le blé, le riz. En soustrayant des tonnages invraisemblables au marché alimentaire pour en faire monter les prix artificiellement, leur spéculation leur avait rapporté des sommes colossales, et plongé des millions d’humain dans la famine. La vraie famine. Nous ne sommes pas ici dans des effets de manche. Jour après jour, cette poignée de nantis plonge des milliards d’êtres humains dans la misère. Car non seulement la pauvreté ne diminue pas, mais elle s’amplifie. Et le clivage nord/sud que l’on croyait d’un autre temps, se met à traverser le nord pourtant riche. Une poignée de nantis donc, qui possède le pouvoir économique, le pouvoir politique, le pouvoir médiatique. Qui dispose des forces de répression, policières et militaires. Une poignée de nantis dont le seul objet est de mettre leur pouvoir à l’abri des démocraties. L’UE en fer de lance. Une poignée de nantis irresponsables qui jour après jour creusent les tombes de notre avenir. Parlons, tenez, de cette fameuse COP21, dont les conclusions se sont toutes écrites au conditionnel : «ce serait bien si»… L’avancée majeure de la diplomatie française. Son innommable supercherie, son infâme hypocrisie. Qui n’a débouché sur rien. Et ce faisant, a fait taire toute critique. Alors que dans le même temps, les très riches, conscients de la catastrophe écologique qui nous arrive, construisent comme à Manhattan leur éco-quartier pour se soustraire au réchauffement climatique et mettre leurs enfants à l’abri. L’East Side Coastal Resilience Project ! Financé par le gouvernement américain. A savoir «Nous», les 99%. Partout les très riches s’activent, conscients du danger qui pèse sur l’humanité, pour faire des catastrophes qui viennent un marché plus rentable encore que celui de la santé. Voici que partout dans le monde se négocient des droits à polluer. Avec la bénédiction de dirigeant de l’acabit d’un Macron. L’UE en fer de lance là encore, où ils viennent de créer un European Trading Scheme, qui fixe au prix du marché et au gré de ses spéculations le prix du crédit carbone. Vous savez : ce soit-disant impôt contraignant les multinationales à s’engager sur une voie de dépollution. Les Pinçon-Charlot en analysent les tenants. Théoriquement, pour 1 tonne de CO2 rejetée dans l’atmosphère, il fallait s’acquitter d’1 crédit carbone. Mais seul le marché fixe librement le montant des pénalités… Si bien qu’entre 2006 et 2012, le cours de la tonne de CO2 est passé de 30 euros à 1,30 euros ! Cherchez l’erreur ! Les entreprises se sont débrouillées pour acheter à vil prix leurs pénalités, encourageant ainsi à acheter des droits à polluer qui coûtent moins cher que tout investissement dans la dépollution. Si bien que dans le même temps, ces sont des millions de tonnes supplémentaires de CO2 qui ont été rejetées dans l’atmosphère… Que voit-on à l’horizon du mandat Macron, favorable à l’essor libre du marché financier ? On voit l’explosion des produits financiers qui vont nuire à toute possibilité de transition écologique, comme ces catbonds, ou «obligations catastrophes», qui permettent de gagner de l’argent en spéculant sur la multiplication des tempêtes, via un marché spécifique : le Catex (Catstrophe Risk Exchange)… Exxon, le géant du pétrole, nous rappellent encore les Pinçon-Charlot, avait entrepris dès 1970 des recherches sur le réchauffement climatique. Leurs propres experts en avaient conclu, dès 1970, qu’il était bel et bien en marche et que la cause en était l’activité industrielle. Exxon savait, dès l’année 1970, les risques qu’elle faisait courir à l’humanité. Mais la multinationale a préféré investir massivement dans le lobbying climato-sceptique plutôt que d’alerter les populations. Le totalitarisme nous embarque de force vers une apocalypse qui sera tout, sauf joyeuse. L’argent est son arme de destruction massive. Entre les mains d’une poignée de très riches servis par une armée de larbins sans morale ni principe. « Urgente est la vie, urgente la révolte » (Abdellatif Laâbi).
Les Prédateurs au pouvoir, main basse sur notre avenir, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, édition Textuel, mars 2017, 8 euros, 64 pages, ean : 9782845975859.
Législatives 2017 : la politique politicienne reprend le dessus…
L’espoir remisé ? La recomposition de la vie politique française aussi, malgré les apparences. Car le PS n’est pas mort, loin s’en faut. Cambadélis resserre les boulons, les miauleurs frondeurs regagnent un à un leur panier, tandis que Hamon, pour la énième fois, tente de nous faire croire qu’il souhaite l’unité de la Gauche… Les Républicains en font de même et du même côté de l’échiquier politique que le PS et menacent eux aussi, mollement, et frappent plus mollement encore du poing sur la table pour ramener au bercail leurs candidats que les sirènes de Macron auraient séduits. Car PS et LR fourbissent leurs armes pour ne pas être emportés par la tourmente insoumise : ils passent des accords avec la République en marche. Qui en a bien besoin. On se rend ainsi de menus services entre amis… Au pas donc. Tout le monde. Il s’agit de mettre tout le monde au pas. Les marcheurs de Macron y compris, contraints de faire ménage à trois : eux, le PS, LR… A Gauche, le PC passe déjà des accords avec le PS, pour tenter de survivre. Il en passera avec les Insoumis, évidemment. Quant aux EELV, fidèles à leurs habitudes, ils mangent à tous les râteliers. Les Insoumis jouent eux leur va-tout. La vague est-elle retombée ? L’amertume a-t-elle pris le dessus ? Le voile d’ignorance jeté sur les scrutins français depuis François Mitterrand risque de nouveau de les engloutir. Partout le FN viendra rejouer la fausse menace de la présidentielle et convaincre quelques gogos de voter cette fois encore utile, pour mettre à l’abri du peuple souverain notre démocratie de parade. Les médias fourbissent eux aussi leurs armes. Il faut faire rendre gorge à ces impudents d’insoumis qui ont osé soulever un espoir dans le pays. Les chiens de garde sont lâchés. Ils vont pilonner cette France qui résiste jour après jour. « La vie est urgente, urgente est la révolte ! » (Abdellatif Laâbi)
Le déni politique des anti-abstentionnistes et ses conséquences
Les faits tout d’abord. Macron a été élu avec une large majorité de voix et dans le même temps, jamais, depuis 1969, le nombre d’abstentions, de votes blancs et nuls n’aura été aussi élevé, jetant à bas l’un des arguments des anti-abstentionnistes, selon lequel un taux élevé d’abstentions permettait à la candidate du Front National de passer. Etait-ce prévisible ? Oui : le report des voix Fillon, des voix Hamon, et d’un tiers des voix des Insoumis le prédisait. Marine Le Pen était battue d’avance, les élections pliées dès la fin du premier tour.
Etait-il immoral, dans ces conditions, de s’abstenir ? «Immoral», puisque c’est en ces termes que le débat a été posé par les médias et le principal intéressé : Emmanuel Macron. Et surtout, quelles sont les conséquences d’un tel positionnement sur une question qui n’aurait jamais dû cesser d’être posée en termes politiques ? D’autant que le débat s’est inscrit dans une démarche publique, coercitive donc, n’hésitant pas à s’adresser à tous au nom d’une sorte de vertu citoyenne bien en peine de se définir clairement. Quelle vertu était en effet en jeu, là ? Celle de sacrifice ? De courage ? D’espoir ? Nul n’en saura rien : le second tour passé, notre vertueux corps expéditionnaire anti-abstentionniste s’est aussitôt assoupi pour cinq ans, laissant croître de nouveau tranquillement le FN…
Parmi les arguments avancés, celui de l’utilitarisme. On en connaît les soubassements philosophiques : la morale utilitariste passe par l’examen des coûts et des bénéfices. Très néolibéral ça… Macron élu plus largement encore aurait assuré une victoire sans coup férir contre le danger fasciste, nous assurait-on. Une victoire ? Mais… A moins de s’abuser sciemment, force est de reconnaître que non seulement le FN n’est pas défait, mais qu’il est à peine battu et ce, en augmentant encore son implantation nationale… Le bénéfice, on le voit, aura été piètre : celui de repousser de cinq années… Mais quoi au juste ? L’issue de la prochaine présidentielle qui de nouveau devra prendre tout le corps républicain en otage pour le sommer de voter encore «barrage» ? On a fait des abstentionnistes les otages de la contingence lepéniste. Parfait. Mais n’existe-t-il pas des intérêts moraux supérieurs qui anéantissent le concept d’utilité ? Quels sont les fondements des droits moraux ? Imaginez qu’une majorité écrasante n’ait que mépris pour une minorité… Point n’est besoin de développer : l’Histoire nous a fourni la clef de cette compréhension tragique des conséquences de l’oppression majoritaire… Le respect de la personne humaine en tant que fin et non moyen doit dicter en toute circonstance notre jugement moral. En faisant dériver les principes moraux du désir d’unanimité électorale, on aura simplement contribué à étendre à tout le corps électoral le champ de possibilités de la haine. Et en prime, on aura asservi notre idée de liberté à des fins extérieures…
Fallait-il donc maximiser le score de Macron ? La morale utilitariste aide à mieux calculer, non à discerner. Qu’est-ce qui était moral là-dedans ? Dans tout jugement moral, le mobile doit prendre sa pleine valeur. C’était quoi, les bonnes raisons de voter Macron, sachant que le FN n’a pas été défait, ni sérieusement combattu tout au long des cinq années qui ont précédé cette élection ? En posant la question en terme moral, les anti-abstentionnistes n’ont fait que protéger ce voile d’ignorance que les abstentionnistes ont tenté de lever : les raisons de la présence du FN au second tour de l’élection présidentielle. Ces raisons, affirment-ils, relèvent de la responsabilité de la classe politico-médiatique qui, pour assurer sa domination, n’a cessé de promouvoir le FN. Ainsi, la volonté à l’œuvre dans le faux dilemme que l’on nous a imposé n’est pas si difficile à débusquer : le FN n’est que l’autre face du Janus sans lequel le système mis en place pour soustraire la démocratie à la souveraineté populaire ne tiendrait pas une seconde. Il appartient à chacun, si l’on veut être moral, de s’en poser la question. Et tout compte fait, de réaliser que dans un tel système, le président Macron ne représente pas même 20% des français ! Mais entretemps, les conséquences de ce déni auront été immenses : celle du maintien du piège électoral et de la confiscation de la souveraineté populaire.
Politiques de l’extrême centre, Alain Deneault
A force de se déclarer « de gauche, mais », le PS a fini par vider les valeurs de la gauche de tout leur contenu, dont la première d’entre elles : l’élaboration nécessaire des contraintes publiques à l’égard des puissants. Et donné naissance à son produit le plus achevé, déboulant tout droit de la banque Rothschild : Emmanuel Macron. Pur produit par ailleurs de cet extrême centre européen aux yeux duquel le devenir collectif des nations européennes ne peut être cultivé qu’en tant qu’élément de langage purement formel, une rhétorique destinée à la fois à alimenter les extrêmes droites identitaires pour les maintenir à un niveau assez élevé pour qu’elles servent d’épouvantail, et camper sur leur terrain pour donner à croire que les peuples européens auraient encore une quelconque destinée dans cette UE de la marchandisation forcenée de l’humain. Pour le reste, ce faux centre, comme l’était notre fausse Gauche à gros nez rose, s’emploie déjà à vider le mot liberté individuelle de tout son contenu, pour mieux le soumettre à la dictature des marchés.
L’auteur étudie certes surtout la situation nord-américaine dans son essai, qui n’est cependant pas sans intérêt pour notre gouverne. En particulier quand il évoque le caractère infantile des campagnes électorales, de Trump à la présidentielle française, la nature pusillanime des syndicats, la supercherie des processus électoraux supervisés désormais par les médias, accompagnant toujours au plus près notre asservissement. Rompre est devenu leur mot d’ordre, imaginez ! En face de quoi tous ceux qui ne se mettraient pas en marche, la fleur au fusil, vers leur avenir radieux, passeraient pour des ringards… Dans ce délitement des forces sociales promis par la classe politico-médiatique, leur république des girouettes se met en place, arpentant sans complexe le vide qu’elle étreint : cet éthos vain sinon mortifère, qui a fait passer le racisme d’état pour normal, la précarisation du travail pour normale, la souveraineté des banques pour nécessaire, le mépris de la culture pour salvateur, la trivialisation de la politique pour inéluctable…
Alain Deneault, Politiques de l’extrême centre, prologue graphique de Clément de Goulejac, Lux éditeur, janvier 2017, 94 pages, 6,50 euros, ean : 978-2-89596-246-5.