MADELEINE DE SCUDERY, PROMENADE DE VERSAILLES
Ni ostentation, ni affectation, l’art de se ballader amoureusement en fait, le seul vrai talent que l’écriture devrait se reconnaître… "Un je ne sais quoi de doux et d’amer tout ensemble", où se congédier sans amertume.
Si l’on connaît Madeleine de Scudéry pour sa Carte du Tendre, ou Clélie, le roman qui fut le plus grand succès de librairie de son siècle, on ignore généralement ses autres œuvres, dont les volumes de ses conversations, pourtant si essentielles à la compréhension de la singularité du modèle français de sociabilité des élites, et sa Promenade de Versailles, subtile thématisation de l’art du récit et de la fonction de la description au sein de cet art.
Le Mercure de France nous en a offert une introduction (seule est publiée en effet la première section de la promenade) qui, il faut le regretter, n’a pas su encourager les éditeurs à rééditer l’ensemble de l’œuvre de Madeleine de Scudéry.
"Il faut poser pour règle générale que l’Art embellit la nature", affirme-t-elle. Le baroque français, tout d’équilibre et de tensions dans l’exhibition de ses ornements, déployant la variété dans la redondance et déclinant subtilement ses dissymétries dans l’astreinte de régularités fictives, trouve dans le style de Madeleine de Scudéry le parfait écho de ses formes. Ses phrases, volontiers galantes, cheminent sans affectation, s’étirent sensuellement, étageant les perspectives en horizons ni trop vastes ni trop bornés, avec juste cette dilection désinvolte du courtisan qui sait enchanter l’imagination sans ostentation, ni lui sacrifier les vertus de l’exacte rigueur cartésienne. Mais au passage, quelle hardiesse à théoriser ce qu’écrire pourrait bien vouloir dire, à changer de focale au creux de ses longues périodes, pour y inscrire, dans la structure même de sa phrase, ce système des valeurs qui ont fondé cette sociabilité des intellectuels français, si détestable par ailleurs… --joël jégouzo--.
La promenade de versailles, Madeleine de Scudéry, Honore Champion, janvier 2002, coll. Sources Classiques, ISBN-13: 978-2745305916, épuisé.
L’EUROPE ? UNE AFFAIRE D’ETAT…
Les dirigeants européens ne peuvent plus masquer la réalité de cette Europe dont ils avaient pris tant de soin à travestir les vrais enjeux, dessinant au passage une géographie morale du continent en question à tout le moins insupportable, au service de la grande Finance Internationale, Goldmann Sachs en tête. Ce faisant, ils nous rappellent opportunément que cette Europe qu’ils ont voulue, eux et non nous, n’aura jamais était une histoire des Peuples européens : l’Europe aura toujours été l’affaire des Etats, une construction anti-démocratique par excellence, dont les peuples sont aujourd’hui les prisonniers.
Et ce dès les origines, dans l’esprit même de son "Père" fondateur, Jean Monnet, dont la biographie mériterait d’être dépoussiérée ! Un Monnet qui sut en effet dès le début ne s’entourer que de technocrates pour penser notre destin. Car même si dans le projet de la CECA, la base sociale de cette Europe fut élargie à ces couches que l’on avait ignorées jusque là dans les sphères de pouvoir, les paysans, les ouvriers, l’Europe resta la grande affaire des nantis et… des américains. Qui se rappelle en effet que notre cher Jean Monnet était un proche de la famille Dulles, dont Alan fut le fondateur de la CIA ? Qui se rappelle ce Monnet, proche des sphères du pouvoir américain, côtoyant dans les années 50 le groupe Harvard chargé de réfléchir une construction européenne favorable aux Etats-Unis ? Qui se rappelle le jeune banquier accomplissant toute sa carrière dans la finance internationale, soupçonneux des exigences démocratiques des peuples et ne songeant qu’à se délester au plus vite des forces sociales tout comme des frontières nationales pour mieux asseoir sa vision capitaliste de l’Europe ? Peu attachée au cadre de l’Etat Nation, cette carrière paraît aujourd’hui emblématique du destin européen que les banquiers nous ont fabriqué. Une Europe méprisant les électorats populaires, une Europe dictant ses conditions aux Etats membres, une Europe construite autour de la notion d’allégeance plutôt que de consensus, relevant non pas de la participation civique mais de l’adhésion coutumière. Une Europe dont la force repose sur la faiblesse politique de ses peuples. Et plus que jamais, une Europe autoritaire exaltant la suspicion de Monnet, cherchant toujours à contourner les volontés populaires dans son processus de constitution. Une Europe qui se fabrique avec un faible soutien social, tour de force administratif que les faucons américains nous envient tant elle est un modèle du genre, pour des régimes que leur démocratie embarrasse désormais.
Et pour calmer toute fronde anti-européenne, une Europe au sein de laquelle les élites volent au secours des banquiers pour convoquer une longue et belle histoire cousue de fil blanc. Une histoire qui nous raconte par exemple que cette Europe est née de deux grandes unifications, chrétienne puis celle, humaniste, de la Renaissance, en oubliant volontairement que dans la réalité, chacune de ces unifications s’est conclue par l’émergence de forces centripètes qui ont produit beaucoup de résistances et de diversifications, laissant surgir de nouvelles singularités qui mirent chaque fois à mal cette fameuse unification européenne décidée par le haut. Il existe ainsi en Europe, en permanence, des mécanismes qui produisent des différences et font obstacle aux mécanismes d’unification.
Jean Monnet ne l’ignorait pas, lui, qui chercha toute sa vie à faire sortir la question européenne du champ symbolique pour la faire entrer dans celui des techniques politiques.
Mais aujourd’hui, on est arrivé à la limite de ce processus qui faisait l’Europe à l’insu des européens.
Le danger est double du reste, celui de voir éclore une technocratie toute puissante, tout comme celui de voir un imaginaire social réactionnaire fleurir sur les décombres de cette Europe stipendiée, laissant s’épanouir des replis identitaires des plus funestes.
Face à ce double danger, qui aura le courage, en particulier, d’évoquer le rôle de l’immigration dans le processus de construction de l’Europe ?
Qui aura le courage de dépasser les aspects purement démographiques de cette question, qui n’expliquent que partiellement le rôle joué par ces groupes face à leur communauté d’accueil ? Qui saura affirmer que les aspects économiques sont insuffisants à nous permettre de penser cette question ?
Qui saura dire que les aspects politiques témoignent le plus souvent de constructions négatives destinées à provoquer l’infléchissement des politiques budgétaires des pays receveurs, via l’instrumentalisation éhontée de cette question ?
Qui saura affirmer les aspects culturels nous permettant une meilleure compréhension de l’immigration comme processus d’intégration européenne ?.
Qui saura montrer que l’émigration reste le révélateur fort des transformations et des avancées sociales dans un pays donné ?
Qui saura écrire en somme cette histoire, en prenant appui sur celle, comparative, de la circulation des œuvres littéraires et de leurs traductions, seule histoire culturelle au fond, permettant d’écrire une vraie histoire de l’Europe ? Au lieu de nous infliger de nouveau un débat honteux sur la question du droit de vote des immigrés ! --joël jégouzo--.
Photos : De gauche à droite, Jean Monnet, John Foster Dulles, Kirk Spieremburg, Dwight D. Eisenhower, David Bruce, Franz Etzel, William Rand. A Washington, Juin 1953.
IL ETAIT UNE FOIS LES CONTES DE FEES…
Publié à l’occasion de l’exposition éponyme conçue pour la BNF par Véronique Meunier il y a quelques années déjà, le catalogue co-édité par le Seuil et la BNF est sans conteste une remarquable réussite éditoriale. D’abord parce que c’est un superbe objet jusque dans la conception de la maquette, qui rassemble une iconographie tout à la fois pittoresque et savante. Ensuite parce qu’il nous livre des collaborations particulièrement éclairantes sur la constitution et l’histoire du genre. De Perrault à Andersen, en passant par Crébillon et la peu connue Madame Leprince de Beaumont, c’est vraiment l’occasion d’en découvrir toute l’étendue et toute la richesse. L’occasion de redécouvrir également un univers sans grands équivalents. Par sa structure métisse en effet, mystifiant les distinctions entre les genres, le conte merveilleux a su non seulement produire un nombre incalculable de récits, mais générer une énorme vitalité littéraire. Tolkien, bien qu’il ne soit pas directement rattaché au genre mais qui en fut le lecteur passionné, en est la meilleure illustration. Sans doute est-ce parce que le pacte de lecture qu’il suppose ouvre autant à l’autonomie de l’œuvre qu’à celle du lecteur. Flaubert s’étonnait de voir les français préférer Boileau à Perrault. Espérons avec lui que les adultes sauront retrouver non pas le chemin d’une lecture enfantine, mais celui de l’imagination créatrice ! --joël jégouzo--.
Il était une fois les contes de fées, sous la direction d’Olivier Piffaut, Paris, Seuil / Bibliothèque nationale de France, mars 2001, 573 pages, ean : 978-2020491846
Bestiaire du Gange
Un livre illustré pour la jeunesse. Un livre splendide, d’un raffinement insolite, imprimé tout en pages sérigraphiées. Un livre pour les parents, de poèmes tamouls à montrer autant qu’à lire aux enfants. Un bel objet au style délicat, pointant à l’horizon du Beau un accord infini, celui, peut-être, des berges du Gange où les crocodiles poursuivent l’ombre taciturne des rivières. Un livre à lire avec passion, en sentinelle d’un monde que l’on sait encore partager, les belles heures de l’enfance comme au premier matin réfugiées dans la chambre des enfants. Un livre, cet objet de partage, entre l’un, à l’autre jeté par dessus les abîmes du temps, un lieu ouvert sur les mondes qui ne se dérobent jamais. D’une page l’autre le syllabaire exquis convoque ici le héron perché sur sa dernière patte, là l’écrevisse en aplat rouge conjuguant à l’étonnement du bec du premier le regard ébloui d’un garçon de quatre ans. Les yeux mirés sur la page qu’un bleu Giotto dessille, ravissent le ciel de pluie battante qui surplombe le Gange de son dessin virtuose. Partout l’eau, cet élément complice d’un rêve trop intime pour que l’enfant veuille nous le confier entièrement, battement d’on ne sait trop quel cœur, laissant éclore sur les rivages où les vagues scintillent, le cygne blanc, les fleurs des lotus que son regard embrase encore. J’ouvre les yeux, "Le monde est encore intact ; il est vierge comme au premier jour, frais comme le lait !" (Paul Claudel, L’Art Poétique). --joël jégouzo--.
Bestiaire du Gange, Rambharos JHA, Actes Sud Junior, Hors collection, oct. 2011, 22x35, 32 pages, traduit de l'anglais (Inde) par : Jade ARGUEYROLLES, 21,50€, ISBN 978-2-7427-9870-4
LA VOLONTE DU PEUPLE…
La volonté du peuple, affirme-t-on, ne peut , dans les démocraties modernes, s’exprimer que sous une forme politique. Le suffrage universel en serait même l’ultime et seule expression acceptable. Or, l’histoire a (trop) largement démontré que le suffrage universel ne pouvait établir une identité entre la volonté des gouvernements et la volonté des gouvernés.
Mieux, ce que l’on ne cesse de nous asséner, cette forme exclusivement électoraliste de notre liberté politique, était défendue naguère par des théoriciens néo-fascistes tel que Carl Schmitt, affirmant par ailleurs que c’était pure folie que d’approuver la volonté du Peuple… Pour ce même Schmitt, c’était l’identification et non l’identité qui caractérisait le mieux cette relation entre gouvernant et gouvernés. Et pour mieux rejeter toute identité de vues entre gouvernants et gouvernés, Schmitt dessinait les contours d’un pouvoir qui se serait énoncé à la première personne du singulier pour exprimer une volonté à ses yeux plus réelle que celle du Peuple, heureusement introuvable, prétendait-il. Un pouvoir qui aurait su prendre des décisions personnelles et non publiques, pour incarner à travers cette décision privée la volonté populaire enfin révélée à elle-même… Pour se parer de la tyrannie de la majorité, affirmait encore Schmitt, il fallait subordonner l’idéal démocratique à des principes qui lui étaient transcendants, seuls capables de garantir les libertés individuelles, y compris contre l’assentiment du Peuple. Ainsi pour Schmitt, mieux que la décision Publique, la voix du Chef d’Etat seule comptait. Et surtout, espérait-il, qu’aucune astreinte démocratique n’impose de limites à l’exercice de son pouvoir, nécessairement placé au delà des juridictions civiques, car ce n’est qu’à ce compte qu’un Chef peut régner et son Parlement fonctionner…
Si l’on y tenait absolument, l’opinion publique pouvait à ses yeux représenter le lieu de la légitimité démocratique, plutôt que ces formes archaïsantes pour lui, trop complexes sinon chaotiques de l’expression populaire, qu'étaient une Constituante, ou la rue.
Or, faut-il le rappeler avec Guizot, pour plaire aux libéraux de tous poils (UMP, PS) : la souveraineté de droit n’appartient à personne. Le parlementarisme, lors même qu’il répond à sa vocation première, ce dont il est permis de douter aujourd'hui, ne peut conduire à aucune vérité : sa seule mission est le dialogue.
L’Europe, tout comme l'Etat français, sont aujourd’hui des systèmes qui ne respectent pas ou plus leurs propres principes et nous livrent aux outrages de décisions iniques, autoritaires, prises dans le secret d’officines détachées de toute légitimité publique. Des systèmes qui ne cessent pourtant de mettre en avant une prétendue morale mais qui ont oublié toute morale, qui ont surtout oublié que l’objet de l’intérêt moral, ainsi que l’affirmait Emmanuel Levinas, c'est l’Autre, "en tant qu’il figure non comme un élément à intégrer dans un système de savoir, mais comme un autre sujet ayant sa propre perspective et qu’il faut respecter".
LA VOLONTE DU PEUPLE…
La volonté du peuple, affirme-t-on, ne peut plus désormais, dans les démocraties modernes, s’exprimer que sous une forme politique. Le suffrage universel en serait même l’ultime, et peut-être la seule expression acceptable. Or, l’histoire a (trop) largement démontré déjà que le suffrage universel ne pouvait établir une identité entre la volonté des gouvernements et la volonté des gouvernés.
Mieux, ce que l’on ne cesse de nous asséner, cette forme exclusivement électoraliste de notre liberté politique, était défendue naguère par des théoriciens néo-fascistes tel que Carl Schmitt, affirmant par ailleurs que c’était pure folie que d’approuver la volonté du Peuple…
Pour ce même Schmitt, c’était l’identification et non l’identité qui caractérisait le mieux cette relation entre gouvernant et gouvernés. Et pour mieux rejeter toute identité de vues entre gouvernants et gouvernés, Schmitt dessinait les contours d’un pouvoir qui se serait énoncé à la première personne du singulier -Moi-je-, pour exprimer une volonté à ses yeux plus réelle que celle du Peuple, heureusement introuvable prétendait-il. Un pouvoir qui aurait su prendre des décisions personnelles et non publiques, pour incarner à travers cette décision privée la volonté populaire enfin révélée à elle-même…
Le décisionisme de notre actuel Président rappelle ainsi à bien des égards celui de Carl Schmitt, penseur du nazisme. Pour se parer de la tyrannie de la majorité, affirmait encore Schmitt, il faut subordonner l’idéal démocratique à des principes qui lui sont transcendants, seuls capables de garantir les libertés individuelles, y compris contre l’assentiment du Peuple. Ainsi pour Schmitt, mieux que la décision Publique, la voix du Chef d’Etat seule compte. Et surtout, espérait-il, qu’aucune astreinte démocratique n’impose de limites à l’exercice de son pouvoir, nécessairement placé au-delà des juridictions civiques, car ce n’est qu’à ce compte qu’un Chef peut régner et son Parlement fonctionner…
Et si l’on y tenait absolument, que l’opinion publique soit le lieu de la légitimité démocratique, plutôt que ces formes archaïsantes, complexes, chaotiques de l’expression populaire, telle une Constituante, ou la rue par exemple.
Or, faut-il le rappeler avec Guizot, que la souveraineté de droit n’appartient à personne ? Le parlementarisme, lors même qu’il répond encore à sa vocation première, ne peut conduire à aucune vérité : sa seule mission est le dialogue.
L’Etat français est aujourd’hui un système qui ne respecte plus ses propres principes et nous livre aux outrages de décisions iniques, autoritaires, prises dans le secret d’officines détachées de toute légitimité publique, celui d’un Etat qui ne cesse de mettre en avant sa prétendue morale mais qui a oublié toute morale, qui a surtout oublié que l’objet de l’intérêt moral c’est, ainsi que l’affirmait Emmanuel Levinas, l’Autre, "en tant qu’il figure non comme un élément à intégrer dans un système de savoir, mais comme un autre sujet ayant sa propre perspective et qu’il faut respecter". --joël jégouzo--
LA FEMME EST UN HOMME DE SEXE FEMININ (...)
L’hôtesse d’accueil, à la fin de sa carrière, avec ses fesses en forme de chaise, témoigne que si l’homme est Homme, la femme n’est dans notre imaginaire qu’un Homme de sexe féminin… Un homme qui met pourtant au monde la totalité des hommes masculins et féminins, réalité que l’innomé de la locution Homme et notre soumission à son ordre ne saurait dissimuler, sinon au prix d’une phobie dont on serait avisé de mesurer le coût…
Au delà de la drôlerie de l’ambiguïté linguistique, c’est son intériorisation que parcourt avec force Louise Desbrus(ses), auteure P.O.L., renversant tout notre rapport à la psychanalyse freudienne pour lever sous l’hystérie mâle du garçon découvrant avec effarement sa privation d’utérus, les troubles psychiques qui en résulteraient et qui n’ont jamais été sérieusement envisagés dans notre société d’hommes, faites par et pour les Hommes de genre masculin. Comme si au fond le désir du meurtre de la mère relevait d’un tabou plus fort encore que celui du meurtre du père. Ce à quoi Vanessa Place, avec son réconfortant constat d’une société au creux de laquelle vivre c’est y mourir d’ennui, répond par la mise en demeure réjouissante de l’identité mâle, trop souvent exhibée comme la parade fastidieuse de performers aux performances douteuses, compensant leur impuissance à être tout à fait des hommes (masculins) en fabriquant un monde complètement factice. Il vaut la peine de suivre sa démonstration jusqu’au bout, notamment quand elle s’attaque à l’art masculin, déguisant plutôt qu’affirmant, recourant volontiers à l’obscurité (qu’il nomme profondeur), pour dissimuler son besoin de reconnaissance tout entier enrôlé sous la quête de l’autorité, nécessairement transcendante, du Grand Art ou de la Kultur… Et c’est tout l’inconscient hétéro-rhétorique des milieux sociaux dominants qui en prend un coup dans ce repérage intellectuel, tout comme celui de ce langage où se sont imprimés les usages du discours masculin du monde, dont la seule issue est de rater ses énonciations, s’il veut espérer toucher quoi que ce soit de fort. --joël jégouzo--.
Tina 8, Gender surprise, TINA n° 8 / GENDER SURPRISE, revue de 224 pages, Format : 15 x 21 cm, 24 août 2011, 15 euros, isbn :978-2-915453-87-4
GENDER SURPRISE : LA PARITE EN QUESTION DANS LA CREATION LITTERAIRE…
La revue Tina s’est amusée à tenir les comptes du genre des contributions dans cette presse que naguère l’on aurait volontiers qualifiée de "progressiste", sinon d’"alternative". Et à tout le moins, ce que l’on peut dire, c’est que le compte n’y est pas… mais alors pas du tout ! Alors que le taux de féminisation dans l’ensemble des professions culturelles, en France, avoisine les 40% (chiffres de l’INSEE), et que dans la création littéraire ce taux frise les 46% (tandis qu’il n’est que de 33% dans la création artistique), Livre-Hebdo, l’organe spécialisé de l’édition et de la librairie française, n’offre qu’une couverture de 30% aux romans français écrits par des femmes…
Du côté des éditeurs, c’est pas mieux : chez Minuit, 20% des auteurs sont des femmes, 26% chez P.O.L., 30% chez Gallimard, 38% chez Albin Michel, Actes Sud, pour culminer à 40% chez Stock…
Mais avec la littérature contemporaine, on tombe des nues. Au Petit Palais par exemple, un colloque s’est tenu récemment pour évoquer les enjeux contemporains de la création littéraire. 9 femmes y étaient cordialement invitées, contre 24 hommes…
Du côté des revues, là, c’est l’immense désaffection, quand Agone (dans son numéro 45 par exemple), expose royalement 1 intervention féminine pour 11 interventions masculines… Ou quand Le Matricule des Anges, de 93 à 2011, n’aura publié in fine que 18 femmes, contre 112 hommes…
Le Monde bien évidemment ne fait pas mieux dans son supplément au festival d’Avignon, faisant la part belle à 51 hommes couvrant de leur voix quelques malheureuses 10 femmes convoquées là à la hâte…
Et quant à Rue 89, perpétuant une prétendue tradition intellectuelle gauchisante, son cabinet de lecture, dans sa sélection de rentrée littéraire, n’aura daigné chroniquer que 12 romans de femmes, contre 50 pour les hommes !
Certes, c’est prendre le numéro 8 de la revue Tina par le petit bout de la lorgnette, mais ces chiffres valent le détour et en disent long sur la capacité de cette presse à bien réaliser le monde dans lequel nous vivons ! --joël jégouzo--.
Tina 8, Gender surprise, TINA n° 8 / GENDER SURPRISE, revue de 224 pages, Format : 15 x 21 cm, 24 août 2011, 15 euros, isbn :978-2-915453-87-4
L’ETAT FRANÇAIS : UN REGIME D’ALLEGEANCE…
L’Etat français est une Dictature moderne, subordonnant le politique à l’économique, c’est-à-dire suspendant l’ordre politique pour l’assujettir à la décision privée (celle des banquiers).
Un régime à tout le moins autoritaire, mais dont l’autoritarisme est paré d’une façade démocratique symbolique.
Prenez l’équilibre des forces institutionnelles sous la Vème République : la séparation des pouvoirs semblent, sur le papier, garantie. Mais dans les faits, accentués par le calendrier électoral, l’Assemblée Nationale est vidée de sa substance, au point que le Parlement français apparaît comme l’un des Parlements les plus faibles du monde, à l’égal des républiques bananières, et qu’il rappelle fortement la chambre d’écho qu’il fut sous le Premier Empire.
Prenez encore le Conseil des Ministres, doublé par un comité d’experts décrétant en lieu et place de la décision publique. Vidé de ses prérogatives, il ne sait que cultiver les effets d’annonce, exhiber la façade d’un rituel bien huilé à la veille des élections, qui verra le fantoche locataire de Matignon ré-endosser ses habits de Premier Ministre pour détourner le mécontentement légitime à l’égard de l’hyper président. Prenez enfin les médias, qui depuis beau temps ont cessé d’incarner en France tout contre-pouvoir.
La France est une dictature moderne, en ce sens que ce qui la fonde est un régime d’allégeance plutôt que de consensus politique.
Une politique d’allégeance où se joue notre destin. D’allégeance, oui, c’est dire combien l’empreinte est féodale, organisant les relations entre dirigeants et dirigés non comme participation civique, mais adhésion coutumière : l’obéissance, en échange de bénéfices d’ordre privé. Hobbes plutôt que Rousseau.
Une allégeance déclinée tout au long des hiérarchies françaises, empilant les renoncements et les prébendes de sorte que la force de cet Etat repose sur la faiblesse du peuple français, vidé de sa substance politique.
Retour à la case absolutiste. La France est l’empire du pseudo : pseudo législatif, pseudo démocratie, et sous cette construction politique autoritaire, la violation de l’égalité des droits y est constante. L’expression d’une culture politique convertie au cynisme le plus éhonté.
La France est même le seul pays qui ose statuer sur l’idéal de la Vie Bonne que les français doivent épouser, un idéal de la vie bonne prôné par l’Etat souverain qui ne cesse de s’opposer à la norme d’égal respect des personnes qui, seule, fonde la légitimité d’une démocratie véritable.
L’Etat français est littéralement devenu une entreprise de déshumanisation de la société française. Une entreprise d’intérêts privés qui ne cesse de nous aider à mieux renoncer au culte du respect mutuel, à nous éloigner du processus de l’association politique.
Comment donc nous entendre avec ceux qui, au gouvernement même, rejettent cette norme de l’égal respect des personnes et placent leur idéal de Vie Bonne au dessus de cette norme ?
Comment nous entendre avec des dirigeants qui ne cherchent que les moyens de défaire l’association politique "France" ? –joël jégouzo--.
QU’EST-CE QU’UN MONDE JUSTE ?
Comment concevoir un monde juste ? Surtout à l’heure où les idéologies de la justice semblent avoir fait faillite…
Sans même évoquer ici les doctrines socialistes, marxistes, communistes, voire anarchistes, il existe dans la tradition libérale, dont John Rawls fut le père fondateur, idéologie massivement dominante aujourd’hui jusque dans les rangs des socialistes, une idée selon laquelle la justice entre les citoyens d’une même nation doit être pensée sous la forme du "Maximin soutenable des possibilités".
Qu’entendre par là ? Prenez la liberté de mouvement des capitaux. Le capital est libre de circuler partout ou presque dans le monde. On encourage même cette migration, dont on nous dit qu’elle est profitable au Sud, qui pourra ainsi s’enrichir et nous enrichir en retour. En d’autres termes, on nous dit que pour réaliser la justice mondiale à long terme et l’enrichissement de tous, il faut accepter cette libre circulation du capital. Au nom de l’efficience économique globale, on nous demande d’accepter les sacrifices ponctuels provoqués par ce déplacement du capital et de l’emploi vers les pays du Sud… Au nom de la justice sociale mondiale, on demande aux travailleurs "riches" de consentir au sacrifice momentané (quelques décennies) de leur emploi. Cette rigueur apparaît comme la politique la plus juste pour l’humanité, la seule qui lui permette de trouver un souffle nouveau.
En réalité, les choses sont plus compliquées : il faut tenir compte de la conjoncture à court et moyen terme. Car au nom d’un principe prétendument "juste" sur le long terme (et du seul point de vue libéral), celui de l’élévation du niveau de vie de tous (acceptons-en le mensonge provisoirement), sur le moyen terme, on risque fort d’ouvrir entre les nations un état de concurrence tel qu’il précipite dans la misère des centaines de millions d’individus. Les mouvements des capitaux financiers, par exemple, se traduisent d’abord par l’appauvrissement des travailleurs du Nord, non par l’enrichissement des travailleurs du Sud.
Il faudrait pouvoir corriger cela à la marge, affirment les néo-libéraux. Ajuster. Simplement ajuster… Encadrer les mouvements financiers par une législation qui les empêcherait -alors que leur logique intrinsèque est la quête de profits immédiats-, de porter atteinte à l’environnement économique et social des nations. Car ce que l’on vérifie d’abord, c’est que la seule vertu de la recherche du profit n’entraîne qu’une augmentation des inégalités.
Le Maximin que j’évoquais plus haut ne devrait donc pas être calculé comme Maximin soutenable des états —ce qui est le cas aujourd’hui—, mais Maximin soutenable des personnes. Car la mobilité du capital érode la capacité de chaque nation à assurer une répartition équitable à tous ses citoyens. Dans la guerre financière qui est livrée par les banques aux Etats, dont les conséquences sont par exemple la prétendue "nécessité" de baisser le niveau des prestations sociales au nom du principe selon lequel ce qui est prélevé sur le territoire national n’a vocation qu’à servir de force de frappe économique "nationale", on le voit, ce qui est privilégié n’est ni plus ni moins que le consentement à l’extermination des pauvres. L’expression paraîtra excessive, sinon scandaleuse, mais si l’on y réfléchit bien, il ne s’agit de rien d’autre : la privation d’activité économique, qui s’accompagne statistiquement par la mise en danger physiologique des populations concernées, n’est que l’expression d’une politique consciente d’exclusion radicale des populations les plus fragiles, une exclusion qui se traduit par une mort réelle, souvent prématurée, et non le simple effacement de ces populations de la statistique nationale, qui sait mieux qu’aucun autre outil politique les rendre invisibles… --joël jégouzo--.