Red Voluption, Hélène Chabaud
Elvire, convertie à sa propre érotique, recouvre son temps comme un espace, qu’elle meuble avec volupté. Elle vire, volte et virevolte, armée jusqu’aux dents, précédant son essence. Elvire est un poème. Une sorte d’Odyssée qui emprunte à celle d’Ulysse ses juxtapositions hétérogènes, sa relance essoufflée, son errance, ses lambeaux, ses accumulations. Sublime, forcément, quand elle débarque dans le récit portée par le flux héraclitéen d’un style tenu de bout en bout à cette cadence folle. Elvire saisie cependant dans un dispositif complexe où se croisent maints regards : celui du narrateur ouvrant droit au lecteur le regard qu’il suscite, dispositif ô combien érotique que cette pulsion scopique, dans ce retour empêché, différé, à travers les rues de Paris. Elvire déboule donc en pleine gloire dans la chaleur de l’été parisien. Tout y est Eros : Elvire n’y déchausse-t-elle pas le trottoir ? Elle est Ulysse qui ne reviendra jamais chez lui. Comme lui, elle rentre mais n’arrive jamais, ou bien ailleurs, ou bien chez elle sans y être vraiment. Et tout le texte s’inscrit dans cette dé-route. Paris est désert. La seule présence à laquelle elle se heurte est un objet dont le souvenir ne lui reviendra que bien longtemps plus tard. Elle est ailleurs. Toujours. Elle est ici, là, moins dans l’ubiquité que nulle part. Atopos, comme Socrate. Dans la rue, chez elle, dans un bar, dans la rue. Posée sans jamais être parvenue nulle part. Ephémère. Un éphémère autour duquel s’organise le récit : sa présence est pure sensation. «Foutant le paquet à être», mais sans accéder à une autre existence qu’imaginaire. Elvire dans la fleur de sa peau, tandis qu’un ange lui souffle à l’oreille «que c’est l’idée du manque qui crée la souffrance». Elvire, finalement, ne se déplace que dans la littérature, notre consolation. Pour ne croiser dans cet imaginaire du récit qu’une domestique aux courbes fatales que son regard détaille avec gourmandise, dans l’immense vide de la Villa Isolila, où l’auteure a posé la seule question à laquelle il lui faudrait réfléchir : «Elvire pourra-t-elle se résister ?»… «Se» ?... Etrange formule où tient tout ce dispositif… Peut-être est-ce la raison de l’originalité de l’écriture. Une signature qui vous accroche et qui est l’apanage des vraies décisions. Un style donc, en parfaite cohérence avec le propos tenu, qui s’accomplit en un flux héraclitéen charriant avec effusion ce propos, l’excédant même, à bien des égards. Il y a donc ces phrases dont il faudrait étudier ligne à ligne le déploiement pour y dénombrer les figures de style, les tropes, les champs lexicaux qui donnent à entendre le ton, le timbre, la somme de nos usages langagiers. La diagnose du monde qui nous est contemporain, en somme. Une richesse où creuser notre rapport à nous-même et où cueillir le déversement de ce monde autre (celui de l’immanence) qui nous échappe et que nous ne savons que très imparfaitement saisir. Il y a toute ainsi cette grammaire qui s’invente et se cherche dans une sorte de retournement du gant lexical commun, où le plaisir des mots, en fin de compte, vaut toutes les jouissances du monde.
Red Voluption, Hélène Chabaud, BOD, mai 2017, 14,50 euros, 292 pages, ean : 978232215730.
Le Directeur n’aime pas les cadavres, Rafael Menjívar Ochoa
Le Mexique. Le Vieux est en train de mourir. Il le sait, mais ne veut pas le réaliser. Ses gardes du corps font taire l’augure. L’histoire du vieux donc, patron d’un grand quotidien national, corrompu jusqu’à la moelle. Qui n’aime pas la vue des cadavres, depuis qu’il a vu celui de sa mère. Il a fait revenir son fils à ses côtés. Le gamin avait fait de vagues études de médecine, avant de se spécialiser comme cascadeur, puis figurant, spécialiste de la figuration de cadavres au cinéma… Ce qui nous vaut de somptueuses méditations sur l’identité du cadavre, ses façons d’être si l’on peut oser, dans le sur-jeu bien trop souvent à son goût d’acteur, à vouloir signer sa mort comme un manifeste. Des cadavres qu’il a longuement observés, étudiés, lui. Et dont il est convaincu que très peu d’entre eux supportent la destruction d’une mort violente. Son père peut-être. Qui ferait un bon cadavre. Il y est prêt, quoiqu’il en pense. Même s’il s’évertue à faire encore exécuter tous ceux qui voudraient hâter sa fin. Le fils donc, narrateur éhonté de l’histoire. Posant un regard las sur le monde dans lequel il a grandi entouré d’une nuée de gardes du corps. Dont Milady, sa belle-mère, nymphomane cinglée qui s’accroche à ses plaisirs comme un noyé à la dernière branche d’arbre empoignée. Le fil rouge ? L’anéantissement d’une brigade de police. Ici l’avant-dernier opus d’une trilogie dont l’auteur a fini par écrire cinq volumes. Un roman qu’on peut lire sans avoir lu les autres, tant ce sont les personnages secondaires qui, comme pour les autres volumes, prévalent. Attachants. Le fils, Milady. Dans les autres un boxeur, une prostituée, une logeuse, des chauffeurs, tout ce petit monde Olivados de Bunuel, qui vivait naguère dans la périphérie de Mexico et n’a dû qu’à leurs mensonges de fréquenter les grands d’un monde corrompu jusqu’à l’os. Avec bien sûr en toile de fond le Mexique exsangue. Le Mexique en guerre. Contre les narcotrafiquants. Contre la corruption ou plutôt, par la corruption qui ne cesse de déferler sur une société livide. Un cadavre, cette société mexicaine. Embarquée dans une fin tragique. La presse, les politiciens, la police, tous pourris pour le coup, leur pouvoir de mort dressé contre tous et tout. Les balles sifflent donc. Les meurtres. Noir c'est noir. Humour grinçant, récit brutal. Sans issue, sinon celle que se promet le fils : que tout meurt autour de lui pour qu'il puisse s'en aller. Cesser d'observer cette société au travail de s'engloutir. S'il est possible, car dans un monde où tous tentent d'échapper à une mort violente, il y a peu d'espoir de n'être pas à son tour happé par une fin barbare...
Le Directeur n’aime pas les cadavres, Rafael Menjivar Ochoa, traduit de l’espagnol (Salavdor) par Thierry Dovo, Quidam éditeur, mars 2016, 164 pages, 17 euros, ean : 9782374910611.
Heinz, avant Ford, inventa le capitalisme moderne, à savoir : l’esclavage des femmes et des enfants
Dans son fantastique essai de géopolitique de la tomate concentrée, Jean-Baptiste Malet revisite l’histoire, telle qu’écrite par les historiens à la solde du libéralisme. Heinz donc, qui est resté l’opérateur principal de cette sale histoire du concentré de tomate qui déferle aujourd’hui sur le monde. L’occasion pour J.-B. Malet de revenir sur ces trop belles pages écrites à la gloire de l’entreprenariat américain. Une histoire qui débute à Pittsburgh, berceau mondial de l’agro-agriculture industrielle, dès la seconde moitié du XIXème siècle, et avec elle, l’histoire mythifiée des Etats-Unis d’Amérique, à travers la saga de la famille Heinz, partie de rien, arrivée au sommet à force de travail et d’abnégation… En oubliant d’emblée la hargne de Heinz à l’égard de Pittsburgh, que Jean-Baptiste Malet rappelle. Pittsburgh, ville ouvrière qui, l’été 1877, connut un immense mouvement social qui conduisit à la formation d’une Commune de Pittsburgh, six ans à peine après l’exemple parisien ! Commune oubliée, rayée des manuels d’histoire, vaincue dans un bain de sang par l’armée. Une Commune dont Heinz tira pour conclusion qu’il valait mieux employer des populations fragiles dans ses usines, à savoir : des femmes, si possible de moins de 14 ans… Tant les ouvriers avaient montré qu’ils étaient capables de se passer des patrons pour faire tourner leurs usines… Pour éviter les grèves, raconte l’histoire officielle, Heinz promut une direction «paternaliste»… Qui se concrétisa par la création, dès 1890, au sein même de ses usines, d’un département de sociologie d’étude des comportements ouvriers ! Le volet paternaliste sans doute...
Car pour le reste, face à ces cohortes de gamines, il mit en place des milices composées d’ouvriers mâles méritants… Des milices dont la mission était de faire régner l’ordre par la force et l’endoctrinement des ouvrières. Avant Ford, toujours, Heinz mécanisa ses chaînes de production, les rationalisa en chronométrant le premier ses ouvrières et en observant leurs gestes pour les discipliner au mieux des attentes de sa production. Ford s’en inspirera. Pionnier de la production de masse, Heinz créa la première multinationale de l’histoire du capitalisme. Sur le dos des femmes qu’il employait. Et dont ses milices n’hésitaient pas à tuer les meneuses. Les conserveries de Heinz apparaissent ainsi aujourd’hui non seulement comme incontournables de l’histoire de la condition ouvrière féminine aux Etats-Unis, mais de la condition ouvrière tout court : tout ce qui était expérimenté sur ces populations fragiles (imaginez : des jeunes filles de moins de 14 ans !), fut ensuite étudié et développé à l’échelle internationale. Etudié : on doit aux conserveries de Heinz cette fantastique étude de sociologie, la première, sur la condition ouvrière : la Pittsburgh survey (1907-1908), qui, par la bande, conduisit au grand dam de ses promoteurs à rendre visible le travail des enfants… Une fresque de l’état de misère totale dans laquelle se trouvaient jetées les ouvrières des usines Heinz, tableau de l’exploitation ahurissante de ces femmes travaillant jusqu’à 72 heures par semaine et dont beaucoup furent marquées dans leur chair : le rapport dénombre par centaines ces jeunes filles aux mains brûlées, aux bras coupés… Mais dans l’imaginaire américain, Heinz a su imposer une autre image de sa réussite : celle d’un produit universellement reconnu et d’une gamme capable de satisfaire tous les goûts, du bébé au vieillard.
L’Empire de l’or rouge, Jean-Baptiste Malet, Fayard, avril 2017, 286 pages, 19 euros, ean : 978-2-213-68185-6.
Degré zéro de la Démocratie, le déni républicain de Macron
La séquence électorale la plus lamentable de la 5ème République s’achève. Un coup d’état. Jamais l’expression n’aura été plus juste. Un coup d’état préparé de longue date par les Gattaz, les Hollande, les médias et l’ex PS, le Parti des vendus. Une séquence électorale qui nous achève sur un taux d’abstention record. Mais qu’importe aux yeux d’un Macron, qui ne représente pas plus de 10% du corps électoral français. Faites le compte, en retranchant les non-inscrits, les abstentionnistes, les nuls, les blancs et tous ceux qui n’ont pas voté pour lui… La France n’a de démocratie que la pétition de principe. Une république bananière. Son président hilare du bon tour joué, à la tête d’une chambre pas même « godillot », mais inepte, assemblage imbécile de crétins et de lobbyistes… Un asile de déments qui ne compte pour rien : Macron vient d’infliger à la Nation française non seulement sa plus sévère défaite, mais la pire humiliation de son histoire récente en laissant élire une représentation nationale déshonorante, vide de sens, sans précédent là encore dans cette 5ème déjà passablement masochiste du point de vue de la représentation nationale. Infligeant au passage une humiliation identique à la société civile, discréditée par l’élection de députés idiots. On y retrouve en effet ces candidats qui nous ont tant faire rire à force d’ignorance. Infligeant à notre société l’humiliation d’une chambre dont le premier acte sera de voter son suicide, puisqu’elle va aussitôt déléguer son pouvoir de légiférer au gouvernement… Les députés ? Des jeanfoutres à qui Macron n’assigne qu’une ambition : s’occuper de leurs prébendes. Au frais de la Nation.
Géopolitique de la tomate d’industrie…
La tomate d’industrie… Celle dont on fait du concentré. Par milliards de tonnes et pour des milliards de dollars de bénéfice. La tomate oblongue, modifiée génétiquement, à la peau nécessairement dure pour être convoyée d’un bout à l’autre du monde sans dommage. Celle dont la consommation ne cesse de croître, qui entre dans la composition de tous les plats préparés, de toutes les sauces, celle qui est partout dans notre alimentation jungle food, sans qu’on le sache. Celle dont personne ne savait, jusqu’à cette enquête, d’où elle venait. Tomate de Chine désormais, que le peuple ouïgour (musulman) ramasse chaque jour à la tonne. Des millions de tonnes, le sac de 25 kg payé 30 centimes d’euros. Celle que les familles de cette minorité musulmane s’échinent à collecter chaque jour, bourrée d’hormones, arrosée de pesticides interdits dans l’UE. Celle que les industriels ne lavent pas : à peine est-elle poussée par des jets d’eau puissants qui ne prétendent pas même la débarrasser de ses pesticides, pour être précipitée dans des cuves qui vont la broyer et en sortir une pâte épaisse. Celle qui sait n’emmagasiner que très peu d’eau. Compacte. Pour donner une pâte bien épaisse. Ramassée par des cohortes d’enfants de moins de dix ans. Dociles. Ou des femmes enceintes. Ou des mères dures au labeur, harnachées de leur bébé sur le dos, à genoux entre les plants de l’aube à la tombée de la nuit. Celle que les gamins ont le droit de dévorer si elle est à moitié pourrie en bordure de la zone de « cueillette ». Drôle d’expression au demeurant, pour évoquer ce fruit douteux gorgé de fongicides, de défoliants, de DDT, d’exfoliants, de napalm… Les bras des enfants cueilleurs brûlés par cette chimie meurtrière. Tomate sans jus destinée à nos pizzas, à nos sauces, au fameux ketchup de Heinz. Des milliards de tomates oblongues chargées nuit et jour par des norias de camions. Déversées par milliards dans ces usines qui les transforment en pâtes insipides : le goût viendra après, fabriqué selon les saveurs préférées des pays de destination. La tomate chinoise donc. Ou de Californie. Deux régions qui ne peuvent se passer des populations fragiles pour cultiver (le terme est impropre) leurs tomates industrielles, mortellement saturées de chimie. Un marché de rapines, de dérégulation et d’agriculture toxique. Un marché sur lequel l’armée chinoise a fait main basse !
Il faut lire cet essai, d’un bout à l’autre passionnant et ahurissant. Où tout commence dans la région de Wusu, en Chine. Le Kazakhstan n’est pas loin. Les travailleurs clandestins nombreux. Des femmes, des enfants. C’est ça, le ketchup : l’esclavage moderne des enfants. A genoux dans d’immenses champs aspergés jours et nuits de produits chimiques. Juste la fatigue et la mort qui rôde sous un soleil de plomb. C’est ça, le bon goût du hamburger, des pizzas industrielles, des sauces préparées : des femmes accompagnées de leurs petits qui suivent leur progression dans ces champs de la mort, pour 1 euros par jour. C’est ça qu’il faut comprendre, d’abord ! Des ouïgours essentiellement. Peuple musulman méprisé par Pékin.
Derrière les champs il y a les grandes firmes internationales qui se battent pour les milliards de bénéfice que ce commerce génère. Discrètes. Secrètes. Il a fallu mener une enquête de plus de dix ans à l'auteur pour parvenir à suivre ce circuit de la tomate industrielle dans le monde. Depuis ces fruits impropres à la consommation jusqu’à ces usines sans scrupules qui, en France par exemple, rachetées par des chinois les répandent sur le marché français sous formes de concentrés divers…
Parmi ces firmes, Cofco Tunhe. La numéro 1 mondiale. Chinoise. Entre les mains de l’armée de Pékin. Elle fait partie des 500 plus puissantes multinationales dans le monde. De celles qui dictent nos lois. La tomate l’a enrichie et depuis, elle a étendu ses activités au pétrole, aux céréales, aux denrées agricoles –le terme est impropre : cette agriculture-là n’a rien à voir avec la terre nourricière. La Cofco, c’est 15 usines géantes en Chine. La plupart au Xinjiang. Pauvre. Elle fournit les champs et la main d’œuvre. Pauvre. Et livre ses tonnes de pâtes de tomate à Heinz, Campbell, Nestlé, Mc Cormik, Ducros, Vahiné, etc. … Et accessoirement son sucre à Coca-Cola et son lait à Danone. A toute épreuve ce lait, chimiquement parlant bien sûr… Et pour ce qui est de la tomate, elle fournit le tiers de la production mondiale de concentré de tomate, à destination de 80 pays. Dans les champs qu’elle supervise, les enfants ont le droit de travailler dès 5 ans. Ceux de plus de 13 ans sont considérés comme des travailleurs adultes et traités comme tels. C’est ça qu’il faut savoir, quand on balance son ketchup sur ses frites.
Et ça, c’est le miracle chinois. Industriel uniquement ? Pensez-vous ! La Chine est devenue le 1er producteur mondial de blé, de riz, de pommes-de-terre (irradiées). Et voilà qu’elle s’attaque à la tomate… Chacune de ses usines produit plus de 5 200 tonnes de concentré de tomate par jour. Championnes du super concentré même. De la pâte conditionnée en baril, exactement comme le pétrole… Du coup, son appétit ouvert, la Chine s’est mise en quête de rachats partout dans le monde. A Camaret-sur-Aigues par exemple, Cofco a racheté une usine de production de concentré de tomate : Le Cabanon. La principale usine de production de sauce tomate pour la France. Qui désormais nous revend sous son appellation provençale les tomates du Xinjiang bourrées de pesticides, en toute légalité et sans qu’il lui soit fait obligation de le mentionner sur ses étiquettes. Au Cabanon, les ouvriers ont vu un jour débarquer des généraux chinois en grand uniforme. Ils venaient racheter leur outil de production. Depuis, silence radio : les barils made in china sont cachés dans un coin discret, les ouvriers ne savent pas de quoi cette pâte est faite, dont ils doivent sortir de jolies sauces provençales. Partout dans le monde, les militaires de Cofco ont pour mission de racheter les conserveries nationales, pour les mener manu militari vers la grande victoire économique finale de Cofco, bien au-delà des 28 milliards de dollars de chiffre d’affaire annuel de l’entreprise...
L’Empire de l’or rouge, Jean-Baptiste Malet, Fayard, avril 2017, 286 pages, 19 euros, ean : 978-2-213-68185-6.
Le Coma des mortels, Maxime Chattam (livre lu)
Pierre. Mais… Qui saura qui est Pierre ? A force de se dérober… D’affabuler… De mentir. Qui est Pierre ? Un petit employé plus minable que modeste ? Souffreteux ? Qui shoote les pandas du zoo de Vincennes pour ne pas avoir à s’en occuper trop, file des calmants aux singes et du viagra aux bestiaux sans libido... Un cynique en somme. Chemise de Las Vegas parano sur le dos. Embourbé dans des histoires sans lendemain. Sauf avec Ophélie. Aussi déglinguée que lui, « collectionneuse de suicides »… Vous voyez le topo. L’air de rien, ce qui s‘amoncelle annonce de grandes décisions. Qu’il ne prend pas, se contentant de raconter. De se triturer l’âme, mise à nue sans façon. Jusqu’au trop plein de morts autour de lui. Trop pour ne pas s’en poser la question. La police en tout cas s’en pose, qui commence à sérieusement s’intéresser à ce garçon à l’humour grinçant. Mordant. Etrange. Trop étrange, tandis que le récit nous embarque à son tour dans l’étrange. Chuchoté dans la lecture qu’en donne Damien Ferrette. Ebahi. Comme se parlant à lui-même, presque pensif, songeur, vagabond. Lecture intruse aussi, drôle et inquiétante à la fois, à peine parfois un mince filet qui peine à dire. Tant il est difficile de dire. C’est ça, oui : cette difficulté à dire quoi que ce soit, qui trame le récit. Cette difficulté à être et à dire. Absurde, oui, certainement.
Le Coma des mortels, Maxime Chattam, Audiolib, lu par Damien Ferrette, 17 août 2016, 1CD MP3, durée d’écoute : 9h11, 23.60 euros, ean : 9782367622125.
Sharko, Franck Thilliez (livre lu)
Sharko et Lucie. Epoux. Au Quai des Orfèvres tous deux. Avec leur deux enfants, une famille modèle ou peu s’en faut. Des garçons. Recommandables. Bien éduqués. Sauf que Lucie vient de tuer un homme. Dans une cave. Elle l’a abattu hors de toute procédure légale. Sharko n’y était pas. L’apprend. Maquille la scène de crime, invente un meurtre sur mesure, que la hiérarchie va leur confier. Alors les voilà tous deux qui plongent dans les abysses, pris entre des tueurs sataniques et la peur de voir leur mensonge dévoilé. Sur la corde raide. Du sang partout. Qui gicle, bouillonne, s’offre à la gourmandise des uns, la terreur des autres… Le goût du sang... rayonnant dans tout le récit, au sens propre de ce que savourer veut dire. A s’en lécher les babines pour les uns. En vomir pour les autres. Sharko et Lucie en équilibristes, sous la hantise de voir percé leur complot. A l’aplomb du vide qu’ils ont creusé sous leurs pieds, en danger partout, même au plus intime de leurs vies. Ça risque bien de saigner, pour eux. Ça saigne du reste. Beaucoup, dans ce déséquilibre qu’ils ont inauguré. Alors pour compenser, Michel Raimbault lit ce roman avec componction. La voix est presque exagérément posée dans ce trop plein de déséquilibre. Elle surplombe le récit, prend sans cesse ses distances. Neutre, elle semble accueillir avec une hauteur toute bienveillante les péripéties de l’intrigue. Comme si au fond, tout cela ne tenait que par sa grâce. Avant que tout ne s’effondre, se glace, nous pétrifie.
Franck Thilliez, Sharko, audiolib, livre lu par Michel Raimbault, juin 2017, 2 CDMP3, durée d’écoute : 17h11, 24.90 euros, ean : 9782367624099.
Les débuts de carrière des docteurs
Etude du Céreq réalisée pour les docteurs diplômés depuis 2010 et pour lesquels les principaux débouchés restaient la recherche publique, dans les conditions que l’on sait. Etude alimentant le débat au cœur des réformes récentes de la formation doctorale en France, l’arrêté du 25 mai 2016 ayant mis l’accent sur la qualité de la formation afin de valoriser un diplôme qui souffre de la concurrence à l’international. Une étude qui révèle une transition plus difficile et plus longue pour les docteurs vers la stabilisation de leur trajectoire professionnelle, que pour les autres diplômés du supérieur. Il faut en général un minimum de cinq années pour voir cette trajectoire se stabiliser. Jusque-là, le taux de chômage des docteurs reste supérieur à celui des diplômés du supérieur. Mais cela dépend évidemment des disciplines, les docteurs sortant de la filière SVT étant les plus touchés (12% de chômeurs), et demeurant, même au terme de ces cinq années de vie active, massivement employés en CDD (38%)… L’étude tente d’en comprendre les raisons, tout comme elle fournit une prospective intéressante sur la situation de l’emploi dans la recherche en France. De ce point de vue, l’année 2012 semble être le point de bascule : la part des permanents dans la recherche publique a fini par dépasser celle des précaires. Un bémol toutefois : si les départs à la retraite n’ont cessé de croître depuis le tournant des années 2000, on assiste depuis quelques années à une réduction catastrophique des postes au concours, ce qui pèse fortement sur les trajectoires des jeunes docteurs. Ainsi, dans l’enseignement supérieur assiste-t-on par exemple de nouveau à l’augmentation des personnels temporaires ! D’une manière générale, les emplois du privé présentent plus d’opportunités. Si bien qu’entre 2010 et 2015, la part de la recherche dans le privé est passée de 13% à 19%. Là encore, l’effet de discipline joue à plein : les docteurs issus des maths, de la physique, de la chimie, de l’informatique, connaissant des taux de chômage bien inférieurs à ceux de l’ensemble de la population des docteurs.
Bref, Bulletin de recherche du Céreq, n°354, juin 2017.
Le Cri, Nicolas Beuglet (livre lu)
Hôpital psychiatrique Gaustad. Oslo, Norvège. Un patient est retrouvé étranglé. Le visage saisi de terreur, figé en un ultime cri que le cadavre semble pousser encore. Munch… Sur son front, le nombre 488. Aux dires de l’administration, il s’est suicidé. Vraiment ? Sarah enquête dans une atmosphère glauque de secrets, de silences, de conspiration. Dans sa cellule, elle découvre des signes, des graffitis indéchiffrables. Par centaines. Par milliers. Cela faisait plus de trente ans qu’il vivait là, sans que son dossier n’en évoque les raisons. Et quand elle interroge l’équipe soignante, c’est par une gêne croissante que celle-ci se défile, soulevant à chaque interrogatoire plus de questions encore. Paris, Londres, Nice, les mines du Minnesota, les îles de l’Ascension, l’affaire rebondit sans cesse, insaisissable. Christopher, journaliste, a rejoint Sarah. Ce qu’ils découvrent est énorme. La folie à mains nues. Celle d’une administration pour laquelle les vies humaine sont des moyens, non des fins. C’est si énorme, qu’ils n’en reviennent pas. Le projet MK Ultra. La CIA en couverture… Un projet qui date des années 50, révélé par le New York Times en 1974. Une commission d’enquête fut nommée, qui découvrit horrifiée que la CIA finançait des recherches sur le cerveau humain. Les cobayes ? Des êtres humains que personne ne devaient pouvoir réclamer. Non consentantes : c’était ce qui en faisait la valeur au niveau de la recherche elle-même… L’hystérie étatique dans toute sa splendeur, particulièrement rendue dans cette lecture qu’en donne Olivier Prémel, la voix souvent haut perchée, sifflant ses consonnes, appuyant sa lecture, l’emportant sans répit, pressé, tranchant sur chaque fin de phrase, intriguant à loisir sa diction. C’est comme un flux qui nous emporte, s’arrête brusquement, repart, se reprend, dévale le texte avant de nous inquiéter encore par des pauses presque saugrenues. Interprétation très farouche en somme, qui contribue à renforcer la violence de la révélation.
Le Cri, Nicolas Beuglet, Audiolib, 17 mai 2017, 2 CD MP3, durée d’écoute : 13h52, 24.50 euros, ean : 9782367624143.
Jusqu’à l’impensable, Michael Connelly (livre lu)
Harry Bosch retape une bécane. Une Harley, of course ! Et ne craint plus personne, sinon peut-être la sienne, à n’être plus les mains dans le cambouis de la crim’. Son demi-frère l’alpague. L’avocat. L’autre bord. Honni. Celui des compromis, du blabla juridique, le clan du vétilleux immature, à ses yeux. Seul Harry peut sauver son client d’une culpabilité par trop évidente pour le proc et la police. Harry résiste : passer de l’autre côté du miroir ? Impensable ! Mais sombrer dans sa retraite ennuyée ne l’est pas moins… Le voilà enquêteur donc. West Hollywood. Viol et meurtre en sautoir. Toutes preuves disponibles, flagrantes. Alors quel coup si bien monté défaire ? Contre les siens ? Sont-ils vraiment les siens au demeurant ? Harry dégringole dans ce L. A. à fleur de routes sauvages. Où traquer la vérité et puis, quoi, la vérité ? Quel mot est-ce là au nom duquel risquer sa vie ? Au loin l’océan surplombé par son fog mortifère et le soleil de Californie. Le vieil Harry s’y colle pourtant, têtu, à ramasser les corps sans broncher, pour en reconstruire opiniâtrement le récit, presque obstinément tant l’intrigue est filée. Conspué, injurié, banni, Harry taille à la hache par la même occasion, ses raisons d’être du mauvais côté de la vie… La narration est parfaite. Trop peut-être, qui laisse ce goût acerbe d’une écriture trop parfaitement soignée. Du déroulé d’un texte systématique. Lu méthodiquement par Jacques Chaussepied, chaque syllabe en alerte et en même temps, comme abandonnée par-dessus l’épaule. Une lecture de parage, entre vieux potes accoudés au zinc d’un bar nocturne. Bien vu ! Bien dit ! Dépliée comme une confession quand la nuit semble ne pas vouloir finir. On reste d’un bout à l’autre attentif à cette vieille histoire braconnée au bon moment pour vous clouer aux étoiles qui dansent…
Jusqu’à l’impassable, Michael Connelly, traduit par Robert Pépin, lu par Jacques Chaussepied, Audiolib, 17 mai 2017, 1 CD MP3, durée totale d’écoute : 11h51, 24.50 euros, ean : 9782367623221.