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La Dimension du sens que nous sommes

AUX FAISEURS DE PATRIE…

28 Janvier 2010 , Rédigé par du texte au texte Publié dans #en lisant - en relisant

deprague.jpgFaux candide jusqu’à l’insolence, Hašek s’y entendait comme pas un pour mystifier les faiseurs de patrie.
Il est vrai que l’époque lui offrait plus que de raison prétextes à moqueries.
Dans ces temps remarquables de l’Empire Austro-Hongrois en effet, où la Loi autrichienne du 8 janvier 1801 avait assimilé les chats aux malades mentaux, l’Empire tout entier prêtait à sourire.
Anarchiste, président d’un parti pataphysique, artiste de cabaret, écrivain et dresseur de chiens, l’auteur de l’inénarrable soldat Chvéïk, lui, retenait son hilarité pour mieux faire pleurer de rire ses contemporains. Et de Prague à Budapest, en passant par Moscou et la Bavière, il s’en donnait à cœur joie pour ridiculiser l’administration austro-hongroise, prototype de tous les travers du genre.
Les nouvelles réunit sous le titre sont cependant inégales, ce qui est extrêmement rare chez Hašek, champion toute catégorie du loufoque littéraire. Sans doute parce que l’éditeur a bricolé un recueil plus qu’il n’a songé à le composer, oubliant au passage que Hašek ne réussit jamais aussi bien que lorsqu’il démonte avec une acuité sans pareille les rouages de l’absurde moderne. Bien des nouvelles lèvent tout de même un franc fou rire. En particulier celle où il se voit nommé gouverneur de la ville de Bougoulma, dans laquelle il se rend accompagné de ses douze « tchouvaches » dont personne ne comprend la langue, pas même lui. (En s’étonnant au passage de la retrouver dans ce recueil, alors qu’elle figure déjà dans d’autres publications du même éditeur).
joël jégouzo--.

De Prague à Budapest de Jaroslav Hašek, nouvelles traduites du tchèque par Héléna Fantl et Rudolph Bénès, éditions Ibolya Virag, coll. Parallèles, juin 2001, 166p., 10 euros, ISBN : 2911581032
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AU DELA DE NOUS…

27 Janvier 2010 , Rédigé par du texte au texte Publié dans #IDENTITé(S)

ulysse.jpgDans la quête de toute identité, Au delà serait le concept fondamental, impliquant l’idée d’un déplacement physique redoublant tout dépassement existentiel : Ulysse, figure de la Mètis. Ni trop masculin, ni trop féminin, brouillant les genres et les causes : non exclusivement grec en fin de compte, à l’arrivée de son périple, et un  temps, la mauvaise voile hissée par mégarde, ni mort ni vivant…

Soit une représentation de soi qui ne s’expose que dans ce processus de répétition qui suppose qu’il y ait de la contiguïté entre le présent et le passé, et non de la continuité (le temps du maintenant selon Walter Benjamin, qui ne peut être celui de l’ici, mais celui d’un  va-et-vient spatio-temporel).

Un au delà (et non le simple « au-delà ») que nous ne pourrions donc pas déduire de catégories apprivoisées, et que l’on ne pourrait situer que dans les discontinuités des micro-histoires ( du genre de celles des minorités) – pour déjouer les fondements culturels de toutes les études sur la question, adossées par commodité au concept de culture organisée, alors qu’il nous faut digérer nos mondes inégaux, asymétriques, chaotiques. Et faire en sorte que par exemple dans ce nouvel internationalisme que nous avons à fabriquer, la transition du particulier au général demeure un problème, non une transcendance.

Au delà organiserait ainsi une sorte de processus sans totalisation de l’expérience. Un inconvénient en somme. Une faiblesse.

 

Au delà : notre problème à nous français, par exemple, serait qu’une grande partie de notre histoire récente aurait eu lieu au delà des mers (outremer).

 

Au delà encore : les grandes narrations nationales n’offrent pas de référence pour fonder des modes d’identification culturelle pour qui construit sa sexualité.

 

Au delà toujours, des immigrés. L’espace politique à l’intérieur de chaque nation est à la fois une réalité locale et transnationale.

 

Au delà en bref : impossible de construire une communauté enracinée dans le temps homogène et vide de la modernité et du progrès.—joël jégouzo--.

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POUR DES IDENTITES HETERARCHIQUES…

26 Janvier 2010 Publié dans #IDENTITé(S)

green1André Green imaginait la différence culturelle comme l’acte d’une minorité qui se brouillait avec elle-même.
Et bien évidemment, l’acte d’une communauté qui faisait sécession et rechignait à s’articuler au grand corps collectif qui d’ordinaire presse de toute part ceux qui ne sont pas Nous, de l’être au plus tôt.
Il tentait au fond moins de découvrir l’Autre que de nous aider à nous découvrir (dénuder), loin du concept de multiculturalisme, toujours suspect de poser les unes à côtés des autres des cultures toutes faites.
Et au sein même de toute «communauté», il tentait de comprendre comment l’identité pouvait ne pas ressortir à une fermeture.

green2009Pour y parvenir, il fallait à ses yeux favoriser la réinscription des différences à l'intérieur même de toute communauté, donnée pour évidente.
Mais comment rajouter des clivages ?
Comment y injecter des différences qui la fissureraient, pour la défaire en société vagabonde ?
Comment ramener une communauté à sa vérité, et faire qu’elle ne s’affirme que sous les traits d’un projet ?
D’un devenir portant chacun au delà de lui, plutôt que de chercher à le réconcilier prématurément dans les conditions politiques d’un passé par trop verrouillé ?


Comment faire qu’une communauté ait pour identité son projet d’identité, afin d’être certain qu’elle ne s’y enfermera pas ? En d’autres termes, comment camper sur les restes et les excédents identitaires ?
«Le passage interstitiel entre deux identifications fixes ouvre la possibilité d’une hybridité culturelle qui entretiendrait la différence sans hiérarchie.» André Green
Des différences sans hiérarchie… Voilà l’expression à méditer ! Faire que notre société ne puisse être que dans le temps du va-et-vient, dans l’aller et le retour entre des désignations culturelles distinctes, voire opposées. Ce serait là le salut ?
joël jégouzo--.

L'Aventure négative, de André Green, éd. Hermann, nov. 2009, collection Psychanalyse, 25 euros, ISBN-13: 978-2705669157.
Le travail du négatif, de André Green, éd. de Minuit, oct 93, coll. Critique, 397 pages, 29 euros, ISBN-13: 978-2707314598.
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Dissidence sociale et marginalité invisible…

25 Janvier 2010 Publié dans #Politique

barel.gifDes dissidents, il y en a toujours eu.

L’idée que tout ce qui diffère dérange est une simplification naïve, affirme Yves Barel.
Il existe des marginalités compatibles avec l’ordre social en place, et des révoltes qui ne le détruisent pas et ne font que changer les hommes porteurs de cet ordre social.
La dissidence est même une nécessité sociale : tout groupe humain voulant acquérir une identité doit se confronter à son altérité – au besoin en la fabriquant.
C’est si vrai qu’à certaines époques cette dissidence a été institutionnalisée, tragiquement sous le forme d’un groupe émissaire, festivement sous celle d’un moment transgressif (les rites d’inversions carnavalesques).
Ainsi donc, la première question à se poser est celle de l’ambivalence de la dissidence sociale.


L’intégration équivoque des bobos dans nos sociétés contemporaines par exemple, traduit-elle une quelconque dissidence, ou bien n’est-elle pas plutôt un outil de la reproduction sociale ? Cette pseudo dissidence n’est-elle pas en effet l’expression d’un accord profond de la société avec elle-même ? Si bien que ce radicalisme de pacotille ne pourra apparaître que risible dans quelques décennies, sinon coupable…
Rappelez-vous : Marx disait toujours que les choses se reproduisaient deux fois : une fois comme tragédie, une seconde fois comme tragi-comédie…

Une société développant toujours une part de religion d’elle-même, il faudrait donc pouvoir distinguer tout d’abord la marginalité volontaire, voire feinte, de la marginalité d’exclusion. Mais Yves Barel proposait mieux : une réflexion sur ce qu’il nommait la marginalité invisible. A savoir : une marginalité potentielle qui se révèle dans les événements dramatiques du social : le chômage, la précarité. Une marginalité dont le caractère principal est d’être l’expression de ceux qui, au fond, acceptent l’intégration sociale, la désirent, mais ne peuvent y accéder. Une marginalité exprimant du coup deux univers sociaux et culturels distincts, au demeurant déjà pointée dans l’horizon des études sociologiques des années 1930, sous le vocable de marginalité sécante : sous l’apparence d’un continu, de la discontinuité surgit dans les vies qui y sont confrontées, organisant son « travail de sape ».

Cette marginalité invisible conduit donc à l’existence de stratégies humaines et sociales construites sur deux plans, sanctionnant une image sociale brouillée. Une identité schizophrénique en quelque sorte, faisant des victimes, mais créant aussi du pouvoir et des notables.

Le premier signe révélant cette marginalité serait le retrait social, selon Yves Barel. Se soustraire à toute responsabilité politique ou sociale, se rabattre sur la famille, le supermarché, etc. C’est Yves Barel observant par exemple que depuis les années 80, les légumes avaient tendance à l’emporter sur les fleurs dans les jardins de la banlieue parisienne… Non pas donc la marginalité d’individus qui se marginalisent, mais celle d’individus qui marginalisent un mode dominant. Non celle des minorités, mais celle de majorités marginalisant la société, et éprouvant de la sorte une société absente à elle-même. Certes, en se retirant, ces marginalités permettent à la société et à son mode dominant de mieux exercer sa domination. Là est leur équivoque : la marginalité invisible est largement indécidable. Elle est une stratégie de l’équivoque, maintenant cet équivoque comme nécessité morale et sociale du moment. Une stratégie qui impose de réfléchir en retour à la nature de cet équivoque et oblige à déplacer l’analyse sociologique de ses approches habituelles.
«Quand on se rabat sur le rapport au corps, observe Yves Barel, parce qu’on est fatigué du rapport au social», le sociologue ne peut pas ne pas réaliser que le social s’est d’un coup transporté dans le corps où l’autre semble échouer.

Le retrait serait du coup l’indice d’un problème qui, dans l’attente de sa résolution, est d’abord exorcisé : la visibilité de cette marginalité, c’est de faire comme si elle détenait la solution (le repli sur le corps), alors qu’il ne s’agit en aucun cas d’une solution mais d’un état transitoire qui a le mérite de faire sortir du bois le besoin d’un renouvellement des outils au travers desquels une société tente de se saisir. Ou pour le dire autrement : de renouveler les narrations à travers lesquelles une société, un groupe, se donnent à lire.
joël jégouzo--.


Yves Barel, économiste et sociologue grenoblois, mort en septembre 1990. Il est l’une des personnalités du monde intellectuel français les plus injustement oubliées. Rappelons qu’il fut l’un des premiers, dès les années 70, à importer en France les outils conceptuels de l’analyse systémique. Et quant à sa carrière, il n’est pas anodin de noter qu’il décrocha l’ENA avant de voir son concours cassé par une décision inique visant à lui refuser son ticket pour la Haute Administration Nationale, cela parce qu’il était communiste. Fait rarissime dans l’Histoire de l’école, qui vit par ailleurs, en d’autres temps, l’un de ses concours reporté, pour permettre à un candidat -acceptable cette fois-, de le passer, alors qu’il faisait partie de la sélection française des J.O. Deux poids deux mesures, illustrés de belle façon…


La Dissidence sociale, de yves Barel, conférence prononcée au département « Humanités et sciences sociales » de l’Ecole Polytechnique, en 1982.

Le paradoxe et le système, Essai sur le fantastique social, de Yves Barel, Presses Universitaires Grenoble, réédition octobre 2008, ISBN : 2706114789.
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DESOBEISSANCE : LE RECYCLAGE LITTERAIRE DU POLITIQUE…

22 Janvier 2010 Publié dans #Politique

desobeissance.jpgEric Arlix a du talent. A revendre. Il est l’un de nos rares aboyeurs (au sens d’un Karl Kraus), quand il ne reste en France que des miauleurs. Mais un talent mal informé. Encombré par des disciplines vétustes, des mots d’ordre poussiéreux, une vision du monde cadenassée, frugale, indécente même, parfois…
Un talent mal informé, mais habité par une émotion sincère, une rage politique intacte malgré le désabusement qui émerge ça et là. Ecrivain, éditeur, il ne cesse d’entreprendre, de chercher. Le ton pour dire l’inacceptable. La langue pour débusquer le changement à venir.

Eric Arlix n’a ainsi jamais cru aux chances de Ségolène Royal. Il l’écrit dans ce texte rédigé à la hâte -coup de gueule, exaspération- au cours de la campagne présidentielle qui vit triompher l’énorme bêtise à front de taureau du petit Nicolas.
Un texte en outre porté à la scène entre les deux tours avant d’être repris en mars 2008 dans une collection qui s’est donnée pour vocation d’être «dédiée à la littérature contemporaine et à ses textes les plus singuliers». Il n’est pas indifférent d’avoir à l’esprit cette sorte de manifeste au moment de lire ce libelle : on est ici dans le recyclage littéraire du politique, sinon politique du littéraire, la collection voulant «créer des espaces au sein d’une littérature trop timide et trop cloisonnée en prenant le parti de soutenir des textes aux prises de risques nombreuses».
Quelle est la prise de risque, ici ? Devant quoi, devant qui ?

Le texte rappelle tout d’abord le lointain We are l’Europe de Jean-Charles Massera. Stigmate, critique charmante d’un contexte culturelle qui effraie par ailleurs, navre plus souvent, «petite fiction égotripante» aurait pu commenter Eric Arlix -mais certes, c'est grave rigolo Massera.

Reprenons : un texte joué entre les deux tours sous la forme d’un happening sinon d’une performance, dont l’écho nous est offert par des images la convoquant. Le tout instruit par une préface fortiche qui pose d’emblée l’horizon de notre lecture, introduit par l’étant donné duchampien :
«Etant donné l’obligation de sérieux dans la mascarade, et de mascarade dans le sérieux». Mais de quoi donc, encore une fois ? Du discours politique ? De l’élection ? De la candidature de Nicolas ? De celle de Ségolène ? Nous ne le saurons pas encore. De même que nous ne saurons pas de suite ce qu’est ce «règne de l’imbécillité», ou cette «explosion de la bêtise» qui nous sont advenus. Ni, au fond, à qui le texte s’adresse, ou bien ceux qu’ils dénoncent. Patience… l’écriture avance masquée, d’abord occupée d’elle-même, ainsi qu’il en va avec les textes d’avant-garde qui ne se négligent pas.

Cependant, à bien lire, on sent vite poindre un étrange arrière-goût. La référence politique par exemple, qui vient comme un discours d’autorité frapper le lecteur en pleine figure : Hannah Arendt (Qu’est-ce que la politique ?). Une réflexion de fond, assurément. Qui en impose. Sauf qu’Hannah écrivait sur le politique il y a bien longtemps, si longtemps que l’on est en droit de se demander quel usage en faire aujourd’hui. D’autant que l'application qui est faite, là, dans l’écrit qui s’en pare, est des plus troublantes : une petite phrase moralisante, signalant que le vrai danger dans lequel nous serions tombé serait «que nous devenions de véritables habitants du désert et que nous nous sentions bien chez lui»… On aura reconnu le vieux topos de la désaffection du politique. D’où sans doute l’appel à cet autre vieux topos pour y faire face: celui de la désobéissance. Désobéissance civile, civique. On veut bien. Tout comme accepter provisoirement l’idée qu’il n’y a plus de vision du monde possible, comme le prétend l’auteur. N’était qu’il s’agit là d’une forme de paresse particulièrement crasse, en plus d’être commode : voilà qui évite à propos de la repenser… N’était qu’il en reste une, de vision du monde, souterraine, déployée dans le texte sous la forme d’une très ancienne métaphore biologique pour décrire la société dans laquelle nous vivons. Au point que l’on se demande quel bras il nous faudrait couper pour nous débarrasser de cette gangrène (la bêtise, l’imbécillité, l’indifférence politique, etc.) qui nous affecte. Le bras droit ? Hum… Pas celui qui écrit tout de même… Non. Car voici que s’avance très spontanément le bras qu’il faut couper. Il est à gauche bien sûr, trahi par une apostrophe vigoureuse : «Tu es caissière ou ouvrier, le bonheur serait-il de le rester ?».
Voilà donc cette bonne vieille classe ouvrière de nouveau mise à contribution… Elle aurait failli? Sale conne de caissière planquée derrière sa caisse, ce serait elle, la coupable ? Ni la faute à Rousseau, ni la faute aux bobos. Non, c’est la caissière vous dit-on, et voyez comment, Arlix faisant du supermarché la cible number one de son exaspération. Le supermarché..., pas anodin comme expression : ce lieu marchand que fréquentent les classes populaires, et non le Monoprix –de grâce, ne touchez pas au temple bobo de la consommation intelligente et raffinée…
Voilà, tout s’explique. Avec la caissière et le supermarché, on aurait atteint «le summum du truc», comme l’écrit négligemment l’auteur. Ce «truc» que le texte évoque dans une faconde subitement triviale, langue de caissière sans doute, l’auteur abandonnant, le feignant, les hautes sphères de la pensée pour mieux dire la chose qui l’encombre, le heurte, le gêne, fait obstacle à son talent qui finit, comme il se doit, dans la déploration de l’impossible «Nous».

Déployant un vieil appareil langagier (mondialisation, Peuple, Nous), rien d’étonnant à ce qu’il ne puisse dépasser le cadre de l’ironie, dans le dédain d’un Peuple (en réalité introuvable) postulé avachi, dupe. Alors, me direz-vous, pourquoi vouloir sauver ce texte ? Pour la ferveur qui le traverse, et le talent, et sa volonté d’introduire une pause dans la geste d’une histoire politique désespérante. Et puis aussi parce qu’il affirme qu’être de gauche est une fiction. Une fiction peut-être instrumentalisée par le Capitalisme lui-même. A méditer. En tout cas, une narration qu’il faut reconstruire, assurément !
joël jégouzo--.

Désobéissance, bienvenue à la réunion 359, de Eric Arlix, éd. imho, collection et hop, mars 2008, 9 euros, isbn 13 : 978-2-915517-32-3.
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DINO, DE NICK TOSCHES : UNE QUASI SOCIOLOGIE DE LA CIVILISATION POLYVINYLIQUE POST-INTELLECTUELLE

21 Janvier 2010 Publié dans #en lisant - en relisant

dino.jpgC’est une étrange biographie que nous livre ici Nick Tosches, consacrée à Dean Martin, pathétique incarnation du rêve américain au sortir de la deuxième Guerre Mondiale.
Car elle a en effet ceci de singulier qu’elle allie la rigueur des plus exigeantes études, au ton sans détour du romanesque noir pour appeler un chat un chat. Romancée, là où son style pourrait agacer -Nick Tosches n’hésite pas un seul instant à inventer de toute pièce des dialogues reformulant des témoignages disparus- elle frappe au contraire par la pertinence de son expressivité. Et là où le sérieux de l’entreprise pourrait lasser, elle soulève l’admiration par la minutie des recherches accomplies.
Passant d’un registre à l’autre avec une incroyable aisance, Nick Tosches révèle ainsi le vrai objet de son travail : mettre en place une quasi sociologie de la civilisation «polyvinylique post-intellectuelle» que devient la société américaine peu après la guerre. Pouvait-il donc choisir meilleur sujet que Dean Martin, crooner indolent, dont l’individualisme intrigant inaugure l’ère de l’égotisme clinquant, suave à force de cécité ? Piètres intrigues au demeurant, où l’on croise bien sûr Marylin, les Kennedy et quelques gangsters plus vrais que nature.
Observant sans complaisance ce petit monde, Nick Toches s’abat comme un voleur sur la tombe du rêve américain. L’industrie nouvelle dont il s’éveille, celle du fantasme Kennedy par exemple, le destine à laver plus blanc que blanc les grands linceuls dont elle recouvre déjà les civilisations autres, comme au Vietnam.
--joël jégouzo–.

Dino. : La belle vie dans la sale industrie du rêve, de Nick Tosches, éd. Rivages, coll. Rivages Noir, avril 2003, 637 pages, 10,40 euros, ISBN-13: 978-2743611392.
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GYNAECOLOGY, SELON NICK TOSCHES…

20 Janvier 2010 Publié dans #poésie

nick.jpgI wanna mate like a cheetah
Enfin… Personnellement… Je ne sais pas…
Lui, si. Et l’affirme, et le revendique, et s’en amuse la cigarette entre l’index et le majeur, casquette vissée sur le front, les yeux perçants scrutant au loin le grand vide new-yorkais -l’évidement plutôt que l’évidence.


And I would pay it just to hear you sigh

Nick Tosches, dont la légende rapporte -faut-il le croire?-, qu’il fut d’abord chasseur de serpents pour le Miami Serpentarium avant de devenir poète, écrivain, ou le héros oubliés du rock'n'roll américain.


On se rappelle de lui La religion des ratés.
Pas si éloigné, le second poème proposé par l’éditeur: Gynaecology.
Poème moins désabusé que circonspect, crapule tout de même, vous pensez : avoir Marie pour patiente, one finger in her
, et à l’autre bout de l'étendue gynécologique, toucher l’immensité anodine, quelque chose comme une Sixtine humide ou la Création du monde à portée de main, donnée dans cet instant sans lendemain tandis que l’officiant ne sait que ressentir, sinon peut-être la brise d’un léger contact, Jesus…, tout bêtement, comme un événement soustrait à l’avènement du Grand Souffle qu’il achemine, Jesus parlant son désir cependant, auquel Nick ne sait rien répondre…

Gérard Fromanger avait peint, il y a des années de cela pour le Palio de Sienne, une Vierge à la poussette (4 roues motrices) qui avait fait scandale au moment où les vainqueurs s’en étaient allés la porter dans la Basilique (scandale auprès des fidèles, faut-il l’observer, et non auprès de l’Evêque)… On imagine l’indignation avec ce poème, pourtant porté par plus d’innocence qu’il n’y paraît…--joël jégouzo--.

 

Mate like a cheetah, Nick Tosches, éd. Derrière la salle de bains, juin 2006, 4 euros.

Gynaecology, de Nick Tosches, éd. derrière la salle de bains, juin 2006, 4 euros.


La religion des ratés, de Nick Tosches, traduit de l'américain par Jean Esch, Folio Policier,


le site de Nick Tosches et Hubert Selby Jr. : http://www.exitwounds.com/


image : Nick Tosches, Photo by Michelle Talich, in Scram magazine, a journal of unpopular culture…


éditions Derrière la Salle de Bains : 39, rue Beauvoisine – 76000 Rouen

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D’UN DEBAT L’AUTRE : L’EGO AUTISTE, INTERMITTENT DE SON PROPRE SPECTACLE… L’IDENTITE DU SUJET EN QUESTION…(3/3)

19 Janvier 2010 Publié dans #IDENTITé(S)

gargouille.jpgL’Homme surgi des méditations cartésiennes est solitaire, et inachevé.
Cet inachèvement devient sa matière même, qui le contraint au recours à la nécessité : dès la Deuxième Méditation, le cogito est fondé en Dieu, sans autrui, sans durée.
Dans cette solitude égologique, il ne peut compter que sur une seule certitude : il sait qu’il pense.
Mais il ne sait pas où…
Car tout le reste est demeuré dans les Ténèbres : autrui, la durée, Dieu lui-même.
L’ego de la deuxième Méditation est ainsi autistique.
Ce n’est qu’à la Sixième Méditation que Dieu le réassure dans un environnement, à commencer par le sien, immédiat : sa corporéité.
Tout se joue alors, comme l’expliquait magnifiquement Rogozinski, dans la césure qui sépare les Méditations deux et trois : dans la Deuxième, l’ego est sujet, dans la Troisième, Dieu le précède.
Il y a donc une faiblesse ontologique du sujet cartésien, qui n’arrive pas à se fonder comme sujet, parce qu’il n’arrive pas à s’assumer dans la durée. Le cogito est intermittent de son propre spectacle. « J’existe, mais combien de temps ? Autant que je le pense » (2ème Méditation). Car dès que je cesse de me penser, je ne suis plus certain d’exister… Dans la brèche de la durée surgit le menace d’un Dieu trompeur. Peut-être le Temps est-il finalement plus puissant que le Malin…
Le cogito doit s’affirmer comme rassemblement, mais il ne parvient à se focaliser qu’en un point qui ne cesse de se dérober. De sorte que l’ego devient la proie d’un Autre.
A moins qu’un seul instant suffise à l’assurer dans son évidence, comme les modernes ont voulu le croire : cogito ergo sum. A moins qu’il ne s’agisse d’une vaste fumisterie, car pour penser, il fallait déjà être (ergo), si bien qu’il connaissait la conclusion de tout cela avant même de s’en poser la question.
Nietzsche, avec malice, se demandera de quel droit l’on peut énoncer que c’est moi qui pense, dans cet intitulé cartésien. Sinon d’un droit purement formel : celui d'une opportunité langagière. Si bien qu’il finira par se demander si des fois, Descartes ne serait pas resté prisonnier des mots, et nous avec : tant que nous croirons à la grammaire, l’ego devra se réclamer du secours divin. Mais si, ainsi que le reformulait Lacan, j’étais où je ne pensais pas et je pensais où je n’étais pas ?…
-joël jégouzo-.

Image : John Taylor Arms (American, 1887-1953), Le Penseur, Notre Dame, 1923.
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D’UN DEBAT L’AUTRE : LA PANIQUE ORIGINAIRE DU SUJET CARTESIEN- L’IDENTITE DU SUJET EN QUESTION…(2/3)

16 Janvier 2010 Publié dans #IDENTITé(S)

descartes.jpgAristote. Dans sa seconde analytique (II,19), l’Archê advient sur fond de déroute : c’est du Chaos, par une volte, qu’il surgit. Un surgissement qui tient tout à la  capacité de l’UN à imposer une inertie, voire un engourdissement au Chaos, pour juguler la panique qui se fait jour.

Par parenthèse, Freud employait la même métaphore qu’Aristote de l’armée en déroute pour rendre compte du lien social. Le sujet freudien se construisait ainsi sur fond de débandade, mais c’est une autre histoire…

 

Descartes, dans sa Première Méditation, suit les mêmes réductions qu’Aristote. Celles qui mènent au Chaos, au sans-fond, à la Mixis, et qui contraignaient Aristote à opérer à un déplacement pour fonder l’être comme substance. Plutôt que d’opérer à un tel déplacement, Descartes procéda, lui, à un retournement : à la pointe du doute le fondement surgit du Chaos. Mais c’est un fondement qui ne fonde rien : ce qui est à l’origine demeure l’An-Archê. Ne reste que le secret espoir que la surrection de l’UN au cœur de la panique stoppe la panique. Espoir pieu, littéralement et métaphoriquement, car l’ego cartésien n’arrive pas à s’établir assez en lui-même pour conjurer à jamais cette panique. Il reste dès lors renvoi constant du fini à l’infini, de l’ego à Dieu qui lui donne son être, et s’est retiré dans cette donation (la déposition). Le sujet cartésien, identifié comme sub-jectum (sous-jacent), donne pourtant l’illusion de rassembler son essence. Ne vit-il pas du reste de cette illusion ? Mais cette illusion est très vite recouverte. C’est pourquoi Dieu vient à point le soutenir dans ce moment de panique.

Que signifie donc cette indigence ? L’ego n’existe dans Descartes qu’infiniment altéré par le Tout Autre qui est en lui. De fait, son origine lui est déniée, raturée, ajoutait magnifiquement Jacob Rogozinski quand il l’évoquait. Si bien que ce sujet de la métaphysique cartésienne recèle l’inquiétante étrangeté du sans-fond au fond de lui. Déposée, sa fondation devient en réalité un effondrement. Et il n’existe aucun point de certitude qu’il puisse atteindre, se condamnant de la sorte à revivre éternellement sa panique originaire.—joël jégouzo--.

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D’UN DEBAT L’AUTRE : L’IDENTITE DU SUJET EN QUESTION…(1/3)

15 Janvier 2010 Publié dans #IDENTITé(S)

faire-part.jpgDans la fin des années 80, un grand débat philosophique anima le Tout Paris universitaire autour de la question du sujet.
Interrogation savante, au-dessus de tout soupçon, mais qui recouvrait néanmoins un enjeu qui allait au delà de la simple réflexion philosophique : c’était tout l’héritage structuralo-marxiste qu’il s’agissait de liquider et avec lui, une certaine culture de gauche, moribonde il est vrai. Liquidation qui prenait, dans cette gauche déjà moribonde, les allures d’un deuil mal assumé.
Autour de l’Institut Raymond Aron (EHESS) et de François Furet, des Luc Ferry fourbissaient leurs armes. Celles de la Réaction, aurions-nous dit dans la vieille langue de la Gauche disparue.
Les séminaires prenaient des airs très sérieux pour nous annoncer la fin de la diversité, et bien aussi un peu, et sans rire, celle de l’Histoire après tout, puisqu’il s’agissait de rentrer dans les rangs d’une pseudo tradition républicaine vissant à Droite toute la nation.
Mais personne ne savait encore que ce grand et beau débat en annonçait un autre, plus insalubre, sur cette même question de l’identité. Un débat qui allait mettre des décennies à accoucher. Le débat chéri d’une Droite nouvelle qui entendait sonner le glas de l’alternative républicaine. Bientôt, si loin pourtant à l’époque, loin de toute idée que l’on pourrait ensuite s’en faire, un homme allait accéder à la magistrature suprême pour tenter de verrouiller l’idée nationale tout comme l’idée républicaine sur d'affligeants «conventicules de compatriotes» -pour reprendre l’expression d’Ernest Renan, empruntée à sa conférence du 11 mars 1882, et rappeler qu’elle fut fondatrice d’une définition exclusivement politique de l’identité française.
Le Collège International de Philosophie se mourrait, le Collège de France, enterré, tournait le dos à une partie de son histoire. Mais quelques penseurs résistaient encore (le vide depuis). Deleuze était vivant. Derrida aussi. Et un Rogozinski allumait ses contre-feux en revisitant le cogito de Descartes pour montrer qu’au fond, l’identité de ce sujet cartésien était pavée d’une bien inquiétante étrangeté.
joël jégouzo--.


Faire part, Cryptes de Derrida, de Jacob Rogozinski, éd. Léo Scheer-Lignes Manifestes, nov. 2005, 192 pages, 17.50 Euros, isbn 2-84938-039-3
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