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La Dimension du sens que nous sommes

Etat d’urgence, du modèle algérien au modèle français

31 Mai 2016 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

j.J : L’état d’urgence est prolongé en France, qui permet toutes les dérives au prétexte de menaces terroristes et de la logique qui veut que pour notre sécurité, nos libertés individuelles et collectives soient suspendues. Vous connaissez bien ce type de discours en Algérie. Qu’en pensez-vous ?

Adlène Meddi : D’abord, il faut toujours sous-peser les procédures exceptionnelles dans un pays à l’aune de :

1. l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs

2. le poids et l’efficience des contre-pouvoirs et leur soutien au sein de la société civile.

En l’absence de ces deux paramètres, les prétoriens de l’Etat, sécuritaires et politiques, peuvent disposer de la société et de la vie même des citoyens comme ils l’entendent dans des objectifs qui dépassent ceux justifiant un cadre juridique d’exception (état d’urgence par exemple).

En Algérie l’état d’urgence, perpétué illégalement de 1992 (pour cause d’insurrection armée islamiste) à 2011, a permis toutes les dérives, y compris la plus importante : diluer les responsabilités de la contre-violence puisque aucun texte d’application n’encadrait l’état d’urgence. Cela parce que la justice est au pas en Algérie (elle le reste toujours) et qu’il n’existe aucune séparation des pouvoirs. Par contre, le combat de certains médias indépendants, des associations de victimes du terrorisme ou des proches de disparus par le fait des agents de l’Etat a permis de casser le mur de la peur imposé par l’interdiction des manifs et les attentats quotidiens. Nous étions entre deux feux, même si je me suis engagé personnellement contre le terrorisme qui a tué des proches à moi et fait pas moins de 200 000 morts. Mais cela ne nous a pas fait perdre de vue que l’état d’urgence, dans ses dérives, servait un régime dans le désarroi.

Il y a quelques années, j’ai écrit cela dans un édito de El Watan Week-end dont je suis le rédacteur en chef : « Comment ose-t-on parler d’élection ou de recours, de législation ou de parti sous les matraques d’un état d’urgence qui ne dit pas son nom ? Arrestations arbitraires, répressions contre les acteurs sociaux, fermeture des espaces publics, prépondérance des services spéciaux (et parallèle depuis peu) dans la vie économique, administrative et sociale, étouffement des libertés… La liste est longue. On la retrouvera dans les PV pointilleux des services de sécurités – tous corps confondus – érigés en appareils de gouvernance. »

Il faut accepter le consensus contre un danger horrible, dans le sens de la solidarité avec l’Etat, non avec le POUVOIR. C’est toute la nuance qu’on ne doit pas perdre de vue. Et si le pouvoir, ou les segments les plus conservateurs de la société, tentent de brandir cette menace comme un croquemitaine paralysant l’initiative sociale, il faut inverser alors le paradigme : nous ne quitterons pas la rue parce que nous avons peur de vous et de votre arsenal juridique et répressif, non ; nous sommes là, dans la rue, parce que vous nous faites peur avec votre logique de destruction de nos liens sociaux et de notre fonds humain, avec votre logique qui vise à nous transformer en esclaves productifs et consuméristes. Il ne faut pas avoir peur de l’état d’urgence, il faut avoir peur de l’urgence qu’adopte d’Etat pour assujettir la société humaine.

In fine, pour résumer : face aux décisions du régime français (commencez à employer ce terme au lieu que cela ne soit attribué par les ingénieurs des médias occidentaux qu’aux pouvoirs «tropicaux» et exotiques), seule une conscience populaire ancrée dans la nécessité impérieuse de sauvegarder, de garder vivants des droits arrachés (pas acquis : arrachés) après tant de luttes à travers le monde entier et non seulement dans les sociétés industrialisées, pourra sauver l’humanité des menaces qui pèsent sur elle.

Adlène Meddi est le rédacteur en chef de El Watan week-end, à Alger. Ecrivain, il a publié le remarquable roman : "La prière du Maure", aux éditions Jigal.

Entretien par joël Jégouzo sur le site K-libre.fr : « L’incommensurable force de continuer à être humain en plein charnier »

http://www.k-libre.fr/klibre-ve/index.php?page=interview&id=62

roman : La prière du Maure, Jigal,février 2010

http://www.k-libre.fr/klibre-ve/index.php?page=livre&id=735

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Les Violences policières en France vues par un journaliste algérien

30 Mai 2016 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Les Violences policières en France vues par un journaliste algérien

jJ : Tronçonnage des manifestations autorisées, nassage des manifestants, attaques des têtes de manifs, CRS au contact permanent, encadrant les files des citoyens pour leur prescrire leur pas, leur cheminement, les maintenir à l’arrêt, les disperser sauvagement, détention en plein air de ces mêmes manifestants des heures durant, interdictions de manifester envoyées à nombre d’entre eux, interdictions de couvrir en reportage ces manifestations à l’adresse des journalistes de la presse alternative, utilisation systématique du flash ball en tirs tendus, des grenades de désencerclement sans sommations, gazages «préventifs» avant même qu’aucun mouvement de foule ne se fasse jour, matraquage systématique, déchaînement de coups contre les plus jeunes, les femmes, les retraités, etc. On n’a jamais connu, en France, ces vingt dernières années, de tels épisodes de violences policières. Que vous inspire cette montée en puissance de la répression policière en France ?

Adlène Meddi : Jamais vu en vingt ans, peut-être, mais rappelez-vous Napoléon faisant tirer au canon dans les rues de Paris contre les civils manifestants, ou Papon massacrant en 61 et en 62 les Algériens puis les antifascistes, tuant à profusion, noyant dans la Seine ou écrasant sous les grilles du métro Charonne… Les protocoles d’interventions de la police ne sont pas seulement des livrets techniques et pratiques pour la gestion des foules et l’avortement des mouvements de masse. C’est une idéologie qu’on inculque aux éléments de la police en déshumanisant l’en-face, l’ennemi, le «p’tit jeune con» à qui on va expliquer la vie puisque ses parents ne l’ont pas fait. Ça dure depuis le début du XXe siècle : La rage au bout de la matraque n’est pas le fruit de la «méchanceté» du flic, mais le résultat du brain washing qui a structuré la formation des forces de l’ordre, en instaurant une sorte de doxa de l’Etat manichéiste, simpliste et nourrie par les pressions sociales et culturelles que subissent ces mêmes éléments des forces de l’ordre. Le premier objectif de chaque mouvement révolutionnaire est de renverser cette logique et de casser la logique de l’affrontement pour imposer une seule vision : celle qui fédère le peuple contre les forces qui l’oppriment. Tous ceux qui l’oppriment, pas seulement le flic, mais aussi la fiche de paie et «l’inhumanisme» de l’hypermarché… Il y a une sorte de guerre sociale violente muette en France et ailleurs, comme le décrit si bien Alexis Jenni dans L’art français de la guerre. Une violence transparente, qui se ressent parfois quand on parle de taux de suicides à France Télécom ou quand on vous explique que la mobilité au travail c’est super grâce aux belles tablettes connectées et à la 4G, alors qu’il s’agit de pratiques esclavagistes quasiment acceptées banalement par tout le monde. C’est ce qui nous mène vers la loi du travail et à son passage en force : comment voulez-vous qu’il en soit autrement alors qu’une partie de la société a accepté cette forme horrible de la politique de l’emploi précaire, volatile (j’ai vécu brièvement l’enfer et l’humiliation des boites d’intérim en France, étudiant à l’époque, cherchant à vendre mes muscles et ma chair, mon temps et mes matins glaciaux). Je pense qu’au-delà de la loi du travail il est intéressant de voir que les questionnements parcellaires sur la condition citoyenne face à la machine fascisante du tout-productif commencent à se fédérer. Il faudrait maintenant aller plus loin peut-être, étudier des pistes, sortir de la politique politicienne et dire que la société, le voisin d’à côté et la vieille du palier d’en face ont autant d’expertise de la vie et de l’humain (et sans faire de populisme) qu’un costard-cravate aux crocs acérés qui ne regarde que la courbes de la bourse. Tout un monde à refaire à condition d’être conscient de la constitution actuelle du citoyen qu’on a effacé pour en faire un consommateur bien obéissant. Pourtant, en France et ailleurs en occident, j’ai rencontré beaucoup de gens qui ont choisi la voie de la citoyenneté, au prix de sacrifice. Je pensais que c’était des hippies des temps modernes. Hé bien c’est carrément eux le présent. Et, pourquoi pas, l’avenir.

Les Violences policières en France vues par un journaliste algérien

Adlène Meddi est le rédacteur en chef de El Watan week-end, à Alger. Ecrivain, il a publié le remarquable roman : La Prière du Maure, aux éditions Jigal, 2010.

Entretien par joël Jégouzo sur le site K-libre.fr : «L’incommensurable force de continuer à être humain en plein charnier»

http://www.k-libre.fr/klibre-ve/index.php?page=interview&id=62

http://www.k-libre.fr/klibre-ve/index.php?page=livre&id=735

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Du 49.3 de 1982 à celui de 2016, la domestication socialiste du Peuple

27 Mai 2016 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Du 49.3 de 1982 à celui de 2016, la domestication socialiste du Peuple

En 1982, François Mitterrand concocta un projet de Loi d’amnistie des anciens de l’OAS comprenant la réintégration de huit généraux putchistes d’avril 1961. Pierre Mauroy, qui présenta cette loi, rencontra une vive résistance à l’Assemblée Nationale et décida d’utiliser pour la première fois de ce septennat socialiste l’article 49.3 pour l'imposer au peuple français, sous couvert d'une réconciliation nationale dont il pensait que ce peuple n'était pas capable, faute d'une maturité politique suffisante. Un peuple ignorant en somme, préjugé familier aux élites qui nous gouvernent. Ignorant ? Vraiment ? Mais de quoi s'agissait-il avec cette Loi ? Moins d'amnistier que de réhabiliter des hommes porteurs d'un discours fascisant... Dès novembre 1982, les généraux putchistes antirépublicains redevenaient membres de l’armée française… On leva dès lors toute sanction possible à l'encontre des anciens tortionnaires de l'Algérie française, tout comme à l'encontre de tous ceux qui avaient accompli des atrocités dans le cadre d'une Guerre qui taisait encore son nom en 1982 ! De fait l’Etat français excluait toute idée de juger un jour nos criminels de guerre. C'était faire bien peu cas des valeurs de la République. C'était même les brader en effaçant publiquement dans l'Histoire les repères entre ce qui était républicain et ce qui ne l’était pas. Le tout par calcul politique...

Avant d'en comprendre le sens et ses conséquences, il est bon d'en découvrir les effets. C'est benjamin Stora qui les a le mieux cernés dans son essai : Transfert d’une mémoire. Les anciens de l'OAS, nous explique-t-il, qui avaient massivement rejoints les rangs du Front National, se virent du coup confortés dans leurs idées. Leurs valeurs antirépublicaines pouvaient réintégrer la vie politique (!), avec armes et bagages. Tout était pardonné, de la torture aux discriminations raciales qui fondaient leur vision des peuples de part et d'autre de la Méditerranée. Réhabilités, leurs discours pouvaient envahir la scène publique pour y diffuser leurs idéaux coloniaux : la domestication du Peuple, ainsi que le laissa entendre fin mai 2016 l’incroyable lapsus d’un Premier Ministre d’une fin de République qui tait férocement sa débâcle…

Dans une large mesure, cette réhabilitation leur ouvrait en grand les portes d’une révision de l’Histoire. L'heure de la revanche avait sonné, ainsi que le décrit magistralement Benjamin Stora dans son essai, et ce, grâce à Mitterrand qui venait de miner durablement le champ politique français -lourde responsabilité jamais dénoncée dans les rangs socialistes. Le FN était donc lancé, sa poussée encouragée, sa trajectoire calculée.

L’afflux des partisans de l’Algérie française dans ses rangs et leur légitimation de fait ouvrit en grand les vannes de l’imaginaire colonial qui n’avait jamais cessé d’irriguer l’imaginaire national. De fait, tout le discours du FN se réarticula autour de cet imaginaire, faisant des immigrés son centre de gravité, non sans l’aide d’un Gaston Deferre, parlant en janvier 1983, à propos de la grève des OS de Renault Flins «d’intégristes, de chiites», relayé par le Premier Ministre Pierre Moroy évoquant, ignoblement, un «complot musulman» à propos de ces mêmes grévistes ! Toute la classe politique devait s’engouffrer dans ce calcul soutenu par l’idée nauséabonde qu’il fallait prendre une revanche nationale sur ses algériens qui nous avaient dépossédés de nos richesses coloniales. Désormais, les immigrés ne devaient plus avoir aucun droit en France.

Les zélateurs de cette mémoire coloniale entreprirent dans la foulée de réévaluer positivement les temps bénis de la coloniale. Nombre d’intellectuels s’engagèrent dans ces rangs nauséeux. La colonisation, c’était la civilisation, civilisation menacée désormais, comme l’explique Benjamin Stora, par ces immigrés proprement inassimilables. Ce thème sera repris par Sarkozy, puis par Valls à propos des Roms d’abord, puis des « musulmans ». Un thème promu par les élites françaises, qui gagnait chaque jour en manque de nuances et dont ces élites faisaient tout pour qu’il traverse le corps social de la Nation. Dès 1990 on vit s'opérer le glissement sémantique de l'immigré à l'arabe, puis de l’arabe au musulman. Dans le même temps, les meurtres de jeunes français issus de l’immigration algérienne explosaient. Le MRAP n'en dénombra pas moins de 250 à la fin de l’année 1991, la plupart impunis : il était redevenu normal en France, comme au bon vieux temps de la Guerre d’Algérie, de tuer « les bougnoules ». En 1995, le FN conquit les villes de Toulon, Orange, Marignane. La suite, nous la connaissons : il fut promu au tout premier rang de la vie politique française.

Le coup de force de François Mitterrand avec cette Loi imposée contre l'avis du Peuple français, portait enfin ses fruits : non la Réconciliation nationale, mais la division, la dissension. Pour le maintien au pouvoir d’une République de plus en plus illégitime, d’une oligarchie au périmètre strictement contraint : l’UMP, le PS et le FN. Grâce au front républicain, en brandissant l’épouvantail du FN, cette oligarchie s’offrait une belle carrière. Le calcul de Mitterrand était rien moins que celui du sauvetage d’une classe politique stipendiée, prenant ses ordres de la grande finance internationale. Le calcul de Mitterrand était odieux mais efficace –il a fonctionné jusqu’à aujourd’hui- : protéger contre la démocratie les privilèges d'une classe de nantis. Mettre la République à l’abri de la Démocratie. Faire du gouvernement de la France un instrument de domestication du peuple français, un instrument de domination, avec la complicité des médias mainstream.

Le 49.3 de 2016 est à l’image exacte de celui de 82, une déclaration de guerre contre le Peuple Souverain pour le sauvetage d'une poignée de nantis, avouant explicitement le caractère d'autorité du régime politique français fondamentalement porté par des calculs politiciens animés par une oligarchie qui n’a de cesse de vider de sa substance la Démocratie pour mieux domestiquer les français –un lapsus qui sonne comme un aveu en effet.

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