Tout peut changer, Naomi Klein
Un rapport de la Banque Mondiale, remis en 2012 par un aéropage d’experts et de chercheurs scientifiques, concluait qu’en acceptant un réchauffement climatique de 2°, comme nous l’avons consenti, nous risquions de déclencher à très court terme «des phénomènes non linéaires irréversibles». Il fut évidemment très vite enterré, nos dirigeants politiques ayant décidé qu’il y avait plus urgent : rembourser les dettes des banques occidentales… Sans avis sur la question plutôt que sceptique, peu motivée pour s’informer sur ce qu’elle ne pensait tout d’abord n’être qu’une querelle de savants, Naomi Klein a fini un jour par s’interroger : et si le grand danger, justement, était ce «devoir» d’ignorance que nos dirigeants attendaient de nous ? Alors elle s’est emparée de la question. Tous les débats, toutes les publications. Après tout, il en allait de notre avenir et de celui de nos enfants. Pour nous livrer aujourd’hui ce formidable plaidoyer, argumenté, infiniment citoyen, infiniment intelligent.
Nous vivons dans le déni. Continuellement. Sous l’empire d’une conspiration politicienne qui jour après jour veille à ce que l’ignorance l’emporte. Instruire le citoyen ? Jamais et cela, tout autant dans l’horizon de l’éducation que dans son sens juridique. Qui aurait la force, dans ces conditions, de vouloir changer quoi que ce soit au monde ? De prises de conscience larvées en amnésies chroniques, la seule chose que nous ayons apprise, c’est que le quotidien, qui nous submerge, doit l’emporter sur toute autre considération. Bien qu’il soit très probable que nous courions à notre perte. Naomi Klein a refusé qu’au nom de ce quotidien égoïste, l’ignorance citoyenne laisse une poignée de politiciens malhonnêtes nous conduire droit dans le mur. Elle n’a donc cessé d’interroger ces fameux experts, pour découvrir que non seulement des solutions étaient possibles, mais qu’elles existaient déjà ! Mais alors, pourquoi ne pas les mettre en branle ? C’est là toute la question, qui ressortit à celle du fumeux débat sur l’austérité : parce que ces solutions exigent de tout changer. A commencer par le modèle économique néolibéral qui est le nôtre, jusqu’au modèle politique prétendument démocratique qui l’encadre. Parce que ces solutions condamneraient les 1% qui nous dirigent à rendre des comptes. Parce que ces solutions nous laisseraient entrevoir que nos dirigeants politiques ne s’occupent pas de nous mais uniquement des privilèges de ces 1%.
Naomi Klein en prit conscience en 2009 précisément, presque au moment où les dirigeants des pays occidentaux sortaient de leur chapeau leur fameuse crise des dettes souveraines. Quand elle découvrit que les banques avaient déjà mis sur pied leur plan de bataille en inventant des produits dérivés spéculant sur les catastrophes écologiques ! Quand Naomi Klein découvrit que partout dans le monde ces mêmes banques s’étaient lancées dans le rachat de l’eau, des forêts, des terres cultivables qu’elles privatisaient à tour de bras. Quand elle découvrit que depuis plus de trente ans les politiciens n’avaient cessé de brader la sphère publique pour nous dépouiller de ce fameux Bien commun constitutif pourtant du sens de leur mission. Un travail de sape au nom de l’austérité, qui a conduit tout droit à la fantastique gabegie des ressources naturelles de la terre. Quand elle a compris qu’une course contre la montre était engagée par ces mêmes dirigeants pour imposer de nouveaux traités mondiaux organisant notre défaite pour la transformer en nouvel esclavagisme. Quand elle a compris que seul un sursaut citoyen pouvait nous arracher aux dangers qui nous menacent. A ses yeux même, le dérèglement climatique constitue l’occasion historique de changer de monde, à nous qui nous sommes trop habitués à la médiocrité de nos politiciens. «Oui, nous sommes livrés à nous-mêmes», avoue-t-elle, mais l’espoir ne pourra venir que d’en bas. Des dizaines de millions d’hommes vont mourir faute de décision politique, affirmait le rapport remis à la Banque mondiale en 2012. Nos dirigeants le savent. Mais ils ne feront rien. C’est dans cette solitude qu’il nous faut agir. Contre eux.
Tout peut changer, Naomi Klein, ACTES SUD, 19 mars 2015, Collection : Questions de société, 540 pages, 24,80 euros, ISBN-13: 978-2330047849
Le re-retour de la Droite, en attendant le re-re-retour du PS en 2022
Modeste victoire du Front républicain, défaite de la démocratie : moins d'un français sur deux a voté lors de ce deuxième tour, beaucoup moins même si l'on daigne totaliser les abstentions, les bulletins blancs et les non-inscrits (3 millions selon le journal Le Monde). Défaite de la démocratie : tant que les français DEVRONT voter pour empêcher le FN d'accéder au pouvoir, ils n'auront de choix qu'entre l'UMP et le PS, c'est-à-dire qu'entre une Droite frontiste et une Droite néolibérale (appelons ainsi l'ex Gauche réactionnaire). In fine, un choix tout juste politicien. Que l'UMP et le PS dorment donc sur leurs deux oreilles, ce qu'ils font au demeurant : tant que les français seront acculés à ce non-choix, ils pourront se gaver des restes de cette Vème pourrissante. Mais que Marine le Pen ne désespère pas : à moyen terme, le PS et l'UMP auront besoin de nous faire passer par la case FN pour re-reprendre durablement le pouvoir. D'ici là, ils continueront de le confisquer sans état d'âme. Valls est content. Sarko itou. Youpi, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Macron a rendu sa carte du PS, en attendant son recrutement à Droite, sa famille politique naturelle. Hollande peut continuer de jouer les chefs de guerre et le Peuple français croire qu'après le prochain tournant d'austérité tout ira mieux... Le prochain tour de vis arrive au demeurant à grands pas, Merkel oblige. La vie politique française est une immense conspiration politicienne destinée à confisquer tout le pouvoir et toutes les richesse entre les mains d'une classe politico-médiatique stipendiée. Avec à ses commandes nos trois larrons bénis sur les fronts baptismaux républicains : l'UMP, le PS et le FN. Ces trois-là ont de beaux jours devant eux, n'en doutons pas. Mais : chut, les urnes sont sans secret, c'est pour cela qu'elles sont républicaines.
PRAGUE, de PETR KRAL
De ruelles en placettes, Petr Král dresse l’inventaire de l’intimité feutrée d’une ville à bien des égards inaccessible.
«Prague tout entière tient peut-être dans cette plainte commune du métal et de la pierre, qui simultanément la résume et l’annonce comme une ville à venir».
Capitale à fleuves et collines, cette ville naturellement baroque s’offre au visiteur dans l’exubérance de ses formes.
Elle est comme un joyau nous invitant à frôler son essence, partout et comme toujours à portée de main. Mais cette essence ne cesse de se dérober. Tout comme son centre, partout possible dirait-on : de la Place de l’Horloge aux rives de la Vlata. Le centre de l’Europe n’aurait-il pas de centre ?
Du pont Charles à la place Venceslas, un souffle passe sur ses toits de schistes et de nacres que l’auteur restitue. Avec toujours l’écho d’une scène burlesque. Hašek est tout près, ou bien Kafka, tempérant son image d’un grand rire cristallin. Mais où la saisir ? Král nous promène dans ses coulisses, arpente des lieux insoupçonnés. Gravissant l’envolée d’un escalier, il paraît livrer sa formule définitive : quelque square de buissons frileux, frémissant en marge des rails et de la ville. Mais non : il faut se perdre encore pour toucher au plus vrai. L’intimité pragoise ne se dévoile qu’en s’y perdant par temps de nuit, l’hiver, quand l’atmosphère floconneuse nous la dérobe à la vue. Car ce plus vrai n’est autre que la littérature, que Petr Král saisit à la faveur de cet écart incomparable du grand poète qu’il est.
Je me rappelle son séminaire à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il était l’un des ces Professeurs associés qui n’aurait pu, dans le climat délétère de la France du début du XXIème siècle, se voir offrir une chaire d’où parler intimement de l’Autre Europe et nous éveiller à un timbre plus rare et plus précieux que celui de l’inculte caquet des faiseurs de patrie. Intelligent, curieux, volontiers disert sans sombrer dans la suffisance d’une science barricadée de certitudes navrantes, il écoutait longuement ses étudiants venir du monde entier débattre auprès de lui de l’honneur de l’Esprit. Esprit que, dès lors qu’il était levé, Petr Král obligeait à suivre jusqu’au bout.
Prague, Petr Král, éd. Champ Vallon, coll. Des Villes, avril 2000, 116p., 11 euros, ISBN-13: 978-2876730021
Gens de peine, Foglia
Les chevrotants, les désolés, ceux qui ne savent, les bafoués, passés sous silence. Gens de peu, gens de rien, perdus entre les mots qui les énoncent. Un phrasé fort, heurté, homophone pour évoquer ceux qui «boivent à coup d’oubli», ceux qui s’en sortent mal, toujours, et butent sur les mots comme le poème lui-même bute, se ramasse et se reprend. Ils sont des mondes pourtant, à crier misère sans parvenir jamais à être entendus. Des mondes que le poète nous donne à entendre plutôt qu’à écouter –ce serait parler pour eux. La phrase hachée, menue, malingre, percluse dans l’ombre de l’espoir, toujours une césure pour l’interrompre. A la ligne, donc, toujours ce renvoi où le poème tracte pour déguerpir du côté où le vers a déjà basculé. Parfois un mot, un seul, avant cette bascule, si chétif qu’il peine à tirer jusqu’au point de fatigue. Le tout pourtant évoluant lentement vers cette colère de l’auteure contre le mutisme des gens de rien, leur peu de révolte qui semble devoir toujours se retourner contre eux. «Ces Dénommés» qui ne naissent pas mais sont mis bas dans cette syntaxe terrible, au lexique inhumain. Poésie élémentaire, imminente, tant elle se tient comme sur le bord de ce qu’elle observe, ces gens de peine qu’elle peine à dire –car ce serait leur voler leur peine que de les dire sans reste.
Gens de peine, Foglia, Nous éditions, coll. disparate, mai 2014, 112 pages, 12 euros, isbn : 978-2-913549-99-9
Chômage record et dégradation de la qualité de l’emploi des jeunes…
L’Europe connaît une montée du chômage des jeunes à des niveaux inédits depuis 2008, accompagnée, chose plus grave encore, d’une spectaculaire dégradation de la qualité de leur emploi. L’étude du Céreq menée sur ce sujet est sans appel, malgré les cocoricos insanes poussés hier par le Ministre en charge de l’emploi. Or, dans les années qui ont immédiatement suivies le début de la crise, l’Europe, dont tout particulièrement la France, s’était engagée sur un principe qui semblait de bon sens et dont on nous promettait que les effets se feraient ressentir bien vite : il suffisait d’accepter une dégradation «temporaire» de ses conditions d’emploi pour que, quasi mécaniquement, autant dire magiquement, une décrue du chômage se fasse. Quelques années plus tard, non seulement ce postulat imbécile ne s’est pas vérifié, mais ce que le Céreq nous donne à contempler c’est que partout où ce principe a été appliqué avec zèle, comme en France, le chômage des jeunes n’a cessé de croître ! La Stratégie Europe pour les jeunes ne fonctionne pas. Les sacrifices sont demeurés vains et à terme, les jeunes auront été les grands perdants de cette idée stupide d’énarques passablement embouchés ! Il n’existe en Europe aucun exemple contraire qui puisse donner à espérer qu‘en abaissant la qualité de l’emploi des jeunes, contraints d’accepter des conditions de travail dignes du XIXème siècle, on réussirait à inverser la courbe de leur chômage ! Entre 2006 et 2012, le taux de chômage des jeunes a même augmenté deux fois plus vite que celui des autres actifs ! L’Espagne et la Grèce ont été les pays les plus durement touchés, tandis que la France n’avait pas de quoi pavoiser, alors qu’elle ne figure que dans la moyenne basse du tableau européen… Privilégier la quantité d’emploi à la qualité ne fonctionne pas. De même pour ce concept fumeux de flexisécurité qui a conduit tout droit à la dégradation et du chômage et du marché et de la qualité de l’emploi… L’évolution du chômage est strictement corrélée à la dégradation de la qualité de l’emploi ! Au point que l’inverse a pu être observé : les pays qui ont osé rompre avec la doctrine européenne du sacrifice de la qualité de l’emploi des jeunes, et miser au contraire sur des augmentations de salaire par exemple, ont vu le chômage des jeunes décroître ! Comme l’attestent les cas de la Pologne, de la Belgique et de l’Autriche… Mais non, les combinards qui nous dirigent iront jusqu’au bout de leur folie fiéleuse…
Bref du Céreq, n°332, février 2015, issn : 2116-6110. 2tude menée dans le cadre du programme de recherche SoclEtY : http://www.society-youth.eu
Savoir risquer sa vie, Jorge Semprun
C’est un véritable entretien fleuve qui nous est proposé entre Jorge Semprun et le réalisateur Franck Appréderis par les éditions Frémeaux. Un entretien au cours duquel Jorge Semprun dresse le bilan de sa vie, de son œuvre, de ses engagements. Le Parti Communiste bien sûr, Buchenwald, la Résistance française et pour finir, son engagement pour l’Europe de la Culture dirions-nous, celle que les institutions européennes ont refusé de voir éclore. Les institutions, non les peuples, et c’est là que tout nous sépare de Jorge Semprun, dont le plaidoyer pour l’Europe s’enracine dans une vision désuète de cette construction, très peu politique au fond. Analysant les résistances à la construction de cette Europe dont il est l’une des figures les plus attestées, Semprun croit les trouver dans ce paradoxe de peuples toujours inquiets de leur identité, repliés sinon clos sur ces inquiétudes, qui les aurait conduits à voter par exemple contre le projet de Constitution européenne en 2005. Comme si le vote de 2005 avait traduit un refus de l’Europe et non d’un projet politiquement, économiquement, profondément anti-démocratique et dont on mesure aujourd’hui les effets : ceux d’une Constitution qui aura au final soumis les peuples européens à la dictature de la Finance internationale ! Il est assez étrange d’entendre alors Jorge Semprun, sans doute poussé malgré lui par son interlocuteur dans cette impasse, tenir un discours révolu de peuples oscillants entre leur désir d’Europe et un farouche besoin de repli identitaire. Il y a pourtant un petite phrase de Semprun qui aurait pu faire basculer l’entretien vers autre chose, mais que son interlocuteur n’a pas su relever : à un moment, Semprun parle de la jeunesse des pays européens et s’extasie sur son naturel européen. Cette jeunesse est spontanément européenne, sans réserve, sans calcul, sans réticence. Au point qu’il se demande s’il ne faudrait pas lui rappeler combien cette Europe que les jeunes partagent comme une évidence aura été le fruit, sinon le labeur, d’une conquête difficile. N’est-ce pas reconnaître qu’il n’existe pas de résistance identitaire à l’Europe ? Et que s’il subsiste des résistances, c’est ailleurs que dans les mentalités qu’il faut aller les chercher ? Dans cette dimension du politique justement, curieusement contournée tout au long de l’entretien. Pas une seule fois par exemple, son interlocuteur ne songe à l’interroger sur les institutions européennes, bien que Semprun avouent ici et là qu’elles sont en crise. Quelle crise ? Sinon celle d'un déficit de démocratie qu’il est devenu impossible de masquer ? Pourquoi voudrions-nous de cette Europe autoritaire que l’on nous construit ? C’est là que le bât blesse. Mais c’est également là que l’entretien se révèle le plus intéressant, en ce qu’il nous montre l’aveuglement de nos élites, qui ne cessent de témoigner de leur morgue à l’égard des peuples (pas Semprun), quand, raisonnablement, ceux-ci ne cessent de les questionner sur leur rapport à l’idée démocratique. Pourquoi devrions-nous vivre sous la dictature des banques ? On mesure ainsi à quel point le débat sur l’Europe est falsifié, à ne jamais poser les vraies questions. Dont celle de cette liberté qui fut le fil conducteur de la vie de Jorge Semprun, après laquelle les peuples européens courent en vain, parce qu’elle leur est refusée au sein même de ces institutions qui les régissent ! Au final, cette Europe que Semprun évoque est bien une communauté défaite, du fait de l’immaturité politique de ses élites. On retiendra alors cette dernière phrase qui vient clore l’entretien, terrible, mais effroyablement juste et décrivant parfaitement notre situation présente, qu’il emprunte à Francis Scott Fitzgerald : «Il faudrait savoir que les choses sont sans espoir, mais être décidé à les changer». C’est dans ce tragique que nous allons devoir oser lutter.
SAVOIR RISQUER SA VIE - JORGE SEMPRUN, AUTOPORTRAIT D'UN HOMME ENGAGÉ, JORGE SEMPRUN, FREMEAUX & ASSOCIES, Nombre de CD : 4.
Ces minorités immorales qui nous gouvernent…
L’exercice de Valls à la télévision hier était un modèle du genre. Inédit de mauvaise foi et de mensonges, livrant le spectacle pitoyable d’un Premier ministre de la République tentant de nous faire croire que le score du PS était demeuré contre vents et marées «honorable».
Honorable ? Tout au long de la journée, les sondeurs étaient venus préventivement à sa rescousse pour essayer de nous faire avaler la couleuvre. Et dans un exercice de mauvaise foi achevé, on a pu entendre ledit Premier ministre, toute honte bue, agglomérer au score du PS celui des «divers gauches» pour gonfler le résultat, à savoir, des formations telles que le PCF, EELV, le PG, ou les Citoyens-PG... Soit des formations extrêment sévères à l’égard de sa politique, sinon dans l’opposition en réalité !
Pour la première fois de l’histoire de la République on aura vu un bateleur de foire prendre les français pour des crétins et les appeler au sursaut moral, dont ledit Ministre serait bien en peine, s’il le devait, en expliciter les fondements…
La vérité, les mathématiques nous la livre sans fard. La vérité, c’est que sur 42 489 590 inscrits, 21 171 307 se sont abstenus, soit quasiment 50%. Des inscrits, non des français en âge de voter : le Ministère de l’Intérieur n’est pas du genre à livrer aisément l’information concernant les centaines de milliers de français en âge de voter qui ne s’inscrivent plus sur les listes électorales, voire les millions (3 millions selon le Monde). Sur les votes exprimés, 698 746 inscrits ont voté blanc. Et 345 212, nuls. Ce qui fait qu’au total, c’est bien plus de 50% des français en âge de voter qui ont refusé de participer à cette élection. Une majorité.
Seule donc une minorité de français a voté. Sur les bulletins exprimés, le PS ne totalise que 13% des bulletins exprimés. En clair, compte tenu du fait que plus de 50% des français en âge de voter n'ont pas participer aux élections, le PS ne représente qu'à peu près 6% des français.
Inutile de poursuivre : c’est une extrême minorité qui est aux commandes… Une minorité dont il est difficile en outre d’avoir une traduction exacte en termes de voix, les binômes constitués rendant illisibles la carte qui vient de se dessiner sous nos yeux, à l’exception du FN, qui totalise, seul, 5 108 066 voix. Par comparaison, l’UMP, seul, aurait totalisé 4 246 149 voix, et le PS seul : 2 703 751 voix.
Moins de 3 millions de français ont voté PS… Le PS a beau imiter la Droite, on le voit, il est devenu aux yeux des français une organisation sans âme, sans être, sans avenir.
Droite frontiste, Gauche réactionnaire...
La Droite se frontise, la Gauche se droitise...
1 français sur 2 n’a pas voté. Si l’on y ajoute les non-inscrits que les médias se refusent à comptabiliser, c’est plus d’un français sur deux qui n’a pas voté, dans un système politique dont le caractère démocratique, voire républicain, est plus que jamais une farce.
Si bien que le Parti soit disant vainqueur, l’UMP, ne représente guère en réalité que 15% des français, tandis que le PS en représente moins de 10% et le FN un petit peu plus.
Le FN, ce parti brandi à bout de bras par l’UMP et le PS pour leur assurer la pitoyable victoire du second tour, ce fameux front anti-républicain sans lequel le Pouvoir leur passerait sous le nez...
Il est piquant aujourd’hui de lire dans ce torchon de propagande du groupe Bolloré qu’est Direct matin, distribué gratuitement dans le métro parisien, Colombani, cet ancien Directeur du Monde, qui insulta son lectorat dans les pages de son son propre journal il y a des années de cela, lorsque celui-ci refusa de voter la Constitution européenne, loi fourre-tout sur le principe de la Loi Macron, qui dissimulait dans ses replis l’obligation faites aux états d’emprunter leur argent non à la BCE mais aux banques privées lesquelles, sereinement, empruntaient à des taux défiant toute concurrence cet argent à la BCE pour nous le prêter à des taux usuriers, il est piquant de le voir voler au secours des partis nantis pour crier à son tour au loup. Piquant de voir comme tout cela est bien huilé, bien orchestré, chacun jouant son rôle avec détermination, y compris le FN, laissant à Valls le soin de la panique originaire pour convoquer son électorat face à la poussée frontiste… Piquant d’observer que le PS ne doit d‘éviter la déconfiture que grâce à cette mobilisation affolée de cet électorat, lequel a cru au trouble de son caporal.
Piquant d’observer qu’au fond, c’est une partie de la génération 68 vieillissante, passée en masse à Droite idéologiquement, qui sauve les deux grandes formations politiques sœurs du troisième larron pas moins objectivement allié, pour reprendre une formulation qui leur fut naguère familière. Des organisations faites pour confisquer durablement le Pouvoir et faucher les pieds de toute maturation démocratique. Des organisations qui ne se différencient que par ces fameux éléments de langage, oscillants désormais entre franche xénophobie et peur hygiénique.
Qu’est-ce que la politique ? Plus que jamais un art de la faconde mensongère et de l’illusion crapuleuse. Droite/Gauche/Droite/Gauche/Droite, le FN en embuscade pour assurer chaque fois le retour du même. Avec tout juste la surprise de découvrir une Gauche souvent plus réactionnaire que la Droite elle-même : que l'on songe à toutes ces Lois Macron passées dans le mutisme de son giron. A Droite toute, tel est le nouveau slogan de notre classe politico-médiatique, qui ne cesse de jouer avec le feu frontiste pour brutaliser chaque jour un peu mieux la société française et la conduire tout droit dans le mur.
Qu'est-ce que le Pouvoir ? Sinon, plus que jamais, un média symbolique de troc qui s'exerce par des processus langagiers engagés par des partis de pouvoir qui n'intégrent les demandes des groupes sociaux qu’à la condition de pouvoir les rétribuer en argent. Finalement, c'est l'argent qui est devenu le maître mot, à Gauche comme à Droite. L'argent, non l'humain. L’argent devenu médium symbolique du fonctionnement des démocraties contemporaines. Et l’ultime moteur des choix politiques.
L'argent qui permet à l'Etat d'occuper tout le centre de la vie sociale et politique de la Nation, nuisant ainsi à la vitalité fonctionnelle dudit système et nous embarquant, jour après jour, vers des nuits plus sombres...
Le Département, ultime salut politique ?
Depuis 2005 un long processus d’affranchissement des couches populaires est en marche, qui jusque-là s’est manifesté par la formidable poussée de l’abstention et la croissance du vote FN. Un processus chaotique, qui est le fait de cette France périphérique, de cette France des plans sociaux et des oubliés ruraux, de cette France des fragilités sociales que les gouvernements en place n’ont cessé d’adosser à une structure publique de l’emploi mise volontairement en faillite. La France de l’angle mort de la mondialisation, selon la très belle expression de Christophe Guilluy (La France périphérique, Flammarion, 2014). La France des catégories sociales frappées d’éviction, couches moyennes pauvres et populaires qui n’ont cessé de prendre des coups portés par les partis au pouvoir, Gauche / Droite confondues. Des coups portés méthodiquement contre cette France multiculturelle, qui fut la seule à tenter de prendre en charge la question et le souci de l’autre. Les cadres, eux, ont construit pendant tout ce temps leur protection résidentielle loin de l’ambivalence du rapport à l’autre, privatisant les meilleures écoles publiques de la république et colonisant les anciens cœurs ouvriers des métropoles pour en faire de charmants quartiers inaccessibles aux couches moyennes.
Une France dégoûtée. Une enquête IPSOS de 2014 montrait que 65% des français pensaient que les hommes politiques étaient corrompus. Que 84% d’entre eux étaient convaincus que ces mêmes hommes politiques n’agissaient qu’au nom d’intérêts privés. Et pour 78% d’entre eux, que leurs idées n’étaient pas représentées. Une étude du Cevipof devait confirmer ces résultats : entre les couches supérieures intégrées et les couches modestes (moyennes et populaires), la fracture culturelle est totale, et consommée. Il existe désormais un divorce structurel définitif entre les catégories modestes et les catégories supérieures, et selon les conclusions de cette étude, il n’y a plus de consensus envisageable.
Rien d’étonnant alors à ce que l’on assiste en direct, élection après élection, à l’implosion du champ politique, dont le système ne revêt plus aucune légitimité. Seul le vieillissement du corps électoral permet de maintenir l’idée mensongère d’une distinction Gauche / Droite. L’illusion peut encore, un certain temps, tenir. Mais l’émergence d’une nouvelle carte électorale accélère l’implosion de ce système politique. Le vote UMP / PS est ainsi devenu celui des vieux, des plus protégés et/ou des bénéficiaires de la mondialisation. En ce sens certes, ils ont tous deux de l’avenir, grâce au vieillissement de la population. Encore que la paupérisation des retraités français risque bientôt de changer la donne. Le PS, l’ex parti des classes moyennes, après leur avoir tourné le dos dès 1981, a vu son socle électoral se réduire comme une peau de chagrin. Hollande n’a dû sa victoire qu’à force de mensonge et de démagogie. Peu après, il a cherché et trouvé sa dynamique du côté des intellectuels et des cadres supérieurs des métropoles, lesquels ont fini par se positionner résolument à Droite idéologiquement. Hollande le sait bien, qui tente d’anticiper la disparition du PS en organisant son autodissolution (le macronisme) dans le nouveau courant néolibéral transpolitique qu’avec l’aide de Valls il tente de faire surgir. Il est temps en effet de créer ce nouveau parti néolibéral qui sous couvert d’un faux discours de gauche subsumera la Droite non totalement réactionnaire sous sa bannière. Car Hollande, Valls et Macron ont parfaitement compris que non seulement il n'était pas souhaitable, mais qu’il n’était plus possible d’intégrer les catégories exclues de leur projet économique et sociétal.
Ou bien par la bande, avec la complicité du FN, lequel a changé de stratégie justement pour capter cette clientèle électorale délaissée par les deux grands partis de pouvoir, en prenant le tournant d’un discours social. Le vote FN est devenu peu à peu celui des français «exposés», fragiles économiquement. La sociologie de l’électorat FN est une sociologie de gauche, positionnée contre le patronat et la mondialisation libérale –que le FN a ajouté à son vieux combat contre la société multiculturelle. Adossé à des populations jeunes, le FN tente de réunir sous sa bannière les catégories modestes. Un vote inscrit dans cette France périphérique délaissée : sa progression dans l’Ouest en témoigne spectaculairement. Il lui reste à convaincre les abstentionnistes, dont la progression est non moins spectaculaire et qui a fini par constituer une gigantesque réserve de voix.
La fracture territoriale dessine ainsi désormais une géographie électorale. La France métropolitaine, riche, vote UMPS, la France périphérique, pauvre, s’abstient massivement ou vote FN.
S’abstient massivement. Gardons en tête ce sondage Ipsos auquel les médias n’ont pas voulu offrir une grande publicité. Il pointe une autre voie, celle d’une France qui s‘affranchit des discours dominants. Mais qui se cherche un contre-pouvoir. Celui des départements justement, quand Hollande voudrait les supprimer (on comprend pourquoi) et fortifier la structure de commandement centralisée en donnant à quelques supers régions le pouvoir sur cette France périphérique, histoire de la mettre au pas. Une structure qui en effet ruinerait toute tentative de s’en sortir économiquement et socialement. Or, c’est dans cette France périphérique qui résiste, et qui s’abstient massivement, que se posent aujourd’hui les bases d’un autre modèle républicain, sans perfusion de l’état central ni soumission au modèle métropolitain.
Le territoire comme base de recomposition politique ? N’oublions pas que c’est dans cette France périphérique que l’on a vu émerger le mouvement des ZAD. C’est là où commence à se structurer une contre-société. C’est dans cette France périphérique que s’invente la radicalité sociale et politique, déjà. Dans ces communes autogérées par exemple, qui défient la tradition du commandement municipal pour rendre aux administrés leur voix. C’est dans l’expérimentation de ces nouvelles ruralités que s’invente une autre manière de vivre. Dans ces relocalisations des circuits courts tout aussi bien. Des démarches qui partout se multiplient, de scoops, de coopératives, et qui traduisent en fait une émancipation politique. D’autres choix économiques y émergent, en marge d’un système politique prétendument républicain et profondément anti-démocratique, usé jusqu’à la corde.
La France périphérique, Comment on a sacrifié les classes populaires, de Christophe Guilluy, Flammarion, Collection : DOCUMENTS SC.HU, 17 septembre 2014, 192 pages, 18 euros, ISBN-13: 978-2081312579.
Je suis debout, Lucien Suel
Cut-up. Et puis toutes les formes possibles de l’art poétique pour évoquer d’abord les paysages du Nord, des terrils aux bocks de bière, de la Beat génération à la génération sms. Recueil inauguré par de la prose : les mines de charbon comme une histoire que l’on pourrait, que l’on devrait raconter, tenir, penser. Et bien au-delà, les corons de Transvaal, les mines du roi Salomon ou celles de Johannesburg, tous les crassiers du monde convoqués, Dylan pour mémoire : «How many years», etc. … Schiste rouge, schlamm noir, on tourne la page et le poème s’écrit en pyramide, le terril lui-même, monument de papier avant de revenir au récit de l’antan ouvrier, les rails disparus, l’acier démonté, fondu, recyclé. Avec tout autour la vie disparue, celle des usines, des bars, du cinéma de quartier. «Le terril est devenu un temple maya fréquenté par des lapins». C’est superbe, jamais gratuit, ludique et grave, prenant, poignant, profond et impalpable, pesant de tout son poids de conscience sociale. Avec en arrière-plan désormais un paysage recouvré en espaces de loisir qu’il se refuse à abandonner. Les formes du dire démultipliées pour raconter ce qui n’est plus, tenter de faire ré-advenir à l’être une émotion, alors que les autorités n’ont songé qu’à déblayer le terril pour combler les ornières des routes inutiles. Plus loin la liste des mineurs morts dessous la terre, le rock en arrière-fond, comme leur écho rebelle. Lucien Suel déambule. Sa vie, ses lectures, Bukowski en sonnet, Guy Debord, insatiable promeneur. De l’humour à revendre qui ouvre aux libertés que le langage autorise, creusant l’âpre d’un mot, le gourmand d’une rime, la fébrile fissure du poème laissant derrière elle cette longue traînée dont nous ferons ou non une émotion. Tout une vie plus qu’un monde, à observer les choses dans leur heureuse cacophonie.
Je suis debout, Lucien Suel, La Table ronde, coll. Vermillon, mars 2014, 150 pages, 16 euros, isbn : 978-2710370796.