31 DECEMBRE 406, La France de l'immigration vandale...
Près de 500 000 immigrés, imaginez !
En une nuit ! 500 000… 500 000 qui profitèrent des grandes gelées de l’hiver 406 pour traverser le Rhin à pied et débarquer en Gaule. La plus grande vague d’immigration que connut l’Empire romain, fort de 25 millions d'âmes –une paille à l’échelle de la seule population française actuelle ! Des Vandales pour la plupart, certains marchant jusqu'à l'Espagne pour s’établir ensuite en Tunisie, tandis que les autres faisaient souche chez nous (cela veut-il dire quelque chose ?) et inventaient ce qui n’existait pas encore : demain la France.
Des Vandales et des Francs, du norois Frekkr : hardi. Germains en fait, nos ancêtres, aussi sûrement que les gaulois. Ah ces gaulois… Ancêtres mythiques, relevant d’une construction historiographique rudimentaire qui supposait qu’avec eux, la France avait déjà implicitement conscience d’exister comme Nation… Une reconstruction a posteriori de l’Histoire française comme (grande) marche de la nation vers son accomplissement «français». Il vaut la peine d’en décrypter les présupposés, tournant toujours autour de deux grands axes : celui de la constitution de la Nation autour des rois d’Ile-de-France puis de l’Etat centralisateur (autorisant la construction d’un thème national articulé par la notion de Peuple), celui de l’évolution de ce Peuple vers une République de citoyens façonnés par l’Instruction Publique (autorisant la construction d’un thème démocratique articulé par l’idée de Nation républicaine).
Le tout savamment localisé par le tracé d’une géographie impeccable, nous calfeutrant à l’intérieur de frontières prétendument «naturelles». Mais en France moins que partout ailleurs il n'existe de frontières naturelles : les Alpes ouvrent de grands boulevards avec leurs vallées transversales, le Rhin, bien qu’impétueux, offre de multiples occasions de traversée et quant aux Pyrénées, elles sont elles-mêmes déchirées par de grandes coulées qui autorisent bien des passages (parlez-en aux Basques).
Quelles frontières naturelles, dès lors, d’autant que, paradoxalement, le seul fleuve à «faire frontière» en France fut le Rhône… Alors pensez : les Gaulois… Mais certes, quel bel outil de réconciliation nationale… Quel levier de fabrication et d’estampillage made in France, de cette France articulée secrètement par l’idée de l’Etat-Roi gommant toutes les coutumes et tous les droits… De sorte qu’écrire l’Histoire de France n’a jamais été, et ô combien nous le vérifions aujourd'hui, qu’écrire l’histoire de la Volonté de l’Etat-Roi français.
Image : anonyme. Dans cette troublante iconographie, remarquons que l’imaginaire de l’invasion barbare ouvre à l’idée de son retrait, une fois l’invasion repoussée (tôt ou tard). Sauf qu’en ce qui concerne cette invasion, nombre d’entre eux s’établirent dans le pays "envahi" pour y faire souche et enrichir le fait local de leur propre culture…
D’UN ARBRE QUI NE SERAIT PAS DE NOËL…
Première anthologie de littérature tamoule traduite en français, l’ouvrage propose des nouvelles d’auteurs contemporains.
Une introduction tardive au tout début des années 2000, dans un contexte littéraire hexagonal frileux. Car si cette littérature possédait une existence déjà bien établie en Angleterre, en France on l’ignora au prétexte qu’il ne pouvait exister de littérature en Inde que d’expression anglaise. Hé bien non, et tant pis pour les théorisations abusives. L’élite littéraire tamoule, à l’image de cet Asian bit qui déferla il y a peu sur la scène musicale londonienne, s’exprime avec force et originalité.
La nouvelle qui ouvre le recueil et lui donne son titre en démontre l’évidence. Elle décrit une négociation de dot. La famille de la jeune mariée, accablée de misère, doit sacrifier à la tradition et la pourvoir financièrement. Tandis que d’humiliantes tractations s’ouvrent en sa présence, celle-ci ne cesse de se plonger dans la contemplation de l’arbre nâgalinga. Sous son immense ramure, c’est toute la tradition tamoule qui s’épanouit. Superbe d’émotion contenue et de violence rentrée, la métaphysique hindoue se mêle ici à la quête malicieuse de notre modernité. Les auteurs du recueil paraissent du reste ne jamais ignorer le regard ironique que l’Occident pose sur leurs traditions. Jamais dupes de leur fausse immobilité, leur écriture ne cesse de mettre en abîme le romantisme de l’irrationnel hindou, et paraît bien restaurer le monde, là où nous croyons l’avoir dégluti.
L’arbre nâgalinga, nouvelles d’Inde du Sud, choisies et traduites du tamoul par François Gros et Kannan M., avant-propos et postface de François Gros, éd. De l’Aube, janvier 2002, 278p, ISBN : 2876786877
TRAVESTIR LES PAUVRES EN IMMIGRES CLANDESTINS, PUNIR LES ROMS
Dans les années 60 commença la grande résorption des bidonvilles en France, plus particulièrement ceux de la région parisienne, qui restèrent visibles jusqu’au milieu des années 70.
En 2002, ils étaient de retour.
En 2005, un nouveau plan fut conçu pour les éradiquer. Vous lisez bien : les détruire, et non prendre à bras le corps le problème du logement, dont on sait tous ce qu’il est devenu avec la spéculation immobilière : 1/3 des SDF sont des salariés pauvres. L'INSEE comptabilise 8 650 000 êtres humains en situation de pauvreté en France...
Et aujourd'hui la chasse est ouverte, qui vise cette fois les "campements" des populations rroms. On veut les détruire, par des opérations de police, sans avoir si possible à reloger leurs habitants, comme à Montpellier, où la ville se dédouana de jeter à la rue des milliers d'êtres humains en se contentant d'en reloger une poignée, alors que la loi européenne impose de trouver chaque fois une solution de relogement, et en violation de la circulaire inter-ministérielle du 26 août 2012 qui prévoit un diagnostic et un accompagnement... Au fond, la logique dans laquelle s’inscrivent ces actions relève de la seule gestion des indésirables...
Cette focalisation raciste sur une prétendue question Rrom autorise en outre, par l’ethnicisation de la pauvreté, d’éviter à avoir à interroger les causes structurelles de l’augmentation de la précarité en France, ni moins encore l’apparition de formes nouvelles d’exclusion sociale (chômage de masse vertigineux, salariat pauvre, précarité galopante, etc.), qui précipitent des populations entières dans l'habitat de la grande misère.
On communique donc sur les "campements illicites".
On gomme l’ancien vocabulaire de la misère. Le mot de bidonville est effacé des communications officielles. La presse porte de ce point de vue un secours très utile au Pouvoir politique. Peu nombreux sont les journalistes à enquêter sur la situation des travailleurs pauvres contraints de vivre dans des abris de carton, par exemple.
On entonne massivement le couplet des "gens du voyage", des "nomades" poussant l’insécurité aux portes de nos villes, saisies il est vrai par la grâce d’une gentrification accélérée qui s’accommode mal de la présence des pauvres dans leurs rues... Et partout en Europe, on criminalise la pauvreté et persécute les roms.
La logique publique ne déploie ainsi que le seul instrument de la répression brutale, éhontée, abjecte, pour faire face au scandale des inégalités et de la pauvreté. Il faut punir les pauvres, les chasser toujours plus loin, les disperser. Et instrumentaliser cette pauvreté dont on sait qu’elle est massive désormais, en organisant la chasse aux Rroms, objets d’une communication politique intensive. Manuel Valls persiste et signe, agitant le chiffon de la peur si la Bulgarie et la Roumanie venaient à faire leur entrée, sans réserve, dans l'espace Schengen en janvier 2014, quand toutes les études publiées partout en Europe ont montré que l'ouverture des frontières n'avaient jamais provoqué aucun afflux massif des rroms nulle part... Il y a là une véritable volonté de persécution qui s'exprime haut et fort... Une volonté ahurissante, intolérable, qui fleure désormais son relent génocidaire.
Image : des habitants des bidonvilles photographiés par Le Parisien…
LES CAMPS DES FRANÇAIS D’INDOCHINE EN FRANCE (1956-2009)
Français de nationalité, ils n’avaient pas la chance d’appartenir au «corps français traditionnel», selon les bons mots de Gérard Longuet, patron des sénateurs UMP.
C’est pourquoi on les a parqués, enfermés, humiliés en les reléguant, les bannissant, les exilant sinon les «expatriant» sur place, dès 1956 à leur arrivée en France, dans des baraquements qui n’avaient rien à envier à ceux des guerres les plus sales du siècle, comme celui de Sainte-Livrade-sur-Lot : le CAFI (Centre d’Accueil des Français d’Indochine).
1200 français d’Indochine au Cafi, 700 enfants, 10 douches collectives.
Pas de sanitaires dans les baraquements, des toits en carton, aucune intimité possible, jamais. Pensez : une ancienne poudrerie militaire, des entrepôts divisés à la hâte où entasser, comme des bêtes, ces français dérangeants -des familles…
Il faut les imaginer en 1956, ils en témoignent dans ce livre, mais du bout des lèvres aujourd’hui encore. La peur d’importuner, de n’avoir pas le droit de révéler, de n’être pas, de ne toujours pas faire partie de ce fameux «corps français traditionnel» aux arrogances insupportables.
Leur voyage tout d’abord, 25 jours sur des paquebots de fortune, loués parfois aux italiens, des tas de ferraille où vomir tout son saoul en attendant la terre ferme. Pour l’occasion la boue dès leur arrivée, et les norias des bus déversant leur cargaison humaine sans ménagement. Une seule valise autorisée par famille. Le temps gris, un ciel sinistre et la fange entre les baraquements. Il faut les imaginer muets de stupeur : c’était ça, cette gadoue ignoble, ce que la France leur offrait. Des baraquements. Sinistre vocabulaire d’un siècle dégradant.
A Sainte-livrade… Et ailleurs. D’autres camps agençant un accueil identique. Celui de Brias, du Cannet-des-Maures, de Noyant-sur-l’Allier, et quelques autres, détruits depuis, biffés, gommés pour que rien jamais ne fasse retour sur cette page honteuse de notre Histoire commune : celle d’un monde bafoué. Celui de milliers de français aux yeux desquels tout ce qui était admirable s’appelait la France. Une France qui s’incarnait en villas blanches. Ah le blanc ! Cette couleur si lumineuse de la colonisation française…
Mais pour ces nha-quê, ce fut 52 années de grisailles et d’humiliation. Car, entendez bien : en 2009, sans doute parce que les médias, enfin, ont commencé de faire leur travail, s’interrogeant sur l’existence de ces camps, les premiers bulldozers ont fait leur apparition. Promis, on va vous le refaire le camp, vous loger décemment. Mieux vaut tard que jamais…
Détruire en fait, toute trace de la vilenie de l’administration française pour laquelle les rapatriés d’Indochine n’étaient que des sous-hommes. Qui se tairaient, pariait-elle. Animés qu’elle les imaginait, par cette fameuse valeur que l’on prêtait et que l’on prête toujours aux natifs du Viêt-Nam : dâm-dàng, cette capacité à tenir, à faire face, à ne jamais faillir, ce courage, cette endurance dans l’abnégation, une sorte de résignation bienvenue. On les savait durs à la tâche, ils se tairaient. De toute façon, on ne leur laisserait pas le choix. Et longtemps ils se sont tus en effet. Isolés, accablés, ignorés. Un silence les recouvrait, qui permit aux patrons du coin d’user et d’abuser, avec la complicité de l’administration du camp, d’une main-d’œuvre bon marché. A l’aube les camions arrivaient. Pas des bus : des camions. Qui venaient chercher leur marchandise : des femmes, des enfants que l’on enfermait dix, douze, quatorze heures avant de les relâcher le soir, terrassés de crainte et de fatigue.
Le livre est saisissant. Le Cafi était un ghetto. Il l’est resté près de cinquante ans. Des français d’origine indochinoise y vivent encore. Y finissent leurs jours. Un ghetto dont des administrateurs vétilleux veillaient à orchestrer la précarité. Il exista même un arrêté républicain pour gérer cette précarité : l’arrêté Morlot (1959). Lequel stipulait que l’acquisition d’un poste de radio devait être interprété comme un signe extérieur de richesse passible d’expulsion. Il fallait donc soit s’enrichir d’un coup pour espérer quitter le camp, soit durer dans la survie.
Il y avait même une école au Cafi : l’administration gérait consciencieusement les parcours des enfants dont elle avait la charge, offrant des bourses qui, suite aux tracasseries qu’elle s’ingéniait à monter, n’était jamais accordées qu’avec un retard de trois ans en moyenne, mettant ainsi souvent fin à tout espoir d’études.
Il faut lire cet ouvrage pour prendre la mesure de l’infamie républicaine. Moins une étude scientifique qu’un témoignage. Car nous sommes encore dans ce temps du témoignage, d’un témoignage qui n’a pas pu, jusqu’à aujourd’hui, se faire entendre ! Viendra plus tard le tournant de l’étude. S’il en est temps du reste : la première génération a presque entièrement disparue. Reste les générations suivantes. Et notre histoire. Reste notre histoire en effet, car reste la richesse de cette histoire dont il faudra bien un jour prendre la mesure.
Qui étaient ces français d’Indochine ? Des très riches et des très pauvres, et toutes les classes intermédiaires. Une population qui avait inscrit en elle la mémoire à la fois du colon et du colonisé, du dominant et du dominé, du possédant et du dépossédé. Et parmi les plus modestes, une population incroyablement métissée : tout l’Empire français avait déversé là ses racines : tirailleurs marocains, sénégalais, légionnaires roumains, émigrés russes, allemands, de tous les coins du monde le monde était venu donner naissance, en Indochine, à une nouvelle identité issue des plus incroyables métissages qu’il était possible d’imaginer ! Singulière mémoire du Monde ! N’était que les enfants de ce monde n’ont bien souvent hérité que du silence de leurs parents, lesquelles ont dû se taire dans un pays qui ne voulait pas les entendre. Mais du camp des oubliés montent, là aussi, des paroles où réinscrire notre histoire commune. L’Histoire, disait Marc Bloch, c’est la dimension du sens que nous sommes. Que nous acceptons d’être, que nous voulons être. Une conscience, une volonté que nous aurions tort d’amputer de telles dimensions de sens.
Petits Viet-Nams, de Dominique Rolland, éditions Elytis, 27 novembre 2009, 208 pages, 16 euros, ISBN-13: 978-2356390325.
Lien : http://www.rapatries-vietnam.org/
un documentaire : Le Camp Des Oubliés - Les Réfugiés Vietnamiens En France, de Marie-Christine Courtès, éditeur : Vodeo.Tv, 24/04/2006, 11 euros.
Pour un état social, plutôt que le retour du Père Goriot
Des cadeaux à n’en plus finir aux patrons, une loi de surveillance des banques provoquant le fou rire du patron de la société générale applaudissant des deux mains à la grande mystification mise en place par Mosconi, 10 centimes d’euros brut accordés au smic horaire alors que depuis la crise de 2008, la rémunération moyenne des dirigeants du CAC 40 a augmenté de 21%, et cela tandis que11 milliards d’économies sont réalisées chaque année sur les minimas sociaux par défaut d‘information des justiciables concernés. Près de 9 millions de pauvres désormais en France, 5 millions de chômeurs toutes catégories confondues, des millions de français contraints de se soumettre à l’augmentation de leurs impôts et autres TVA sociales, et pour couronner le tout, des emplois de consolations précaires offerts aux forces vives de la Nation… La liste est longue d’une déconvenue sans précédent face à un Etat qui se refuse à prendre la mesure de l’urgence sociale. Quel bilan, monsieur Hollande !
Celui de droits sociaux fondamentaux bafoués : l’éducation ? Toutes les études sur la question pointent le retour en force d’un niveau d’inégalités inconnu à ce jour en France, sauf à faire retour à la situation de l’école avant Jules Ferry… La santé ? L’INSEE ne parvient même pas à cacher le sous-diagnostic des pathologies chez les plus modestes d’entre nous, qui consultent moins souvent les médecins que les cadres supérieurs (c’est eux le trou de la sécu ?), tout comme le retard de diagnostic pour les maladies chroniques : face aux coûts des soins, les ménages les plus modestes ont tendance à ne pas traduire leurs symptômes en termes de maladies. La retraite ? En 2010, le montant mensuel moyen des retraités français était sensiblement égal à 900 euros mensuels. 600 000 retraités étaient condamnés aux minimas sociaux (pour mémoire, le RSA est fixé à 475 euros). Le logement ? La pénurie de logements en France était estimée à plus de 800 000 en 2013, tandis que les prix des loyers et du mètre carré ne cessaient de devenir toujours plus prohibitifs. La moitié des sans-abri, à Paris, est constituée de familles. 1/3 des sans-abri français sont des travailleurs pauvres… Le droit au travail enfin ? Les seules décrues entrevues du chômage relèvent de bugs informatiques, de radiations massives de chômeurs ou d’emplois précaires dits aidés…
Le revenu fiscal est aujourd’hui en France cent fois inférieur aux revenus du patrimoine… Pour réduire la Dette Publique (celle des banques, ne vous y trompez pas : pas vraiment la nôtre), Hollande disposait de trois solutions : choisir l’inflation, choisir l’austérité ou imposer les revenus du patrimoine et de la finance. Il a donc choisi la pire : l’austérité. Pour protéger l’euro, cette monnaie sans état, outil du plus fabuleux racket jamais organisé dans l’Histoire. Et désarticuler la France en deux mondes séparés par un gouffre, orchestrés par le renoncement aux valeurs de la politique (ne parlons même pas de valeurs socialistes). Les héritiers, grâce à Sarkozy puis Hollande, sont redevenus le seul horizon d’une société vindicativement inégalitaire. L’héritier… L’ennemi même de la démocratie ! Dans son étude sur le Capital au XXIème siècle, Thomas Picketty, qui venait de claquer la porte à François Hollande, expliquait une chose simple : les immenses masses monétaires en circulation dans le monde risquent de produire une divergence sans précédent dans son histoire. Fuyant les revenus de la production pour leur préférer ceux de la finance, elles tarissent l’économie des pays, tandis que les très hauts salaires font sécession et que les actionnaires assèchent littéralement les investissements des entreprises. Les patrimoines hérités, affirmait-il, sont des bombes à retardement pour l’économie mondiale, tandis que la Dette Publique joue de plus en plus comme un outil d’accumulation du capital privé. A terme, c’est la mise en place d’une oligarchie sans précédent qui nous menace. Politique, économique, pointant non pas la fin de l’Histoire, mais celle des démocraties enfin vidées de leur substance…
En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté
En 2010, selon l’INSEE, il y avait 8 617 000 pauvres en France, dont près de 5 millions vivraient dans un état qualifié de grande pauvreté et plus de 2 millions en situation de très grande pauvreté. En tentant d’affiner ses résultats, le très prudent institut a découvert qu’en réalité, c’était 12,6% de la population française qui était désormais touchée par la pauvreté. Une pauvreté qui a littéralement explosé en France depuis 2002 : + 27% ! Un tournant dans l’histoire sociale de notre pays, de même que celui pris par les inégalités qui ont suivi le même chemin depuis l’année 2000. A Paris, la moitié des sans-abri sont… des familles ! En 10 ans en France, le nombre de familles sans-abri a augmenté de 400%… Or, beaucoup de pauvres ne perçoivent aucune aide. Selon les chiffres officiels toujours très prudents, les gouvernements successifs de cette belle république française, ont estimé à 50% le nombre de demandeurs de RSA qui ne le touchaient pas, faute d’une information suffisante. Mais les gouvernements successifs se gardent bien de remédier à cette situation : le non recours au RSA permet de réaliser quelques 5 milliards d’économie, et au total si l’on y ajoute toutes les aides auxquelles les pauvres ont droit, ce sont 11 milliards d’économies qui sont ainsi réalisées chaque année en France. Rapportez cela aux fraudes à la prestation sociale, qui ne représentent que 1,2% du total des allocations versées, quand les fraudes à l’impôt sur le revenu représentent près de 38% et les fraudes des entreprises 7,5%, on comprend mieux la bestiale immoralité des campagnes menées par les uns et les autres contre ces fameuses fraudes des pauvres… D'autant que le relatif confort dans lequel ils se trouveraient ne peut guère s'imaginer quand on perçoit en France un RSA d’un montant fixe de 475 euros par mois !
ATD Quart Monde publie ici un ouvrage qui donne la nausée, tant cette situation de misère traduit le dysfonctionnement scandaleux de notre société, et l’abandon de l’Etat qui en a la charge. D’un Etat qui s’évertue à définir la misère quantitativement, alors que ces indicateurs ne reflètent en rien la situation de déchéance qui frappe les pauvres. Ce monétaire infâmant ne traduit en fait que l’hypocrisie d’une société qui se refuse à considérer les personnes comme humaines et à réaliser qu'un véritable apartheid social existe en France.
«Le boson de Higgs, c’est l’horloge des anges ici-bas», Etienne Klein…
Un Long chemin vers la liberté, Nelson Mandela
Discours sur la lecture...
Dans le même temps où l’on créait en France, en 1959, un Ministère de la Culture, les élites intellectuelles et politiques s’inquiétaient de l’apparition d’une culture de masse...
Elles découvraient, effarées, l’existence de cultures hétérogènes, porteuses de valeurs qui leur semblaient antagonistes (sic) au sein d’une société qu'elles auraient préférée "homogène", voire d’une même classe ou d’un même groupe. Quoi, dans ces conditions, de la fonction sociale de la lecture ?
Les élites s'agitèrent alors au chevet de la lecture pour tenter de sauver au moins la pratique qui leur paraissait la plus pertinente : la leur. De Sartre à Barthes, revint comme un credo l’idée qu’il existait deux types de lectures, l’une intensive, l’autre extensive.
La première prétendait relever d’une démarche quasi philosophique, tandis que la seconde se voyait rejetée, non sans mépris, dans l’ordre du romanesque. La question du lecteur, évidemment, ne se posait qu’à l’intérieur d’une configuration intellectuelle qui le dépouillait de toute pertinence quant à l’évaluation de son acte. Il y avait des bons et des mauvais lecteurs, il fallait éduquer les derniers…
Il y aurait donc une pratique cultivée de la lecture qui serait la vraie, à laquelle s’opposerait une pratique populaire...
Faguet ouvrit tout de même une brèche dans ce moralisme indigent, en affirmant qu’il n’y avait au fond que des livres, introduisant des modalités de lecture différentes.
Depuis, le livre est devenue une valeur consensuelle -depuis les années 60 précisément. Il ne l’a pourtant pas toujours été : au XIXe siècle par exemple, on pensait que le peuple lisait trop. Et de nos jours, cette minorité d’intellectuels qui essaie de penser les conséquences de l’abandon des valeurs d’une civilisation fondée sur le livre et la lecture sont réactionnaires (Finky). Non sans raison, ils montrent que la lecture lettrée n’est plus le paradigme de la culture. Mais sa valorisation inconditionnelle, assortie d’une inquiétude sociale pour les non-lecteurs, n’est devenue un thème politique qu’à partir des années 1950.
Qu’exprime donc la lecture dans nos sociétés ? A travers son «universalité», tente-t-elle de reformuler une sorte de religion d’après la religion ? La mort de Dieu aurait-elle impliqué l’assomption du Livre ? Tout se passe en effet comme si les critères de la valeur littéraire, en se substituant aux critères de moralité, remplissaient la même fonction… Quand on ne parle pas tout simplement de lien social. Mais la lecture est-elle vraiment le lieu du lien social ?
Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard n’ont pas répondu à ces questions. Ils en ont construit les fondements. Ce n’est déjà pas si mal… Leur immense travail décrit ainsi une pratique qui peu à peu s’est inscrite dans la sphère privée, alors qu’elle relevait pour l’essentiel de phénomènes sociaux. Histoire politique, sociale, culturelle, ils nous éclairent sur les modèles qui se sont disputés ses enjeux. Trois, essentiellement : catholique, républicain et celui d’un corps voué à son «administration» : les bibliothécaires. Au fil du temps, les parentés des deux premiers s’établissent clairement : la lecture relève de la formation morale, critique, intellectuelle, voire civique de l’individu. Face à cela, les bibliothécaires mirent en place un discours paradoxalement plus «consumériste», et inventèrent l’idée de lecture comme aventure personnelle. C’est cet horizon qui paraît triompher dans nos sociétés, sauf dans le monde scolaire, formidable macine à produire des non-lecteurs, où la lecture est devenue utilitaire, moyen raisonnable de réussir ses études et non fin.
Le Livre introduit sans doute encore à l'élaboration d'une certaine idée de la société. Les humanités classiques, dont il constituait l’assise, maintenaient l’idéal d’un monde humain fictif construit sur l’idée d’une société unanime et centrée. A l’heure où nous découvrons qu’il pourrait exister une culture sans littérature, quels enjeux la lecture peut-elle encore représenter ?
Discours sur la lecture (1880 – 2000), Anne-Marie Chartier, Jean Hébrard, éd. Fayard / Bibliothèque du Centre Pompidou, 762 p., août 2000, 29 euros, ISBN-13 : 9782213607351
Aile d’ange, Ingelin Rossland
Tysnes. Une île superbe perdue dans les fjords norvégiens, dans ce drôle de pays où les cerfs connaissent la date d’ouverture de la chasse... Engel est journaliste. Stagiaire. Petit boulot d’été. Mais elle n’a pas l’intention de jouer les porte-café. On l’a envoyée faire un papier sans importance sur le défaut de ramassage des ordures ménagères sur la presqu’île. Sur place, Engel découvre de surprenantes villas travesties en faux hangars. De superbes bungalows en fait, construits dans la plus parfaite illégalité. Elle fleure une belle affaire, mais personne ne veut de son enquête. Le maire, frère du proprio du journal, moins que quiconque. Engel s’obstine, déjoue les tactiques minables des villageois qui lui refilent des infos avec l’espoir de la manipuler. Sur l’île, une vieille légende l’intrigue : celle d’un palais léguée à la famille royale par un riche britannique qui retenait chez lui une fillette de onze ans… Engel enquête, tourne obstinément autour du palais, soulève beaucoup d’inimitiés, découvre des lieux louches, une boîte de nuit sulfureuse, des filles offertes, de bien intrigants lofts… Et finit par se mettre dans de sales draps à fouiner pareillement. Ce n’ets plus un job d’été, mais des scandales à répétitions qu’elle a débusqués et désormais, la mort rôde. Engel fera face, avec une audace monstrueuse, déterrant tout ce que cette population tranquille compte d’histoires glauques à cacher. Pugnace, volontiers rebelle, dévoilant sans fard une Norvège très peu paradisiaque. A la critique sociale, le roman ajoute l’art de peindre un personnage tout en finesse, avec cette héroïnecompliquée, souffrant de sa solitude, loin de son père toujours en voyage, de sa mère décédée, d'une grand-mère à crocs au shit. Livrée à elle-même, obstinée, Engel bouscule l'adversité, fait face à ses peurs, tient tête aux puissants de son monde et se construit fièrement. Quel beau personnage que cette jeune fille rebelle, qui sait pousser aussi loin qu’on le peut le courage et la soif de justice.
Aile d'ange, Ingelin Rossland, éd. du Rouergue, coll. DoAdo noir, traduit du néo-norvégien par jean-Baptiste Couraud, 5 octobre 2013, 218 pages, 13 euros, ISBN 13 : 978-2812605819.