Nous sommes l'étincelle, Vincent Villeminot
Une dystopie, ce genre littéraire triomphant et propre à décrire notre situation historique ? Voire...
Ils ont bifurqué. Une génération. En masse. Ils sont partis un matin, à la campagne, dans les forêts. « Nous ne jouerons plus le jeu ». Ils sont allés habiter à vingt mètres au-dessus du sol, dans les bois. Les uns individuellement, les autres en groupes, fonder des communautés loin des villes de toute façon inhabitables. Ils ont tout abandonné, leurs études, leurs boulots, leurs voitures, la sécu, les impôts, tout. Un formidable mouvement de migration a anéanti d'un coup la civilisation capitaliste. « Do not Count on Us ». C'est le livre qui les a conduit là, dans la forêt qui a partout gagné. "Do not Count...", le manifeste d'un certain Thomas F., Oxford Press, 2022. A l'université Stendhal, de Grenoble, le livre a soulevé les foules. Bifurquons. Tous. De Die, de Romans-sur-Isère, de Lyon, de Paris, ils sont partis dans le Vercors, la Chartreuse, laissant derrière eux les politiques se lamenter. Ils sont devenus des « sauvages », des braconniers, des chasseurs. Des « habitants ». Habitant, littéralement, totalement, ce monde qu'ils ne connaissaient pas, à l'écoute des arbres, des plantes, des animaux, de la terre, découvrant, classant, rectifiant, inventant : « Notre seule communauté politique sera désormais l'amitié».
Oh, tout n'a pas été simple. En 2023, des grèves immenses ont tout d'abord secoué la France. D'innombrables émeutes ont précédé ces désertions de masse. On croyait encore pouvoir transformer le monde. Jusqu'à comprendre que ce n'était pas possible. « Ce qu'il nous faut, répondit en masse la jeunesse, ce n'est pas la révolution, mais une bifurcation ! ». Alors ils sont partis. Simplement. Ainsi tombent les dictatures, minées de l'intérieur, usées jusqu'à la corde. Simplement : elles s'effondrent sur elles-mêmes. Et le pouvoir politique a vacillé d'un coup. Toute la société s'est aperçue qu'elle reposait sur des bases extrêmement fragiles, puisqu'il suffisait que les gens ne consomment plus pour qu'elle se disloque. Restait la police, lourdement armée, pour dissuader le plethos de dérailler. Mais les gens ne voulaient plus même jouer ce jeu d'affrontements. Ils ont laissé la police toute seule, face à elle-même, lui ont tourné le dos et sont partis. Là où il n'y avait rien. Dans la forêt qui peu à peu a fini par tout envahir. En Dordogne, en Lozère, dans la Creuse. Pour un peu, le pouvoir en aurait appeler l'opposition à ses responsabilités : revendiquez au moins, ne les laissez pas partir ! L'état d'urgence qui avait été décrété depuis 2015 en France n'était plus d'aucun secours. En 2023, la France connut donc ces manifestations géantes, d'étudiants, de lycéens, qui se répandirent partout en Europe, avant que d'un coup, toute cette jeunesse ne réalise que cela ne servait à rien. Le 3 avril 2023, las de la répression qui s'abattait sur elle, elle est partie. A pieds. Sur les routes, installer son grand rêve sans plus attendre.
Quarante ans plus tard, beaucoup avaient déchanté. Ils avaient pris le maquis, mais pas les armes. Ils avaient bifurqué, mais sans s'organiser, improvisant au jour le jour leur survie. Une vie autre. Ratée ici, réussie là au gré des groupes et des rapports que les uns et les autres avaient pu ou non à tisser. Beaucoup vécurent une immense déroute. Le renoncement. La défaite. L'immémorial tragique de la condition humaine. Et puis finalement, en 2061, le monde des retranchés s'est avéré largement aussi impraticable que celui d'avant, aussi cruel, aussi inégalitaire.
Et si le monde ne pouvait pas changer ? Ne resterait-il alors que les ténèbres à arpenter ?
Une dystopie... L'effroi en fin de course.
Reste toute la course. Sur toute son étendue. C'est-à-dire l'essentiel : ce que nous sommes, nous ne le sommes que dans le mouvement. La contradiction. Pas même son dépassement. Il faut vivre avec ça. Et non dans l'attente d'on ne sait quelle utopie réalisable.
Le roman n'est au final pas celui d'une déroute, pas même celui de la survie. Il construit avec force ce moment de la marge, plutôt que celui de l'affrontement. Sans même sombrer dans l'utopie naturaliste : il n'y a rien à espérer de mieux. Et ce qui reste de la dystopie transparaît dans ces incessants allers-retours temporels. Ce qui reste de désenchantement s'agrippe à cette construction un peu dirimante, éprouvante, déroutante, qui heurte l'attention, rompant le schéma narratif si souvent qu'il n'en réchappe presque pas, accuse le coup si l'on peut dire, forçant le lecteur à s'accrocher à autre chose : ces moments sans discours qui sont de purs précipités de récit, non le vif du sujet mais ses bribes, la mise en mots incertaine d'une expérience jubilatoire, les blancs, les vides que d'ordinaire l'écrivain s'empresse de combler, projetés d'un coup à la surface du récit. sa profondeur. Comme si ce qui se racontait là, insensible à ses défauts, pouvait se contenter d'un narratif illusoire : errer seulement, errer encore plutôt que de se mettre en route. Via viatores quaerit (Augustin) : la route appelle le marcheur. C'est l'étape, c'est l'époque, celle de la grande bifurcation : il faut simplement, pour l'heure, répondre à cet appel.
Vincent Villeminot, Nous sommes l'étincelle, Pocket Jeunesse, 536 pages, avril 2021, ean : 9782266318570.
Le monde sans fin, Jancovici et Blain
Paris, juillet 2050, 50° à l'ombre. Juste une moyenne saisonnière... Juste une prévision modélisée, mais déjà, en mai 2022, 10° à 20° au dessus des normales dans l'hexagone, des normales dont Météo France vient de décider de changer les dates repères, pour aplatir les écarts à venir et... rendre moins terrifiant, sur le papier, le réchauffement climatique ?
Paris, mai 2022, les médias saluent pareil « beau temps » qui ne peut être que le prologue d'un « bel été ». Oubliant ces 50° déjà atteints en Inde et qui ont tué. Longtemps. Beaucoup.
Comment aider à une vraie prise de conscience de l'urgence climatique ? Blain explique son projet, sa rencontre avec Jancovici, leur lecture commune du rapport du GIEC si peu commenté par les médias. D'où l'idée d'en faire une bande dessinée pour toucher plus de monde. Une BD centrée sur ces quelques lignes dont notre société ne veut rien entendre : celles de la sobriété énergétique, seule véritable issue à un réchauffement climatique qui désormais s'emballe et en s'emballant, menace de nous conduire plus vite, plus tôt, plus brutalement, aux 50° évoqués.
Tout leur raisonnement dès lors va s'articuler autour de cet impératif mis sous le boisseau, ou hypocritement repris par #TotalEnergies, #EDF, #ENGIE qui poursuivent « ailleurs » leurs projets d'exploitation d'énergies fossiles. De vraies bombes climatiques dégoupillées dans le dos des annonces proclamées. Car si l'on ne change pas de mode de vie, celui de la surconsommation et du gaspillage effréné, aucune mesure ne pourra enrayer la catastrophe qui arrive : on sera mort avant d'avoir épuisé les ressources de la terre... Dans la réalité des faits, depuis la Cop 1 de 1995, c'est la consommation des énergies fossiles qui a le plus augmenté, croissance oblige...
Et nulle autorité ne veut semble-t-il y mettre un terme. On parle de progrès du rendement agricole, mais les engrais phytosanitaires exigent l'exploitation de plus d'énergie fossile d'année en année, indépendamment du fait que ces engrais tuent eux aussi d'une mort lente et sûre les populations qui consomment les produits de l'industrie agro-alimentaire.
Les emplois de service ? Ils consomment plus d'énergie fossile que les emplois industriels...
La civilisation des villes ? Elle est plus coûteuse en énergie fossile que celle des campagnes.
La digitalisation de la société ? Les émissions de dioxyde de carbone du digital sont équivalentes à celles de toute la flotte mondiale des camions...
Nous avons bâti un système qui n'est « stable » que dans l'expansion -la fameuse croissance...
Alors répétons-le : à ce rythme de croissance, notre modèle économique fera que nous serons morts avant d'avoir épuisé les ressources de la terre...
Quant au climat... Faut-il y revenir ?
Les incendies de forêt de 2019 en Australie ont multiplié par deux les émissions annuelles de carbone australien...
Les océans ? Sous la chaleur, l'évaporation de l'eau est devenue une immense machine à démultiplier l'effet de serre...
Le réchauffement climatique produit du réchauffement climatique, selon une règle d'effet multiplicateur complètement hallucinante : le Groenland a commencé de fondre, et même si l'on pouvait arrêter aujourd'hui nos émissions, il continuerait de fondre pendant encore des dizaines d'années...
Il n'est pas jusqu'au système des plaques tectoniques qui ne s'en trouve affecté : mise en tension par le réchauffement climatique, la croûte terrestre bouge et va craquer bientôt spectaculairement. C'est acté : on connaîtra des tsunamis en Méditerranée...
Bref... Que faire ? C'est là où le doute s'installe. Parmi les solutions proposées, celle de l'inéluctable nécessité du nucléaire, dont on sait que Jancovici est le farouche défenseur. Alors certes, on sait que même en optant pour une société plus vertueuse, à moyen terme, une reconversion ne sera pas possible sans l'appoint du nucléaire. Moins dangereux qu'on ne le pense, affirment nos auteurs, bien qu'il soit toujours impossible aujourd'hui d'en évaluer clairement et le coût carbone, et les fragilités réelles. Mais admettons : même en lançant aujourd'hui un programme de construction massive de centrales nucléaires dans le pays le plus nucléarisé du monde, le nôtre, il faudra attendre 25 ans avant de voir ces nouvelles centrales entrer en service... Prévision optimiste en outre, quand on sait que les programmes d'EPR ont tous pris vingt ans de retard chaque fois... Et d'ici là, il faudra vivre avec un parc nucléaire français non seulement si vieilli qu'il en est devenu un vrai péril, mais en outre si obsolète que par exemple déjà depuis des mois, la moitié de ce parc est à l'arrêt... Quant à la gestion du démantèlement des vieilles centrales, silence radio : « on » finira par savoir un jour le faire, outre que personne n'est aujourd'hui capable d'en apprécier le coût réel. Et, cerise sur le gâteau : la gestion des déchets... Là encore, voyez Bure, « on », toujours, finira bien par savoir comment les gérer, sur des millions d'années... Autant d'hypothèses qui donnent le vertige.
Jancovici & Blain, Le Monde sans fin, éditions Dargaud, octobre 2021, 194 pages, ean : 9782205088168.
Et pour être tout à fait clair sur la BD, elle donne le sentiment que le lobby nucléaire s'empare de l'urgence climatique pour nous forcer la main et construire ses nouvelles centrales...
Le Droit du sol, Etienne Davodeau - La Dimension du sens que nous sommes (joel-jegouzo.com)
#ClimateCrisis #ClimateEmergency #jjegouzo #librairieletabli
Triple Zéro, Madeleine Watts
L'Australie sous les flammes. Au centre des urgences, au OOO, les appels n'arrêtent pas. Toute la misère du monde déferle là, avec des deux côtés de la plate-forme, des êtres échoués. Le centre d'appel de Sydney est comme un immense observatoire de la vulnérabilité du monde, tel qu'il va. Comprenons : de l'humanité et son environnement : l'Australie assaillie, vague après vague, de canicules toujours plus violentes, toujours plus meurtrières. Et aux vagues de chaleur succèdent les vagues d'inondations, pas moins assassinent. L'eau recouvre tout, sauvagement. Il faut évacuer des milliers de personnes, toujours, partout, laisser la boue déglutir les villes, bientôt de nouveau ravagées par les méga-incendies.
Mais c'est plus que cela. La narratrice -ne la nommons pas : elle est le témoin, au sens fort et étymologique du mot grec : le martyr qui nous rapporte son crucifiement-, est comme une magistrale caisse de résonance qui bruit de tout ce qui a rendu le monde et les êtres vulnérables. Il n'y a plus de travail, plus de place pour personne et pas davantage pour elle, son doctorat presque en poche, à réaliser qu'il ne servira à rien. Au triple zéro, ce qu'elle entend, c'est sa voix décuplée, ses souffrances redoublées, sa fragilité devant la vie ressassée nuit et jour par des êtres impuissants à qui ne restent que ces gestes de désespérés qu'ils font au-dessus de leur tête (Artaud).
Mais c'est plus que cela. C'est l'histoire d'un amour éteint. Lachlan était l'aimé, l'incendie qui n'avait jamais pris tant Lachlan se montrait raisonnable à "calculer" l'élue avec qui partager une vie confortable. Ironie de l'affaire, l'aimé portait le nom même d'une rivière qu'un arrière-parent avait remontée, croyant pouvoir découvrir au centre de l'Australie une mer intérieure gigantesque, puisque dans ce pays, toutes les rivières coulaient non vers l'océan, mais l'intérieur des terres.
C'est donc aussi l'histoire d'un vieux mythe australien, familier et intime, d'un eldorado qui jamais ne cessa d'irriguer l'imaginaire du pays, d'un pays dont le plus grand lac, le Victoria, n'est plus qu'un cadavre gisant sous les jacinthes qui l'ont envahi, réchauffement climatique oblige.
Mais c'est plus que cela. C'est l'histoire d'une jeune femme à qui l'on a coupé les ailes. Battue, violée, déplacée, c'est l'histoire de sa traversée vers des douleurs anciennes, l'histoire d'une jeune femme qui a fini par vouloir être totalement défaite.
Mais c'est plus que cela. C'est l'histoire d'une jeune femme lucide qui observe l'énormité de l'histoire et du temps à l'échelle des millénaires. Son histoire, nos histoires, dans cet horizon aujourd'hui dévasté et comme anhistorique : c'est l'histoire du fabuleux déni des autorités australiennes, qui laissent filer le monde à sa perte.
Et c'est encore bien sûr plus que cela, car « le plus terrible, c'est que le temps suit son cours »... Un cours qui voit son apothéose s'achever dans le dernier chapitre où le destin du monde se conjugue à celui de la narratrice. N'évoquons que celui du monde : voilà ce qui se passe, déjà, avec le réchauffement climatique... A +2° (nous en sommes à 1,2°), les eaux submergeront la côte australienne et s'infiltreront jusqu'à cet immense lac intérieur souterrain qui existe bel et bien. Les collines s'effondreront, l'Australie deviendra une île gorgée d'eau, mais ses villes resteront inflammables. En outre, leurs canalisations éclateront, les égouts déborderont... Quant aux incendies à répétition, déjà ils ont créé leur microclimat. Le ciel australien, de semaine en semaine, verra fleurir les nuages de feu des pyrocumulonimbus, qui ressemblent trait pour trait au nuage qui suit une explosion nucléaire.
Enfin, c'est bien plus que cela. C'est un texte magnifique, virtuose, poignant. Un premier roman accompli, parfaitement maîtrisé malgré son invraisemblable ampleur. Celui d'une professeure de littérature qui de page en page n'a cessé de se poser cette question : qu'est-ce que la littérature ? Sinon aller au devant du monde réel pour se défaire, nous dit l'autrice, de la langue de l'université. Il faut aller là où vivent les « voix authentiques », ajoute-t-elle, là où la brutalité du monde se saisit du langage pour en tordre les codes. Ce n'est qu'à cette condition qu'on peut espérer laisser quelques traces que d'autres ramasseront.
PS : traduit par Brice Matthieussent !
Madeleine Watts, triple Zéro, traduit de l'anglais (Australie) par Brice Matthieusent, éditions Rue de l'échiquier, avril 2022, 302 pages, 24 euros, ean : 9782374253268.
Sous d'autres formes nous reviendrons, Claro
Vanités... Claro explore ces vanités qui nous retiennent au chevet de nos propres vies. Du bûcher ordonné par Savonarole à celui qui lui fut destiné, de la prière contrapuntique à la mémoire du maître de chapelle, Johanes Ockeghem, aux plâtres de Pompéi, en passant par la momie du film de Karl Freund (1932), Claro interroge : que sont les choses vaines ?
Savonarole pendant au bout d'une corde à l'aplomb des flammes qui le dévorent, de quoi nous renseigne-t-il ? Littéralement, c'est une question de corps, de chairs, de désirs qui informe son texte, de bout en bout poétique, au sens où la poésie est événement (de l'âme pour Roger-Gilbert Lecomte). Mais, même si Claro insiste, à travers ses exemples, pour nous offrir l'analyse fine, décortiquée si l'on peut dire, de ce qui ne peut s'assembler, et même si toutes les vanités qu'il énumère ne se valent pas, tout reste à la fin une histoire de crâne, celui qu'Hamlet tient dans sa main (Alas poor Yorick). L'allégorie d'un crâne, un seul pour toute l'humanité et lui suffisant bien, « missel osseux à jamais clos ». Un crâne devenu objet posé sur une table -celle qui répond à la Cène ? Posé avec science entre divers autres objets disposés avec soin eux aussi, dans ce tableau de fleurs sèches offert à la contemplation des vivants : memento mori, ne reste au bout du compte que la « magnificence effondrée de tous nos autrefois » (Nietzsche).
Le texte qu'il nous offre est ainsi composé, comme le sont ces vanités vers lesquels il fait signe en bout de page. Comme pour habiller, peut-être, ce désastre qui habite l'être dès avant son décompte. De l'intime expérience de sa propre vie qu'il nous livre (le Père, la Cène encore, le tombeau vide...), à l'analyse des raisons qui donnent aussi à penser au fond que c'est la mort qui n'est que « magnificence effondrée » et nous incitent dès lors à lire de bout en bout un texte pas moins enchâssé dans le néant qu'il décrit, c'est à mon sens là qu'il faut l'appréhender plutôt que dans ses contours, ses grimaces aurait dit Gombrowicz, le déploiement de son artifice.
C'est là le point de bascule me semble-t-il. Pas tant la question du statut de l'écrivain, cette vanité qui en a pris plus d'un à son fard et que l'on rabâche avec beaucoup de paresse. Voire pas même celle du livre comme objet, même si Claro pose la question de savoir si « faire un livre » ne reviendrait pas, là encore, à sacrifier à quelque inavouable vanité. (Mais son livre est un bel objet dont on ferait volontiers un atelier, une fois le dos cassé, les pages arrachées, griffonnées, mises en marge du texte déjà écrit, car le livre physique est bien plus encore, qui excède ces vanités qui voudraient l'enfermer). Non, le point de bascule n'est pas non plus le logos qui sait si bien nous obliger, mais la poésie encore une fois, plutôt que l'écriture ou la littérature, ce grand corps ahuri d'être toujours pareillement en expansion. Pas même écrire donc, ce foutoir que sa pagaille (son innocence ?) défend. A remarquer que d'écrire, Claro n'a retenu que l'écriture « littéraire », qu'il peut alors commodément suspecter d'être une ruse du vain.
Non donc cet écrire là, mais l'écrire comme atelier (non celui de Kundera : celui des mécanos amateurs, le bordel partout, la graisse, les odeurs de soudure). Cet écrire qui informe le vivre et s'informe d'une vie, chaque fois, dans l'éblouissement de cette nuée d'enfants applaudissant au feu qui consume Savonarole, que Claro imagine au début de son texte et qui en sont l'étincelle, non le feu purificateur : cette « Nudité jeune à jamais » que Gombrowicz saluait, et qui sans cesse nous interpelle : à quel moment avez-vous oublié d'écrire ? Lorsque sans doute vous envisagiez de changer les pages d'écriture en stèles ?
J'ai peur quant à moi de ne pas devoir écrire : cette épopée de mon propre vide m'obsède.
PS : Le titre... Comme un pied de nez, sursaut de vanité que d'espérer revenir, ne pas lâcher... Non demeurer mais surseoir, persister, persévérer dans une forme nouvelle de son être, quand bien même revenir serait ne pas revenir à soi mais l'enjamber, dépouille même débarrassée de sa forme, dégradée ou augmentée selon les croyances, portée ou non par l'espérance d'y revenir en conscience. Ne pas renoncer en somme, à tenter d'accroître sa puissance d'être avant que tout cela ne rompe. Et qu'importe alors que cela rompe, n'avouons-nous que rarement, puisque nous nous faisons la promesse que cela pourrait tenir, d'une manière ou d'une autre, avant d'avoir disparu tout à fait...
Claro, Sous d'autres formes nous reviendrons, Seuil, collection Fiction & Cie, avril 2022, 114 pages, 14 euros, ean : 9782021497687.