Macron, ou l’art de montrer les babines sans en avoir l'air…
La langue de Macron est vulgaire. Sa vulgarité est une vulgarité de principe, non de forme. Dans la forme, c’est moins la langue de bois qu’il dégoise, que la langue d’un groupe social affichant avec morgue les signes de sa puissance : enfumer et poursuivre. Ainsi fonctionne par exemple dans son langage toute la cuistrerie philosophique qui l’encombre, qui ne ressortit en rien au discours philosophique, lequel s’adresse à l’entendement, non à ses chimères. Car l’usage philosophique de la langue n’est en rien le déploiement d’une quincaillerie de citations, en outre mal digérées comme la plupart du temps dans son discours. Ce dont il ne peut convenir, formé qu’il est à la glose grammaticale de l’ENA, la langue d’une poignée d’hommes qui ont fait main basse sur le Bien Commun. La langue de Macron est donc pauvre, et monotone –rien d‘étonnant à ce que son propre auditoire s’endorme. Elle n’est qu’une faconde besogneuse, que n’entrave aucune espèce de censure : hier soir, Macron n’a pas hésité à nous déverser quantités d‘approximations et de fakenews, sur les rapports de Benalla avec l’Elysée, sur la croissance de la France, sur l’augmentation du pouvoir d’achat des français, sur leur temps de travail comparé à celui des autres pays européens, etc. … Bref, cette langue n’a aucune tenue, aucune rigueur, ni intellectuelle ni morale. C’est une langue de cantonade, fagotée de clichés imbéciles. Une langue qui ne dit jamais rien de définitif : elle ne sait pas conclure, ou plutôt, ne sait conclure que dans l’aparté. C’est donc une langue faite pour asséner des inepties, raison pour laquelle le propos peut paraître obscur. C’est qu’il lui faut à tout prix verrouiller son langage dans l’oiseux, l’approximatif, le verbeux d’un soliloque inconvenant. Qui ne laisse entendre que les bruits du dedans. De son dedans. Ce dont on peut s’étonner au demeurant : à qui Macron s’adresse-t-il ? A personne. Ses propres amis dormaient hier, visiblement las et dans l’attente du dernier mot. Peut-être s’adresse-t-il à la presse, son meilleur soutien, qui a consigne de faire semblant d’avoir entendu quelque chose de positif. En dehors de la presse, cette logorrhée ne vise que son propre vide. La société française n’existe pas dans cette langue. Ni les gens. Son propos tourne à vide, pour donner à entendre un fantasme : celui d’une nation qui serait unanime, derrière son chef…
Cette langue est vulgaire, parce qu’elle est le langage de l’imposture politique calculée. Une langue cousue d’abîmes. Car derrière elle, il n’y a rien. Sinon la terreur. Son périmètre est celui du mépris, de la haine, de l’hystérie. La gradation est troublante : du mépris à l’hystérie, ne nous séparent que les décombres à venir. Dont on peut déjà entendre le bruit dans la langue de Castaner cette fois, qui sait montrer les crocs. Mais cette langue, celle de Castaner qui dit la vérité de la langue de Macron, est une langue de gueule de bois. La falsification de la réalité à laquelle elle opère ne peut durer qu’un temps : ce genre de langue finit toujours par être rattrapé par ses propres nuisances. Certes, Castaner a pour lui la ténacité d’une cause mauvaise. Celle qui se révèle dans le vocabulaire de mépris de Macron, et qui annonce les paroles de servilité à venir. Car le pire est à venir, n’en doutons pas : Macron ne peut renoncer, il l’a dit du reste. Le français que parle Macron n’est ainsi qu’un terrain d’expérimentation. Une construction qui dissimule le caractère généralisé de l’asservissement qu'il nous souhaite. Soporifique aujourd’hui, elle sera hystérique demain, toutes babines retroussées…
Que produit l’exercice quotidien de la violence dans la tête d’un Bacqueux ?
Dominer, briser, détruire… Une sorte de mode primitif de communication. Entre eux, on voit bien un rapport de hiérarchie se construire, chacun y allant de son récit des violences qu’il vient de commettre pour affirmer son autorité au sein du groupe. C’est moi le plus fort. Des violences qui en outre permettent de codifier la morale du groupe : montrer de quoi l’on est capable. L’usage immodéré de la violence permet d’expliquer les relations nouées à l’intérieur du groupe des bacqueux. Chacun son récit de guerre, oublieux au passage des êtres sans défense matraqués, femmes, hommes, vieillards, handicapés. Mais on voit bien aussi comment cette violence traduit une vraie soif de pouvoir individuel : martyriser le corps des manifestants. Même offerts aux blessures, ces corps demeurent à leurs yeux des objets de sévices. Frapper. Briser. Détruire. Des vies souvent. A jamais même. Or, au-delà du caractère performatif des maltraitances infligées, toute cette violence pointe un point aveugle : celui de la jouissance du Mal. Avec curieusement le silence autour de cette jouissance, une chappe de plomb qui, avec la complicité des médias qui se taisent, avec l’aval de la hiérarchie qui encourage, permet à chaque bacqueux de ne pas être contraint de réfléchir à la nature arbitraire de la violence qu'il commet. Un silence étourdissant qui permet à chaque bacqueux de se réfugier dans une brutalité obtuse, opaque et, paradoxalement, passive : "nous ne faisons qu'obéir aux ordres"... Un moyen pitoyable de préserver sa conscience.
Il faut ancrer désormais cette violence dans son histoire, dans sa filiation historique. Ne plus fermer les yeux, faire de chaque manifestant un enquêteur qui documente les preuves que demain, lorsque tout cela aura pris fin, nous pourrons exhiber comme pièces d'un immense procès. Car ce procès aura lieu. Il a toujours lieu : les dictatures s’écroulent toujours.
Pour expliquer la soif de destruction du macronisme, les exactions des bacqueux sont un bon levier de compréhension. Il faut les relever inlassablement : demain elles serviront à redéfinir les règles d’intervention d'une police réellement républicaine. Et en les relevant, on ne peut oublier qu'elles sont le fait d'êtres humains et non le simple résultat d'un déploiement institutionnel de violence ordonné par une hiérarchie. Sur le terrain, les règles de comportement de ses exécuteurs sont le fait d'acteurs ordinaires qui s’approprient ces règles et produisent cet environnement de violence où leurs pratiques trouvent leur justification morale, individuelle cette fois, et non plus seulement institutionnelle. Les ordres énoncés par Castaner sont sur le terrain mis en oeuvre par un personnel responsable. Prenez le nassage : quel citoyen ne peut y voir une technique de pogrom, parfaitement contraire aux libertés publiques, puisqu'il s'agit de retenir dans un périmètre fermé une foule pour mieux la meurtrir ? À tout moment, CRS et bacqueux disposent d’une marge de manœuvre et en usent largement. Ils devront donc en répondre. Personnellement. Individuellement. Chacun d'entre eux. Car on est aujourd’hui en face de pratiques qui sont devenues des actes d’initiative privée et donc de responsabilité civile. Des actes dont il n'importe même plus de tenter d'en comprendre les fondements psychiatriques : par exemple les rétributions symboliques que ces hommes peuvent retirer de leurs actions. Il importe désormais d'en relever les responsabilités pénales : ces actes doivent être assumés personnellement. Comme acteurs historiques d'une répression inédite, ils ne sont pas excusables en ce qu'il ne serait que porteurs d’une politique de destruction : ils en sont responsables parce que chaque acteur social pose, dans n'importe quel contexte, ses propres préférences.
photo : Bsaz
Acte XXIII, Paris, République, Victoire du courage immense des Gilets Jaunes sur la lâcheté policière !
Cernés, nassés, prisonniers, pendant des heures, noyés sous une pluie de lacrymogènes sans autre raison que celle de violenter une foule sans défense livrée à la barbarie d'un ordre abjecte. Dès que les lacrymogènes se dissipaient, charges gratuites des CRS qui par pelotons s'enfonçaient dans la foule, frappaient sans distinction, piétinaient, rouaient de coups les gens avant de se retirer aux abords de la place pour laisser la place aux tireurs fous qui arrosaient de nouveau les manifestants de lacrymos, de tirs tendus de flash-balls et de grenades de désencerclement dites semi-létales, alors que c'étaient nous qui étions encerclés ! Et puis entrée en jeu du canon à eau projetant ses lourds jets d'eau bleue, ces fameux marqueurs, à haute puissance de tir, capable de projeter un être humain sur des dizaines de mètres, vomissant son eau indistinctement sur la foule, pour marquer tout le monde j'imagine, tout ce monde dont le seul crime était de manifester un mécontentement ! Quelle farce ! Puis de nouveau, quand les gaz se dissipaient, des pelotons de CRS chargeaient la foule en plusieurs points, extirpant au hasard leurs prises pitoyables : femmes tirées par les cheveux, mamies arrachées par la manche, handicapés jetés au sol... Avant de se retirer pour que de nouveau un déluge de feu agresse les victimes. Des techniques de pogroms, n'ayant pas peur des mots : une foule dans l'impossibilité de fuir, livrée, sans défense à la hargne de hordes sauvages. Et à l'extérieur de ce périmètre de l'effroi, les motards de la mort, en bandes organisées, assaillant les passants, n'importe quel passant, renversés à plus de 50km/h d'un coup de bottes ou de matraque. Et encore, partout, les journalistes indépendant pris pour cibles, raflés comme au bon vieux temps... Et encore : tout au long du Boulevard Richard Lenoir, la préfecture avait bien pris soin de ne pas fermer les voies à la circulation pour jeter dans la manifestation les voitures prises en otage d'une volonté manifeste de mettre tout le monde en danger ! Et encore, tout au long du boulevard Richard Lenoir, les flics avaient bien pris soin de jeter leurs grenades dans les fontaines et bassins d'eau pour empêcher les manifestants de s'y rafraîchir... N'hésitant même plus à fermer de force les cafés pour leur interdire l'accès aux boissons...
Mais malgré cette hargne, "On est là, on est là" entonnaient inlassablement les Gilets Jaunes, d'un courage ahurissant face aux forces de l'ordre déchaînées. Malgré les grenades, malgré les tabassages, les humiliations, "On est là, on est là", les battements d'aile immenses de l'espoir levé fièrement avec une générosité sans faille sous la mitraille et les pluies chimiques déversées sur leurs têtes ! Malgré la terreur, la hargne des CRS occupés à combattre leurs propres fantômes, à venger leurs frustrations débiles. Occupés à battre jusqu'au sang des victimes qui ne savent pas se taire, qui ne savent pas accepter leur martyre en silence. Battre sauvagement pour oublier quoi ? Battre sauvagement pour oublier peut-être ce que l'on devient semaine après semaine, à se livrer à une pareille haine, à une pareille impuissance ! Les Gilets Jaunes ont remportés samedi la seule victoire qui compte : une victoire morale sur l'infamie d'une humanité mise en pièce !
Ceci n’est pas une cathédrale : l'absolu, oui, mais touristique…
13 millions de visiteurs par an. Soit 35 617 visiteurs par jour, 3 652 par heure, 60 par seconde… Une attraction. Industrielle. Qui pose la question de la gestion des flux. Quelque chose de purement mécanique. Mécanique des fluides : un écoulement qu’il faut rationaliser. Traiter les masses. Certes, elle est «en même temps» le siège de l’autorité épiscopale. Certes, on y dit «en même temps» la messe. Parmi les touristes et les marchands du temple, d’où il est difficile d’apercevoir l’hostie et le calice au moment de leur élévation. L’hostie et le calice dans lesquels les temps se sont contractés et dans lesquels le drame du Golgotha est rendu de nouveau présent, affirmant avec force sa contemporanéité. Certes, elle est le lieu de l’Ecclesia, celui de la communion des églises dans l’église universelle. Elle est le lieu où l’évêque siège, littéralement : son siège trône tout là-bas, hors de portée de la vue. Immense vaisseau gothique symbole de l’unité du peuple chrétien, livré pour partie aux marchands du temple… Elle semble larguer d’année en années ses amarres pour accoucher d’un plan de communication et de développement conforme à l’esprit du siècle. C’est qu’ils sont plus nombreux dehors à piétiner que dedans à prier. Venus moins se nourrir que vérifier qu’ils existent. Un peu, plutôt que bien. Car le touriste ne va pas vers les choses, il ne se rend à aucune rencontre : il est en marche vers des images, dépouille de lieux qui n’existent plus. Ou ailleurs. Et autrement. Le touriste, lui, est en marche vers un signe, celui de sa présence au monde, de son insistance à tenter d’être, quelque chose comme ça. Plutôt qu’être. C’est pour cela qu’il s’efforce d’être dans la photographie qui viendra attester de sa présence. Mille photographies pour s’en assurer, quand ni le nombre ni l’unité n’y parvient en fait jamais. La cathédrale n’existe pas. Elle n’est qu’une série d’images. Plus ou moins réussies. Elle est son propre fantôme irrésolu, désespérément inachevé dans sa puissance d’être. Vers quoi lui fait-elle signe ? Un signe tamponné d’un nombre d’étoiles suffisantes dans le guide qui lui tient lieu de vérité. Elle est un signe qu’il lui faut codifier, en le mettant à son tour en image. Au plus près des canons qui la font cathédrale. Ici et là. Pas là-bas. Pas ça. Trop près, trop loin, elle est ce qui doit rentrer dans le cadre. Dans la boîte. Dans son empreinte. Celle du guide. Privée d’épaisseur, de profondeur, elle n’est qu’une surface énuclée, qu’une image, reproductible à l’infini. Soustraite à son histoire réelle. A sa chair. Elle est la mort de cette chair, son ensevelissement débonnaire quotidien. Plus rien d’autre que ce fard dont la France s’est badigeonnée pour ressembler à son visage archéologique factice. Rien d’autre qu’une ruine qui s’élève au-dessus de ses ruines, poudrée, reconstituée comme on reconstitue du poisson pour le paner et l’offrir à la consommation de masse. Elle n’est qu’un spectacle. Le coq au bout de la flèche, la flèche détruite, les deux tours. Qui satisfait les attentes des touristes. Une attraction en somme, qui doit peut-être plus à Disney qu’à l’église chrétienne, et qui semble ne devenir elle-même que dans l’accomplissement de son attraction. Elle est cette somme au final, et cette contingence : une sorte d’absolu, oui, mais touristique. Paré du fantastique hollywoodien. Hugo, bien sûr, en digest. Un fantasme qui, mieux que la messe, incarne ce que Morin évoque de la condition touristique : l’espoir d’un au-delà de nos routines. Gargouille et Chimères. L’Annonce faite aux touristes. Qui savent reconnaître leur authenticité. D’un simple coup d’œil. C’est ça qui est bien avec les Gargouilles. Qu’elles sachent si bien s’offrir à notre vue. Des images. Devant lesquelles on passe sans les voir. Car on ne lit plus les cathédrales : on passe devant, sans les voir. Il importe peu de les voir du reste : seuls leurs signes les attestent. Le pilier de Claudel, marqué d’une plaque qui l’authentifie. C’est la plaque qu’il faut prendre en photo. Il faut s’assurer que le signe photographié est bien celui qu’il fallait prendre, qui le destine au partage : sa reconnaissance attestée. Ce que la société touristique prescrit, je dois le trouver. Au haut de la tour, je sais quelle vue prendre. Je sais quel signe échangé. Là. Là-bas. Pas ici. Au pays des ombres, je sais réussir mon voyage. De toute façon, l’organisation industrielle du tourisme a su prendre en charge la production en série des images que je dois relever. La cathédrale est enfin devenue ce monument noyé dans le décor parisien qu’il me faut visiter, non cet événement que la messe promet. Enchanté, béat avant que la fatigue n’advienne, j’ai pu réaliser mon programme. Demain la Sagrada.
Du sublime effondrement des combles…
Le macronisme se veut désormais bâtisseur, en marche d’un nouveau monde, orchestrant le concert des pioches et des truelles, levant des fonds insensés tandis qu’il écarte d’un geste impérieux les revendications du plus grand nombre… Incendiant donc un peu plus le pays réel, écrasé sous la botte policière. Comme sur les ronds-points où ce gouvernement pratique la politique de la terre brûlée, jouissant de son pouvoir comme d’une fin en soi. Saccageant (l’hôpital public), détruisant (l’école publique), pillant les richesses publiques (aéroports, autoroutes, barrages hydrauliques, etc.), portant partout son feu destructeur du vivre ensemble. Il rebâtira donc Notre-Dame de Paris. En cinq ans. Le challenge tient ici de la forfanterie juvénile, où il s’agit moins de construire que de jouir du spectacle de sa jactance. Songez : tout ce pognon de dingue affecté à la récréation d’un monument dont on nous promet qu’il sera «encore plus beau»… et plus solide, parce qu’il est exclu que le macronisme s’effondre… Pas question donc de reculer devant les revendications, anecdotiques à ses yeux, d’un peuple en souffrance. Le sublime héroïsme de Macron s’en porte garant, qui désormais beugle son appel aux vertus de la «race» française : « nous sommes un peuple de bâtisseurs»… Qu’importe que l’exhortation soit jetée à la figure d’une société épuisée, où la jouissance de quelques-uns a pris le pas sur l’intérêt général… Après tout, ne devons-nous pas adhérer, sous sa présidence, à cette philosophie très Völskörper, où les premiers de cordée avancent, quand les derniers traînent les pieds… Une philosophie au sein de laquelle la destruction dite positive est l’achèvement de l’édification. Car ce que Macron lègue aux générations futures n’est rien d’autre que notre ruine. Ruine financière, politique, économique, morale, sur lesquelles il bâtira son église. Un monument dont, dans un éclair d’opportunité, il a compris qu’il ne pourrait être qu’imposant, gigantesque, capable de surpasser tous les référents géographiques et historiques accumulés en France jusqu’à lui. Un monument qui illustrera le génie de la «race française» et de sa propre puissance. N’entendez-vous pas ? Macron éructe, tel Prométhée s’effaçant devant Cassandre, il prédit vaniteusement, tout en se dotant des moyens policiers de réaliser ses prophéties. Voici que Notre-Dame de Paris est appelée à servir sa gloire. Quelle mémoire Macron s’apprête-t-il à encager dans sa future cathédrale ? Que veut-il y consigner qui n’appartiendrait plus au passé mais le «relèverait» pour demeurer présent dans les consciences des générations futures. Ne voyez-vous pas l’imposture couvant de son regard illuminé l’incendie parisien, pour découvrir dans ses cendres l’ombre du trône qu’il se promet ?
Sur le délit de dissimulation du Visage, pour mieux détruire les visages…
Les manifestations sont l’occasion de violences policières innombrables, qui font aujourd’hui l’objet d’une interdiction de protection des visages des manifestants, lesquels doivent se résoudre à exposer leur visage à l’agression des gaz, des matraques, des tirs de flash-ball…
Dans la philosophie d’Emmanuel Lévinas, qui porte essentiellement sur l’éthique du rapport à autrui, le Visage occupe une place centrale : il est le lieu d’accomplissement de ma responsabilité-pour-autrui (Ethique et Infini). Cette relation à autrui s’entend dans sa pensée comme asymétrique : tout sujet doit agir en fonction d’un impératif, non d’une attente. Même si le sujet doit y laisser sa vie. La relation à autrui ne peut être que souci désintéressé, l’homme ne peut exister que «pour autrui». Or, le lieu de la rencontre avec autrui, c’est précisément le Visage. L’expérience d’autrui prend la forme du Visage. Qu’est-ce qu’un visage ? Certainement pas, chez Lévinas, ses caractéristiques anatomiques. Lévinas décrit le Visage comme une vulnérabilité, un dénuement qui supplie le sujet d’accéder à son être. Mais cette supplique est une exigence de soutien et d’aide. «Le Visage s’impose à moi sans que je puisse cesser d’être responsable de sa (vulnérabilité).» Dans ce rapport au Visage, le regard devient plus qu’une simple perception, car, encore une fois, l’accès au Visage est d’emblée éthique. Reprenons : le Visage est exposé, sans défense. Il est l’interdiction de tuer, de mutiler, de blesser, d’offenser. Qui invite évidemment tous ceux qui refusent à autrui son humanité, à le détruire. Car le Visage est sens, un commandement moral qui renvoie chacun à sa responsabilité devant l’humain : je dois répondre de tous les autres. La Loi morale s’incarne dans la figure d’autrui. Dans Totalité et Infini, Lévinas affirme encore que le «déchirement du monde» si cher aux philosophes, ce dévoilement de la vérité, a quelque chose à voir avec cette extériorité du Visage : l’injonction éthique trouve sa source première dans le fait qu’autrui me regarde. Il faut protéger le Visage comme le trésor le plus intime de la Création. Il faut en prendre soin, le protéger, le secourir. Quant à l’anonymat, tellement revendiqué par nos policiers en déroute de leur propre humanité sur le terrain des manifestations, il est ce qui rend interchangeable les individus, ce qui les déshumanise, il est l’imprésentable, l’épreuve d’un ordre inassimilable, la meute, non le singulier.
Appel aux psychologues : qui nous expliquera la psychologie de masse des CRS ?
Ils frappent, estropient, éborgnent, mutilent, de plus en plus gratuitement et dans la plus totale impunité. Comment expliquer cette violence ? Par la violence institutionnelle qui contraint les CRS à «obéir aux ordres» pour «réguler» la violence sociale ? Mais si leur règlement leur donne pour devoir de contenir les manifestants, leur donne-t-il celui de les «punir» ? Nasses, manifestants alignés contre un mur, lycéens mis à genoux… des procédures strictes réglementent les gestes de la répression policière. Mais alors que leur tâche est d’assurer la surveillance des manifestations, on voit nos CRS exercer leur travail de manière sanglante. Jusqu’où croire en leur simple statut de subordonnés ? Que penser de cette violence, sinon qu’il est grand temps de la questionner ? Qu’est-ce qui conduit un homme à la CRS ? Qu’est-ce qui le fait rester ? Quel rôle joue la violence physique dans ses choix ?
Les uns bastonnent, les autres gazent à bout portant… Chaque jour ils s’accoutument à l’exercice d’un pouvoir qui «force, plie, brise, détruit» (Foucault). Quelle jouissance procure le fait d’exercer un tel pouvoir ? En fin de compte, qu’est-ce qui rend ce métier attrayant ?
Qui explorera les processus d’initiation et d’adaptation des CRS à la réalité de leur tâche ? Qui explorera les fondements psychologiques de cette appétence à la brutalité ? Qui documentera cette expérience de la violence que chacun d‘entre eux fait ? Qui étudiera la caserne et l’apprentissage de ces techniques minutieuses de prise de possession des corps des manifestants ? Qui décrira la gestuelle des coups, la chorégraphie des chocs, la mécanique des corps en armes ? Qui analysera ces techniques disciplinaires que subissent les CRS, qui permettent de les conditionner à frapper, blesser, mettre hors d’état de «nuire» ? De quel sentiment de puissance le CRS est-il porteur ? De quelles frustrations ? Humiliations ? Comment se forge son sentiment d’appartenance ? Et à quelle communauté ? Comment se forge l’esprit de corps ? Que penser de cette socialisation de la violence entre eux ? Est-elle le fait de pressions par les pairs ou d’influences réciproques au sein de la compagnie ?
Qui saura nous dire pourquoi la manifestation, aux yeux d’un CRS, doit devenir un lieu de souffrance ? Est-ce le symptôme d’un désir de domination ? A qui s‘adresse en fait cette violence ? A la victime ? Aux pairs ? A la société ? Pourquoi sont-ils si nombreux à ajouter l’humiliation à la violence ? On les a vus piétiner des manifestants : est-ce une étape nécessaire du processus de dégradation de la victime ? Un geste symbolique destiné à marquer la séparation entre le monde des tortionnaires et celui des victimes ? Quand la victime gît à terre et que le CRS ne peut s’empêcher de lui décocher un coup de pied dans la figure, ou le bas-ventre, que se passe-t-il dans son esprit ? A quoi renvoient ses bottes de cuir devenues soudain des armes alors qu’elles sont censées le protéger des coups ? Accède-t-il ainsi à une sorte de «toute-puisance» ? (Übermacht, concept forgé par Canetti et qui désigne une relation de domination caractérisée par une dissymétrie totale du rapport de force entre le tortionnaire et la victime).
Comme l’anthropologue française Véronique Nahoum-Grappe l’a rappelé, un être violent ne peut exister que dans une situation où il se sent autorisé à commettre des actes de violence humiliants. Ce contexte d’impunité et d’acceptation politico-sociale est une condition sine qua non des comportements monstrueux (Nahoum-Grappe). Or ce contexte, précise-t-elle, déclenche toujours un processus d’aggravation : plus on accepte, plus on est prêt à accepter le pire. Mieux : l’acceptation appelle le pire. Un tel champ de latitude ouvre aux plus grands dangers…
Ce qui nous guette, Laurent Quintreau
Une série de nouvelles. Pas sûr. Roman à la découpe peut-être. Au féminin. Miroir de notre temps. Mais crescendo. L’industrie pharmaceutique en guet tout d’abord, à en pisser de rire. Des situations de vie posées comme des problèmes : « Vous êtes dans le train »… Avec votre fille de quatre ans que vous finissez par oublier, là, sur le quai, à ne vous préoccuper que de ce maudit coup de fil qui vous fait perdre le sens de la vie. Une suite de petits riens de la vie quotidienne, en soi sans importance, avant que tout ne déraille. Le grain de sable donc chaque fois, puis non pas ce qui arrive alors, mais ce qui pourrait arriver. Des événements quelconques, avec tout de même cette insistance des drames sociétaux, l’Histoire qui va s’invitant dans le récit. Et la montée de la tension sous une trame insignifiante. «Vous êtes dans votre bureau, au dixième étage d’une tour d’acier et de verre », convoqué par le PDG qui va vous annoncer votre licenciement… Essuyer son mépris… Que faire quand tout s’effondre ? Hurler, fuir… Quand c’est possible. Pas quand vous êtes un bébé dans votre baby relax, et que vos parents viennent de partir et que l’angoisse vous prend, là, seul dans cette chambre immense, dans l’attente du prochain biberon, d’une présence, que seule un corbeau vient vous offrir, énorme et noir, penché au-dessus de votre berceau à picorer votre doudou. Drôle. Juste de quoi préparer le coup de théâtre qui suit. L’auteur est monté d’un cran : « vous êtes en terrasse, à Paris, un soir de novembre », pas loin de la rue Oberkampf. Entre amies. L’une finit dentaire, l’autre une école de commerce. Et puis soudain des détonations, des cris, des bousculades, la panique, le chaos, le silence. Quelques dizaines d’années plus tard, les nouvelles reprennent, la vie s’organisent : vous n’êtes plus qu’un chien qui hurle à la mort. Tout n’est peut-être pas perdu, peut-être êtes-vous promise à un nouveau destin ?
Laurent Quintreau, Ce qui nous guette, Rivages/Payot, coll. Littérature Rivages, avril 2018, 140 pages, 16,50 euros, ean : 9782743643638.
Ce que révèle le mépris des nantis
Aidés par une classe politique agonisante, par une caste de journalistes faisandés, les nantis sont las de se dissimuler sous leurs anciens masques d’hypocrisies, ceux des Hollande, ceux des Sarko, ceux des Chirac. C’est au grand jour qu’ils veulent apparaître désormais, et ne s’en privent pas. Le Bien Commun ? Son souci ne peut dorénavant rien recouvrir à leurs yeux. Et on aura beau déballer sur la place publique leur indignité, ils s’en fichent : l’état, confisqué à leur seul profit, les protège. L’amoralité des nantis est aujourd’hui publique, voire revendiquée par un gouvernement qui incarne l’ultime étape qu’il restait à franchir dans l’asservissement des masses populaires. La République n’est plus qu’un bouge où étaler sans remords son mépris du Peuple, soutenu par les apartés de pseudos philosophes comparant depuis Héraclite la foule à un troupeau de porcs. Ils n’ont même plus à se soucier d’être crédibles : la brutalité de leur pouvoir leur tient lieu de sagesse. Ceux qui ne veulent rien lâcher en plongeant le pays dans la misère, expriment avec force leur indifférence à l’égard de la Loi, indifférence qui incarne cette pulsion vers le crime d’état qui a surgi de la part la plus sombre de notre histoire, indifférence qui en outre incarne cette logique prédatrice qui leur fait dépecer la nation sans état d'âme. L’imposture est le cri de ralliement de leur monde, qu’accompagnent de loin en loin ces gesticulations colériques que l’on voit faire aux commandes de l’état. Réflexes primitifs d’un clan que l’on voit sombrer jour après jour dans l’ignominie. Le social ? Ils n’en veulent plus. A mort les pauvres ! Il ne leur reste que la violence armée pour imposer ce qui, déjà, s’apparente au fascisme, parfaitement lisible sous le mépris revendiqué des nantis.
Et les femmes devinrent plus diplômées que les hommes… mais demeurèrent moins payées ! Céreq
Les enquêtes Générations interrogent, à intervalles régulier, un bel échantillon de jeunes sortis la même année du système scolaire. Grâce à ce dispositif, le Céreq peut rendre compte des changements opérés, autant sur le marché du travail qu’au niveau des formations. Le premier caractérisé par l’installation d’un chômage massif, et le second par un mouvement non moins massif d’accès aux études supérieures. Et de mettre en corrélation les deux. En matière de formation scolaire et universitaire, le Céreq observe ainsi l’élévation générale du niveau de formation des jeunes, avec une nette augmentation pour les jeunes filles, plus nombreuses à décrocher leur bac déjà que les garçons. De ce fait, on les retrouve en plus grand nombre sur les bancs des universités. Leur présence s’est en outre particulièrement accrue aux niveaux les plus élevés : master et doctorat. La ségrégation éducative semble ainsi s’atténuer. Certes, demeurent les éternels bastions masculins dans les filières scientifiques et industrielles. Les écoles d’ingénieurs par exemple, demeurent massivement investies par les garçons. La place des femmes sur le marché du travail semble également s’améliorer, celles-ci bénéficiant en outre d’un début de rattrapage salarial. Mais quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’en fait ces améliorations sont d’abord le fait de la dégradation de la situation du marché masculin de l’emploi, à commencer par ces citadelles traditionnellement genrées que constituent l’agriculture et l’industrie : des filières de ségrégation qui perdent en fait leurs effectifs… C’est ainsi plutôt cette crise des métiers de l’agriculture et de l’industrie qui donne l’illusion d’une meilleure intégration des femmes dans le marché global de l’emploi… Par ailleurs, leurs progressions dans les autres secteurs de ce marché sont là encore beaucoup liées à la crise : leurs salaires étant inférieurs, leurs employeurs réalisent ainsi des économies à les préférer aux hommes… Lamentable : moins bien payées, elles deviennent plus attractives ! Mais si l’on regarde la croissance des emplois de service, on découvre que pas grand-chose ne change à travers la forte poussée de leur présence dans ces segments sous-payés de l’économie française… Au regard des salaires, on paraît assister également à une réduction des inégalités. Oh, timide : l’écart reste de -11%, alors que les femmes sont globalement plus diplômées que les hommes ! Le très frileux rééquilibrage observé est donc là encore le fait du niveau de formation des femmes, et donc ne rééquilibre rien du tout… Analysé « globalement », il ne rend en outre pas compte du fait que les bas salaires subissent d’année en année une pression insupportable : le salaire moyen des français se rapproche en effet d’année en année du salaire minimum… A peine une poignée d’euros plus élevé ! Et ce pseudo rattrapage se comprend aussi de l’accroissement des plus diplômés dans le marché de l’emploi, les moins diplômés en étant sortis… La convergence des statuts et des salaires s’opèrent ainsi en réalité par le bas, liée à la dégradation du marché de l’emploi masculin plutôt qu’à l’amélioration du sort des femmes…
Et les femmes devinrent plus diplômées que les hommes, Céreq, Bref n0373, 2019, issn : 25535102