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La Dimension du sens que nous sommes

Introduction à la géopolitique, Olivier Zajec

30 Septembre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

intro-geopol.jpgUne guerre de retard… L’essai est signé par un saint-cyrien bardé de diplôme, enseignant à l’Ecole de Guerre. Histoire, outils, méthodes, on pouvait s’attendre à découvrir la fine fleur de la pensée française en matière de géopolitique. Mais non, rien de tel… La partie historique est bien sûr parfaite. Braudel en médaillon, notre saint-cyrien maîtrise son sujet et donne en quelques paragraphes rondement exécutés un aperçu des plus complets sur la fondation d’un art de penser (la géopolitique n’est pas une science, elle le prouve encore dans cet essai), particulièrement subtil, qui engage des sommes de connaissances et de savoirs qu’aucun géopoliticien ne peut à lui seul posséder –d’où les erreurs à répétition qui ont jalonné le discours géopolitique. Sur les outils, l’essai est déjà plus vague. De quoi faudrait-il disposer pour poser un jugement géopolitique ? L’analyse de la géographie physique semble ici dominer la pensée de notre chef de guerre. On comprend mieux alors la référence à Braudel : l’analyse des régularités physiques relève d’un temps long qui lui était cher, qui autorise le géopoliticien à s’enfermer dans une vision paresseuse du monde, construite pour l’éternité ou peu s’en faut… L’analyse des voies fluviales, aériennes, terrestres nous ramène ainsi à la géographie de Vidal-Lablache, certes précurseur,  mais propre à enliser la géopolitique dans la stratégie militaire de la ligne Maginot, oublieuse des contournements que les militaires du reste ne cessent d’inventer pour dé-border la géographie physique… Pour le reste, la longue liste très peu exhaustive des outils nécessaires à la construction du jugement géopolitique, étude démographique, étude des populations, des identités, des ethnies, des langues, des cultures, des religions, des ressources naturelles, etc., qui déjà donne le vertige, ne paraît guère novatrice et omet nombre d’autres facteurs, de la finance à l’idéologie, en passant par l’appropriation technologique et ses représentations collectives, susceptibles de bousculer le ronronnement de l’analyse stratégique. Sur la méthode, notre essayiste est encore plus bref. Elle s’apparente plutôt au récit de la situation internationale telle qu’elle se donnait à voir il y a une bonne quinzaine d’années. Les acteurs y sont toujours prioritairement les états et les nations, les acteurs privés de la Finance ou du Capital n’entrant pas en ligne de compte dans l’approche proposée. Quant aux enjeux, ils sont eux aussi restés ceux d’hier : le pétrole, l’eau, les terres rares. Rien sur leur renouvellement, comme la confiscation des terres agricoles à l’échelle mondiale, nouveau bras de fer entre la Chine et les Etats-Unis. Au fond, ce qui pêche dans l’approche de notre saint-cyrien, c’est la définition sur laquelle s’appuie son raisonnement : pour lui, la géopolitique relève exclusivement de «l’analyse dynamique des inerties ». Les inerties... Braudel toujours, et son temps long. Les inerties. Certes. Mais voilà une définition qui se montre incapable de prendre en charge le nouveau, ce qui vient justement bousculer le poids des inerties patiemment relevées au fil des siècles. Il me semble que nous gagnerions à penser la géopolitique en termes de puissance plutôt que d'inerties (qui sont les embrayeurs de la pensée historienne), de localisation de cette puissance et de ses enjeux. Dématérialisée, cette notion ouvrirait plus radicalement à la compréhension des éléments contemporains constitutifs de cette puissance, tout comme des nouveaux instruments de la domination mondiale, de la Finance à la privatisation des terres agricoles, l’impérialisme foncier qui se fait jour actant d’un nouvel ordre du monde passablement inquiétant.
 
 
Introduction à la géopolitique, Olivier Zajec, Argos édition, 15 mai 2013, coll. Géopolitiques, 140 pages, 13,90 euros, ISBN-13: 978-2366140033. 
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LANGUEUR ANGOR, de MUZAFER BISLIM, poète Rrom

29 Septembre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #poésie

angor1.jpgLangueur angor pour ensorceler,

Langueur, angor retournent la naja nue,

 

L’éther ouvert ne couvre rien de nudité,

d’angor devinée nues dans une paume

                                                de larmes nées,

 

Simple est le souffle à l’agreste,

même simple la recette de sa vie,

 

Comme la nature vide d’écho

qui ne berce les chantres fidèles,

 

L’adepte a vaincu le lecteur calme

                                                 de ses chansons,

lui révèle la loi du souffle,

 

Et lui ressuscite quelque effroi –

- pour affaiblir son orgueil le poète a gît,

 

Est-ce qu’une larme pleure et le pleur sourit ?

 

Pour que la haine s’enroule dans l’âme,

que la joie s’étouffe de moqueries,

 

Pour que l’angor langueur

menacent le cœur joyeux de suffoquerie,

 

un cabot sous crin de loup en attire les cris-

-afin de périr hardi de ses hurlements feints,

 

Qui pleurera sans larmes !?

Qui chantera la gorge sans voix !?

 

Quel alphabet sans raison d’un bouffon mécanique !

Une fuite dans la force de l’homme,

 

Orphelins bagatelles !

Du calme turbulents !

Langoureuses angorées – vous beautés de chagrin

 

je vous garde dans mon cœur, parmi les délices

je vous garde avec mes rires dont le nom est humain,

 

voici, votre orchestre muet

chant de chagrin, bien que sans son

 

que de vous rien ne reste !

que de vous rien ne reste,

que de vous rien ne reste .. !

 

Traduit de la langue des Rroms par Pierre Chopinaud, avec son aimable autorisation.

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MUZAFER BISLIM, POETE RROM

28 Septembre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #poésie

skopje2.jpg"Sans innocence à l’être la vérité sacrera le démon".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Battement de l’âme pour un frère rêvé (extraits)

(…)

Je reconnais même je sais et feins tout d’ignorer

Le rythme du temps – il le fait sien,

Je sais être du silence ignorant de mon âme,

De la foi rancuneuse avec quoi je rends grâce !

Et m’agenouille,

Je nourris la bêtise

Qui me prive des grâces de la sagesse,

Comme corrompre la douceur,

Et de l’amour de l’homme baiser ma seule lèvre,

Voici : je suis sec !

 

 

Ne pas me hâter (extraits)

Ne pas me hâter,

 

Ne pas me hâter de dire que je suis humain,

La dérision s’étiole le béjaune affolé ;

Et ouais ! Qu’il en soit ainsi !

Ne pas me hâter

De prouver que je suis humain –

- de toute éternité !

 

 

Né en 1954, à Skopje en Macédoine, dans une société qui ne pratiquait pas l’édition. Aucun texte imprimé connu, sinon par la Biennale Internationale des Poètes en Val de Marne. Poèmes traduits par Pierre Chopinaud.

Image Skopje : vue d’un satellite.

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RROMS, LA MANIPULATION AU SERVICE DE SIECLES DE PERSECUTIONS

27 Septembre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #IDENTITé(S)

 

rromanis-voice.jpgLe racisme, c’est bien connu, se nourrit (en même temps qu’il les nourrit) de confusions et d’approximations quant aux populations ciblés. Ainsi des Rroms, vaguement assimilés, aujourd’hui encore, aux "gens du voyage", nomades sans professions, mieux : sans origine attestée… Le tout dans l’oubli savamment entretenu des rroms médecins, commerçants, chefs d’entreprise, écrivains, enseignants… Le tout dans l’ignorance des faits : seuls 4% de la population rrom est réellement "mobile" ! 

Sans origine, les rroms ? Rien n’est moins établi pourtant : les Rroms sont issus d’un peuple sédentaire, qui a dû quitter l’Inde au XIème siècle, pour fuir les persécutions dont il était victime. Originaires de Kannauj, qui était alors la capitale culturelle et économique de l’Inde du Nord, détruite en 1018. Le tout est fermement établi par un chroniqueur arabe du XIème siècle, Abu Nasr Al-'Utbi  (dans son livre : Kitab al-Yamini). Ils sont arrivés dans l’Empire byzantin aux XIIème - XIIIème siècles, avant de s’éparpiller en Europe, où ils formèrent une Nation désormais essentiellement européenne, "sans territoire compacte" évidemment, ainsi que l’explique l’universitaire Marcel Courthiade. 

 Dès 1422, des documents attestent de leur présence en Europe, où ils furent l’objet de nouvelles persécutions. Et pour mieux se dédouaner de l’oppression qui les visait, l’Europe fabriqua le thème de leurs mystérieuses origines et démultiplia leurs dénominations pour entretenir la confusion qui allait leur être à bien des moments de notre histoire, fatale.… 

Rroms, pourtant. Le mot lui-même a été étudié de près par Marcel Courthiade. Il désignait d’abord une communauté cultivée. Rroms, un mot par lequel ils se nommaient, plutôt que le terme de "tsigane" maintenu pourtant jusqu’à nos jours et qui relevait, lui, d’une désignation exogène traduisant le mépris dans lequel on voulait enfermer ce peuple. Tsigane, du grec médiéval Athinganoi, qualifiait en effet une secte qui se revendiquait de Melchisédec, secte de "Purs" qui refusaient tout contact avec les autres populations, d’où leur mise à l’écart comme "Intouchables". Pourchassée, elle disparue vers l’an 1000. Par la suite, nous apprend Marcel Courthiade, l’on attribua ce vocable aux gens simples, pauvres. Ce mépris accompagnera le vocable tout au long des siècles. 

Rroms donc, désormais, pour nous. Avec en suspens une réflexion que l’on ne se fait guère, moins sur les raisons de leurs migrations (les persécutions), moins sur les raisons de leur dispersion (les persécutions), que sur leur formidable capacité à s’adapter aux effroyables conditions qui leur furent imposées, au point que de sédentaires, ils firent du voyage un élément de leur culture et conservèrent, dans cette dispersion, leur identité et leur langue. 



Marcel Courthiade : Compendium à l’usage des étudiants de l’INALCO, section langue et civilisation rromani.

Marcel Courthiade, est le responsable de langue et civilisation rromi à l'Institut national des langues et civilisations orientales, secrétaire adjoint de l'Union romani internationale.

On lira avec intérêt son article de L’encyclopédie Universalis : Les Rroms :

http://www.universalis.fr/encyclopedie/rom/

Les Rroms dans les belles lettres européennes, Marcel Courthiade, Rajko Djuric, Edition L'Harmattan, 2000, 189 pages, 17 €, ISBN 2-7475-5878-9.

Sagesse et humour du Peuple Rrom, Proverbes collectés, traduits et présentés par Marcel Courthiade, classés par Stella Méritxel Pradier et illustrés par Ferdinand Koçi.

 

A lire aussi :

Roma And Egyptians In Albania: From Social Exclusion To Social Inclusion, Hermine G.De Soto, Sabine Beddies, Ilir Gedeshi, World Bank Publications, juill 2005, 310 pages, Anglais, ISBN-13: 978-0821361719.

Gypsy Identities 1500-2000: From Egipcyans and Moon-Men to the Ethnic Romany, David Mayall, Routledge, oct 2003, 328 pages, ISBN-13: 978-1857289602.

The Romani Voice In World Politics: The United Nations And Non-State Actors, Ilona Kilmova-Alexander, Ashgate Publishing Limited, mars 2005, Collection : Non-state Actors in International Law, Politics and Governance Series, 195 pages, ISBN-13: 978-0754641735. 

    3Disch:1http://wn.com/KANNAUJ__La_ville_des_rroms

 

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African Tabloïd, Janis Otsiemi

26 Septembre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

african-tabloid-janis-otsiemi-9791092016079.gifLibreville, le Plateau : le quartier  de la Présidence de la République, qui se transforme la nuit en quartier interlope… Libreville, la capitale vache à lait de la Françafrique. Sous les feux des médias étrangers donc, toujours, les ONG à l’affût, l’Etat français pas moins soucieux d’y voir régner sinon l’ordre, du moins le silence. A la PJ de Libreville règne l’ordonnance aléatoire des vieilles machines à écrire, à ruban, dans l’insalubrité des murs écaillés, des plafonds troués. Ce qui n’empêche pas le capitaine Koumba d’être efficace, avec l’aide d’adjoints pas très regardant en salle d’interrogatoire sur la question des droits de l’Homme…  Pour l’heure, la criminelle semble n’avoir rien d’autre à traiter que des affaires mineures. Le vol d‘un chéquier dans les poches d’un Ministre, qui vient de voir son compte soulagé de quelques millions de francs CFA, affaire prioritaire cela va de soi. Une mère et son bébé tué sur le coup par un chauffard qui a pris la fuite et deux adolescentes qui se sont suicidées après avoir vu des vidéos d’elles les montrant nues sur internet. Des affaires sordides, dramatiques au final, chacune ouvrant aux espaces torves qui gangrènent le Gabon : corruption, immoralité, dépravations, l’Afrique devenue terrain de chasse des pédophiles français. Les affaires communes d’une nation déliquescente. Tandis qu’à la Sécurité d’Etat un crime agite le département. On a trouvé un corps sur la plage. Celui d’un journaliste de l’Opposition, à deux pas du Plateau, un an des Présidentielles… L’Affaire sent mauvais, la Présidence ne va pas manquer de fourrer son nez dedans, tout comme la presse étrangère avide de scandale. D’autant que dans la poche du cadavre, une douille délicatement déposée provient d’une arme qui a servi dans un meurtre pas moins délicat, impliquant le Ministre de l’Intérieur, qui n’est autre que le fils aîné du Président…  Boukinda, en charge du cadavre, se voit dans de sales draps d’un coup. Sale affaire. Sales affaires, que l’on suit toutes dans une composition parfaitement maîtrisée. C’est un peu la structure du Short cuts de Altmann, tabloïd assumé d’une Afrique en décomposition, tranche de vie de flics revenus de tout, patients, opiniâtres, traitée par un écrivain attentif au moindre de ses personnages, donnant à chacun son relief dramatique. L’œuvre d’un écrivain rompant avec l’anecdote d’un style dans lequel on aurait pu l’enfermer, pour se contenter de savourer sa langue inventive, pittoresque, construisant ici avec talent un roman de maturité qui a gommé ce folklorique sans renoncer pour autant à cette langue géniale qu’on lui connaît, pour traiter avec subtilité une histoire africaine particulièrement saumâtre. Et c’est moins l’Afrique convenue du chaos, de la magouille, de la corruption qu’il nous offre au final, qu’une approche sensible des personnages qu’il a créés, embarqués comme ils le peuvent dans ce monde effarant qui nous est commun.
 
African Tabloïd, Janis Otsiemi, éd. Jigal, 12 septembre 2013, coll. Polar, 208 pages, 16,80 euros, ISBN-13: 979-1092016079.      
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Rromicide… (Gianni Pirozzi)

24 Septembre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #LITTERATURE

romicide-new.jpg"Après tout, les gens du voyage, c’est rien que des gens sans importance"...

 

 Rennes. Une vie de petits boulots à désosser les carcasses des bagnoles pour en tirer quatre sous. Flashback : la Hongrie en 1942. Les milices des Croix fléchées organisent leur chasse aux rroms – Le Zigeunfrei… En Europe, l’éradication massive des populations nomades vient de commencer. Et aujourd’hui, dans la banlieue de Rennes, les survivants sont acculés à vivre dans la précarité. Comment survivre dans pareil dénuement ? Des centres de rétention ont discrètement été ouverts par l’administration française. La vase plutôt que la boue, aux portes des caravanes. Rennes, de nos jours. Dans un rouleau de moquette, la police trouve un corps. Les pieds découpés. La PJ enquête : il s’agit du cadavre d’un homme de soixante-dix ans. Rinetti, le gardien du camp des rroms, né à Ivry-sur-Seine, fils d’immigré italien, subit la pression des flics pour de mauvaises casseroles qu’ils traînent derrière lui. Il doit jouer les indics. Lui, l’ami des rroms jusque là. Qui se rappelle la grande rafle de 1992 (déjà). Et avant cela, les fréquents séjours des militants de l’ETA en quête d’une étape de confiance. Irlande, Pays Basque, se dessine une fraternité européenne des ex-peuples en lutte. Une histoire d’exilés, de squats, celle aussi d’une mémoire très ancienne des répressions qui frappèrent le peuple rrom en France : dans le camp, on sait encore raconter les Brigades de Clémenceau, fichant systématiquement les rroms pour constituer un fichier (au fait, qu’est-il devenu ?). Ou bien les sales besognes de l’Administration française, internant les rroms dans ses camps, comme celui de Fargeau, de Montreuil-Belley, de Pontivy et tant d’autres, avant de les livrer aux nazis… Des rroms venus d’Europe de l’Est pour finir assassinés en France. Rennes, de nos jours. La PJ organise une rafle. Sait-on jamais : l’assassin du vieux pourrait être l’un des leurs. Une obscure vendetta, une vengeance : l’homme avait trahi les siens, il y a des années de cela...

De beaux portraits d’exilés dans ce polar qui obtint le Prix du Polar SNCF en 2001. Un roman entièrement révisé, annonce l’éditeur, qui cependant s’achève sur une vision par trop commode du monde rrom des camps, à mettre en avant l’omerta qui devrait y régner –mais quand on énonce "Omerta", on tait les raisons du silence des gens de peu, des exclus, des pourchassés. Silence que l’on assimile par un jeu langagier convenu à celui des mafieux ! Or, une société fragile ne peut être qu’une société de la prudence, de la méfiance, de l’aphasie. C’est cela que le roman rate en filant au plus court une fable que l’on ne nous a que trop servie. Dommage, il y avait de la richesse dans ce travail, et matière à écrire un autre polar, peut-être même dans un autre décor, pour laisser surgir la voix des rroms ! 

 

Romicide, de Gianni Pirozzi, Rivages, nouvelle édition août 2010, coll. Rivages/Noir, 203 pages, 7,50 euros, ISBN-13: 978-2743620912.

 

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La Guerre alimentaire a commencé…

23 Septembre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

faim.jpg50% des hommes souffrent de malnutrition à la surface de la planète, cette faim silencieuse qui mine la vie jour après jour, comme l’écrit Sylvie Burnel. Une malnutrition qui touchait jusqu’ici essentiellement le Sud, mais qui s’est mise à traverser les économies du Nord à la faveur du tournant néo-libéral : le fil conducteur de la faim, c’est la pauvreté, qui a surgi désormais massivement dans les pays du monde occidental. Plus de 900 millions d’êtres humains souffrent aussi de sous-nutrition : la faim, celle dont on meurt, atrocement. 30% de la totalité des denrées produites à la surface de la planète sont jetées à la poubelle par les pays du Nord avant même d’avoir été consommées…  1,6 milliards d’individus se trouvent en situation de surpoids, fléau des pays du Nord là encore, qui frappe cependant les pays du Sud, à front renversé pourrait-on dire : dans les pays du Nord, c’est la malbouffe qui en est la cause. Les classes pauvres en subissent les conséquences, tandis que dans les pays du Sud, ce sont les nouveaux riches qui s’engraissent...  En 2015, le Sud sera obèse en plus d’être pauvre… Le paradoxe est ignoble. D’un cynisme consommé, tout comme de voir d’un côté une société d’abondance jeter des denrées auxquelles elle ne touche même pas, tandis que dans le Sud ont fait leur apparition les premières grandes émeutes de la faim. Rappelez-vous celles de 2008, celles de 2010… Réprimées dans le sang. Une vraie guerre menée contre les pauvres. Une guerre conduite par les Etats au nom des marchés financiers, qui se sont emparés avec la plus extrême brutalité de ce secteur de l’activité humaine : désormais, l’agriculture mondiale subit de plein fouet le joug des flux financiers. Les très riches ont confisqué à leur profit la production agricole, spéculant, stockant, organisant leurs pressions artificielles pour faire monter le prix des matières premières et des denrées agricoles. Et à cette spéculation éhontée, il faut rajouter les effets de la révolution des supermarchés qui a introduit des outils dévastateurs pour diffuser le modèle de consommation occidentale, lequel veut que lorsqu’un pays s’enrichit, sa consommation de protéine animale croît vertigineusement. L’effet pervers ? C’est que toute l’agriculture se voit réorientée du coup vers la production de céréales à destination de l’élevage extensif… D’où la confiscation des cultures de céréales, destinées à nourrir les bêtes mangées ou non, dans le Nord… Rajoutez à cela les usages concurrents des agrocarburants détournant le maïs, le riz, la canne à sucre et le palmier de leur vocation alimentaire, et vous aurez achevé de dresser le tableau ahurissant de la martingale de l’échec alimentaire dans le monde. 25% du maïs américain est désormais destiné à la production d’éthanol, 50% à la l’alimentation animale. Le reste est offert aux spéculateurs, qui raréfient le marché en stockant le maïs avant de le revendre… On comprend que l’offre de nourriture ait dramatiquement chuté dans le monde. D’autant que les terres cultivables sont devenues la proie des rachats spéculatifs. Or, d’ici à 2050, la production agricole devrait croître de 70% pour couvrir les besoins alimentaires de la planète. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette vassalisation des territoires par les multinationales nous conduit droit au triomphe de l’impérialisme foncier et des famines monstrueuses comme expression la plus achevée du néo-colonialisme libéral. Les Etats-Unis l’ont bien compris, qui talonnent de près la Chine dans cette nouvelle guerre contre les pauvres, en écrasant les populations tiers sous la botte d’un biocolonialisme machiavélique.

Géopolitique de l’alimentation, coordination Alain Nonjon, éd. Ellipses, avril 2012, 160 pages, ean : 9782729871796.

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Bill Evans Trio, avec Scott LaFaro

22 Septembre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

Le 6 Juillet 1961 disparaissait le contrebassiste Scott LaFaro dans un accident de voiture. Quelques semaines avant l’accident, il avait rejoint le trio de Bill Evans et enregistré quelques morceaux légendaires, dont l’inoubliable My man’s Gone Now . Bill Evans l’admirait : ce qu’il faisait à l’instrument, nul ne savait comment le nommer. Disparu, Bill Evans crut bien ne plus jamais pouvoir rejouer, errant sur les bords de l’Hudson, obnubilé par le souvenir de Scott : là où lui-même tâtonnait, Scott se révélait stupéfiant.
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Owen Martell, Intermède (l’étreinte défaillante)- sur Bill Evans

20 Septembre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 

Evans.jpgLe 6 Juillet 1961 disparaissait le contrebassiste Scott LaFaro dans un accident de voiture. Quelques semaines avant l’accident, il avait rejoint le trio de Bill Evans et enregistré quelques morceaux légendaires, dont l’inoubliable My man’s Gone Now . Bill Evans l’admirait : ce qu’il faisait à l’instrument, nul ne savait comment le nommer. Disparu, Bill Evans crut bien ne plus jamais pouvoir rejouer, errant sur les bords de l’Hudson obnubilé par le souvenir de Scott : là où lui-même tâtonnait, Scott se révélait stupéfiant.  New York, Broadway. La mort avait donc fini par l’emporter. Les quelques mois qui suivirent furent étranges, solitaires, incertains. Ce sont ces quelques mois que raconte Owen Martell dans un récit très intime, croisant les points de vue des proches de Bill Evans lors de sa traversée du désert. Bill comme un fantôme, marchant au long des berges de l’Hudson suivi de loin par son frère Harry, qui n’ose l’aborder. Le connaît-il encore  seulement ? Harry se rappelle leur enfance, mais la figure de ce que Bill est devenu résiste au souvenir. L’enfance n’expliquera rien. Bill lui est devenu étranger. Alors Harry suit son frère somnambule de loin, jusqu’au moment où il comprend que Bill s’en va rejoindre Max Roach auquel il l’abandonne, avec le sentiment d’une trahison, celle de le remettre à des inconnus. Car Harry a beau faire, aucun souvenir ne fonctionne plus. Pas davantage celui de Bill enfant, au piano, leur père massacrant les cantiques et descendant des galions de whisky. Harry se souvient : les erreurs de Bill devenaient soudain des ornements musicaux. Harry paraissait pourtant plus doué. Il excellait, et Bill suivait. Owen Martell raconte, emporté par sa propre composition narrative, rêvant les espaces, les lieux, les émotions. Passant outre quand le détail n’est pas certain, débordant de générosité. Harry rejoint tout de même Bill. Voilà. Tout semble dit, il n’y a rien à ajouter : Scott est mort, il est désolé. Bill est à l’ouest et s’installe quelques jours chez Harry, mutique, abattu. Seule la fille de Harry, Debby, parvient à lui donner le goût de vivre. Ce n’est ainsi pas l’enfance de Bill qui envahit leur relation, mais une autre enfance bercée des bruits du présent, des résonances de la ville, des sons domestiques et de beaucoup de silences entre ces adultes qui ne savent plus comment s’étreindre, se consoler, se réconforter. Reste que le récit nous berce dans un tempo infiniment affectueux, Harry convoquant Petrouchka, de Stravinsky, qui accompagna l’enfance de Bill Evans. Son premier microsillon. Mille fois remis sur le tourne-disque, Bill repositionnant sans cesse le bras sur les sillons du disque pour mieux comprendre tel passage, tel autre… Décortiquant cet on ne sait quoi de musical qui commençait d’entrer dans sa vie. Rien d’autre. Des gestes, la vision fugitive de Bill dans le salon. Harry veille sur lui, simplement. Avant qu’Owen passe le relai de la voix narrative à leur mère, Mary, dans un chapitre magique qui nous la donne à voir veillant son fils la nuit, assise sur un fauteuil devant le lit où Bill a fini par s’endormir. Rien de plus. Sinon qu’elle se rappelle elle aussi Petrouchka et s’interroge sur les propres incertitudes de son existence. Bill est devenu un mystère pour elle, comme nous le sommes tous les uns aux autres. Harry, le père, accueille ensuite Bill. Simplement, sans grands phrases mais parlant, parlant, entourant son fils de son affection verbeuse. La saison des orages vient de commencer en Floride. Le père essaie de ne pas trop boire. Bill ne dit rien. Son père parle pour deux, croyant bien faire et fait bien en effet, dispensant Bill d’avoir à s’expliquer. Il parle de tout et de rien, de la pêche, du golf. On ne sait pas. On ne sait rien. Jamais. Ou bien on ne sait jamais ce qui peut sortir d’un geste, d’une parole, d’un silence. Son père l’entraîne sur les lieux de ses propres joies, l’entourant d’une douce attention. Bienveillant. Chacun fait ce qu’il peut pour être auprès d’autrui, dans l’humilité de savoir toute étreinte défaillante, mais non vaine. Et le récit lui-même est cette étreinte défaillante, éprouvant cette vie de Bill Evans par le biais, dans cet effort d’un auteur saisi par l’envie de raconter. Attentif. Discret. Sincère.  

Quelques mois ont passé. Un disque est sorti : Bill Evans Trio, Sunday at the Village Vanguard, avec Scott. L’enregistrement est magique : bribes de conversations, applaudissements spontanés, tintements de verres… Riff et impros de Bill, qui seuls «donnent à entendre son énigme». Un Bill qui dans le dernier chapitre du récit s’aventure dans chacun de ses gestes, dans chacune de ses sensations, à accepter ce manque qui a failli l’anéantir. Il fallait peut-être cela, face aux énigmes de sa vie intérieure.  Ces journées à nuancer les accords plaqués sur le piano, les «accords particuliers de sa fragilité», écrit Owen Martell. Dans le début de l’hiver qui suivit, il se remit dans le circuit.  Supportant désormais le poids de ce manque pour s’enraciner dans la musique.

 

Intermède, Owen Martell, traduit de l’anglais par Robert Davreu, éd. Autrement, coll. Littérature, 21 août 2013, 192 pages, 17 euros, ISBN-13: 978-2746733688.

 

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Marseille une biographie, François Thomazeau

19 Septembre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

tomazeau.jpgLes ruines du château Forbin, la vallon Saint-Cyr, le virage où s’agrippe la pagode… Les sentiers buissonniers de Pagnol ont disparu. Reste le bitume, qui macère, l’esprit de Marseille tapi dans l’ombre et la clarté –non la lumière. L’Esprit de Marseille : le mystère de ses collines, des hommes qui errent, là-haut, braconniers, pompiers, joggeurs, gamins effrontés, dans un monde d’arbousiers et de sauterelles. L’Esprit de Marseille, nous  conte Thomazeau, c’est le silence d’un soleil de plomb, les grillons, la chaleur, la poussière que les sandales soulèvent, les marches lentes, obstinées, et au détour d’un sentier d’épines, presque une foule de gens venus d’on ne sait où. Et sur l’autre versant, ce sont les falaises creusées de grottes où les promeneurs ramassent des silex taillés, la préhistoire qui affleure sans cesse, et le vallon de l’Homme mort. Trois collines et un fleuve, et la banlieue pour horizon.  Mais c’est autre chose encore, qui se dérobe toujours dans cette ville dont Thomazeau nous dit qu’elle ne peut se saisir qu’en « lambeaux de descriptions».  Marseille ? Un village, une banlieue, une capitale immense et quelque chose d’indicible, une identité qui se refuse. L’expression est forte. Marseille ? C’est ici et là, là-bas plutôt semble-t-il, que borde la mer indigo, le ciel bleu, la pierre blanche dans l’imposture de la lumière, de la nuit, des truands qui voudraient la confisquer en de grands gestes théâtraux. Une ville «mal foutue», «mal embouchée», «mal partie»… Qui ne cesse de refourguer un imaginaire de peuchère –partie de carte, pastis, Pagnol. Mais quid de la pagode ? Et de ses alentours , ces baous où dénicher la plus ancienne sépulture d’enfant de la région ? Comme s’il fallait tourner le dos à la Méditerranée pour comprendre quelque chose de cette ville millénaire.  Le port ne serait alors qu’une vitrine de mâts, d’îles, de forts. Port bouclé au demeurant, embrigadé, inaccessible. Marseille, ce présentoir ? Il faut chercher ailleurs, confie Thomazeau. Au plus enfoui, dans les criques qui bordent la ville, dans cette grotte cachée au fond d’une calanque, où dure le premier meurtre, dans la grotte Cosquer, parmi ses peintures rupestres : celle de l’Homme tué.  La plus ancienne représentation de ce territoire mélancolique, peinture d’un homme transpercé par une lance, comme une accusation indéchiffrable. Ou bien faut-il chercher là-haut, dans au-delà de cet oppidum laissé en friche par les archéologues eux-mêmes, vers Saint-Marcvel, qui formerait comme une frontière coupant la ville de la Provence.  Là, sur ce plateau qui ouvre l’horizon à tout l’espace marseillais. Le vrai point de vue. Patient typographe, Thomazeau conte la fondation de Marseille, les phocéens, les Sébobriges, ces gaulois de Marseille massacrés par les romains. Marseille, ville gauloise ? Ville des naufrages au milieu desquels rôde encore l’Homme tué. Thomazeau enquête. Superbement. Il reste peut-être quelque chose de cette histoire dans le repli et cette peur des gens qui constituent peut-être leur plus terrible identité. De ce côté-ci de la frontière, dans cette ville étrangère plantée dans un milieu hostile. Marseille ville monde pourtant, et peut-être parce que c’est la ville monde par excellence, cosmopolite. Une ville toujours sur le départ dans cette biographie magnifiquement scénarisée, qui houspille l’Histoire et nous malmène, aujourd’hui capitale européenne des cultures –mais les cultures arabes ? Repoussant sans cesse la construction d’une grande mosquée… Reste Amar donc, l’enfant qui n’a cessé de le suivre dans cette fiction surprenante, Amar, l’âme, soyons-en certain, de Marseille, «mort d’une trop grande soif de vivre».
   
Marseille une biographie, François Thomazeau, éd. Stock, coll. Essais – Documents, mars 2013, 384 pages, 20 euros, ISBN-13: 978-2234074156. 
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