Michel Rocard, des malentendus du PSU au grand virage à Droite…
Dans ce long entretien accordé à Claude Imbert en 2014, Michel Rocard révélait qu’au fond, il avait toujours était plus à droite qu’on ne le croyait et qu’il aurait aimé que la Gauche socialiste prenne avec lui, bien plus radicalement qu’elle ne s’y adonnait pourtant déjà avec Mitterrand, ce grand virage à droite qu’il lui rêvait. Un grand virage dont il aura été l’artisan résolu, et ce dès la création du PSU et malgré les malentendus qui entourèrent cette création : classé à l’extrême gauche de l’échiquier politique français parce qu’il s’opposait à la Guerre d’Algérie, le PSU n’était en fait qu’un parti de scission, qui tentait d’actualiser les thèses socialistes des années 46 pour convertir les socialistes aux lois du Marché. La confusion, certes, lui permit de grossir très vite ses rangs en recrutant principalement des chrétiens de gauche dont les exigences sociales poussaient constamment les cadres du Parti plus à gauche qu’ils ne le souhaitaient. C’était la grande époque de la CFDT, qui a fini elle aussi par devenir le syndicat réactionnaire que l’on connaît aujourd’hui. Car en réalité les cadres du PSU étaient plutôt, à l’instar de Rocard lui-même, proches d’un idéologue américain comme James Burnham, lui-même artisan de la conspiration mise en place par les américains au sortir de la guerre de 39-45 pour convertir l’Europe au libéralisme. Reste qu’à décrypter pareille confusion, Rocard passionne de si bien dessiner le paysage politique français depuis une bonne cinquantaine d’années, à travers par exemple les relations qu’il entretint avec François Mitterrand, si méfiant à son égard, abandonnant dès son accession au pouvoir l’hypocrisie d’un pseudo discours de Gauche pour faire semblant de se convertir aux pseudos contraintes du Marché. On retiendra du portrait de Mitterrand qu’il nous dresse la juste compréhension de son jacobinisme : cette volonté de tout ramener au politique et à la décision gouvernementale, sans jamais croire au dialogue social. Nous en sommes plus que jamais là avec Hollande et Valls, en un sens, oui, digne héritier de Rocard, de ce qu’il y avait de plus contestable en Rocard, son calcul politique, lui qui demeura longtemps au PSU tout simplement pour ne pas s’isoler dans ce marché de la fausse gauche qui se montrait de plus en plus concurrentiel. Aux yeux de Mitterrand nous dit Rocard, le dialogue social n’avait pas de sens. Seul le champ parlementaire comptait. Calculs, tactiques politiciennes, on connaît ces dérives qui nous ont tant coûté, provoquant aujourd’hui le déficit démocratique que l’on sait. Dans ce passage à droite, Rocard aura tenté, affirme-t-il, de maintenir quelque chose de cette longue tradition chrétienne de gauche échouée désormais, soucieuse du dialogue social, de légalité républicaine et des institutions de la République, les meilleurs outils de gouvernance à son sens, on croit rêver ! Mais certes, il n’a pas tort d’affirmer que Matignon, au sein de ce dispositif constitutionnel, s’est avéré être un vrai centre de pouvoir. Lui qui, tant et tant de fois eut recours au 49.3, sait de quoi il parle… On découvre du reste un Rocard peu critique de la présidence Sarkozy, et in fine très attaché à cette Vème défaillante, crispée, arrogante et autoritaire qu’il ne songeait surtout pas à réformer. De son regard sur le monde d’aujourd’hui, seule une idée forte transparaît : celle de l’issue «verte» pour seule dynamique mondiale. Notre monde, Rocard le voit engagé dans une course contre la montre tant les menaces, principalement écologiques, se sont accumulées, imprévisibles, irréversibles, fomentant partout leur effet de seuil. Aucune nation ne pouvant par essence apporter de réponse, la vraie idée forte de cet entretien c’est au fond le sentiment que seule une gouvernance mondiale pourrait nous sauver et qu’il nous faut en conséquence dépasser le cadre des souverainetés nationales. Loin des identités chétives, ouvrir en grand un débat neuf sur le sens du devenir humain. Mais là, les bras nous entombent : Rocard, dans cet entretien, affirme que c'est le levier sécuritaire qu’il nous faut travailler pour y parvenir, celui-là même qui partout dans le monde est en train de refermer sur les peuples son horizon funeste ! Sécurité climatique, financière, alimentaire, identitaire, nous avons besoin, selon lui, de construire les instruments autoritaires qui «permettront aux hommes de vivre demain»... Du moins, comme des esclaves… Nous y sommes presque : Valls réalise son rêve…
MICHEL ROCARD, Une Histoire du XXème siècle, entretiens avec Claude Imbert, FREMEAUX & ASSOCIES, PRODUCTION : CLAUDE COLOMBINI FRÉMEAUX , ÉDITORIALISATION : LOLA CAUL-FUTY , Nombre de CD : 4, isbn : 3448960543125.