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La Dimension du sens que nous sommes

Le Parlement des Invisibles, Pierre Rosanvallon

21 Janvier 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

rosanvallon-invisibles.jpgDes déchirements décisifs sont en train de se produire dans la société française. Valls, après Sarko, y travaille sérieusement, tout comme Hollande, et les uns et les autres nous conduisent au point de rupture, pariant cette fois encore sur la poussée du FN pour éviter le spectre de leur chute commune. Je parle de l’UMPS, cette formule si détestable mise au point par le FN et qui finit par refléter la réalité de notre situation politique. Pour Rosanvallon donc, le symptôme, c’est la poussée du FN dans l’électorat français.  Admettons, sans omettre toutefois de noter au passage qu’il ne condamne en rien la droitisation des partis de gouvernement. Le remède qu’il nous propose est plus trouble.  Le pays ne se sentirait pas écouter, écrit-il. A tout le moins… Il y a un gap cependant, entre l’expression d’un sentiment et la réalité d’une Nation pas écoutée du tout. Et cette réalité est nôtre, cher Rosanvallon. Le pays, en outre, ne se sentirait pas représenté. Et là encore, force est de relever cette distance prise par l’historien avec une réalité qu’il se refuse à analyser : car en vérité, le pays comme il dit n’est pas représenté. C’est bien là que le bât blesse… La situation serait donc alarmante. A tout le moins, nous serons d’accord sur ce point. Pour y remédier, Rosanvallon propose une… collection de livres… édités au Seuil, une maison d’édition non pas militante mais commerciale, et plus ou moins sous sa houlette… Une collection qui donnerait enfin corps aux «voix des invisibles», à cette complexité, à cette diversité que la France est devenue. Une collection qui, à elle seule ou peu s’en faut, parviendrait à redonner un souffle de vie à la notion de «peuple», celle-là même dont il avait naguère fait l’objet de son livre : Le Peuple introuvable. misere-bourdieu.jpgRosanvallon aurait-il donc fini par le dénicher ? Rassurez-vous : non. Il n’a trouvé qu’une niche éditoriale avec cette collection posée péremptoirement comme ambitieuse. Sans dire un mot sur le processus des choix éditoriaux. Sinon qu’elle serait très vaguement appelée à donner la parole aux invisibles et que cette simple prise de parole (est-on en 68 ?) suffirait à redonner de la vigueur à la démocratie française… Car la fonction de cette collection serait de construire une sorte de «Parlement» des invisibles… Quelle formule ! Un «parlement», mais pas un mot sur la Constitution de la Vème République, taillée pour assurer à une oligarchie sa dérive bien cordiale… Pas un mot non plus sur le pouvoir politico-médiatique tel qu’il s’est affirmé aujourd’hui. Certes, ce n’est pas une mauvaise chose que de vouloir libérer un peu cette parole des oubliés. Oui, il y a bel et bien une coupure entre le pays légal et le pays réel, comme l’écrit Rosanvallon, faisant curieusement référence à la phraséologie des années 30, si noires, si fascisantes. Certes encore, il y a bien une critique de l’électoralisme qui réduit la démocratie à une fiction et confond majorité de principe et majorité sociale. Mais le doute nous prend lorsque de nouveau Rosanvallon, qui se refuse à pousser trop loin sa critique politique de la société française, nous ressert son vieux plat réchauffé du Peuple introuvable, en le travestissant cette fois sous les allures d’une société qui serait devenue « illisible »… Et là encore, pas un mot sur la fabrique politico-médiatique de cette illisibilité. C’est que Rosanvallon tient à sa nouvelle marotte : puisque la société est illisible, il faut la rendre dicible et lui la rendra dicible. Certes, il y a quelque logique derrière tout cela : avant de fonder une nouvelle narration capable de rendre compte de ce que la société française est devenue, il faut l’entendre cette société. Mais qui prétend être en position non seulement de l’entendre, mais d’en rassembler le dire ? Il faut «ouvrir» la parole, affirme Rosanvallon. Mais… Est-il donc sourd à ces paroles qui fusent déjà de toute part ? On le dirait bien… Au fond, la seule chose qui semble compter à ses yeux est de pouvoir placer la bonne formule du jour : il faut aller vers une «démocratie narrative»… La belle affaire… Les socialistes de pouvoir n’ont cessé, avant les élections, de nous rebattre les oreilles avec leur formule pas moins mystifiante de «démocratie participative ». Une expression vide de sens politique dans les faits. Une formule démagogique destinée à confisquer le pouvoir souverain. Sans doute, l’initiative d’une telle collection n’est-elle pas à jeter, toute, aux orties. Il y a, il y aura des textes intéressants publiés dans cette collection. misereVG.jpgVraisemblablement. Et après ? Imagine-t-on Rosanvallon parcourir la France en quête de paroles ? D’autant qu’il campe sur des présupposés on ne peut plus contestables, comme celui de l’individualisme constitutif de la société contemporaine, calqué sur les formes qu’il a prises dans l’univers post-bobo des élites françaises... Son chapitre sur la question du travail, de la production et de la transformation de la classe ouvrière en témoigne, qui vaut son pesant de cacahuètes, Rosanvallon semblant oublier la précarisation et la paupérisation effroyables qui sévissent aujourd’hui en France. N’écrit pas La Misère du monde qui veut en quelque sorte… Son parlement des invisibles, tout de même, est sans doute à prendre comme un symptôme de plus que notre société craque de toute part et se cherche une voie politique nouvelle. Et là où finalement Rosanvallon la résume à des susceptibilités qu’il faudrait écouter sans rien changer aux institutions politiques de cette vieille machine à défaire la démocratie, il faudrait ancrer une vraie révolution, notre seule issue quand on y songe.
 
 
Le Parlement des Invisibles, Pierre Rosanvallon, édition Raconter la vie, seuil, collection Non Fiction, 2 janvier 2014, 68 pages, 5,90 euros, ISBN-13: 978-2370210166.
 
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La Femme aux chats, Guillaume Le Blanc

20 Janvier 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

femmeau-chat.jpgKarine est contrôleuse des impôts. Non. Sa vraie vie est ailleurs : elle élève des Sacrés de Birmanie, qu’elle vend. Sans en tirer aucun bénéfice. Juste de quoi rentrer dans ses frais et poursuivre son activité, le lieu même de sa réalisation. Un art. Quand l’emploi désormais n’apporte que l’alimentaire. Les sacrés de Birmanie ont même envahi toute sa vie. Et sa maison a dû être repensée pour les accueillir. Non pour soigner l’impossible relation humaine. Non par substitut, mais pour vivre une autre vie. Et ce faisant, Karine est comme aux avant-postes d’une société différente. D’un monde qui serait en train d’arriver. Elle a donné corps à sa passion, au point d’avoir fait éclater les contours de son identité sociale. Aventurière d’un monde sans marché, loin de cette économie de l’argent qui nous gouverne, elle a su mener sa vocation et les siens bien loin du mercantilisme affairé qui dirige toute notre société. C’est là que le portrait de Guillaume le Blanc paraît le plus faible. Peut-être aurait-il été préférable de convoquer un anthropologue pour penser cet «avant-poste» qu’il évoque, pour mieux établir ce qui, dans cette aventure, soutient décisivement l’être plutôt que d’en construire les significations trop tôt. Car à bien écouter Karine, on découvre qu’au fond c’est tout son modèle économique qui est au fondement de cet être nouveau qu’elle défriche. Et non une quelconque méditation sur l’être auquel le chat ouvrirait. Avec elle, on entre dans une autre économie : humaine, au sens où un David Graeber pourrait l’entendre. Une économie non pas soucieuse d’accumuler des richesses sonantes et trébuchantes, mais de créer du lien et du sens social avant tout, pour redisposer les êtres les uns en face des autres. L’argent que demande Karine à ses acheteurs est d’abord une monnaie sociale. Une monnaie d’échange qui témoigne de quelque chose de beaucoup plus sérieux que le simple règlement d’un solde. Pour preuve, ces contacts qu’elle noue avec ses acheteurs, qui entrent dans le réseau des sacrés de Birmanie qu’elle anime. C’est que Karine ne vend pas ses chats à n’importe qui, pour n’importe quelle raison. On est dans une économie humaine où la monnaie sert essentiellement à des fins sociales. Elle le dit elle-même : autour de ces sacrés, c’est toute une sociabilité qui s’est mise en place. Un réseau où chacun est unique et d’une valeur incomparable. C’est cela l’important dans cette aventure. Le chat n’est pas transformé en objet d’échange, mais introduit dans un réseau de relations où sa vie prend sens. Il faut entendre longuement Karine en parler pour le comprendre et comprendre à ce moment-là seulement que le chat ouvre en effet à l’être, mais parce qu’il a été d’abord l’objet d’autre chose qu’un négoce. Et dans cette sociabilité, pareillement engagé, il a bien certes signé quelque chose comme la fin des territoires de l’humain en faisant entrer un autre genre dans la maison pour ouvrir la relation à l’autre à quelque chose de plus décisif et chaque identité à une construction plus précaire, mais voulue, assumée, décidée.
 
 
La Femme aux chats, Guillaume Le Blanc, éd. Raconter la vie, Seuil, Collection NON FICTION, 2 janvier 2014, 72 pages, 5,90 euros, ISBN-13: 978-2370210265.
 
 
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Pour une planète équitable, Marie Duru-Bellet

17 Janvier 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

durable.jpgIl y a urgence. Tout le monde s’accorde sur ce point. Mais urgence pour une justice globale en fait. Et c’est bien là le problème : jusque-là les discours se centraient sur l’urgence écologique. Le réchauffement climatique. L’approche, systématiquement, évitait soigneusement d’élucider les liens que les inégalités sociales pouvaient entretenir avec cette urgence purement –on le prétendait- écologique. C’était à peine si l’on consentait à affirmer que l’empreinte écologique des pays riches était abusivement élevée. La Chine ouvrait le bal de la déculpabilisation, les nations pauvres polluaient décidément bien davantage et l’avenir qu’elles nous dessinaient paraissait bien sombre. Mais nul n’avait songé à étudier le lien qui existait entre les inégalités sociales et l’écologie, nul n’avait étudié vraiment l’impact non pas des pays riches, mais des riches sur les conditions de vie des pauvres et par ricochet sur leur empreinte écologique. Etude délicate à mener, tant les données qu’il faut prendre en compte sont nombreuses et peu aisées à spécifier. Que prendre en compte ? Que comparer ? Qui comparer ? On pouvait certes et depuis belle lurette, comparer les ressources disponibles : santé, éducation, voire dans le détail, la consommation d’eau par exemple. Mais cela revenait toujours à mettre dans le même sac des pays riches toutes les populations concernées. Voilà donc une synthèse intéressante qui nous est offerte, détaillant les conditions de mesures de ce lien entre les inégalités sociales et l’urgence écologique. Comme toutes les études actuelles qui portent sur les inégalités, les conclusions ne surprendront pas : force est tout d’abord de constater qu’elles sont aujourd’hui, et au niveau mondial, plus importantes qu’elles ne l’ont jamais été. Les écarts entre les pays s’accroissent et au sein de ces pays, entre les riches et les pauvres. Ces écarts donnent même le vertige sur l’état réel de l’humanité à la surface de la planète. Avec en supplément cette constatation de taille que la cause du décrochement des pays pauvres est provoquée par… la mondialisation. La dégradation des termes de l’échange est de ce point de vue terrible : ce qu’on observe, c’est la baisse continue des prix des produits exportés par les pays du Sud, baisse qui ne profite en rien aux pauvres des pays du Nord : les denrées agricoles, par le biais de spéculations criminelles, ne cessant de voir leur prix augmenter… Les pauvres des pays les plus pauvres paient la facture. Tout comme à l’intérieur des pays les plus riches, les classes moyennes et pauvres paient la facture. riches.jpgLa FAO souligne du reste depuis de nombreuses années maintenant que les pays africains en particulier ont été appauvris par cette mondialisation. Et lorsqu’on regarde de près comment les choses se passent, on est bien obligé d’avouer que le marché n’a de libre que le discours. La libre concurrence n’est qu’une rhétorique commode pour nous faire passer la pilule de notre paupérisation forcenée. Les règles de fonctionnement du marché dit libre sont en réalité fabriquées par les états occidentaux pour satisfaire l’appétit de quelques multinationales goinfrées de bénéfices. De l’aveu même de la Banque Mondiale, les marchés financiers entraînent désormais une volatilité des capitaux qui saigne littéralement les économies des pays pauvres. Aux yeux de la même institution, la politique du FMI (merci à leurs dirigeants français qui ont su maintenir un cap pareillement criminel), empêche l’essor de l’emploi dans ces mêmes pays. Seule crainte des puissants : le péril inégalitaire qui se profile à un horizon plus proche encore que le péril écologique… La mondialisation n’a fait qu’attiser l’exaspération des pauvres. Une étude menée récemment par la Banque Mondiale s’en inquiète : ces pauvres en question sont désormais conscients de la réalité de ces inégalités. Et la première réponse que cette étude révèle est celle du désir d’émigrer. 50% des habitants des pays du Sud le souhaiteraient, conscients qu’ils sont que naître chez eux est voir le jour dans une prison… On comprend mieux alors pourquoi les discours sur l’immigrations se sont tendus dans la bouche de nos politiques. Pour le reste, la Banque Mondiale s’inquiète aussi de voir ces inégalités provoquer des révoltes et le développement d’économies parallèles, fortement mafieuses. Plus réjouissant : une étude de 2003 affirme explicitement que ces inégalités sont un frein à l’efficacité globale du capitalisme (rapport Banque Mondiale 2003). Et qu’en outre, la croissance n’y changerait rien : elle ne profite qu’aux riches… D’autres institutions mettent elles en avant le lien qui existe entre ces inégalités et l’empreinte écologique, nous obligeant à nous poser enfin la question des droits face aux ressources globales de la planète, en particulier face aux cataclysmes qui se profilent inévitablement : quel niveau de protection pour les peuples démunis qui devront demain affronter de nouveaux tsunamis ? A leurs yeux, le seul moyen d’avancer sereinement passe par la… décroissance des riches. Nous disposons aujourd’hui de la possibilité matérielle d’éradiquer la misère et la pauvreté concluent nombre d’experts. Seule fait défaut la volonté politique de le faire.
Pour une planète équitable : L'urgence d'une justice globale, Marie Duru-Bellet, Seuil, 2 janvier 2014, Collection : La république des idées, 100 pages, 11,80 euros, ISBN-13: 978-2021158854.
 
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Moi, Anthony, ouvrier d’aujourd’hui

16 Janvier 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

anthony.jpgAnthony a 27 ans. Il a scolairement décroché à 16 ans. Depuis : la galère. La re-prolétarisation de l’économie et de la société française est en marche. Anthony l’a vécu au quotidien, pris au piège d’une Nation qui se refuse à penser la situation de millions de jeunes français. Le taux d’emploi des 15-24 ans est criant de ce point de vue : 30%. Dernière place en Europe. Plus de 24% des jeunes est au chômage en France. En 2013, 2 millions d’entre eux (de 15 à 29 ans) n’étaient ni à l’école, ni en emploi, ni en formation. Plus de 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme. S’habituer, résister, se tirer, tel est le cycle de la vie que décrit Anthony. Avec la déprime en sus, et la colère devant les annonces bidons, les emplois truqués qui ne correspondent jamais aux qualifications demandées. Et quand on a « la chance » de décrocher une « mission », le retour des petits chefs arrogants, qui exigent une soumission totale : «à la porte, ils sont nombreux à frapper»… L’invraisemblable pression d’une discipline infantilisante qui plonge ses racines dans le vieux XIXème siècle oublié… «Moi, c’est vraiment l’école qui m’a cassé». Anthony n’était pas pourtant un «Kassos». Découragé en Seconde générale, mal orienté, il a fini par s’enfuir –comment lui donner tort ? Avant d’être rattrapé par la France réelle, celle de la misère et des petits boulots sans horizon de tous ces dispositifs soigneusement élaborés pour simplement faire baisser la courbe du chômage…Survivre. Anthony s’est agrippé un temps à toutes les opportunités de formation qui se présentaient à lui. Pas nombreuses à la vérité : en France, statistiquement, la formation continue profite essentiellement aux cadres supérieurs ! Pour les autres, le parcours du combattant et en fin de course, aucun emploi à l’horizon, sinon du précaire, toujours. L’ouvrage rappelle ces itinéraires d’ouvriers publiés dans les années 70. Machine arrière toute : la France a un bel avenir derrière elle…
 
Moi, Anthony, ouvrier d'aujourd'hui, Anthony, éd. Du Seuil, Raconter la vie, coll. Non Fiction, 2 janvier 2014, 69 pages, 5,90 euros, ISBN-13: 978-2370210203.
 
 
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Sitting Bull, le bison des Grandes Plaines

15 Janvier 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

bull.jpgUne biographie de Sitting Bull destinée à la jeunesse, les 8 – 12 ans. Le genre de texte qui bien souvent véhicule tous les préjugés possibles sans qu’on y prenne garde. Eh bien là, non. L’ouvrage est une merveille du genre, qui rétablit la vérité dans ses droits et n’omet rien des trahisons américaines. Dès les premières lignes, tout est dit : le 8 août 1874, Custer remettait un courrier au général Sheridan, l’informant que les Blacks Hills, en réalité les montagnes sacrées des Sioux, nommées Paha sapa, recelaient de fabuleux gisements d’or. Le destin des sioux était dès lors scellé. Terres des aigles et des grizzlys, Paha Sapa allait être mis à feu et à sang et les indiens vaincus dans l’horreur des massacres perpétrés par l’armée américaine. Sitting Bull lui-même y perdra la vie à la suite d’une arrestation houleuse et d’une trahison sans nom : molesté malgré les promesses des soldats, une fusillade éclata dont il fut la victime. Avant cela, il avait conduit son peuple à la victoire de Little Big Horn, avant d’être jeté en prison et de vivre en exil au Canada. Vaincu mais digne, Sitting Bull accepta de se produire dans les spectacles de Buffalo Bill, ces Wild West Shows que fréquentaient les américains en mal d’origine, versant tout l’argent gagné à son peuple, affamé désormais. Aujourd’hui, les indiens Lakota attendent toujours la restitution de leurs terres, confisquées par l’état fédéral et dont ils ne furent jamais dédommagés. Une université a été créée à Paha sapa, qui porte le nom de Sitting Bull, ce grand chef vertueux qui invitait tous les américains à unir leurs esprits pour voir «quelle vie nous pouvons offrir à nos enfants». Un sage, assurément !
 
Sitting Bull, le bison des Grandes Plaines, Marylin Plénard, A Dos d'Ane Editions, 1 janvier 2014, 7,50 euros, ISBN-13: 978-2919372287.
 
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Mcafee (inventeur de l’antivirus) : itinéraire d’un paranoïaque

14 Janvier 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

mcafee.jpgPortrait de John Mcafee, le père de l’antivirus, par un journaliste qui a su gagner la confiance d’un personnage particulièrement frappé et qui ne cesse depuis de s’en mordre les doigts… Barré, le créateur  du concept de virus informatique l’était depuis ses plus tendres années, bourré de cocaïne qu’il trafiquait volontiers sur les bancs de la fac en même temps qu’il se taillait une réputation de grand buveur de scotch devant l’éternel, mais de piètre étudiant en mathématiques. Un fou furieux désormais, en quête de croisade, ennemi juré des drogués dont il continue de partager les meilleurs produits, et des alcooliques, bien qu’ils possèdent des bars où l’alcool coule à flot… Enfermé dans sa propriété des Caraïbes, notre homme est surveillé en permanence par dix barbouzes alors qu’il s’est retiré des affaires, et retranché derrière un arsenal militaire conséquent qui aiguisant l’inquiétude de ses voisins. Un vrai fort Alamo que sa ferme… Jamais assez prudent, Mcafee est allé jusqu’à faire construire un commissariat offert aux autorités locales avec des caisses de M16, alors qu’il est lui-même suspecté du meurtre de l’un de ses voisins et qu’il vit avec une demi-douzaine d’adolescentes, dont la plus jeune a 17 ans, sans être le moins du monde inquiété… La biographie des délires de ce milliardaire donne le vertige. Celle d’un bonimenteur à vrai dire, qui dans les années 80 mit le paquet en communication pour assurer les entreprises californiennes de ses services. En fait c’est en propageant sa parano qu’il a réussi à les convaincre de se doter d’anti-virus, allant jusqu’à sillonner les routes de Californie au volant de son camping-car, transformé pour l’occasion en première «unité paramédicale d’antivirus» (sic), proposant sinon provoquant le mal qu’il se proposait d’éradiquer. On le sait désormais, ce mal ne prospéra jamais autant depuis, tout comme toutes les entreprises dédiées, son business explosant assez pour qu’il le conduire à revendre son entreprise près de huit milliards de dollars à Intel, un argent dont l’homme ne sait que faire, sinon le dépenser en achats de protections de toute sorte ou l'investir dans la création d’un labo de chimie perso, où des biologistes recrutés par ses soins s’affairent à la mise au point d’un nouvel antibiotique destiné à révolutionner l’industrie pharmaceutique mondiale…  Pur produit des goldens boys de l’ère Reagan, voilà qui fait froid dans le dos !

John McAfee, un terroriste moderne, Joshua Davis, traduction de Géraldine Prévot, Inculte Editions (8 janvier 2014), 90 pages, coll. Inculte - Temps, ISBN-13: 979-1091887137.

 

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Edward S. Curtis : La fabrique du North American Indian

13 Janvier 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #DE L'IMAGE

imagecurtisPendant trente ans, Curtis s'est attaché à dresser l'inventaire de la vie des tribus indiennes au début du XIXème siècle. Il commence en 1900. Il ne restait alors quasiment plus d'Indiens aux Etats-Unis après leur génocide. Ce qui n'empêcha pas Curtis de prendre, pendant 30 ans, 300 000 cichés. Une oeuvre déchirante plus que somptueuse, suspecte, infiniment, Curtis se refusant à photographier ce que les indiens étaient vraiment, ni moins encore ce qu'ils devenaient. Seule l'intéressait cette pureté indienne qu'il avait en tête, cet état soit-disant  "primitif" que les américains commençaient alors de consigner. Et comme les Indiens de l'Est des Etats-Unis ne répondaient pas à ses critères d'authenticité, il alla chercher à l'Ouest du Mississipi des tribus que la civilisation n'avait pas encore corrompues... Quel mirage ! Curtis posa dans le vide anhistorique d'un monde originel et pur les sujets qu'il photographiait, fixant à tout jamais pour l'homme occidental cette mémoire d'indien perché à contrejour sur des collines désertiques. Des êtres sauvages contemplant l'immense horizon, des hommes seuls, perdus dans l'immensité muette du monde. Le souci documentaire, Curtis le subsuma tout entier sous l'impératif de nostalgie qui le frappait alors. Nostalgie d'un monde libre, sauvage, où l'être n'était pas encore passé dans l'Histoire et vivait pour ainsi dire en symbiose avec l'univers. Images pénétrées d'un sentiment proprement océanique... Vanishing race, comme on le disait alors : une race en voie d'extinction. Une race. A peine des hommes. Figés dans leur éloignement mutique. Des êtres qui ne semblent pas dotés de la parole. Qui vivent dans des campements déserts. Comme si une immense soitude frappait leur "race". Des êtres qui ne tiennent au final que par nous, que par le regard que nous portons sur eux. Rien d'étonnant à ce que le regard de Curtis sur ces indiens soit aussi extérieur à son sujet. Et rien, bien sûr, concernant de près ou de loin dans ces images les derniers massacres que les indiens ont subis. Comme à Wounded Knee, où l'armée déploya ses fameuses mitrailleuses Hotchkiss pour liquider toute trace du monde indien, enfants, femmes, vieillards. Poursuivant les fuyards affamés pour les assassiner. Au moment du massacre, Curtis vivait à Seattle et formait le projet de devenir photographe. Avec l'argent de ses parents, il monta un commerce photographique : scènes de genre, portraits en pieds. Le goût de ses clients ouvrait à la photo romantique, à l'horizon chimérique. Pas la vie telle qu'elle est. Surout pas.  Curtis s'y adonne, réussit, développe son commerce, son art si l'on veut.  Il multiplie les images de paysages romantiques, collabore à diverses revues : l'image est vendeuse.  Elle fascine, séduit. A cette condition : pas le monde tel qu'il est. Mais dans cet écart esthétique où l'être n'a plus à se soucier du réel. Curtis a tôt fait de comprendre le parti qu'il va pouvoir tirer des indiens. Il les prend à contrejour, les plante dans des décors brumeux, féériques. Il voit s'ouvrir une niche artistique. Il sera le photographe des Indiens. Un secteur sans concurrence. La Conquête de l'Ouest débuta presque en même temps que déferla le daguerréotype en Amérique. Curtis, 60 ans plus tard, affronte un marché élargi. Les indiens ne sont pas encore de "bons sujets" artistiques. Il faut travailler leur image, Curtis s'y attaque. A l'époque, seuls les Indiens "pacifiés" se laissent photographier. Les autres demeuraient occupés à se révolter. On n'aura pas leur image. En vérité, les Indiens avaient cessé de vivre comme ceux que nous montre Curtis. Il lui fallut alors organiser de véritables mises en scène. Accentuer le côté sauvage, primitif. Qui justifiait  du reste leur extermination : décidément, ces indiens n'étaient pas de vrais êtres humains. Sanguinaires, sales, inférieurs, n'étaient-ils pas raisonnablement destinés à disparaître ? c'était au demeurant la théorie qui avait cours dans ces années où Curtis les exhibe : Manifest destiny. La preuve par l'image que les indiens n'avaient plus rien à faire dans notre monde. Ce qui est troublant, c'est de "voir" combien les scènes de Curtis sont "contaminées", l'une avec ces indiens arborant un crucifix qui a échappé à l'oeil du photographe, l'autre une étoffe manufacturée. Pourtant Curtis ne cessait de retoucher en studio. Il recadrait, éclairait (à la recherche de l'éclairage dit Rembrandt pour illuminer ses scènes primitives), ne cessant de manipuler en laboratoire ses indiens. Les Peaux-Rouges suscitaient des  sentiments complexes, un fort mépris, de la haine, du dégoût et une fascination aussi. Il fallait pouvoir renvoyer cette image d'une époque révolue, fabriquer le Old Time American life... curtisOn commençait d'ailleurs de les exhiber dans des cirques, des shows. Nobles sauvages parés de plumes. Le Times pouvait titré, à propos de cette oeuvre de Curtis, aujourd'hui encore une référence mondiale : "il transforma l'Indien dégénéré d'aujourd'hui en un prince fier et libre"... sans rendre compte du travail cosmétique acharné du photographe, qui parcourait l'Amérique avec sa caisse pleine de perruques, de coiffes traditionnelles, de tuniques colorées et mille autres accessoires dont il revêtait les indiens qu'il croisait sur sa route, pour les faire enfin ressembler à eux-mêmes... On cherchera bien sûr en vain l'affreuse misère que vivaient ces figurants. Curtis la voyait bien pourtant, mais il ne voulait pas en faire d'image. C'est qu'il lui fallait achever la démonstration humanisante à laquelle il s'était attachée. Notre hypocrisie pour tout dire. A la fin de son parcours, trente ans plus tard, il ne restait plus d'indien à photographier. Curtis dut se résoudre à les prendre, qui avec sa cravate, qui avec sa voiture. Ces dernier clichés sont les plus authentiques. Mais les moins connus.
 
Edward S. Curtis , Photo Poche, édition Nathan, juin 1999, 129 pages, ISBN-13: 978-2097541093.
 
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SKYNET : Les marchés financiers contre la société

10 Janvier 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

finances-machinesjpg.jpgQuel est l’intérêt de nous faire croire que les valeurs en bourse reflètent la santé d’une entreprise, a fortiori d’une économie nationale ? «Il est appréciable que le peuple de cette nation ne comprenne rien au système bancaire et monétaire», affirmait Henry Ford. «Car si tel était le cas, ajoutait-il, nous serions confrontés à une révolution avant demain matin». Nous sommes plus que jamais dans ce cas de figure. Les évolutions funestes, aux yeux mêmes de ceux qui les ont programmées, des marchés financiers, se trouvant résolument tues par des médias stipendiés. Comment fonctionnent les marchés financiers, aujourd’hui ? Tout le monde le sait en fait, du moins dans les sphères du Pouvoir économique autant que Politique, sinon médiatique. Mais nul ne veut, parmi ces dirigeants élus et ces hommes d’affaires sans scrupule, l’évoquer publiquement. On peut dès lors se demander si notre Ministre des Finances est bien à sa place dans le fauteuil que le Président de la République Française lui a confié, voire si ce dernier, élu du Peuple, en charge de ses intérêts, y est vraiment lui aussi à sa place. L’essai, anonyme, Le Soulèvement des machines, constitue de ce point de vue la diagnose la plus cinglante d’une époque politique qui n’en finit pas d’agoniser, mais qui jusqu’au bout aura parié sur l’insane et la trahison avec un culot qui n’appelle qu’à la révolte la plus profonde des peuples qui la subissent. Alors à quoi ressemblent ces marchés aujourd’hui ? Leur évolution s’est accélérée ces six dernières années, à la faveur d’une pseudo crise orchestrée un en fantastique complot néo-libéral contre les sociétés et les peuples. L’ouvrage en décrit les étapes, qui sont celles de l’informatisation et de la privatisation d’un marché originellement décisif pour l’évolution des économies publiques. C‘est du coup toute l’histoire de la Bourse qui nous est livrée là, et celle du CAC 40 (Cotation Assisté en Continu), dont on nous rebat les oreilles à longueur de journée en nous faisant croire, précisément, qu’il n’est que le reflet de la santé de notre économie ! Mais lisez l’ouvrage, tellement documenté sur cette évolution décryptée phase après phase : il n’aura jamais été question, dans les hautes sphères de la société comme on dit sans vergogne, que de faire sauter le filtre humain pour libérer les profits à des hauteurs inconnues dans toute l’histoire de l’humanité. Qui sait par exemple que depuis 2007, les marchés financiers sont en réalité détenus par les banques ? Qui connaît Getco ou Tradebot, ces sociétés privées de technologies financières qui y font la pluie et le beau temps ? Qui parle de ces plateformes électroniques inventées par les banques pour générer des profits monstrueux sur le dos des sociétés civiles ? Comme Turquoise, créée en 2008 par BNP-Paribas, la Société Générale, Citigroup, le Crédit Suisse, la Deutsche Bank, Goldman Sachs, où le marché n’est plus qu’un réseau de machines interconnectées calculant nuit et jour les profits qu’il est possible de tirer des failles des législations des pays européens ? Qui a entendu parler de NYSE Euronex, une entreprise privée en fait, mais l’une des places financières la plus importante en Europe, où se joue le destin de nombre de nos entreprises ? Ou bien Chi-x Europe, deuxième marché financier européen, détenue par le Crédit Suisse, Morgan Stanley, Deutsche Bank, Morgan Chase, etc. ?...
HFT-Stock-skynet.jpg
Jusque-là, les marchés étaient neutres et enregistraient en effet la bonne ou la mauvaise santé des entreprises. Mais aujourd’hui, ils sont devenus d’immenses jeux d’adresse, où les titres boursiers changent de propriétaires toutes les 25 secondes ( !) en moyenne, pour générer des profits complètement déconnectés de l’économie réelle. Il ne s’agit plus de distribuer du capital aux entreprises, mais de le faire tourner artificiellement pour empocher au passage, en empilant les centimes d’euros dans une rotation portant sur des volumes effarants (22 milliards de cotations par jour au New York Stock Exchange), des dividendes conséquents. On le voit : le but de ces marchés financiers n’est pas du tout de guider l’évolution des économies, mais de jouer sur les failles du marché, voire de les provoquer artificiellement pour empocher un maximum d’argent. Comment cela ? Un exemple entre autre de ces  pratiques soigneusement analysées dans l’essai, déployées par des algorithmes qui se livrent une concurrence forcenée au sein de ces marchés pour faire baisser de quelques dixième de centimes une action, l’acheter et la revendre dans des temps ne dépassant pas quelques secondes, après avoir pesé sur son cours à la hausse, bien évidemment… Toutes ces pratiques tournent autour des mêmes principes, autant celle du layering (empilements d’ordres), du spoofing (émission d’ordres trompeurs), des flash orders que toutes celles qui relèvent du bourrage d’ordres, consistant à submerger le marché d’ordres aussitôt annulés, pour que les algorithmes concurrents se ruent dessus pour les analyser, leur faisant perdre quelques secondes précieuses pendant lesquelles l’acteur du bourrage en profite pour procéder en toute tranquillité (relative) à une vraie opération… Le gagnant de la course, au jour le jour, est celui qui possède l’algorithme le plus puissant et le plus rapide. Pour le reste, il ne s’agit que d’un vulgaire jeu de stratégie, où il faut savoir avancé masqué et feinter l’adversaire pour empocher de substantiels bénéfices…  Voilà le type de jeu auquel se livrent désormais ceux que l’on appelle les traders «haute fréquence»… Le but des marchés financiers, on le voit, n’est plus du tout de guider l’évolution de l’économie. La prise de pouvoir des machines sur les opérations financières, ce « soulèvement des machines », est du reste le nom même donné par la Réserve Fédérale américaine pour désigner ce mécanisme dont les plus grands initiateurs de ce jeu ont récemment conclu, en 2012, à Paris, qu’il était devenu infiniment dangereux…  Bat Global Market s’en souviendra, dont le titre entré en bourse le 23 mars 2012 fut anéanti en quelques secondes par le travail d’algorithmes malveillants. Mais rien n’y fait. Les traders à haute fréquence s’exercent jour après jour à opérer tout près d’une nouvelle débâcle financière mondiale. Avec en outre un cynisme éhonté : Guérilla fut ainsi le nom donné à un algorithme particulièrement agressif, créé le 3 septembre 2012 par la Banque de Crédit Suisse First Boston, une banque d’investissement. Une guérilla que se livrent les mathématiciens encouragés par les grandes banques mondiales à générer de nouveaux algorithmes destinés à espionner ou annihiler leurs concurrents, jusqu’à l’effondrement inéluctable du marché (« ça va arriver, c’est imparable ») prédit, par les mêmes. Où sont les ennemis de cette Finance-là ? On les cherche encore…
6, Le soulèvement des machines, anonyme, traduit de l’anglais par Ervin Karp, Zones Sensibles Editions, 16 février 2013, 111 pages, 12,06 euros, ISBN-13: 978-2930601069.
 
 
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Traité d'esclaves, Ari Sitas (Afrique du sud, extrait)

9 Janvier 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #poésie

Ari_Sitas.jpgI.

Je me suis fait sangler par eux à un siège et ils ont soulevé mon corps gonflé, pourrissant au soleil

et ils m'ont porté le long de chemins âcres, sinueux

pour me descendre à la mer.

 

Ils vont nous compter après le déluge et nous serons

toujours deux

je pensais

après le déluge, nous serons comptés deux par deux

je pensais

mais au fond de moi je savais que l'Afrique avait des

façons plus sages

et sur la route, l'os et l'arbuste coupaient profondément

mon âme

 

ils vont nous compter un à un à califourchon sur nos lits

isolés

sinon ils ne vont pas nous trouver quand le décompte

commencera

et nous allons nous éloigner avec juste notre souffle

putride

et nous allons tailler le paysage

sans charrue, ni fleur ni coeur

                             non, avec une hache.

 

 

traduit de l'anglais par Katia Wallisky et Denis Hurson.

 

Pas de blessure pas d'histoire, Poèmes d'Afrique du Sud 1996-2013, édition dirigée par Denis Hirson, collages A.D. Sauzey, Bacchanales n°50, Maison de la poésie Rhônes-Alpes, Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne, nov. 2013, 228 pages, 20 euros, isbn 13 : 978-2-36761-002-3. 

 

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Le combat n’est jamais fini : la poésie Sud-Africaine contemporaine

8 Janvier 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #poésie

vonani-bila.jpgPas de blessure, pas d’histoire… Le titre de l’opus est à prendre avec des pincettes et pourrait même paraître douteux à laisser entendre qu’au fond, l’Histoire ne pourrait s’écrire que dans la douleur… D’autant que le pays dont il est question en a supporté plus qu’à son tour, qui commence tout juste de s’affranchir de l’apartheid. La poésie d’Afrique du Sud se dévoile ainsi, pleine d’énergie, d’inventions, d’intentions. Diversifiée à l’extrême plutôt que partant dans tous les sens, couvrant tous les registres, du plus intime au plus collectif de l’être, articulant le social au personnel, le politique au quotidien, sans jamais se délester des sommations des questions d’identité.

histoireAfrik-sud.jpgFin 80, tout commençait alors. C’est là qu’elle semble plonger ses racines, son renouveau, davantage que dans la période spécifiée ici, difficile et confuse, en particulier celle des années 1996– 1998, qui vit la mise en place de la fameuse Commission Vérité et Réconciliation, rouvrant les tombes, captant les témoignages, les voix, arrachant des mains spoliées ou sanguinaires le chagrin et la clémence qu’appelait Mandela (Antjie Krog) en un immense travail de mémoire que peu de nations ont osé affronter. C’est que l’humain faisait alors de nouveau surface, s’offrant enfin au surgissement de l’Histoire dans un moment infiniment, intimement politique. Un temps au cours duquel on lisait des poèmes pendant les audiences de la Commission ! Comme si la poésie avait été la seule langue dans laquelle ouvrir un vrai débat collectif, la seule à savoir prendre la mesure de la tâche qui attendait l’Afrique du Sud ! Bourreaux et victimes assis sagement pour entendre cette poésie s’énoncer et exhorter Mandela à ne jamais oublier que le combat n’est jamais fini. Cette même poésie qui, en 2008, prendra à sa charge la lutte contre la xénophobie qui fit de nouveau irruption dans le pays. Chargée de tout le malaise que procurait une présidence incapable d’enrayer la corruption galopante, les vieilles habitudes des nantis qui refaisaient surface. Cette même poésie qui vint frayer son jour sous les paupières presque closes de Mandela, dans cet étrange suspens du temps de son agonie. Le regard vigilant, à scruter l’impact énorme de la situation historique sur la vie intime des êtres.

amandla.jpgLe poète africain s’est fait critique, passeur. Et parce qu’il nourrissait un grand espoir pour les êtres de cet étrange contrée, il conservait dans le même temps une fabuleuse exigence pour les dirigeants du pays. Le combat n’est jamais fini. Les poètes sud-africains ne voulaient pas imaginer que les choses pouvaient en rester là. Nous aimons-nous comme cela ?, interrogeaient-ils. Une question qu’il serait bon de voir la France se poser… Ils convoquèrent cette mémoire marquée au fer rouge. L’apartheid les avait blessés. Durablement. Cristallisant le politique dans l’intime de chaque chair. Et c’est peut-être la raison pour laquelle, à lire cet ensemble, on y éprouve tant de proximité, d’intimité : la pleine mesure du poids du monde balançant entre le trivial et le sublime, qui sont les vrais lieux du poème.

Cette poésie, Denis Hirson la scrute avec passion. Il l’a lue, ressentie, étudiée enfin. Il l’a scrutée et a observé comment elle s’est libérée de ses chaînes formelles. Il observe avec une rare acuité comment la question du temps y est vrillée. Un temps enfin libéré, démultiplié en temporalités distinctes où le plus lointain du passé africain remonte avec force pour féconder l’aujourd’hui. Tout le contraire de ce temps assiégé, investi, enfermé, cadenassé sous l’apartheid. Mais un passé en construction, s’ouvrant à tous les possibles de ses étendues pour former peu à peu une mémoire enfin collective, partageable enfin, réellement et non quelque idiome à l’usage des seuls nantis. Les Africains ont traversé les montagnes, les continents, les mers, les époques et le pire de l’humain. Et ce flux incroyable de voyageurs nés fait retour ici, pour nous offrir un territoire qui n’est plus borné mais s’offre à penser comme monde ouvert à l’ouvert. Pour preuve, le fourbissement des langues qui traversent cette anthologie : pas moins de onze, souvent chevillées au cœur d’un même poème, comme le pratique un Vonani Bila, passant de l’anglais au tsonga, du tsonga au sotho du nord ou au zoulou. Un élan incroyable a envahi cette poésie sud-africaine, contrainte, faute de traducteurs, de se traduire elle-même, de chercher les voies pour le faire, entre l’argot des townships et les poèmes à forme orale, entre l’arabe, le russe et le français, pour fomenter une langue infiniment jouissive, inventive, révélant la seule chose qui compte : l’intimité des relations humaines, dans un pays où jusque-là on lançait les uns à la figure des autres.

 

Pas de blessure pas d'histoire, Poèmes d'Afrique du Sud 1996-2013, édition dirigée par Denis Hirson, collages A.D. Sauzey, Bacchanales n°50, Maison de la poésie Rhônes-Alpes, Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne, nov. 2013, 228 pages, 20 euros, isbn 13 : 978-2-36761-002-3.

 

Vonani Bila : http://www.joel-jegouzo.com/article-silence-de-vonani-bila-afrique-du-sud-117993216.html

 

Ari Sitas :http://www.joel-jegouzo.com/article-ari-sitas-biennale-internationale-des-poetes-118111052.html

 

http://www.joel-jegouzo.com/article-afrique-du-sud-une-traversee-litteraire-118239782.html

 

Gcina MHLOPHE :http://www.joel-jegouzo.com/article-souviens-toi-president-121922952.html

image : Vonani Bila, invite d ela librairie L’établi, à Alfortville (94400)

 

 

 

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