Le Parlement des Invisibles, Pierre Rosanvallon
La Femme aux chats, Guillaume Le Blanc
Pour une planète équitable, Marie Duru-Bellet
Moi, Anthony, ouvrier d’aujourd’hui
Sitting Bull, le bison des Grandes Plaines
Mcafee (inventeur de l’antivirus) : itinéraire d’un paranoïaque
Portrait de John Mcafee, le père de l’antivirus, par un journaliste qui a su gagner la confiance d’un personnage particulièrement frappé et qui ne cesse depuis de s’en mordre les doigts… Barré, le créateur du concept de virus informatique l’était depuis ses plus tendres années, bourré de cocaïne qu’il trafiquait volontiers sur les bancs de la fac en même temps qu’il se taillait une réputation de grand buveur de scotch devant l’éternel, mais de piètre étudiant en mathématiques. Un fou furieux désormais, en quête de croisade, ennemi juré des drogués dont il continue de partager les meilleurs produits, et des alcooliques, bien qu’ils possèdent des bars où l’alcool coule à flot… Enfermé dans sa propriété des Caraïbes, notre homme est surveillé en permanence par dix barbouzes alors qu’il s’est retiré des affaires, et retranché derrière un arsenal militaire conséquent qui aiguisant l’inquiétude de ses voisins. Un vrai fort Alamo que sa ferme… Jamais assez prudent, Mcafee est allé jusqu’à faire construire un commissariat offert aux autorités locales avec des caisses de M16, alors qu’il est lui-même suspecté du meurtre de l’un de ses voisins et qu’il vit avec une demi-douzaine d’adolescentes, dont la plus jeune a 17 ans, sans être le moins du monde inquiété… La biographie des délires de ce milliardaire donne le vertige. Celle d’un bonimenteur à vrai dire, qui dans les années 80 mit le paquet en communication pour assurer les entreprises californiennes de ses services. En fait c’est en propageant sa parano qu’il a réussi à les convaincre de se doter d’anti-virus, allant jusqu’à sillonner les routes de Californie au volant de son camping-car, transformé pour l’occasion en première «unité paramédicale d’antivirus» (sic), proposant sinon provoquant le mal qu’il se proposait d’éradiquer. On le sait désormais, ce mal ne prospéra jamais autant depuis, tout comme toutes les entreprises dédiées, son business explosant assez pour qu’il le conduire à revendre son entreprise près de huit milliards de dollars à Intel, un argent dont l’homme ne sait que faire, sinon le dépenser en achats de protections de toute sorte ou l'investir dans la création d’un labo de chimie perso, où des biologistes recrutés par ses soins s’affairent à la mise au point d’un nouvel antibiotique destiné à révolutionner l’industrie pharmaceutique mondiale… Pur produit des goldens boys de l’ère Reagan, voilà qui fait froid dans le dos !
John McAfee, un terroriste moderne, Joshua Davis, traduction de Géraldine Prévot, Inculte Editions (8 janvier 2014), 90 pages, coll. Inculte - Temps, ISBN-13: 979-1091887137.
Edward S. Curtis : La fabrique du North American Indian
SKYNET : Les marchés financiers contre la société
Traité d'esclaves, Ari Sitas (Afrique du sud, extrait)
I.
Je me suis fait sangler par eux à un siège et ils ont soulevé mon corps gonflé, pourrissant au soleil
et ils m'ont porté le long de chemins âcres, sinueux
pour me descendre à la mer.
Ils vont nous compter après le déluge et nous serons
toujours deux
je pensais
après le déluge, nous serons comptés deux par deux
je pensais
mais au fond de moi je savais que l'Afrique avait des
façons plus sages
et sur la route, l'os et l'arbuste coupaient profondément
mon âme
ils vont nous compter un à un à califourchon sur nos lits
isolés
sinon ils ne vont pas nous trouver quand le décompte
commencera
et nous allons nous éloigner avec juste notre souffle
putride
et nous allons tailler le paysage
sans charrue, ni fleur ni coeur
non, avec une hache.
traduit de l'anglais par Katia Wallisky et Denis Hurson.
Pas de blessure pas d'histoire, Poèmes d'Afrique du Sud 1996-2013, édition dirigée par Denis Hirson, collages A.D. Sauzey, Bacchanales n°50, Maison de la poésie Rhônes-Alpes, Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne, nov. 2013, 228 pages, 20 euros, isbn 13 : 978-2-36761-002-3.
Le combat n’est jamais fini : la poésie Sud-Africaine contemporaine
Pas de blessure, pas d’histoire… Le titre de l’opus est à prendre avec des pincettes et pourrait même paraître douteux à laisser entendre qu’au fond, l’Histoire ne pourrait s’écrire que dans la douleur… D’autant que le pays dont il est question en a supporté plus qu’à son tour, qui commence tout juste de s’affranchir de l’apartheid. La poésie d’Afrique du Sud se dévoile ainsi, pleine d’énergie, d’inventions, d’intentions. Diversifiée à l’extrême plutôt que partant dans tous les sens, couvrant tous les registres, du plus intime au plus collectif de l’être, articulant le social au personnel, le politique au quotidien, sans jamais se délester des sommations des questions d’identité.
Fin 80, tout commençait alors. C’est là qu’elle semble plonger ses racines, son renouveau, davantage que dans la période spécifiée ici, difficile et confuse, en particulier celle des années 1996– 1998, qui vit la mise en place de la fameuse Commission Vérité et Réconciliation, rouvrant les tombes, captant les témoignages, les voix, arrachant des mains spoliées ou sanguinaires le chagrin et la clémence qu’appelait Mandela (Antjie Krog) en un immense travail de mémoire que peu de nations ont osé affronter. C’est que l’humain faisait alors de nouveau surface, s’offrant enfin au surgissement de l’Histoire dans un moment infiniment, intimement politique. Un temps au cours duquel on lisait des poèmes pendant les audiences de la Commission ! Comme si la poésie avait été la seule langue dans laquelle ouvrir un vrai débat collectif, la seule à savoir prendre la mesure de la tâche qui attendait l’Afrique du Sud ! Bourreaux et victimes assis sagement pour entendre cette poésie s’énoncer et exhorter Mandela à ne jamais oublier que le combat n’est jamais fini. Cette même poésie qui, en 2008, prendra à sa charge la lutte contre la xénophobie qui fit de nouveau irruption dans le pays. Chargée de tout le malaise que procurait une présidence incapable d’enrayer la corruption galopante, les vieilles habitudes des nantis qui refaisaient surface. Cette même poésie qui vint frayer son jour sous les paupières presque closes de Mandela, dans cet étrange suspens du temps de son agonie. Le regard vigilant, à scruter l’impact énorme de la situation historique sur la vie intime des êtres.
Le poète africain s’est fait critique, passeur. Et parce qu’il nourrissait un grand espoir pour les êtres de cet étrange contrée, il conservait dans le même temps une fabuleuse exigence pour les dirigeants du pays. Le combat n’est jamais fini. Les poètes sud-africains ne voulaient pas imaginer que les choses pouvaient en rester là. Nous aimons-nous comme cela ?, interrogeaient-ils. Une question qu’il serait bon de voir la France se poser… Ils convoquèrent cette mémoire marquée au fer rouge. L’apartheid les avait blessés. Durablement. Cristallisant le politique dans l’intime de chaque chair. Et c’est peut-être la raison pour laquelle, à lire cet ensemble, on y éprouve tant de proximité, d’intimité : la pleine mesure du poids du monde balançant entre le trivial et le sublime, qui sont les vrais lieux du poème.
Cette poésie, Denis Hirson la scrute avec passion. Il l’a lue, ressentie, étudiée enfin. Il l’a scrutée et a observé comment elle s’est libérée de ses chaînes formelles. Il observe avec une rare acuité comment la question du temps y est vrillée. Un temps enfin libéré, démultiplié en temporalités distinctes où le plus lointain du passé africain remonte avec force pour féconder l’aujourd’hui. Tout le contraire de ce temps assiégé, investi, enfermé, cadenassé sous l’apartheid. Mais un passé en construction, s’ouvrant à tous les possibles de ses étendues pour former peu à peu une mémoire enfin collective, partageable enfin, réellement et non quelque idiome à l’usage des seuls nantis. Les Africains ont traversé les montagnes, les continents, les mers, les époques et le pire de l’humain. Et ce flux incroyable de voyageurs nés fait retour ici, pour nous offrir un territoire qui n’est plus borné mais s’offre à penser comme monde ouvert à l’ouvert. Pour preuve, le fourbissement des langues qui traversent cette anthologie : pas moins de onze, souvent chevillées au cœur d’un même poème, comme le pratique un Vonani Bila, passant de l’anglais au tsonga, du tsonga au sotho du nord ou au zoulou. Un élan incroyable a envahi cette poésie sud-africaine, contrainte, faute de traducteurs, de se traduire elle-même, de chercher les voies pour le faire, entre l’argot des townships et les poèmes à forme orale, entre l’arabe, le russe et le français, pour fomenter une langue infiniment jouissive, inventive, révélant la seule chose qui compte : l’intimité des relations humaines, dans un pays où jusque-là on lançait les uns à la figure des autres.
Pas de blessure pas d'histoire, Poèmes d'Afrique du Sud 1996-2013, édition dirigée par Denis Hirson, collages A.D. Sauzey, Bacchanales n°50, Maison de la poésie Rhônes-Alpes, Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne, nov. 2013, 228 pages, 20 euros, isbn 13 : 978-2-36761-002-3.
Vonani Bila : http://www.joel-jegouzo.com/article-silence-de-vonani-bila-afrique-du-sud-117993216.html
Ari Sitas :http://www.joel-jegouzo.com/article-ari-sitas-biennale-internationale-des-poetes-118111052.html
http://www.joel-jegouzo.com/article-afrique-du-sud-une-traversee-litteraire-118239782.html
Gcina MHLOPHE :http://www.joel-jegouzo.com/article-souviens-toi-president-121922952.html
image : Vonani Bila, invite d ela librairie L’établi, à Alfortville (94400)