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La Dimension du sens que nous sommes

De la Dignité de l’Homme, Pic de la Mirandole

28 Février 2017 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essais

Les éditions de l’éclat ont publié en septembre 2016 une nouvelle traduction de l’introduction de Pic de la Mirandole à ce qui devait être son œuvre majeure, jamais réalisée. Fin 1485 en effet, Giovani voulut faire venir à ses frais les plus grands savants de son temps pour discuter 900 thèses intellectuelles et spirituelles accumulées depuis l’Antiquité par l’humanité. Tout connaître. Il n’avait que 23 ans et passait déjà pour un érudit hors norme. Discrédité par sa volonté d’intégrer aussi des thèses de «Magie», Giovani dut se résoudre à publier, seul, ses Conclusiones, un monument de connaissances, labyrinthique, et dont la forme déroute à maints égards. C’est ici en quelque sorte l’introduction à cette œuvre qui nous est offerte, l’Oratio, élégant et savant qui, bien qu’écrit dans le plus pur style humaniste d’une rhétorique que par ailleurs il dénonça avec force, nous offre une réflexion philosophique de tout premier choix. Un texte documenté à l’envi, gorgé de lectures dont il rend compte abondamment, dans un style qui mériterait à lui seul une thèse –mais parfaitement instruit pour nous par Yves Hersant. C’est que l’éloquence, ici, doit servir la vérité. L’orateur s’est voulu philosophe, mais enracinant sa pensée dans une sorte de philosophie paradoxale qui n’a de cesse que de chercher ce qui peut unifier toutes les doctrines en lice par-delà leurs différences. Concordia Discors, souhaitait Pico, car ce qui lui importait c’était de repérer ce qui fondait la différence de l’homme au sein de la Création, cette différence qu’il nomme sa dignité. Une dignité qui n’est rien d’autre que sa liberté, aux bases incertaines : «faute de nature propre, l’homme doit prendre en charge toute la nature », c’est-à-dire la connaître. Adam, à ses yeux, est ainsi par défaut ouvert à tous les possibles. Et en poète de lui-même, il ne peut et ne doit que s’auto-créer. C’est là que repose la dignité de l’homme, dans cette autorévélation pathétique si l’on peut dire, et c’est mà que repose sa différence et sa supériorité sur l’ensemble de la Création, anges compris. «Toi, aucune restriction ne te bride, c’est ton propre jugement auquel je t’ai confié, qui te permettra de définir ta nature ». Toutes les Lumière sont contenues dans cette petite phrase tragique. Tout ce à quoi l’humanité n’a pu que se confronter. Ni céleste, ni terrestre, ni mortel, ni immortel, l’homme, ce caméléon, ne peut échapper à l’injonction qui lui est faite de se donner sens. Son histoire ? C’est la dimension du sens qu’il voudra bien être…

 

De la Dignité de l’Homme, Pic de la Mirandole, traduit du latin et commenté par Yves Hersant, éd. L’éclat, coll. Poche, septembre 2016, 106 pages, 7 euros, 9782841624034.

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L’Homme augmenté

27 Février 2017 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essais

Dans une conférence publiée par les éditions Frémeaux, Luc Ferry évoque avec enthousiasme cette médecine augmentative grâce à laquelle, vraisemblablement, nos chances de mourir s’amenuiseront. Certes, nous mourrons toujours, mais bien plus tard qu’aujourd’hui et en bien meilleur santé –pour autant qu’un tel jeu de mots ait du sens. «C’est pas idiot», ajoute-t-il, poursuivant sa réflexion avec toujours beaucoup d’élégance pour nous livrer –c’est là son grand mérite- tous les points de vue en concurrence. L’homme augmenté. De quoi s’agit-il ? De fabriquer purement et simplement une nouvelle espèce humaine, telle qu’un Condorcet, naguère, l’avait appelée lui-même de ses vœux dans son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’humain, texte fondateur s’il en est de cette idée transhumaniste que défend avec enthousiasme Luc Ferry. Une vague, qui suscite bien des oppositions certes, à commencer par celle des religions, et bien des exaltations, mais une vague dont on peut être sûr, en régime néolibéral, que rien ne l’arrêtera. Pour Condorcet donc, il s‘agissait de perfectionner la nature humaine. «Perfectionner»… Toute l’ambiguïté est là : l’homme augmenté, a priori, n’est pas l’homme amélioré et cependant ces deux horizons ne cessent de se chevaucher, aussi bien dans le discours de Condorcet que dans celui de Luc Ferry. Perfectionner la nature humaine… Au nom de quoi ? Au nom de la philosophie des Lumières énonce sans sourciller Luc Ferry, reprenant à son compte la réflexion de Condorcet affirmant que «la nature n’a mis aucun terme à nos espérances» et que donc, cet eugénisme positif est en tout point conforme à l’idéal égalitariste et démocratique d’une société fondée sur les lumières de la raison : il ne s’agit en fait que de redistribuer les ressources génétiques inégalement réparties, il ne s’agit en somme que de corriger des inégalités criantes, au nom de la Justice. Pourquoi devrions-nous naître avec un handicap dès l’aube de notre vie ? Pourquoi avoir peur de modifier l’humain, surtout lorsque l’on découvre que par son alimentation il ne cesse déjà d’agir puissamment sur son patrimoine génétique ? En outre, s’amuse Luc Ferry, quand on voit ce que l’homme est devenu, moralement, au terme de ce XXème siècle des totalitarismes, on ne voit guère en effet ce que l’on aurait à redouter à le vouloir meilleur… C’est là que le bât blesse. Dans son exposé, Luc Ferry ne cesse d’entretenir la confusion entre augmentation et amélioration. A l’entendre on peut penser que oui, l’augmentation de l’homme peut lui donner des chances de s’améliorer. Alors, certes, il pourrait y avoir des dérives : un dictateur pourrait songer à se constituer une armée d’hommes terriblement augmentés et faire basculer le monde dans l’horreur. Mais c’est là un risque négligeable au regard des avantages que chacun y trouverait et puis, tout le problème, à ses yeux, ne peut être que celui des régulations, des balises, des limites qu’il nous faudra nous donner. Un vœu bien piquant dans le cadre d’un monde néolibéral dérégulé…

Lorsque l’on se penche sur l’argumentation de Luc Ferry, il y a un point aveugle qui étonne : au fond, toute cette justification se fait au nom des Lumières, selon un très vieux modèle philosophique au sein duquel, in fine, ce n’est pas l’homme la finalité de l’humain, mais l’Intelligence. Or si l’on prend l’intelligence pour finalité du développement de l’univers, l’espèce humaine n’est au fond qu’un moment de l’évolution de cette intelligence et non son point d’arrivée. Ce qui permet en effet de sacrifier l’humanité sur l’autel du déploiement de cette Intelligence… Voilà qui n’est pas sans rappeler les idées d’un Spencer finalement, mauvais lecteur de Darwin, affirmant que puisque, dans la nature, les variations avantageuses se pratiquent sur un très long terme, l’homme peut en accélérer le processus. Comme il l’a fait dans le cadre de l’élevage domestique. Rappelons qu’au moment où Darwin rédige son œuvre, les penseurs du Libéralisme cherchent une justification morale au système d’exploitation qu’ils mettent en place. Une explication qui puisse ravir les masses exploitées elles-mêmes, et justifier l’exclusion des plus faibles. Ces penseurs croient la trouver dans cette conception selon laquelle la finalité de la vie sur terre est celle de la sélection naturelle, que l’on doit appliquer dans toute sa rigueur à la société humaine. Seuls les plus forts sont nécessaires. Pour nous, désormais, traduisons : seuls les plus intelligents, les plus aptes à déployer l’Intelligence dont nous ne sommes pas les dépositaires uniques, sont nécessaires. Et encore : seule l’Intelligence est nécessaire ! A l’époque de Darwin, Herbert Spencer parcourait les salons mondains pour diffuser son idée génialement simple. On l’invitait partout. On l’écoutait, on le publiait. D’un transformisme darwinien mal digéré, il était passé à un évolutionnisme philosophique pratique que tout le monde reprenait en cœur. Une idée vite transposée dans la pseudo pensée économiste qui se mettait en place, laquelle énonçait que le marché, vertueux, devait être libéré de toute contrainte étatique. Plus tard et jusque sous la plume de Luc Ferry on trouvera une reprise de cette idée sous une forme nouvelle : celle de Schumpeter et de son innovation destructrice. Le darwinisme social venait de naître, contredit bientôt par Darwin lui-même, qui publie en 1871 son livre majeur : La Filiation de l’Homme, pour couper court aux malentendus. Dans cet ouvrage passé inaperçu, Darwin construit un discours essentiel sur l’homme et la civilisation humaine et ouvre à une éthique sociale des plus intéressantes. Il montre que la sélection n’est pas la force prépondérante qui dirige l’évolution des sociétés humaines : dans un tel milieu, affirme-t-il, les relations de sympathie l’emportent sur les relations d’affrontement. Termes d’une utopie contemporaine sur laquelle revient Luc Ferry, volontiers moqueur de cette prétendue sympathie qui ne serait plus du tout le lieu de déploiement de la société humaine contemporaine. «La marche de la civilisation, affirme pourtant Darwin, est un mouvement d’élimination de l’élimination ». Traduisez : de l’exclusion qui aura été le moteur essentiel du libéralisme. L’horizon éthique qu’il construit est limpide : pour lui, l’individu le meilleur est celui qui est le plus altruiste et le plus porté vers le bien-être social du groupe dans son entier. La grande morale de la civilisation trouve ainsi son ancrage dans le secours aux plus faibles : «La grandeur morale d’une civilisation s’exprime non dans la Domination, mais dans la reconnaissance de ce qui, chez le faible et le dominé, qu’il soit humain ou animal, nous ressemble assez pour mériter notre sympathie ». A condition bien sûr de prendre l’homme pour une fin, et non un moyen, celui du déploiement de l’Intelligence, dont on peut penser raisonnablement qu’artificielle elle se déploierait mieux encore sans lui. Mais plutôt que de sacrifier l’idée d’humanité, peut-être devrions-nous repenser cette augmentation dans un autre cadre idéologique que le néolibéralisme, la plus désespérante des idéologies jamais inventées par l'homme !

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L’uberisation du monde…

23 Février 2017 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Luc Ferry, ancien Ministre De l’Education Nationale, philosophe, s’est interrogé d’une curieuse manière sur l’économie dite collaborative, en prenant pour modèle achevé de cette forme d’organisation airbnb, sinon Uber, et en posant essentiellement la question de savoir si elle traduisait une fin du capitalisme, oubliant au passage que, plutôt que d’inscrire une sortie du modèle capitaliste, cette économie collaborative s’était d’abord consignée dans une attitude de défiance à l’égard du fonctionnement du modèle capitaliste dans ses dérives néolibérales. Défiance quant à nos consommations alimentaires par exemple, et ces produits clairement empoisonnés sortis tout droit de l’industrie agro-alimentaire française, défiance ouvrant à une réflexion éthique et politique pour chercher, ici, maintenant, des solutions partielles à l’intérieur d’un système mortifère, sans lui tourner pour autant le dos. Economie de solutions donc, de fonctionnalités, l’économie collaborative s’est ainsi développée dans les plis du système capitaliste, dans ses interstices, non pour le révolutionner mais pour ne pas en subir trop frontalement les conséquences funestes. Un aménagement en somme, en attendant des jours meilleurs. Il s’agit ainsi plus d’un tissu économique en peau de léopard où privatiser quelques moments de sécurité et de libertés, que d’un modèle alternatif et moins encore d’une rupture. En outre, son périmètre sociologique, pour peu qu’on veuille bien en tenir compte, révèle à soi seul ses conditions de faisabilité et les bornes de son horizon politique. Qui ne sont en rien celles de l’uberisation du monde justement. Car avec Uber, on a affaire à un modèle beaucoup plus obsolète que ne l’imagine Luc Ferry et qui renvoie plutôt à celui de l’esclavagisme. Sur ce point, son enthousiasme trahit les limites d’une approche exclusivement philosophique, qui aurait besoin d’un sérieux correctif sociologique. Prenons Uber. Luc Ferry évoque la concurrence singulière faite aux chauffeurs de taxi comme le symptôme de sa geste, attisant les foudres de ces derniers, conçus comme représentants d’un vieux monde, leur révolte s’apparentant à son idée à celle des canuts contre les machines, sincères mais déjà condamnée par l’histoire en marche. Mais dans la réalité, qu’avons-nous ? La colère des chauffeurs de taxi contre cette concurrence déloyale n’était pas le phénomène social le plus intéressant à observer dans le cas d’Uber. En grève, les chauffeurs de VTC ont mieux révélé la logique de ce modèle : celle d’un esclavage moderne. Ils parlent du reste d’humiliation, d’un rapport salarial effarant, travaillant pour 3,75 euros de l’heure pour un patron qui peut les jeter, littéralement, du jour au lendemain sans avoir de comptes à rendre à quiconque… La marchandisation de la vie aboutit au fond à cette forme d’assujettissement dont on voit mal en quoi elle constituerait une avancée. Pour le reste, en prenant airbnb pour parangon, Luc Ferry là encore manque de recul sociologique pour en analyser la vraie dimension : imaginez des appartements des « tecis » en ligne sur la plateforme… Vous comprendrez alors le sens de l’offre mise en place et ses limites. La marchandisation de la vie est pour l’essentiel un retour à une forme d’économie servile pour les plus pauvres, un agrément pour les plus riches.

 

PENSER LE XXIÈME SIÈCLE - LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE - LUC FERRY

ÉCONOMIE COLLABORATIVE, TRANSHULANISME ET UBERISATION DU MONDE

Direction artistique : Claude Colombini et Patrick Frémeaux / Editorialisation : Lola Caul Futy

Label : FREMEAUX & ASSOCIES

Nombre de CD : 4

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Penser le XXIème siècle, Luc Ferry

21 Février 2017 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essais

Schumpeter ou Keynes ? La relance par l’offre ou la relance par la demande ? Dans la vision que Luc Ferry nous propose, l’alternative semble simple : Schumpeter ET Keynes –ce qui n’est pas son choix. Mais encore faut-il savoir pourquoi. Et pour cela, Luc Ferry s’est employé à décrypter notre futur proche à la lumière des innovations technologiques qui le profilent déjà. Un autre monde s’inaugure, dont il déplore que nos politiques aient si peu conscience. Si peu de curiosité devant ses tenants pourtant exhibés partout. Si peu d’intelligence devant ses soubassements qu’un gamin de dix ans, aujourd’hui, saurait pourtant leur révéler. Une révolution, mais une révolution dont la logique serait inscrite dans notre histoire, celle du capitalisme, qui ne tirerait en rien vers sa fin. D’un capitalisme dont la logique profonde serait, justement, schumpéterienne : celle de l’innovation. Continue. C’est cela, la nature profonde du capitalisme moderne : l’innovation, son ressort intime, sa raison d’être, qui fait que demain l’i-phone 8 détrônera l’i-phone 7 dont plus personne ne voudra. Une innovation nécessairement destructrice donc, pour reprendre le langage schumpéterien, qui fait qu’aujourd’hui des millions d’emplois sont détruits parce qu’ils occupent dans le champ de l’innovation les cases du vieux, de l’obsolète, de l’inutile, du rétrograde. Qui fait que des millions de gens, nécessairement, sont fatalement jetés dans la misère, en attendant que les nouveaux emplois de cette ultime révolution arrivent, non moins fatalement. Il suffirait d’attendre donc, que la transition s’accomplissent, que le vieux monde ait été ravagé pour qu’enfin, ses décombres en libèrent un nouveau, tout beau, tout neuf, offrant fatalement des emplois à foison. Est-ce que les choses ne se sont pas déroulées ainsi, par le passé ? Dans les fabriques, les manœuvriers cassaient les machines qui leur volaient leur pain et puis ces machines ont créées des millions d’emplois qui ont permis de substituer aux manœuvriers des ouvriers cette fois, une classe entière, appelée aujourd’hui à disparaître, fatalement. Il suffirait donc d’attendre. De se montrer patient. Non, pas exactement. Ce serait grossir le trait. Luc Ferry en est bien conscient. Conscient des drames, de la tragédie qui affecte des millions de nos concitoyens jetés dans les affres du non-emploi. A l’entendre, on comprend que tout se joue pour nous, aujourd’hui, c’est-à-dire d’une manière très provisoire, dans la régulation de cette transition. Des millions d’emplois doivent disparaître. La richesse reviendra à coup sûr, qui déferlera sur tous les ménages demain, mais quand ? On n’en sait rien. Il nous appartient donc de gérer cette période de transition au mieux. A nous de négocier, de soulager le sort des uns, pour abandonner les autres à leur sort, inévitablement. Car quels secteurs de l’activité industrielle soutenir ? Quels secteurs décramponner ? D’où le formidable enjeu que représentent l’éducation et la formation permanente : chacun ne doit-il pas s’adapter à ce nouveau monde qui nous arrive ? Il faudrait alors concevoir un subtil dosage entre les aides à apporter aux uns et les refus aux autres, entre les investissements logiques et les  sauvetages désastreux pour que notre monde ne sombre pas en route dans l’horreur économique. Beaucoup de Schumpeter pour Luc Ferry, et un peu de Keynes en quelque sorte, moins pour relancer la demande que pour ne pas laisser mourir ces milliards d’êtres humains devenus inutiles, ou du moins, qui ne sont pas calibrés pour la révolution en marche. Tout ne serait qu’une question d’équilibre. Comme toujours, la démonstration de Luc Ferry importe finalement moins que sa pédagogie. Extraordinaire, elle nous invite à, presque, comprendre tous les termes du débat, toutes les opinions en présence, toutes les philosophies en concurrence. Tous les tenants, sauf un. De taille : la financiarisation du monde. C’est au fond le grand oubli de cette démonstration généreuse, enthousiaste. L’oubli de la financiarisation du monde, qui ne s’inscrit ni dans une logique schumpétérienne, ni keynésienne : la finance, et par finance n’entendez pas Wall Street ou la CAC 40, qui ont encore beaucoup à voir avec l’économie dite réelle, celle des barons d’industrie, mais celle qui s’en est détachée et qui, mathématiquement, compte ses bénéfices en nanosecondes et fait profit de tous bois, autant des dettes souveraines que de leurs défauts de paiement. Celle qui gagne de l’argent quand le CAC 40 en gagne, et qui en gagne encore quand le CAC 40 en perd. Celle qui a parié sur la faillite de la Grèce et celle qui a parié sur sa diète sacrificielle. Celle des paradis fiscaux, des places off-shore, des bourses privées, des dark-pool, qui pèse six fois le PIB mondial et dont nous ne voyons la couleur que lorsqu’une banque, acculée à la faillite pour avoir mal parié, nous contraint à la sauver... Celle des fonds vautours qui s’abattent sur les entreprises qui des bénéfices pour les dépecer, qui s’abattent sur les entreprises qui n’en dégagent pas pour les démembrer,  cette finance qui mise autant sur l’innovation que sur le rétrograde. Ni schumpéterienne, ni keynésienne, la finance est un fantôme qui ne poursuit qu’un objectif, celui du profit maximal qui défait le monde et se fiche bien de ses révolutions. C’est cette finance qui a changé la nature du capitalisme historique et qui s’est greffée sur lui comme un parasite sur un corps sain, ce corps sain que nous décrit Luc Ferry, et auquel on ne comprend rien si on lui soustrait, justement, ce qui le parasite et le menace. Cette finance sans nom, sans visage, déracinée, et pour laquelle l’homme est un moyen et non une fin. Ce qu’oublie Luc Ferry, c’est ce changement de nature du capitalisme, en devenant financier. Encore que l’expression soit inexacte : le capitalisme est, et n’est pas que financier. Le mode schumpéterien du capitalisme coexiste bel été bien avec le capitalisme financier dont les richesses ne déferlent pas sur nos têtes. Dont les richesses sont accaparées par très peu de terriens, une poignée, qui les a soustraites du cycle du capitalisme schumpéterien. Pour preuve, toutes les analyses sociologiques qui montrent combien notre monde est aujourd’hui plus inégal qu’il ne l’était il y a cent ans. Un capitalisme financier qui menace toute la belle logique du capitalisme schumpéterien et qui coupe l’humanité en deux, ouvrant en grand l’abîme des laissés pour compte. Ouvrant de fait un futur plus indécidable encore que ne le pense Luc Ferry. Et beaucoup plus dangereux, si bien que le XXIème siècle sera d’abord celui des grandes catastrophes planétaires…

PENSER LE XXIÈME SIÈCLE - LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE - LUC FERRY

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Le Quatrième mur, Julien Bouffier, Cie Adesso E Semere

3 Février 2017 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Beyrouth, été 1982. A quelques semaines de l’écrasement de la ville sous les bombes israéliennes. A quelques semaines de son invasion par les forces militaires israéliennes. A quelques jours des massacres des populations civiles de Sabra et Chatila. Beyrouth, ré-ouverte à son supplice qui n’a en rien affecté le monde occidental. Beyrouth, pas même notre mémoire commune, à peine son souvenir aujourd’hui, enseveli sous tant d’autres massacres que nous avons déplorés déjà… Samuel voulait y monter Antigone. Les comédiens étaient prêts, ou presque. Créon était chrétien, Antigone palestinienne, lui, juif. Il avait recruté des druzes. Des chiites, des sunnites, dans ce Beyrouth en guerre contre lui-même, avant que les israéliens ne viennent semer leur mort parmi les populations palestiniennes livrées à leur holocauste. Mais Samuel va mourir. Et charge son ami(e) de toujours de monter pour lui la pièce. A Beyrouth. De part et d’autre de la ligne de démarcation, de cette fameuse ligne verte sous le tir des snippers. Monter Antigone. A Beyrouth. Une idée vaine sans doute, celle d’un rêve gauche, étranger à la réalité de la souffrance humaine. Monter Antigone, l’égérie du refus d’obéissance, comme un espoir vain de réconciliation de peuples dressés les uns contre les autres. Un geste politique ? De simple humanité, s’entendent les chefs de guerre. Car à quoi bon le théâtre, sur le théâtre de la guerre ? L’Antigone de Anouilh qui plus est, celle de 44. Celle d’une autre guerre, chargée de rassembler des comédiens aux susceptibilités exacerbées. Sont-ils comédiens ou druzes ? Palestiniens ou saltimbanques ? De quel théâtre au vrai : celui des opérations ou celui qui nous en sépare, prétendant nous l’offrir mieux ? De quoi le théâtre est-il le nom, serions-nous tenté d’écrire, si l’expression n’était à ce point galvaudée. Mais c’est bien autour d’elle que tourne Sorj Chalandon, avec son propre texte publié si tard après les événements : en 2013 ! Si longtemps après le martyre libanais. Prix Goncourt des lycéens l’année même de sa parution. Un roman. Je ne l’ai pas lu. Je ne sais donc que dire de ce qui revient à la mise en scène ou au roman, sinon que la pièce frappe fort, nous jette dans un vrai malaise autour de ce quatrième mur, symboliquement, celui qui nous sépare de la réalité du monde autant qu’il nous sépare du jeu des comédiens sur scène. Ce quatrième mur qui est comme une ligne de démarcation entre les comédiens et nous, mais nous rassemble dans une même interrogation : de quoi le théâtre est-il le nom ? Vanité. Autant la nôtre que celle du comédien sur scène. Vanité d’un réel que nous ne savons jamais atteindre mais qui sait, lui, nous rattraper dans le fracas de son idiotie. Une pièce n’est pas un champ de bataille, qui pourtant sait nous livrer à des émotions troubles, quand le récit, lui, demeure ouvert à de nouvelles possibilités de violence. Sabra jonchée de morts. La pièce vient se clore sur cette suffocation, le décor à terre, la lumière revenue sur scène et tout autour d’elle, le public soudain montré à lui-même. Le chaos se fait entendre alors sous le texte, mais si loin encore que l’être-là du public ne sait où le toucher. C’est son présent qui manque, auquel la mise en scène vient magistralement substituer notre présence à nous, public, face à un texte insupportable dans l’évocation des corps suppliciés des bébés palestiniens de Chatila. Et dans cette présence soudain arrachée par la mise en scène théâtrale, les comédiens ont gagné quelque chose : ce malaise qui nous gagne, qui est l’événement où tout «vrai» théâtre sait aboutir.

 

Le Quatrième mur, mise en scène de Julien Bouffier, Cie Adesso E Semere, Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-seine, 2 et 3 février 2017. D’après le roman de Sorj Chalandon, 20 août 2014, Le livre de poche, coll. Littérature & Documents, 336 pages,isbn : 978-2253179825.

 

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La France des Inquisiteurs tourne au jus de boudin...

2 Février 2017 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Les hommes politiques français sont des veaux. Pour paraphraser de Gaulle. Pas les français, contrairement à ce que prétendait ce dernier, dans leur exigence de transparence qu’une Mame vilipende avec tout le mépris dont est capable un élu aux abois, après en avoir elle-même rappelé l’impératif, mais appliqué aux classes modestes et pauvres bien sûr… Fraudes à la sécu, fraudes aux RSA, quand des milliards sont détournés jour après jour des comptes de la Nation pour satisfaire la suffisance d’une poignée de nantis. Mame comme Fillon, comme Valls, comme Marine… Allez, réalisons, dans l’ordre : Hollande ? Aux abonnés absents. Il squatte l’Elysée. Une première dans notre histoire : président vacant de la Vème décidément aussi peu ragoûtante que ne l’étaient ces pseudos Républiques qui l’ont précédée et qui ont toutes agonisées dans le déshonneur. Hollande ? Un président fictif, accroché à une fonction que son obstination ridiculise. Valls ? L’homme du 49.3 débarqué par les siens. Mais toujours en lice. Son gouvernement ? Toujours aux affaires. Jusqu’au bout accroché à ses prébendes. Ministres sans vergogne godillant une Loi que leur candidat se promet d’abroger ! Une première là encore, dans l’histoire républicaine ! Comme si de rien n’était, ils décrètent, égrènent article après article leur acharnement à détruire la Nation qui les a portés au Pouvoir sur un autre projet, en attendant d’afficher demain leurs nouveaux mensonges. Décidément, cette Vème est bien nauséabonde… Hamon ? Il jure de tourner la page de l’épisode sinistre en reconduisant aux mêmes postes les mêmes sinistres faquins ! Quelle farce ! Fillon, le candidat de l’autre droite ? N’en parlons même plus : sa femme vient de lui asséner le coup de grâce. Les rats quittent son navire. L’homme du discours moral se réveille K.O., étendu net par la force de frappe de son bien peu de moralité. Marine ? La taiseuse de l’affaire Fillon, la fille du château, empêtrée elle-même dans ses propres affaires financières douteuses… Penchée au-dessus de la même soupe, il lui reste encore à vomir sa bile raciste pour espérer faire la différence. Macron ? La baudruche des patrons en chasse de dividendes… Quel spectacle ! Tous accrochés à leur cassette... Ces gros sous qu’il faut dissimuler à présent. Tous occupés à inventer de nouveaux écrans de fumée, ces longs discours baveux sur l’état de la France, sur la nécessité d’introduire plus de morale dans la vie politique, dans la vie sociale, dans la vie économique… Sur la nécessité de faire rendre gorge à cette France d’en bas qu’ils méprisent tant ! A ces nantis de la Sécu, du RSA, du chômage… Les hommes politiques français sont des veaux qui voudraient nous conduire gentiment à l’abattoir. Des irresponsables qui ont déserté les seuls vrais chantiers qu’ils auraient dû ouvrir contre la misère sociale, la misère économique, la misère politique, la catastrophe écologique, contre cette précarité immonde dans laquelle ils ont précipités des millions de leurs compatriotes ! Leur violence est inouïe. Leur arrogance sans borne. Leur duperie totale. L’affaire Fillon en témoigne. Tout comme en témoigne cette «révolution» que nous promet Macron : le déchirement final de la Nation française dans l’abandon des populations exténuées ! Comment survivre à cette carte de l’oppression inique dessinée par nos Inquisiteurs ? Comment survivre à ce désastre ? Les veaux qu’ils sont ne voient même pas qu’un vent se lève, qu’une exigence se fait jour. Armés de leurs médias ils croient pouvoir surfer longtemps encore sur cette colère…

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Gangue son, Jean-Charles Massera

1 Février 2017 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Un récit. Ancien. « Programmatique ». Mais d’un projet qui était à l’époque destiné à avorter. Le récit d’une écriture au travail d’avorter. De s’avorter. En remix de la littérature  francophone et nord-américaine. Les années 50, 60, 70, 80… Une certaine idée de la littérature disait Jean-Charles Massera à l’époque. L’envie de tout recomposer, de donner forme à cet informe : nos vies éparses dans le train-train d’un quotidien dont nous ne savions pas mesurer le périmètre. Social, politique, existentiel. Quid de nous ? L’arpentant donc, à sa manière. Confuse, désordonnée. Pour tenter de lui donner du poids plutôt que du sens, en dénichant, peut-être, la bonne forme pour la dire, cette vie sans nombre. Une forme empruntée donc à ces années déferlantes. Sauf que, en trente ans, cela en faisait des idées de la littérature ! On comprend alors qu’il se soit rabattu sur celles qui faisait son, plutôt que sens. Informée par le rap, le free jazz, la poésie Beat. Entre Nabokov et Sollers tout de même. A ratisser large. Mais ça, c’était avant. Le Jean-Charles Massera d’avant. Pour les fans de l’actuel peut-être. Pour ceux qui vivaient sur les fins de Céline. Et encore. Le Jean-Charles d’avant avait terriblement réduit son périmètre au final, après avoir découvert ce qu’il y avait d’impossible dans sa tentative. Le cercle étroit donc, de l’inconscient masculin. Rien que ça ! Des phrases, tout simplement, de celles qui avaient irrigué une certaine langue de l’histoire littéraire… Gangue. C’était ça. Un récit « non émancipé ». Né d’une expérience esthétique. Gangue ne cherchait que la forme. Réduisant de ligne en ligne le champ de sa visée. Ce à quoi a cru une certaine non-littérature, offrant, elle le croyait, à la littérature des chances de se renouveler. Et à quoi elle ne pouvait pourtant se résoudre, ni se résumer. Mais avec la distance, curieux tout de même, ces stéréotypes que cette littérature de combat des stéréotypes pouvait véhiculer elle-même comme préjugés. La banlieue y est glauque par exemple. Crade. Destroyed. Que dire ? Les sixties n’ont pas eu la peau de la littérature, ni l’ancien Jean-Charles Massera. Reste l’éloquence du geste. La verve plutôt. Un dandysme brandissant forces références, une organisation citationnelle armée de l’entre-soi, quand il s‘agissait de ne pas écrire vraiment. Restent tout de même ces disjonctions, ces disruptions, le refus d’accepter le langage, sous la foison des références. Dante. On sait de quoi ça a l’air. Joyce. Poussin. Too much. Reste ce texte couturé d’égratignures comme un flot de paroles impropres. Et Céline. Céline… Moins la langue des bistrots, comme le pensait alors le Jean-Charles Massera de l’époque, que l’écho de nos incroyables empêchements.

 

Gangue son, Jean-Charles Massera, réédition armée d’une préface nouvelle, édition La ville brûle, collection Rue des lignes, à paraître, mars 2016, 104 pages 9782360120741.

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