La Barricade, Eric Hazan
L'histoire d'un objet qui a disparu du paysage révolutionnaire, bien que la rue soit restée un champ de bataille. Trois siècles d'histoire en fait, brossés par Eric Hazan, des Guerres de Religion à la Commune de Paris qui en signera le dernier acte, symptôme, peut-être, d'une stratégie de tragédie qu'allaient inaugurer les nouvelles batailles populaires dans Paris et sa banlieue. Une invention parisienne, qui finit par s'exporter partout en Europe, mettant en scène les mêmes ustensiles, les mêmes personnages, avec ses gamins de Paris, ses femmes, ses ouvriers, ses étudiants, un personnel constant d'une œuvre tout autant poétique que politique.
Tout commença le 12 mai 1588, avec les barricades de la Ligue prenant à leur piège les troupes d'Henri III. Eric Hazan en dessine le ferment : une authentique révolte populaire rencontrant des chefs pressés d'en découdre avec l'autorité centrale, et des troupes retournées, refusant de servir une répression injuste. Soit les ingrédients de la réussite de ces barricades victorieuses que Paris ne connaîtra plus trois siècles plus tard. Le comte de Brissac en serait l'inventeur. Saint-Séverin, Maubert, prodiguant ses conseils, il sut gagner la foule à sa stratégie, transformant les barricades en armes offensives, avançant littéralement sur les troupes pour les enfermer dans leur nasse et contraindre le roi à quitter Paris. Le grand mouvement est là, qui dessine son avant et son après : avant, les barricades au fond ne se contentaient pas d'être de simples objets symboliques, elles étaient une arme, offensive, avançant littéralement sur les troupes, séparant les colonnes, isolant leurs chefs, enfermant peu à peu des soldats désemparés dans leur piège parfait. Après, quand le Pouvoir eut compris ce fonctionnement et se mit à élargir les rues pour en rendre le retranchement impossible, elles devinrent défensives, signant la défaite des comités de quartier contre la puissance d'une répression au commandement unique. Car repliées dans l'identité de la rue-village, des barricades de la faim aux barricades de la révolte, partout l'élément spontanée finit par desservir leur cause. La barricade ne sera plus un engin militaire, mais un instrument politique. Le retournement est aussi là. Delacroix ne s'y est pas trompé, qui montre cependant encore le Peuple rassemblé dans l'assaut qu'il prodigue. 1830. L'apogée de la barricade selon Eric Hazan. Dans un grand mouvement offensif, le peuple enfermera une dernière fois les troupes armées, prises au piège de ce Paris des révolutions. Il restera aux Canuts de Lyon l'héroïsme d'écrire les dernières pages fiévreuses des barricades ouvrières, une poignée d'entre eux embusquée derrière elles, mettant à mal 8 000 soldats déconfits. Viendront ensuite les barricades du désespoir, celles de 1848, celles de la Commune de Paris, indéfendables désormais dans le Paris de Hausmann. Désormais écrit Eric Hazan, « toutes les batailles urbaines où l'insurrection fondera sa logique sur la barricade, seront défaites ». Aucune troupe, aucune police ne sera plus jamais pris au piège. De la barricade, il restera sa fonction symbolique, décryptée par l'auteur : le Peuple à l'épreuve de sa solidarité, de sa détermination, édifiant une vraie scène de théâtre, se créant lui-même derrière les pavés de Paris, subvertissant l'ordre physique de la ville, tout autant que son ordre politique, et disposant enfin d'une tribune depuis laquelle interpeller le monde et le Pouvoir en place. La suite sera plus incertaine. De l'héritage des barricades, il reste aux yeux d'Eric Hazan la fonction de blocage. Blocage des voies de communication par exemple, ferroviaires, routières. Et sur leur ruine, peut-être, cette guerre de partisan que les paysans bretons livrent, ou ces incendies de banlieue, invitant sur leur territoire les forces de l'ordre pour les affronter dans un mouvement désespéré, voués à l'échec, certes, mais dans la rage desquels proclamer leur identité confisquée.
La Barricade, Eric Hazan, Editions Autrement, collection Leçons de choses, 11 septembre 2013, 169 pages, 15 euros, ISBN-13: 978-2746732858.
De la régression électoraliste...
L’été en pente douce (vanité)
Sans doute tire-t-il son nom du film de Krawczyk sorti en 1986, dans lequel jouaient Villeret, Bacri et Pauline Lafont. Les actuels propriétaires ne le savent pas mais le supposent, du salon de thé qu’ils rachetèrent pour le transformer en restaurant. Mais peut-être est-ce le film qui tire son nom du salon de thé, après tout. La pente de sa terrasse y est si légèrement inclinée qu'elle vous convie, ce beau dimanche d'automne, à la plus indolente des matinées parisiennes. Les nuits n’y sont pas moins douces, sous le faible éclairage des réverbères. Est-ce là l’ultime héritage des lettristes, qui avaient proposé, dans leurs «projets d’embellissements rationnels de la ville de Paris», de laisser les abords des squares faiblement éclairés ? Ou bien ne les a-t-on conservés, ces réverbères, que par mémoire du Petit prince, dans lequel Saint-Exupéry écrivait qu'ils donnaient l’exacte idée des dimensions de la Terre ? Des «quatre cent soixante-deux mille cinq cent onze allumeurs de réverbères» qui peuplaient alors son monde, il ne reste qu'un public de lecteurs, familiers de l’automne aux pentes si douces. Penché sur une extraordinaire assiette de salade aux cochonnailles fumées, saucée de chèvre chaud, Pascal Rabatet, d’un œil railleur, plutôt qu'un dessin sur la naple de la table, nous crayonne les lieux des prochains festivals de BD. Rome, Antibes, Beyrouth… Tandis que nous sirotons le vin rouge maison en nous laissant aller à la quiétude d’un moment sans lendemain.
Philippe de Champaigne, La Vanité ou Allégorie de la vie humaine, 1646
BECKETT, LA LANGUE DE L’INQUIETUDE -(OU BIEN).
"Bavasser" serait-il donc l’ultime langage de l’humanité ?
Beckett supposait l’échange verbal saturé de mauvaise compréhension.
C’était du reste une attitude qu’il partageait avec les philosophes allemands du langage, qui depuis le XVIIIe siècle avaient battu en brèche la claire compréhension cartésienne.
La "machine verbale", plutôt que d’accoucher de l’humanité, n’en finissait plus de produire des monstruosités et des significations débiles – nous en savons quelque chose désormais.
Et l’homme en souffrait. Tiré à hue et à dia , l’"ou-bien" le faisait vaciller : tel l’âne de Buridan, comment choisir entre deux significations fondamentalement privées de sens ?
Ne parvenant pas à éviter le marécage de l’entre-deux, nous bavassions depuis sans grande conviction…
L’hommage de Nancy Huston à Beckett n’est au fond qu’une leçon de langue beckettienne. Comme si cette dernière était une matière dont chacun pouvait disposer désormais. Sans doute parce qu'après Beckett, il est devenu difficile d’habiter tranquillement sa langue… Et qu'il semble en rester une pour dire cette difficulté : celle de Beckett, précisément. Curieux paradoxe... Ou curieux aveuglement : toute langue ne se déploie-t-elle pourtant pas sur son manque de substance ? Si bien que faire de Beckett un idiome, ne revient-il pas à vouloir combler l’entre-deux qu’il avait pointé ? Et se mettre dès lors à parler une langue morte, de trop bien savoir l’exprimer... L’inquiétude qui avait poussé Beckett à parcourir une langue aux usages vacillants a disparu ici, pour faire place à une belle habileté d’écriture, trop convenue pour n’être pas, justement, l’empêchement de la langue que Beckett dénonçait.
Limbes/Limbo, Hommage à Samuel Beckett, Nancy Huston, Actes Sud /Leméac, coll. Un endroit où aller, nov. 2000, 58p., ISBN-13: 978-2760921788.
LE TERRITOIRE NATIONAL, L'ETAT ET LA DEMOCRATIE...
L’Etat contemporain a fini par s’identifier au territoire sur lequel il régnait. Des Peuples qui le composaient, il a nié la diversité pour instruire, littéralement, au sens juridique et pédagogique du terme, une nation prétendument unanime, ré-enracinée fictivement dans l’espace géographique qu’il s’était taillé.
Et qu'importe si par exemple l’unité linguistique de cet Etat, à l’image de ce qui s’est passé en France, n’a été réalisée que tardivement (1914-1918), après bien des détours de terreur (c’est en effet la Terreur qui en imposa la première l’idée). Qu'importe également que les populations de cette prétendue nation ne furent intégrées qu’à reculons dans l’ensemble politique nouvellement créé -l’intégration civique des femme en est un bon exemple. Le territoire national a toujours été le fait du Prince, non celui des Peuples. Le territoire est devenu ainsi la catégorie politique la plus fondamentale des démocraties contemporaines. Au point que l’Etat contemporain tire sa légitimité du territoire qu'il dirige, non des peuples qui le composent. Un renversement politique dont on perçoit bien les échos dans l’idéal de Sûreté Nationale : la Sécurité du Territoire a le pouvoir de suspendre l’ordre démocratique.
Après avoir dissout par la force les peuples qui habitaient son espace géopolitique (bretons, basques, etc.), l’Etat contemporain a ensuite défini d’autorité sa communauté d’obédience : ces fameux français de souche, naguère force tranquille miterrandienne -aux couleurs dramatiquement rurales d'une France qui n'existait déjà plus.
L’immigré clandestin, le rrom, dans ce contexte, ne peuvent incarner que la négation du territoire. On comprend alors le soin que l’Etat contemporain met à le pourchasser, partout où il croit en débusquer un…
Par ailleurs, ne disposant pas de sources transcendantes, les droits individuels et subjectifs fondèrent la rationalité de l'Etat contemporain, posant a priori que les groupes non seulement avaient, mais devaient disparaître avec le fondement de la République.
Face à l’égalité républicaine, tout groupe ne pouvait être interprété qu’en termes de trahison, sinon de destruction du principe fondateur de l’Etat moderne. La théorie politique moderne refuse en effet de reconnaître la pertinence politique des groupes : ils transgressent les droits des individus en réduisant les personnes à être membres d’un groupe fondant la source de leur identité. L’Etat moderne s’est donc construit sur l’exclusion du groupe : la caractéristique essentielle du droit moderne est d’ailleurs celle de la séparation des individus, sion leur isolement.
Et si dans ce topos le groupe est l’ennemi, l’ennemi le plus dangereux est celui qui relève du groupe aux origines décrétées "étrangères".
Dans ce topos du territoire national replié sur la construction d’une communauté d’obédience d’une part, et l’affirmation outrée des droits individuels d’autre part, l’ennemi le plus dangereux de l’Etat contemporain devient ainsi l’immigré, quand bien même français depuis trois générations, immigré toujours parce qu'il n'a pas voulu renoncer à son identité musulmane, qui l'insère dans une problématique de groupe (et qu’importe aux yeux de l'Etat qu’il s’agisse d’un groupe religieux, Lui sait étendre le périmètre de la répression dont il a besoin pour affirmer sa puissance).
Figure du traître par excellence, menaçant de l'intérieur même les fondements de son autorité, le musulman ou le rrom se voient ainsi repoussés dans la sphère de l’étranger au territoire.
Or les crimes contre l’humanité ont toujours été des crimes commis contre des groupes. Les victimes de ces crimes ont en effet toujours été d’abord identifiées comme relevant identitairement d’un groupe, ethnique, religieux, voire sexuel ou social.
Les musulmans pour Sarkozy, les rroms pour Hollande, forment ainsi commodément les groupes que l’on peut détruire, autorisant par la pseudo radicalité de leur étrangeté, la violence qui dicte l’extermination de l’autre, quand il est jugé trop différent.
Enfin, dans l’histoire contemporaine, ce que l’on a pu observer, c’est une inquiétante continuité de la violence, des violences ordinaires aux violences extraordinaires. Une continuité si communément admise (la banalité de ce Mal relève du caractère laïc de l'Etat), que l’on ne comprend pas comment, aujourd’hui, tant d’intellectuels peuvent s’y vautrer, à moins de se faire les complices conscients de ce déplacement auquel l’Etat contemporain procède quand il use de violence, en la rendant admissible, pourvu qu’elle concerne des victimes acceptables...
image : Le camp de concentration pour Tsiganes de Montreuil-Bellay. Pour mémoire, en février 1940, les nazis testaient le Zyklon B 0 Buchenwald sur 250 enfants tziganes. En décembre 1942, Himmler signait le décret de Déportation des tziganes d'Allemagne vers Auschwitz, au "camp des familles gitanes". Selon les historiens, entre 500 000 et 700 000 tziganes ont été assassinés sous Hitler.
Et photo anthropométrique, tirée de l'exposition qui a eu lieu à Lyon à partir de l'été 2007, au sujet de la déportation des rroms français sous Pétain. Pour mémoire, en 1942, l'Allemagne nazie déportait et exterminait quelques centaines de milliers de tziganes. La France pétainiste durcissait alors sa position à l'encontre des gens du voyage, déjà sous haute surveillance depuis le début du siècle.
Le devoir de bonheur (Pascal Bruckner)
Êtes-vous heureux ? Comment pourriez-vous ne pas l’être ?... Bien que ce ne soit pas véritablement le propos de Pascal Bruckner dans cette conférence, qui ne se soucie pas des conditions de possibilité sociales ou économiques par exemple, du bonheur, pour n’en retenir que l’injonction sociétale, formulée à son sens assez récemment comme un devoir. Assez récemment, c’est-à-dire au fond à ses yeux dans le sillage de Mai 68 et de ses revendications épicuriennes, nous faisant passer d’un monde qui interdisait la jouissance à un monde qui la rendait obligatoire.
La première partie de l’exposé est consacrée à la France de l’Ancien Régime, profondément enracinée pour lui dans l’idée d’un salut post-terrien, répudiant l’idée du bonheur et invitant au renoncement. Avec des nuances bien évidemment, introduites par le fil des améliorations des conditions matérielles de vie (justement, ce paramètre tant délaissé dans son approche par la suite), l’être souffreteux de l’Ancien Régime, au fil de ces améliorations, finissant par trouver de plus en plus de plaisir au confort qui s’offrait à lui. Curieuse histoire au demeurant que celle que Bruckner écrit là, subsumant les mentalités et les comportements sous le seul discours chrétien dont on sait qu’il dut longtemps ferrailler pour imposer ses normes à des populations plus bambocheuses qu’on a voulu les voir, et que le dolorisme chrétien n’excitait guère… Mais passons. Une sérieuse brèche aurait donc fini par emporter la planche du Salut chrétien pour laisser entrevoir aux humains une autre vocation : celle d’être heureux sur terre, sans attendre la mort après tout. Jusqu’à la vraie grande « révolution », que Bruckner situe donc dans les années 60. Cela ne surprendra pas : il y a consacré toute sa vie. En paradigme des appétits au bonheur qui se firent jour alors, la société de consommation, décryptée ici à travers sa machine économique, mise soudain au service de nos désirs les plus immédiats. Le bât blesse là encore, à trop vouloir rendre Mai 68 responsable de tous nos maux. C’est oublier que l’intimidation des désirs égotistes aura été d’abord le fait des nouvelles classes dominantes, tandis que les classes laborieuses menaient de leur côté un autre projet d’émancipation. Mais qu’importe, voyons où pourrait bien nous mener cette réflexion sur le bonheur forcené d’aujourd’hui. Il inquiète, à l’évidence. Du moins son injonction. L’anxiété s’épelle jusque dans les jeux du lit, où ce bonheur est devenu performance. Le bonheur serait ainsi devenu un souci, sinon une corvée. Aux yeux de Bruckner, la faute en est d’avoir voulu l’annexer au domaine de la volonté. Assujetti à notre bon vouloir, il a perdu tout sens et surtout, toute saveur. Bruckner invite alors à en reprendre l’énonciation. Le bonheur serait ce visiteur du soir qui débarque sur la pointe du pied pour un moment furtif, avant de filer à l’anglaise et nous laisser de nouveau disponible à son éventuel retour. Mais en prendre conscience serait se convertir en comédien de son propre bonheur. Et plutôt que d’en faire un projet, il conviendrait de n’en rien faire du tout. Lui laisser son caractère de «visitation». Le mot est fort, religieux. Nous reliant du reste à on ne sait trop quoi. Mais pour qu’il s’actualise en pure visitation, Il faudrait accepter ces moments pauvres de l’existence où nous pensons succomber à la banalité de vivre. Accueillir l’insouciance, l’innocence, l’inconscience d’être au monde. L’abandon d’accepter l’aventure d’un moment qui vous arrache tout de même à vous-même et vous sort du monde, affairé –à sa perte ?
Le devoir de bonheur, Pascal Bruckner, LES PARADOXES DE L’INJONCTION AU BONHEUR, UNE RÉFLEXION PHILOSOPHIQUE, Label : FREMEAUX & ASSOCIES, Réf. : FA5420, ÉDITION : GRASSET - PRODUCTION : CLAUDE COLOMBINI FRÉMEAUX, 2 Cd-rom, 19,99 euros.
Lui, Président...
Quelle plus grande cruauté que celle de cette proposition faite à Léonarda, qui met en scène un dilemme proposant pour tout choix deux options insoutenables. Ta famille, ou tes études... Quoi de plus troublant que cette proposition qui demande à une jeune collégienne de panser les plaies de la Nation et de répondre d'une présidence qui ne parvient pas à s'assumer ?
Rien de plus troublant que ce choix formulé le plus tanquillement du monde par un Président de la République française soucieux de préserver sa Droite réactionnaire...
Nicolas Valls peut donc reprendre tranquillement le cours de sa vie ministérielle, se payer de vains mots sur la prétendue générosité de Hollande, mépriser les recommandations de l'UE épinglant la France pour le traitement qu'elle inflige aux rroms dans le périmètre national, et reprendre sa chasse, qui améliorera sans doute son score de popularité... Quels calculs derrière pareille décision !
La machine est rôdée, il suffit de faire le dos rond et de laisser l'indignation retomber. Et poursuivre cette basse besogne de subsumer tout un peuple sous la rumeur.
La revue Le Tigre avait consacré en décembre 2008 un volumineux numéro à la question Rrom. Très documenté, très instructif sur ce qu’il révèlait de l’enracinement du racisme anti-rroms au cœur même de l’Administration française. De la construction du mythe positif dans l’équation gitan = liberté = musique = rebelle, de Cervantès à Hugo, en passant par Mérimée, elle dévoilait ce qu'il en coûtait aux rroms d'avoir été enfermés dans ces images commodes taillées pour satisfaire nos besoins et non comprendre leur vraie identité. Au-delà de ces manipulations identitaires, elle nous éclairait encore sur les contorsions juridiques qui permirent aux politiques d’édicter des circulaires contournant allègrement les principes mêmes de la légalité républicaine. Ainsi de l’appellation "gens du voyage", qui fut une appellation contrôlée made in France, mise en circulation par deux décrets de 1972, pour tracer le périmètre de tous ceux qu’il fallait écarter des villes… La législation française, y découvrait-on, depuis 1972, n’avait ainsi jamais cessé d’ancrer les Rroms dans un statut de paria. A lire et relire, pour mieux comprendre ce qu’il y a de crapuleux dans la dérive républicaine que nous connaissons une fois de plus.
Le Tigre, nov.-déc. 2008, Dossier Rroms, 8 euros, ean : 978-2-357-19-004-7
http://rebellyon.info/Revelations-sur-la-repression-des.html
DROMA : SUR LES ROUTES RROMS
Interdit de Stationner
Dans les villes.
Interdit de mendier.
Dans les champs
Fenêtres et portes fermées.
En France : le carnet anthropométrique
Et les papiers des enfants.
En Europe
Ils ont été assassinés.
(…)
Les familles affamées
Qui ont faim de tout
De pain et de sel
D’amour et d’amitié
De liberté et de compassion.
Des millions et des millions de Rroms,
Chevaux malades.
Matéo Maximoff – Rrom, de Catalogne et de France, 1917 – 1999.
Traduit par Marcel Courthiade.
Le prix de la liberté, de Matéo Maximoff, éd. Wallada, avril 1996, ISBN-13 : 978-2904201226.
photo : Matéo Maximoff, collection Gérard Gartner.
RROMS EN D’ETRANGES CONTREES…
C’est la Biennale Internationale de la Poésie en Val de Marne qui, la première, donna un accès au poète rrom Muzafer Bislim. Une vraie découverte dont nous devons lui savoir gré, à inscrire qui plus est au mérite d’une instance qui est l’une des rares à défendre une conception vivante et exigeante de la poésie contemporaine.
L’anthologie publiée en 2009 fut ainsi largement consacrée aux poètes Rroms, accueillis pour l’occasion en France du 11 au 17 mai 2009 dans le cadre du Festival International de Poésie inauguré par la Biennale. Un moment intense, à la rencontre de cette aventure des peuples et des langues si rarement provoquée en France, et dont l’anthologie ne restitue nécessairement qu’un modeste écho.
Echo qui plus est subsumé sous un tire curieux -En d’étranges contrées-, pour évoquer un peuple privé de sa contrée, errant depuis des siècles sans l’espoir, ni peut-être aujourd’hui l’envie de retrouver un jour sa terre, sinon à ré-enraciner ses origines dans cette langue qui s’invente et se réinvente chaque jour à travers l’Europe, si bien que ces étranges contrées passeraient davantage pour être les nôtres, sols bardés de droits mais sans hospitalité pour ce peuple fugitif, "convive de nos terres noires", de ces pays de compromissions qui ne leur ont offert que la misère et l’exclusion.
L’anthologie propose ainsi un panorama de la création poétique Rrom tout à fait intéressant, sans que l’on puisse cependant affirmer qu’il est exhaustif, ni que l’on sache les raisons d’une pareille sélection. C’est du reste ce que l’on peut regretter, qu’aucune présentation ne nous soit faite de cette création poétique dispersée en écritures tout de même peu familières au public français, finalement incapable de comprendre les enjeux d’une création faite souvent au rebours de la tradition poétique contemporaine.
Entre Jeanne Gamonet faisant face au monument de l’Histoire sauvage, Hamid Tsmaïlov, vagabond ouzbek flamboyant, ou Kutjim Paçaku dont l’écriture est secrètement traversée par un mot d’ordre divin, on aurait aimé mieux comprendre ce qui dans cet exil se refonde, que dénombre l’horizon poétique.
En d’étranges contrées, Anthologie BIPVAL 2009, Actions Poétiques éditions, 208 pages, 15 euros, isbn : 978-2-854-631869.
LE POINT SUR L'IMMIGRATION DES RROMS EN FRANCE
Depuis des décennies, l’immigration des roumains en France est restée stable, tout autant que celle des Rroms roumains, qui s'est maintenue à 10% de la population roumaine migrante (chiffres du Minsitère de l'Intérieur). La seule chose qui ait changé, c'est leur visibilité et la pression raciste orchestrée par les gouvernements en place à leur encontre, modifiant sensiblement leurs conditions de séjour en territoire français et les modes même d'organisation de ce séjour...
L’essai signé par Martin Oliviera, publié dans le cadre des conférences débats de l’association Emmaüs données à l’école normale supérieure est intéressant à décrypter de ce point de vue.
Analysant tout d'abord la structure sociale des rroms migrants, Martin Oliviera montre qu'elle est comparable à celle des populations rurales des autres régions d'émigration. Des migrations de parentèles ou d'individus isolés, mais dans tous les cas, de groupes très divers que l'on ne peut subsumer aussi commodément qu'on le fait en France sous l'appellation commune de gens du voyage. Il n'existe en fait aucune homogénéité de ces communautés rroms migrantes, issues de migrations locales restreintes, que l’on ne peut comprendre que dans le cadre des mobilités village-ville. Une migration en tout point comparable aux migrations de ce type : non un déplacement sans retour, mais au contraire avec espoir de retour, ce qui est le cas de toutes les migrations économiques qui prennent sens dans le cadre de stratégies individuelles ou familiales.
Les villes cibles de ces migrations, elles, semblent clairement établies dans les régions parisienne et lyonnaise, et pour cause : les expériences accumulées par les précédents migrants les désignent comme des régions d'accueil intéressantes, du point de vue des opportunités d'emplois qu'elles offrent, tout autant que de la sécurité des personnes.
Mais avec la montée en puissance des discours et des actes de violence raciste à l'égard de ces populations, depuis 2006, on assiste au redéploiement de cette émigration, qui a fini par identifier les foyers racistes à risque, ainsi que les zones où le zèle policier est le plus fort.
Ces redéploiements désordonnés, désespérés, sont la vraie nouveauté des migrations des roumains en France. Des populations qui ne cessent pourtant de nourrir d'autre objectif que celui de leur insertion sociale ! Car ces familles veulent s’intégrer, trouver des moyens économiques légaux de vivre, à commencer par le logement.
Or cette volonté de stabilité est perpétuellement contrariée par une juridiction restrictive de leur liberté de déplacement (au mépris des lois européennes), tout comme de leur accès au marché français de l'emploi ou aux droits sociaux, la France ayant réussi à faire inscrire dans le Traité européen une clause dite de «régime transitoire», autorisant cette discrimination (jusqu'à janvier 2014).
L'impossibilité d'accéder à des ressources légales a ainsi compliqué sérieusement cette immigration légale, la transformant en véritable souricière pour les Rroms. On le voit par exemple dans leur mobilité actuelle, bien différente encore une fois de ce qu'elle était avant l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, dont Manuel Valls poursuit la logique : les populations Rroms ne cessent de fuir à l'intérieur de périmètres très circonscrits, n'excédant pas, la plupart du temps, 10km, ce qui, on l'avouera, est l'expression d'un bien étrange «nomadisme»... On a vu mieux, non, en guise de nomadisme !
Tournant désespérément dans ces périmètres qui sont pour eux des périmètres d'intégration, la mobilité forcée de ces groupes les fait apparaître ainsi plus nombreux qu’ils ne sont en réalité. Premier constat : ce nomadisme contraint par les circonstances politiques ne traduit en réalité qu’une adaptation à un environnement hostile, non un idéal de vie ! Et quant aux fameuses caravanes, elles ne sont qu'un type d'habitat à moindre coût choisi par une populaiton contrainte de rester toujours en mouvement, un habitat qui, en retour, l'expose à une plus grande précarité face à ses droits (comment se domicilier dans ces conditions, comment inscrire ses enfants à la crèche, à l'école, comment bénéficier de l'aide médicale, etc., quand on ne peut justifier d'un domicile ?).
Face aux dangers qui les accablent et à cette précarité nouvelle qui les enferme, les Rroms ont également dû se regrouper en parentèles élargies, un mode de vie qui leur était étranger en Roumanie ! On contraint ainsi une population à inventer un mode de vie qui n'est pas traditionnellement le sien... Pour dire les choses clairement, la France raciste leur a inventé un mode de vie lié au problème permanent d'expulsion des terrains, fomentant des installations toujours plus précaires, qui prennent de fait la forme de campements, achevant ainsi de réaliser les fantasmes du pouvoir politique français...
Roms en (bidon)ville : une conférence-débat de l'Association Emmaüs et de Normale Sup', Martin Oliviera, éditions rue d'Ulm, oct. 2011, 5 euros, 84 pages, ean : 978-2728804665.