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La Dimension du sens que nous sommes

Heinz, avant Ford, inventa le capitalisme moderne, à savoir : l’esclavage des femmes et des enfants

27 Juin 2017 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Dans son fantastique essai de géopolitique de la tomate concentrée, Jean-Baptiste Malet revisite l’histoire, telle qu’écrite par les historiens à la solde du libéralisme. Heinz donc, qui est resté l’opérateur principal de cette sale histoire du concentré de tomate qui déferle aujourd’hui sur le monde. L’occasion pour J.-B. Malet de revenir sur ces trop belles pages écrites à la gloire de l’entreprenariat américain. Une histoire qui débute à Pittsburgh, berceau mondial de l’agro-agriculture industrielle, dès la seconde moitié du XIXème siècle, et avec elle, l’histoire mythifiée des Etats-Unis d’Amérique, à travers la saga de la famille Heinz, partie de rien, arrivée au sommet à force de travail et d’abnégation… En oubliant d’emblée la hargne de Heinz à l’égard de Pittsburgh, que Jean-Baptiste Malet rappelle. Pittsburgh, ville ouvrière qui, l’été 1877, connut un immense mouvement social qui conduisit à la formation d’une Commune de Pittsburgh, six ans à peine après l’exemple parisien ! Commune oubliée, rayée des manuels d’histoire, vaincue dans un bain de sang par l’armée. Une Commune dont Heinz tira pour conclusion qu’il valait mieux employer des populations fragiles dans ses usines, à savoir : des femmes, si possible de moins de 14 ans… Tant les ouvriers avaient montré qu’ils étaient capables de se passer des patrons pour faire tourner leurs usines… Pour éviter les grèves, raconte l’histoire officielle, Heinz promut une direction «paternaliste»… Qui se concrétisa par la création, dès 1890, au sein même de ses usines, d’un département de sociologie d’étude des comportements ouvriers ! Le volet paternaliste sans doute...

Car pour le reste, face à ces cohortes de gamines, il mit en place des milices composées d’ouvriers mâles méritants… Des milices dont la mission était de faire régner l’ordre par la force et l’endoctrinement des ouvrières. Avant Ford, toujours, Heinz mécanisa ses chaînes de production, les rationalisa en chronométrant le premier ses ouvrières et en observant leurs gestes pour les discipliner au mieux des attentes de  sa production.  Ford s’en inspirera. Pionnier de la production de masse, Heinz créa la première multinationale de l’histoire du capitalisme. Sur le dos des femmes qu’il employait. Et dont ses milices n’hésitaient pas à tuer les meneuses. Les conserveries de Heinz apparaissent ainsi aujourd’hui non seulement comme incontournables de l’histoire de la condition ouvrière féminine aux Etats-Unis, mais de la condition ouvrière tout court : tout ce qui était expérimenté sur ces populations fragiles (imaginez : des jeunes filles de moins de 14 ans !), fut ensuite étudié et développé à l’échelle internationale. Etudié : on doit aux conserveries de Heinz cette fantastique étude de sociologie, la première, sur la condition ouvrière : la Pittsburgh survey (1907-1908), qui, par la bande, conduisit au grand dam de ses promoteurs à rendre visible le travail des enfants… Une fresque de l’état de misère totale dans laquelle se trouvaient jetées les ouvrières des usines Heinz, tableau de l’exploitation ahurissante de ces femmes travaillant jusqu’à 72 heures par semaine et dont beaucoup furent marquées dans leur chair : le rapport dénombre par centaines ces jeunes filles aux mains brûlées, aux bras coupés… Mais dans l’imaginaire américain, Heinz a su imposer une autre image de sa réussite : celle d’un produit universellement reconnu et d’une gamme capable de satisfaire tous les goûts, du bébé au vieillard.

L’Empire de l’or rouge, Jean-Baptiste Malet, Fayard, avril 2017, 286 pages, 19 euros, ean : 978-2-213-68185-6.

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