SORTIR DE L'ENCLOS FRANÇAIS POUR QUE L’EVENEMENT HUMAIN PUISSE SURGIR
Reconstruire un sujet post-colonial, autant dans ces régions du monde maintenues sous un joug inique, qu’ici, en France, en Europe, dans ces régions aveuglées par leur suffisance.
On mesure l’énormité du travail épistémologique et esthétique qu’il faudra accomplir !
Comme de sortir de l’enclos de la race, en particulier, quand en France nos élites nous y reconduisent à marche forcée.
Donc refuser cette France qui n’a cessé de faire de la différence raciale un facteur de définition de sa citoyenneté, construite dans l’irréductibilité de différences sociales rejetant en dehors de la Nation tous ceux qui vivaient ou seulement paraissaient vivre en dehors de ses caractères supposés, racialement, socialement, culturellement.
Refuser cette République de faux citoyens pour imposer une République des sujets. Défaire la fiction républicaine, ce sacre juridique commode de l’individu abstrait, bateleur fantaisiste d’une pantomime démocratique effarante.
Réaliser enfin que l’universalisme français n’est pas cosmopolite et qu’il n’est en fait qu’un parisianisme et que la langue française, entre les mains de cette classe politico-médiatique stipendiée, n’est plus aujourd’hui qu’un idiome local porteur de valeurs locales.
Sortir de la grande nuit, qui est au fond sortir du mensonge de la nuit française. Comprendre que le devenir européen ne peut plus être un devenir-monde et qu’il ne peut que chercher ailleurs son salut, qu’il ne peut apprendre que d’ailleurs ces nouveaux usages du monde qui s’annoncent ici et là sans crier gare. Comme celui inauguré par la Plantation, ainsi que l’exprime avec tant de force Achille Mbembe, et qu’elle devienne notre nouvelle conscience du monde et de la culture, où l’on a appris déjà à former des communautés en dehors du sol et du sang.
"C’est à partir de l’Autre que toute écriture du monde, véritablement, fait événement" (Achille Mbembe).
Encore faut-il s’en convaincre et comprendre qu’il ne s’agit plus seulement d’abolir les petits maîtres, mais qu’il s’agit de s’auto-abolir "en se délivrant de la part servile constitutive de soi et en travaillant pour l’accomplissement de soi en tant que figure singulière de l’universel."
Il faut d’abord se déprendre de soi pour surgir à l’autre et forger les cadres de connaissance des nouvelles conditions de l’expérience humaine.
Une éthique de la Rencontre en somme, depuis laquelle comprendre le sens de la vie démocratique, qui participe d’une opération sans cesse à reprendre de figuration du social. Ethique au cœur de laquelle pouvoir se faire entendre est crucial.
Que penser, dans ces conditions, d’un Etat qui exclut ses coreligionnaires musulmans et ses citoyens d’origines maghrébines de la part d’estime publique à laquelle chaque citoyen, chaque groupe humain a droit ? Apparenter les musulmans français aux étrangers dans l’imaginaire public, à une époque où la figure de l’étranger renvoie de nouveau à celle de l’ennemi, n’est-ce pas l’irresponsabilité la plus grande que l’on puisse concevoir ? La raison et le sujet, ces deux signatures de la modernité occidentale, ne nous parlent depuis quelques années que d’un hiver impérial de la pensée française, qui décroche et se replie, comme l’énonce non sans pertinence Achille Mbembe, et la condamne aux morales de l’extrême urgence, celle-là même qu’elle croyait pouvoir appliquer aux peuples immergés dans leur lointain désarroi. Il n’est que temps de sortir de l’enclos français ! --joël jégouzo--.
Sortir de la grande nuit : Essai sur l'Afrique décolonisée, Achille Mbembe, éd. La Découverte, coll. Cahiers Libres, octobre 2010, 244 pages, 17 euros, ean : 978-2707166708.
La Déclosion, Jean-Luc Nancy, éd. Galilée, déc. 2005, 248 pages, 30 euros, ean :
9782718606682.