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15 octobre 2013 2 15 /10 /octobre /2013 04:15

    brignoles-1.jpgDeux normes fondamentales devraient toujours guider l’action des hommes politiques en charge du destin de la Nation : celle du respect égal des personnes, et celle d’un dialogue rationnel entre les hommes.

L’Etat libéral ne peut, assure-t-on du côté des penseurs les plus subtils du libéralisme philosophique, fonder sa légitimité que du principe de neutralité encadré par ces deux normes salutaires : le débat public et l’égal respect des personnes, contraignant du reste à toujours relancer le débat public.

Deux normes qui avaient le pouvoir d’empêcher que l’on traitât autrui comme un moyen.

Mais voilà que dans cette République qui n’ose plus dire son nom, l’on traite les hommes comme des moyens, les rroms dans l'occurence socialiste. 

        Jadis, nous avions Sarkozy, un Président-Ministre de l'Intérieur qui ne communiquait que sur des thèmes de coercition ou de menace. Aujourd'hui nous avons Valls, qui a bien travaillé lui aussi à découdre la morale républicaine pour lancer ses anathèmes aux relents de petit Grenoble. Mais quand on lance pareille diatribe à l'encontre d'une minorité fragilisée par son statut, on ne fait qu'ouvrir l'espace public à la violence anti-républicaine, celle, précisément, qui nous dessine pour avenir le FN.

L’Etat que nous subissons est devenu une vaste entreprise de déshumanisation de la société française. Comment ne pas réaliser qu’il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de France ?  

Que l'idéal d'Ordre d'un Ministre de l'Intérieur prenne le pas sur la norme d’égal respect, voilà le vrai danger que court une République qui ne peut plus dire son nom !

    vallsQuelle est l’essence profonde de la logique électoraliste que notre Ministre de l'Intérieur affiche aujourd’hui ? Sinon celle qui consiste à défaire ce Vivre ensemble déjà passablement écorné par la précédente présidence. Sinon celle d'une politique de division fière de ses citoyens de seconde zone, comme au bon vieux temps des colonies.  

Voici un Ministre animé par une doctrine morale nébuleuse, défendant un Etat de moins en moins crédible, car exclusivement englué dans des calculs électoraux et qui est devenu non pas la solution aux difficultés que traverse la société française, mais un élément de son problème. Voici un Ministre qui, sous réserve d'une bonne recette électorale, vient de réengager l’aventure française dans l’abîme des affrontements sectaires.  

L’un soutenait un absolutisme trivial (sarko), l’autre (Valls) rappelle, par son décisionnisme fanfaron, le prêche d’un Carl Schmitt, théoricien des politiques autoritaires, revenu à la mode il y a quelques années. 

Et l'un et l'autre ont oublié de subordonner l’idéal démocratique à ses normes. Tout comme ils ont oublié que la souveraineté de droit n'appartenait à personne (Guizot), mais reposait essentiellement dans le caractère dual de la démocratie, quand celle-ci sait organiser le débat public et non sa farce.

Au lieu de quoi nous avons un système politique qui ne respecte plus ses propres principes. Un système qui ne sait plus que l’objet réel de l’intérêt moral, c’est au fond l’Autre en tant qu’il n’est pas un corps étranger qu’il faut à tout prix déglutir dans notre système clos, mais un autre sujet relevant de ses propres perspectives, qu’il faut entendre et respecter comme tel. 

 

 

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14 octobre 2013 1 14 /10 /octobre /2013 04:32

L’une des œuvres majeures de la construction des mentalités des élites européennes. L’avant dernière édition datait des années quatre-vingt et manquait de minutie.
Paru en 1528, Il libro del Cortegiano, fut en effet un phénomène social et historique majeur de l’histoire de l’Europe, unifiant les mœurs et les mentalités de ses élites comme aucun autre livre ne l’avait réussi jusque là.
Un ouvrage dont l’importance allait être qui plus est, après le succès italien, déterminant pour la France, où il connut une fortune immense, les éditions s’y succédant à un rythme effréné.
Toute l’élite française le dévora pour s’y refonder. C’est que, plus qu’un livre, l’Europe des cours s'y reconnaissait et quant à la France, si l’on veut comprendre quelque chose à la sociabilité de ses élites aujourd’hui encore, il faut le relire de bout en bout : pas un détail qui n’éclaire la manière dont cette sociabilité s’est codifiée.
De l’art de la conversation à l’idéal de l’honnête homme, en passant par le courtisan flattant l’ombre du prince - fût-il républicain-, tout y est de ce qui fonde les usages tout à la fois de nos grandes écoles et de la scène médiatico-politique -avec ce bémol qu'aujourd'hui les nouvelles élites politico-financières lui ont tourné le dos.
Mieux : dans toute la rhétorique du comportement social des décideurs, voire cette dialectique du paraître des hommes d’éclat (médias, journalistes, etc.), ou bien encore, partout où l’enjeu est un pouvoir, qu’il soit politique, économique ou culturel (y compris jusque dans le fonctionnement du mandarinat universitaire), l’influence de Baldassar se fait encore sentir.
Car tout de ce qui est écrit là, de l’éducation du courtisan aux qualités intellectuelles ou morales qu’il doit afficher, à commencer par cette culture du talent si profondément inscrite dans la vision aristocratique du monde grec (si peu républicaine donc et si peu démocratique), tout nous dit le monde dans lequel nous évoluons toujours -malgré la nuance évoqué plus haut, ouvrant il est vrai un véritable conflit psychique dans les mentalités de ces élites.
Mensonge, dissimulation, simulation, l’art de réduire un comportement à son procédé, un discours à sa rhétorique, il n’est pas jusqu’au plus "beau" des jeux du courtisan qui ne sente l’actuel : celui de se représenter.
Dans cette rhétorique de la Cour où l’espace privilégié n’est pas celui de l’Assemblée mais celui des réseaux d’influence, rien ne détonne et surtout pas ce sens de la supériorité du courtisan, homme dont la grâce (une distinction de goût) fonde la supériorité définitive sur le reste du genre humain.
Le concept clef qu’articule Baldassar est celui de la sprezzatura, que des générations de linguistes ont peiné à définir et que Pons traduit ici par désinvolture. On traduirait volontiers autrement, comme d’une diligence désinvolte, zèle auprès du Prince structuré par un solide mépris (sentiment aristocratique par excellence) à l’égard de tout ce qui ne relève pas de son périmètre, avec le dédain pour corollaire et la dissimulation pour engagement. Une attitude au sein de laquelle le style prime sur le contenu, et où il s’agit de composer sa vie dans l’extériorité de manières ni trop voyantes ni trop effacées, au seuil desquelles, affirme Castiglione, la civilisation pouvait enfin advenir…



Le Livre du Courtisan, de Baldassar Castiglione, éditions Ivrea, traduit de l’italien d’après la version de Gabriel Chappuis (1580) et présenté par Alain Pons, Paris, mai 2009, 408p., isbn : 978-2-85184-174-2, 30 euros.

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11 octobre 2013 5 11 /10 /octobre /2013 04:38
ultra-riches.jpgLoin d’un simple libelle, l’ouvrage cosigné par Linda Mc Quaig et Neril Brooks est un véritable essai sur les transformations que le système capitaliste a connu depuis les années 80 sous l’impulsion des hommes les plus riches de la planète. Les conclusions sont claires : les ultra-riches ne génèrent aucune richesse dans le monde (que la misère de masse a gagné) : ils l’accaparent. Toutes les observations économiques à l’appui de cette thèse l’étaie solidement : la théorie du ruissellement selon laquelle plus les riches s’enrichissent et plus les classes moyennes s’élèvent est un leurre,  l’économie mondiale n’en profite pas, c’est même l’inverse qui se produit : depuis le début de la crise de 2008, les ultra-riches n’ont cessé d’accumuler des fortunes colossales tandis que le monde en pâtissait, jetant l’une après l’autre  des Nations entières dans la pauvreté. Mais les ultra-riches ne se contentent pas d’accaparer les richesses qu’ils ne produisent pas : ils organisent méthodiquement cette mainmise, oligarchiquement, bâtissant leurs filiations à l’abri de l’impressionnant appareil de propagande qu’ils développent jour après jour, digne des plus viles heures de la propagande soviétique –le JT du 20h en tête, convoquant à la rescousse des spécialistes, la plupart du temps conseillers ou anciens conseillers des patron du CAC 40 pour servir leur Domination.
Lange-MigrantMother02.jpgL’essai ne tarit pas de chiffres, de précisions, d’organigrammes enlevant la conviction, d’exemples nourrissant à longueur de page la colère qui devrait être la nôtre. Les Paradis fiscaux dont on nous promet chaque jour la disparition ? Des législations de complaisance. Et nos auteurs d’en débrouiller les fils. Les banques enfin ramenées à la raison après 2008 ? Voici Meryll Lynch, sauvée par l’Etat Fédéral, s’empressant d’accorder à ses traders et autres membres de son Conseil d’administration 4 milliards de dollars de prime, alors que l‘entreprise accuse 27 milliards de dollars de pertes. Législation privée, rétorque l’Etat néo-libéral, historiquement complice, en France comme aux Etats-Unis, de ce pillage éhonté des deniers publics. Eux qui ne cessent d’en référer au Marché, qu’il faudrait laisser libre, ne cessent dans le même temps de peaufiner les Lois qui valident la folle course au trésor des ultra-riches… Les salaires ? Ils les fixent comme bon leur semble, avec la complicité de Conseils d’administration fantoches qui ne sont que l’expression d’une volonté cupide exprimée dans un cercle minuscule de relations privées, cooptées sur le modèle soviétique. En 2009, soit 1 an après la crise, les banquiers de Wall Street versaient 140 milliards de dividendes à leurs cadres… On assiste ainsi au retour des ploutocrates. Bâtissant des fortunes sans commune mesure avec celle des riches d’autrefois, XXème siècle, XIXème, XVIIIème confondus…  Prenez Bill Gates, longuement dévoilé dans l’ouvrage : s’il devait compter lui-même sa fortune au rythme de 1 dollar toutes les secondes, sans s’arrêter, jour et nuit, il devrait mettre 1680 ans pour arriver au dernier dollar, cela au regard de sa fortune en 2009, vraisemblablement plus de 2000 ans aujourd’hui… Portraits saisissants que ceux qui nous sont proposés, révélant l’incroyable fracture qui a divisé le monde en deux depuis les années 1980. Saisissant aussi : l’action des Etats libéraux dans le monde, jamais en retrait dès lors qu’il s’agissait de défendre les intérêts des riches,  des Etats interventionnistes, leurs meilleurs alliés, passant sous silence la véritable essence du Marché, qui loin d’être libre n’est que le fruit d’un ensemble complexe de Lois qui régissent le commerce. Etats interventionnistes qui, dans les années 1980, ont ainsi cédé à la pression des ultra-riches pour apporter les changements que ceux-ci désiraient à la réglementation des marchés financiers autorisant les firmes de Wall Street à devenir colossales. Une collusion révélée dans ses plus abjects détails. Tenez : au moment où Lehman Brothers faisait faillite en septembre 2008, l’entreprise avait accumulé une dette de 600 milliards de dollars, découvert autorisé par le gouvernement fédéral… Le seul souci à l’époque était alors celui de la responsabilité juridique de la faillite. Une loi fut votée, qui faisait en sorte que les cadres supérieurs des banques d’investissement ne pouvaient plus être tenus pour responsables des faillites de leur entreprise… Remarquable stratégie des ultra-riches que l’essai décrypte minutieusement : le siège systématique des médias, cet ex contre-pouvoir, des milieux politiques, nos ex-représentants, pour obtenir La dérégulation qui allait leur donner les coudées franches. Un véritable complot néo-libéral, dont nous subissons aujourd’hui encore la vendetta.
 
Les milliardaires : Comment les ultra-riches nuisent à l'économie, de Linda McQuaig et Neil Brooks, traduction de Nicolas Calvé, préface de Alain Deneault, Lux éditions, septembre 2013, coll. Futur proche, 300 pages, 20 euros, ISBN-13: 978-2895961673.

Image : Migrant Mother, par Dorothea Lange, 1936.

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10 octobre 2013 4 10 /10 /octobre /2013 04:17

l-ennemi-public.jpgQuelle visibilité offrir à ceux que la société dissimule quasi discrétionnairement ? Les institutions plutôt, devrions-nous dire, tant l’objet des réflexions proposées montre à l’évidence qu’il n’y a pas de consensus quant à sa dissimulation, bien au contraire : la société, dans ses expressions les plus populaires, n’ayant cessé de tenter de lever le voile sur les prisons, pour en sortir de force ses occupants (La Bastille, symboliquement le moment le plus frappant de ce désir de réversibilité), ou révéler cette mauvaise conscience qui aujourd’hui jalonne les murs de la prison. Le titre, du coup, paraît mal choisi pour circonscrire une population que l’on ne saurait réduire au statut d’Ennemi Public, lui-même objet d’une construction politico-médiatique. Car l’Ennemi Public n’occupe pas dans le champ sociétal la même place que le délinquant, statistiquement la population la plus importante derrière les barreaux. L’Ennemi Public occupe même une position bien singulière, artistique déjà, ouverte d’emblée à sa capture artistique bien plus précoce et nécessaire que sa capture policière –que l’on songe à Mesrine ou à Carlos, pointés ici dans l’horizon de la réflexion qui nous est proposée. Fantasmes exposés littéralement à la jouissance publique, on met longtemps à les exclure du champ médiatique qu’ils occupent, même après leur mort, sinon jamais, tel Mandrin. Les délinquants, eux, n’ont pas accès à ce prestige.

mesrine.jpgA l’origine donc, une «exposition». Aujourd’hui un livre pour en poursuivre le projet : la prison comme objet d’attention des artistes contemporains, chargés d’en délivrer une représentation esthétique. La prison. Non pourtant cette réalité brutale que la revue ne pénètre pas, ou très mal. Ce monde inhumain tant et tant dénoncé, chaque fois recommencé. Mais un livre pour prendre visiblement place dans le champ de la réflexion artistique, filant à de multiples reprises une métaphore douteuse : celle de l’art comme prison, parce que des contraintes pèseraient sur la création artistique, qui est plutôt l’objet d’un travail sur les codes qui voudraient l’enfermer, que le contraire… Une création saisie ainsi d’emblée comme aveugle à son objet (et c’est son mérite que de le reconnaître) : la prison, qui est une torture avant que d’être un code, un cheval effaré jeté dans une bataille sauvage avant que d’être «une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées»… La prison pourtant, débouclée, dégrafée, exhibée dans sa réalité de pénitence à travers quelques précieux témoignages de prisonniers politiques évoquant le degré de souffrance inouïe que l’on doit y subir.

L’ensemble des collaborations dessine alors un objet complexe, un projet compliqué qui ne sait jamais sur quel pied danser, interrogeant ce que la prison donne à voir tout autant que ce que nous voulons en voir. Scrutant au demeurant la validité d’une telle rhétorique pour donner à comprendre que seuls les médias d’ordre assimilent la volonté populaire à la volonté Publique, pour faire peser sur la Nation cette culpabilité qu’on lui fabrique commodément quant à son prétendu refus de voir ce qui se passe dans les prisons. Une approche multiple donc, paradoxale, ne cachant rien de ce qui est peut-être raté, en particulier lorsque l’on veut sincèrement s’interroger sur la question de savoir comment un regard esthétisé du dehors pourrait bien se muer en une expression artistique du dedans. Car ce regard ne cesse de renforcer le poids de la Domination médiatique dans la construction de la figure de l’Ennemi Public, articulée au demeurant par celle de l’Ennemi Public n°1. Avec Mesrine, on aura ainsi esthétisé à souhait la transgression. Roberto Succo… Genêt à la rescousse. Pour avouer in fine la trivialité d’un tel procès, dès lors que cette transgression est prise en charge par l’institution artistique. Il est du reste déconcertant de voir qu’à propos des prisons, c’est cette figure artistique de l’Ennemi Public conditionnée par celle de l’Ennemi Public n°1 que l’on brandit encore, et que c’est cette figure qui est supposée nous fournir les clefs de compréhension du vide dans lequel tombe la situation de l’immense majorité des détenus de droit commun… Que cette figure, encore une fois, soit artistique semble bien commode quand on parle d’art. Qu’elle soit celle d’un sujet de désir aussi. «Utile à l’économie libidinale» d’une société telle que la nôtre, certes. Mais il aurait été judicieux d’en poursuivre les détours pour débusquer ces lieux d’investissements du désir qui sont aujourd’hui les nôtres.

nancy.jpg

Reste la question de l’art des prisonniers. Celle de ces laboratoires expérimentés ici et là autour de l’image de soi dans la fabrique de l’autoportrait, supervisée par des artistes souvent en retrait du genre. Reste ce statut particulier des images qui sont faites en prison, et dont on comprend bien qu’elles dérangent l’Administration pénitentiaire. Il y a des expériences magnifiques rapportées dans ce livre à ce propos. Et puis ce témoignage, radical à sa manière, venant brutalement interrompre le cours de la réflexion pour nous jeter à la figure le réel de la prison. Celui de Jean-Pierre Carbuccia, affirmant avec juste raison que l’art n’a que très peu de place dans la réinsertion des détenus, tout comme il en a très peu dans une société percluse de pauvreté et de misère sociale.  Pour lui, l’état des prisons françaises est tel qu’il ne peut fournir aucun projet réel, a fortiori culturel. Il est bon d’être pareillement ramené aux réalités, têtues. Quid de l’expression artistique dans un univers où l’on se pose surtout la question du nombre et de savoir comment dératiser efficacement ?

   

L'ennemi public, collectif, sous la direction de Barbara Polla, Paul Ardenne et Magda Danysz, éd. Le Bord de l'eau, coll. La Muette, 23 février 2013, 112 pages, 15 euros, ISBN-13: 978-2356872203.

 

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9 octobre 2013 3 09 /10 /octobre /2013 04:04
patrolinUn roman.
La pointe sombre des forêts, les frondaisons des hêtres, la roche affleurant partout de part et d’autre de la Meuse où, par plaisanterie, il vient de se jeter à l’eau et n’en veut plus sortir, lançant aux siens qu’il rentrera à Paris à la nage, profitant d’une péniche pour remonter dans son sillage le cours sans effort. Octobre, remonter la Meuse, basculer vers le bassin de l’Oise par la Vesle et descendre vers le Sud… Le monde a disparu pour ne laisser place qu’à l’univers d’une eau brunâtre épinglée de berges confuses. Tout juste reste-t-il un pont et le sentiment de glisser sur une plaque mouvante qui se contenterait de ruisseler lentement vers la vallée où toutes les nuances de gris s’étagent subtilement. Poursuivre, simplement poursuivre, pour voir après le virage la vallée qui s’écoule, la terre déroulée dans sa géographie sublime, qui partout continue, se prolonge, s’ouvre à l’indécision du flux. Et c’est peut-être moins continuer dont il s’agit que de reprendre, dans le flux de la vie, chaque geste ébauché, porté par un courant millénaire chaque fois recommencé.
Un autre jour il jette son sac dans la Garonne, qu’il suit dans une vallée taillée à travers la montagne. Il y a quelque chose d’improbable dans son désir, raconté brusquement au conditionnel, narrant mètre par mètre sa présence dans les flots, dévoilant les silences auxquels ouvre l’art de la description. Ici une pierre bancale au fond du lit de la rivière, basculant périodiquement dans un claquement sourd. Là l’étrange résonance que le monde fait à hauteur d’eau. Nager ? Un long tunnel sans voûte. Déambuler plutôt, dans un paysage incommensurable et répété. Nager, le même geste, inlassablement, béant, porté par cette écriture grande ouverte. A quoi au juste ? Rien. Au paysage toujours recommencé. Mais c’est peut-être cela l’écriture, cette narration ouverte sur un monde que rien ne peut remplir… Sinon par accident. Cette crue violente par exemple, qui clôt le roman et qui finit par anéantir tout espoir de rendre compte de quoi que ce soit. L’Aisne a disparu. Il n’y a plus de rivière mais l’immense vide cosmique de l’eau qui s’est répandue, qui déborde sans retenue. Il nage, mais ne sait plus où. Dans un champ où l’eau a fui, tandis qu’un grand silence recouvre la plaine. Il nage, mais cette fois dans la vase, loin de la rivière et de son lit ordonné pour finir seul, assis dans la boue, dans une flaque stupide, nu, submergé par le flux héraclitéen des choses, l’idiotie du réel.
 
La traversée de la France à la nage, de Pierre Patrolin, J’ai Lu, coll. Roman, juin 2013, 858 pages, 9 euros, ISBN-13: 978-2290068885.
 
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8 octobre 2013 2 08 /10 /octobre /2013 04:03

ibycus.jpgNevzorov vit dans un quartier de Pétersbourg qui empeste le pâté bon marché. Seule lecture : les potins consacrés aux aristocrates. Au détour d’une ruelle, une diseuse lui prédit l’avenir. Un destin ! Il sera riche et célèbre. De fait, voici que le hasard lui tombe dessus sous la forme d’un gros meuble écrasant un ami antiquaire… Des bandits viennent de dévaliser sa boutique. L’antiquaire agonise sous son meuble. Par chance, Nevzorov sait où est caché le magot, que les bandits n’ont su trouver. Il s’en empare, jette sur le mourant un regard indifférent et s’enfuit. Le voilà riche ! Il se fait aristocrate, mais tombe aussitôt sur une vraie grue qui le plume, tandis que la révolution gronde dans les rues. Il ne cessera dès lors de fuir, de monter des plans plus foireux les uns que les autres et d’être le jouet d’aventures qu’il n’a pas voulues. Le voici comptable d’une bande de brigands. En 1919, il atteint Odessa, fait par hasard main basse sur leur trésor, fuit de nouveau. Rêveur impulsif, il ne cesse de marcher "la tête en l’air à la rencontre du danger", imprimant au roman sa structure picaresque emboîtant les aventures, structure appliquée à un personnage qui, au fond, ne rêve que de mettre fin au récit de ses aventures. Le type même de la personnalité contemporaine des gens de pouvoir, riche, jamais mieux engagée qu’auprès de lui seul malgré ses détours démagogiques, se prétendant libéral, ou démocrate quand il n'est qu’ordurièrement lige du bon vouloir des nantis, ou socialiste quand il n’est occupé qu’à créditer un encours, sans morale, sans autre ambition que la sienne ni meilleure espérance, centrée sur un moi minuscule et veule. A croire qu’Ibycus ne vaut rien, même comme héros de roman, ainsi que l’affirme son auteur. Mais il finira riche, bookmaker de courses de cafards. Ecrit en 1924, ce roman picaresque féroce, dessinant sans complexe les traits de la personnalité moderne de l’homme d'avoirs, passerait aujourd’hui pour une douce fable, tant ces gens là ont su parachever le destin d’Ybicus et nous faire prendre leurs trahisons pour des lampions de fêtes. 

 

 

Ibycus, Alexeï Tolstoï, traduit du russe par Paul Lequesne, édition L’esprit des péninsules, dessin de couverture de Pascal Rabaté, mai 98, 206p, 18,30 euros. Isbn : 2910435539.

Ou chez Rivages, mars 2005, 6,99 euros, ean : 978-2743613860.

 

 

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7 octobre 2013 1 07 /10 /octobre /2013 04:31

crises.jpgRobert Castel, Olivier Mangin et j’en passe, convoqués par une association pour disserter sur le concept de crise à l’occasion de celle que nous vivons toujours, inaugurée en 2008     par les milieux de la Finance. Approche pluridisciplinaire, beaucoup de philosophie, un peu de sociologie, l’incongruité d’un éclairage de physicien pour parler de la notion de crise là où, à tout le moins, les mathématiques appliquées à l’économie auraient été plus décapantes… Et in fine, quasiment pas d’économie (!), contrairement à ce que l’on était en droit d’attendre… Le tout pour un résultat ahurissant de mièvreries oiseuses, le livre le plus inutile qu’il m’ait été donné de lire sur pareille question depuis des lustres –ceux du tournant du siècle au demeurant, où l’on débattit beaucoup de civilisation, d’une crise du sens sur laquelle nous devions réfléchir sans trop nous focaliser sur la montée en puissance de la domination financière qui déstructurait le capitalisme contemporain… Beaucoup de métaphysique donc, et d’approche existentielle, très loin du niveau d’un René Guénon tout de même, et de son essai La Crise du monde moderne, le concept grec de krisis à la rescousse pour nous éclairer, imaginez le peu, sur la bombe des Subprimes -vous parlez d’un éclairage !  Seul Robert Castel sent bien combien l’approche est décalée, vaine, pour ne pas dire hébétée. On le voit embarrassé de se trouver dans pareille galère intellectuelle, se mettant à ressasser une vieille histoire de la sociologie critique, des origines à nos jours, pour conclure qu’on en a toujours besoin quand même, mais qu’il faudrait sans doute la rénover, sans trop savoir au demeurant comment la rénover, sans proposer sérieusement de pistes, sans horizon autre qu’un aveu personnel de quasi impuissance, donnant in fine son sentiment sur la situation présente plutôt qu’ébauchant les outils conceptuels qui nous permettraient de penser cette fameuse crise… Les autres sont pires, qui nous repassent le plat mille fois réchauffé de la peur du grand siècle : celle de la mondialisation… -on croyait le mot épuisé-… Pour pourfendre comme on le faisait avant le XXIème siècle, la tentation de l’irrationalité et le sentiment de la catastrophe imminente. Mais pas un mot, bien sûr, sur ces millions d’européens précipités soudain dans la misère depuis 2008. Aucun chiffre à l’appui de leurs rhétoriques, vieilles choses datées en guise de réflexion… Des généralités philosophisantes… C’est Mongin revenant une fois de plus sur ce que l’on nommait jadis crise de civilisation. La belle affaire : les Subprimes, à ses yeux, une crise de Confiance… On croit rêver… La Confiance majuscule, traitée à l’aune de la philosophie de la morale, quand les marchés n’ont jamais perdu confiance, eux, cette confiance qui était en fait l’épouvantail que les médias nous servaient et nous servent à longueur de journée à leur propos… Les Subprimes ? Une simple machine triviale pour capter d’immenses flux financiers et nous appauvrir. Jusqu’à l’usure indécente et totale de leur promesse de gain, convertie aussitôt en un nouveau piège plus efficace encore pour capter la manne publique à travers l’invention de la Dette Publique, l’outil financier le plus opérant jamais inventé par le Capital privé pour asseoir sa Domination. Dire que le mot de spéculation renvoie au problème philosophique de la confiance, c’est littéralement se payer de vains mots. Alors il reste quand même quelques interrogations de Castel à sauver de ce naufrage intellectuel, lui qui voit, soit dit en passant, les inégalités «perdurer» quand les chiffres montrent que ces inégalités ont atteint aujourd’hui des niveaux records, ceux du XVIIIème siècle… Seule vérité de son propos : qu’il n’y ait pas de classe porteuse d’un projet de société. Certes.

 

 

Crises ? éditions Parenthèses, coll. Septembre 2013, 16 euros, isbn : 9782863643402.

 

 

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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 04:56

A-tadeuszpeiper.jpgSur chaque feuille de ce dimanche étroit

Pèse un sédiment d’argent.


Oraison des passants calibrés de sourires

Puisque le nombre deux

Est aujourd’hui le plus petit parmi les gens.


(Les bas des femmes)

Cet hymne de soie au-dessus de la cruauté du sucre

Dans l’aile d’une manche qui passe

La rue pourrait me survivre.



Publié dans la revue L’Art Contemporain Kilomètre O, cote BNF FN14608.

Rédaction : 21, rue Valette, Paris 5eme. Imprimé en avril 1929 sur les Presses de l’Imprimerie de la Société Nouvelle d’Editions Franco-Slave, Paris, 32 rue de Ménilmontant, Paris XXème. Prix : 10 Frcs.

 

Ont participé au N°1 : Arnauld, Bereta, Brucz, Chirico, Chodasiewicz, TYTUS CZYŻEWSKI, Dermée, Desnos, Gain, Stefan George, MIKOŁAJ GRABOWSKI, VYTAUTAS KAIRIUKSTIS, Kurek, F. Léger, Masson, Marcoussis, Mondrian, Ozenfant, Peiper, Picasso, JULIAN PRZYBOŚ, Riemer, Seughor, HENRYK STAŻEWSKI, Tysliava, Tristan Tzara, ADAM WAŻYK, Lech Wolski, Zamoyski.

 

Tadeusz Peiper (1891-1969), poète polonais, critique et théoricien de la littérature. Membre de l’avant-garde polonaise des années 20/30. Fonde en 1921 Zwrotnica, revue littéraire de l’avant-garde dite Awangarda Krakowska (de Cracovie), en compagnie de Julian Przyboś, Jan Brzękowski et Jalu Kurek.


L’Art Contemporain, revue accueillant nombre d’entre eux, fut l’une des rares revues publiées en son temps à Paris et Varsovie, en français et en polonais. C'est l'une des rares revues dans lesquelles on pouvait lire des textes de Picasso.

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5 octobre 2013 6 05 /10 /octobre /2013 04:11
rene-Cassin.jpg"Protéger tout l’homme et protéger les droits de tous les hommes"…
Dans le climat délétère qui est celui de l'Europe aujourd’hui, et dont la France de Manuel Valls ne se démarque pas, sans doute est-il bon de rappeler l’inlassable combat de René Cassin, le père de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948), dont la pensée politique était fondée sur la conviction de la primauté de la personne humaine, tant il est vrai qu’il est loin le temps où cette personne humaine se verra revêtue d’un respect absolu. Tant il est vrai qu’il est loin le temps où l’on aura promu l’individu à la dignité de sujet du droit international. Tant il est vrai qu’il est plus loin encore celui de l’avènement de cette morale internationale qu’espérait René Cassin. Mais l’Etat Léviathan, qui ne sait qu’exposer ses citoyens et non les protéger, cet Etat que René Cassin redoutait tant, a de beaux jours devant lui, n’en doutons pas, qui ne sait ni ne veut protéger les individus de ses abus de langage et d’autorité. Loin le temps de l’adoption d’une déclaration universelle des droits de la personne humaine, que René Cassin espérait étayée sur des garanties précises plutôt que de vagues discours proférés à l’occasion du spectacle de l’horreur. Le juriste qu’il était voyait certes dans la puissance étatique le garant naturel de l’Etat de droit, mais il savait trop bien que lorsque le pouvoir renonce à défendre ses ressortissant, tous ses ressortissants, sans exclusive ni priorités, pour instrumentaliser tel ou tel, c’est la souveraineté du peuple dans son ensemble qui s’en trouve abolie. Cassin évoquait la situation des états européens, mais ne voyait pas que l'Europe deviendrait à son tour ce Leviathan qui recèle désormais un degré de périls réels, n’ayant cessé de faire de l’homme un moyen plutôt qu’une fin. Il serait bon que les libéraux et les socialistes de Pouvoir de tout bord le relisent, lui qui était un libéral de leur bord, mais aux yeux duquel la règle républicaine exigeait que le bonheur du peuple, oui, vous avez bien lu : "le bonheur", en tant qu’élément constitutif de la société, soit visé pour faire progresser l’ensemble du corps social de la Nation. A placer pareillement la question du bonheur des hommes dans le champ de l’application politique, au fond, ce que Cassin proposait n’était rien moins que de rompre avec cette logique très au fait en Europe, qui veut que le citoyen ne compte pour rien et qu’on puisse le livrer pareillement à la Domination de la Finance.
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4 octobre 2013 5 04 /10 /octobre /2013 04:20

Voilà, nous fêtons les 55 ans de la Constitution de la Vème République... Hollande n'a pas l'intention d'en changer, ni même de la réformer. Mieux, il vient d'en faire l'éloge et de nous promettre un très léger lifting avec l'introduction du référendum populaire... Ce, bien qu'une crise de défiance se fasse jour à l'égard d'une Constitution à tout le moins embarrassante.

Jean-Philippe Feldman, avocat à la cour de Paris et professeur à l'université de Bretagne-Sud, avait ouvert la voie il y a quelques années de cela, en recommandant par exemple "l’utopie réaliste" d’une constitution libérale, au lieu de cette cote mal taillée de la Vème, qui n'a cessé de réactualiser l'inconscient souverainiste de nos élites politiques. Son ouvrage, De la Ve République à la Constitution de la Liberté, interroge les constitutionnalistes et les politiques, mais également les citoyens sur ce que devrait être une constitution. Sans partager ses conclusions, reconnaissons l’intérêt d’une telle question.
Mais comment répondre à cette question en tant que citoyen ?
D’où partir pour réfléchir une nouvelle Constitution ?
A l’évidence, tout d'abord de l’urgence face à laquelle nous place l’Etat français tel qu'il fonctionne, de rappeler à satiété l’exigence de souveraineté de l’individu, l’explicite de 89, impliquant le droit pour chacun de s’opposer aux abus de pouvoir de l’État. Pour rappeler en quelque sorte que l’état de droit est un État dans lequel les Droits de l’homme doivent être garantis contre l’arbitraire (parlons des Rroms alors, cher Président ou de tous ces citoyens français d'origines étrangères, si peu considérés encore et trop lâchement abandonnés par la République). Ce qui revient à convoquer l’article 3 de notre Constitution : «la souveraineté nationale appartient au peuple».
Au fond, la question fondamentale qu’il faudrait poser serait celle de savoir ce qu’est l’essence d’une Constitution. Et la réponse n'en serait que plus simple : c’est la conception du pouvoir qu’elle met en œuvre.
Or, si jusque là le trait essentiel de la Constitution de la Ve République était d’affirmer le rôle de l’Etat comme force animatrice de la vie politique, sans doute faut-il aujourd’hui insister sur le fait que l’Etat est certes Le Pouvoir, mais qu’il n’est pas tout le Pouvoir disponible dans une société. Il y a même un vrai danger à le penser comme l’essence de la nation, de son énergie, et le laisser capter tout le Pouvoir disponible.
De sorte que la Constitution de la Ve République est sans doute un outil obsolète qui entrave la venue d’une société nouvelle.
Car cette Constitution, pour quoi (et pour qui) était-elle faite ?
L’objectif du Général de Gaulle, rappelons-le, était de renforcer le Pouvoir présidentiel, en maintenant le régime parlementaire sous surveillance. Le régime politique gaullien offrait ainsi cette particularité d’asseoir au sommet de l’Etat républicain un Président-Monarque. On le sait, cette Constitution portait en elle les risques d’une sérieuse dérive autoritaire. Le précédent hyper-président en fut la preuve manifeste, nul besoin de pousser l’analyse : pour lui, la dérive était la norme. Une béance que ce déficit démocratique, colmatée depuis à la va comme je te pousse, passablement inquiétante même si, comme l’affirme l’historien Serge Berstein, la culture politique française, solidement républicaine, constitue un garde-fou contre toute émergence d’un fascisme français. Il n’empêche : le résultat, aujourd’hui, c’est un chef d’Etat souverain, sourd à la souffrance des hommes, godillant en justifiant soigneusement sa politique par des principes hagards, à force d'être flous, mais convoquant à chaque minute de son mandat cette 
dimension transcendante que l’Etat français avait adopté dans l’allure gaullienne, au nom de laquelle le peu qu'il reste de démocratie paraît bien dérisoire.

Cela dit, plus qu’un refus de la dyarchie à la tête de l’Etat, qui est l’analyse habituelle que font les consitutionnalistes de notre étrange situation, ce qui caractérise l’Etat français aujourd’hui, c’est son refus d’un sommet contingent labile, marque des grandes démocraties avancées. Sans sommet contingent labile, l’Etat français s’avère incapable de libérer les énergies créatrices. Car la vérité d’un état démocratique contemporain réside là : dans le concert d’un sommet contingent, labile, dans cette déstabilisation fondatrice de la puissance suprême.


De la Vème République à la Constitution de la Liberté, de Jean-Philippe Feldman, éditions Institut Charles Coquelin, novembre 2008, ISBN : 2-915909-19-7  

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