NuitDebout : Cette dimension du sens que nous sommes
«L’Histoire, c’est la dimension du sens que nous sommes», disait le grand historien Marc Bloch, avant d’être fusillé par les nazis. La dimension du sens que nous voulons être. De cette volonté qui se dessine, aujourd’hui, dans ces NuitDebout qui fleurissent partout en France et dont nul ne sait encore sur quoi elles déboucheront. Ce que d’aucuns lui reprochent. Brouillonnes, certes, elles le sont –justement-, et cependant extraordinairement organisées. Brouillonnes parce que gourmandes de cette parole retrouvée, confisquée depuis tant et tant de décennies ! Et cependant organisées dans une perspective infiniment pertinente : celle de la Convergence des luttes. D’une convergence que l’on voit chaque jour se dessiner un peu mieux et dont il ne faudrait pas anticiper trop tôt la logique du reste. Etudiants, lycéens, hier les agriculteurs bio, des cheminots, les personnels de santé… Tout ce monde venu parler, débattre. Bourillon ? Vraiment ? Ces prises de parole qui oscillent entre la réflexion et le témoignage, avec ou sans recul, sur la vie, sur nos vies, sur leurs vies…
Il fallait commencer par là en fait, pour donner un jour des chances à ce sens commun d’émerger. Là, dans ce qui fonde ce rapport tout à la fois individuel et collectif au sens. Et chercher à comprendre, sereinement, lentement, comment ce sens s’inscrit dans le présent de nos vies individuelles, tout comme dans celui de notre histoire commune. S’y inscrit ou s’y absente. Et marteler que depuis trente ans au moins, seul le refus du sens était perceptible dans le champ clos de la Nation française (défunte).
Il fallait commencer là : nous avions voté socialiste, les socialistes nous avaient trahis. Le changement français, en fait, c’était Valls : une marche à tombeau ouvert à la rencontre de l’extrême droite.
Il fallait commençait là, depuis ces colères qui se faisaient jour, que chacun raconte Place de la République, sans façon, sans détour, chacun témoignant des révoltes fragiles, inattendues, qui commencent d’éclater. Il fallait raconter, d’abord, que des insurgés étaient morts par exemple, tués par le pouvoir socialiste (Rémi Fraisse). Ou que partout nos échecs politiques, sociaux, nous faisaient mal. Il fallait commencer très exactement là, non pour redire, mais dire enfin que nous avions assez de voir partout s’étaler le mépris de cette fausse gauche. Et qu’il était grand temps d’en finir avec elle. Grand temps de la laisser, seule, s’échouer, avec sa fausse morale républicaine, la même qui naguère jeta les français dans les bras de Pétain. Il était grand temps de nous mettre à l’écoute du monde, qui bruissait de ces colères qui nous retenaient au chevet les uns des autres, grand temps de nous mettre à l’écoute de ces soulèvements dont on sentait monter la houle immense. Et qui partout cherchaient leur sens. Un vide béant s’était ouvert sous nos pas, qui nous avait fait voter Hollande pour nous sauver de Sarkozy. Ou demain Juppé de Le Pen. C’est dire le dégoût qui a fini par être le nôtre. Nous avions touché le fond. Désormais ce qui est en jeu, c’est de savoir ce qui justifie nos vies. Quelque chose qui est de l’ordre du regard que l’enfant pose sur le monde. N’importe quel enfant du reste, saurait ouvrir les yeux sur la nullité éthique de la société néolibérale. Il nous restait à construire ce regard d’un premier matin. Comme il nous revient à présent de construire notre soulèvement. Ethique. Car ce qu’il faut construire, c’est une autre idée de la vie ensemble. Où habiter chacun pleinement sa vie, ses relations à l’autre plutôt que de devenir l’entrepreneur désespéré d’une vie pour soi. Il n’y a au fond peut-être pas de société à détruire, comme l’affirmait le Comité invisible : il n’y a que nous et l’ensemble des liens par lesquels nous tenons à ce «nous» qui mérite que nous agissions. Un grouillement de mondes. C’est cela, la Commune de la Place de la République. C’est cela, cette dimension du sens que nous sommes, où actualiser un certain niveau de partage qu’il faut inscrire dans un espace déterminé pour ajouter au territoire la profondeur de l’humain.
Nuit Debout, par centaines de milliers désormais !
Nous n’étions pas quelques centaines dimanche à République, comme certains médias aux abois voudraient le faire croire. Nous avons appris à compter et connaissons les techniques de comptage de la préfecture de police : nous étions plus d’un millier (1200 pour certains). Non, nous n’étions pas un millier place de la République, nous étions plus de 120 000 : l’AG #34mars, relayée en streaming via le Periscope de @RemyBuisine @NuitDebout a été suivie par 120 000 personnes ! Non, nous n’étions pas plus de 120 000 ce soir-là, car le même soir, plus de 22 villes en France voyaient leurs citoyens se lever. Lyon, Marseille, Avignon, Toulouse, Valence, etc. Nous étions plus de 150 000 ! Mais non, nous n’étions pas plus de 150 000, car partout dans ces villes des citoyens relayaient ces AG via facebook, périscope, youtube, twitter, par mails et par sms. C’est en centaines de milliers qu’il faut nous compter désormais, n’en déplaise aux médias stipendiés, nervis d’une cause perdue !
Michel Bouquet : Le Théâtre est une vérité
«Le plus difficile est de comprendre qu’on ne joue pas Molière comme on joue Shakespeare, ni même deux pièces de Molière identiquement», affirme d’emblée Michel Bouquet dans ces enregistrements inédits – des entretiens réalisés souvent face à ses élèves du Conservatoire National. Un Michel Bouquet particulièrement revigorant, qui sans détour ouvre aux vraies questions. La vérité du jeu ? «Il faut comprendre comment, dans la structure de la pièce, le personnage vient s’inscrire, et quelle est la chose que l’auteur désire, du personnage». Avec quelle force dessine-t-il la visée du théâtre, auquel on ne comprend rien si l’on ne fait en effet que s’arrêter à tel personnage, telle réplique, telle situation. Car le dessein du théâtre appartient à la pièce, non au personnage, qui ne peut en assumer le destin. «Il ne faut pas se tromper là-dessus», insiste-t-il : «Le jeu, ce n’est pas être». Certes, reconnaît-il, on est avec le personnage en entrant dans la pièce, mais on ne peut y rester. «Il faut sortir du travail intérieur à un certain moment », pour que cette fameuse «vérité» du théâtre advienne : quand il se fait «vivant». Molière ? Plus l’intrigue est naïve, plus elle est mystérieuse. Car Molière ne montre pas son intelligence : il montre ses personnages. Le Malade imaginaire par exemple, qui selon lui a avant tout besoin d’action. Pas de raisonnement. Toinette ? Ça ne veut pas dire que Molière y croit : c’est bête, mais à un point sublime. Molière passe son temps à se moquer du meilleur de lui-même et ose, au-delà de tout ce que l’on pense. Comme dans L’école des femmes, au goût de Michel Bouquet : «Une des pièces les plus étonnantes de Molière. D’un courage invraisemblable, où toute la normalité est inversée. Où Molière joue sur l’anomalie, mais avec une souffrance incroyable.» Le génie de Molière, c’est que lorsqu’il a présenté un état, il n’y revient plus. Il sait très bien que dans la vie on change tout le temps. L’espoir, le désespoir, ça bouge tout le temps. Molière, Feydeau, Marivaux, Corneille, cet avocat qui écrit des plaidoiries, « l’œuvre d’un mystique qui fout la merde chez les autres ». Shakespeare, Richard II ? La tragédie de tout homme, immergée dans une pièce où le silence s’affirme en tant que valeur de jeu. Beckett enfin, avec son sublime Godot, «un texte qui contient toute notre vie et qui rend l’être humain responsable de l’état dans lequel il arrive à la mort». Godot ? Une prière qui est devenue ridicule aux yeux des hommes. L’horreur et le grandiose de la condition humaine, où tout se contamine, le sacré, le grotesque, où l’on est obligé d’aller au fond de la sincérité de soi-même, qui devient bouleversante de noblesse et de ridicule. Ce qui est drôle chez Beckett ? «Cette manière dont les gens se racontent des histoires pour exister, ou échapper à leur existence. C’est tellement dure, la vie… Le monde est une telle déconfiture désormais»… On l’aura compris : c’est une grande leçon de vie que nous offre là Michel Bouquet !
MOLIÈRE-SHAKESPEARE - CORNEILLE - BECKETT - PINTER… EXPLIQUÉS PAR MICHEL BOUQUET, DOCUMENTS INÉDITS 1986-1987, MICHEL BOUQUET, Direction artistique : GEORGES WERLER, Label : FREMEAUX & ASSOCIES, Nombre de CD : 2.
L’Emploi des jeunes issus de l’immigration : double peine !
La dernière étude publiée sur la question en décembre 2015, celle du Céreq, montre très clairement que les jeunes issus de l’immigration maghrébine se trouvent confrontés à des difficultés beaucoup plus grandes pour accéder à l’emploi que les autres. En outre, parvenus à cet emploi, ils occupent des postes de moins bonne qualité et à qualification égale, se voient moins bien rémunérés que les autres, pâtissant très clairement d’une pénalité liée aux origines de leurs parents, pénalité qui s’aggrave au fil des années… Yaël Brinbaum, du Centre d’études de l’emploi est formelle : une véritable ségrégation est à l’œuvre les concernant. Et avec les jeunes issus de l’immigration subsaharienne et les rroms, ils sont les seuls à connaître pareille situation en France ! Ségrégation résidentielle et scolaire se conjuguent au racisme latent des employeurs pour leur fermer l’accès à l’emploi… Dans la France du XXIème siècle, la discrimination à l’embauche est ainsi bien réelle, qui se traduit par un désavantage qui se maintient après sept années de vie active. Quant à ceux, 40% soit presque 1 sur 2, issus tout à la fois de l’immigration et vivant dans des foyers d’ouvriers, sous-représentés dans les filières d’apprentissage, qui voudraient «s’en sortir» coûte que coûte, la France, leur patrie, ne leur réserve statistiquement que de longues périodes de chômage, des emplois précaires sous-payés et le plus souvent à temps partiel pour seul promesse d’avenir… En somme, seule l’instabilité professionnelle jalonnera, et pour longtemps, leur parcours dans la vie active ! Les diplômés issus de cette immigration, eux, devront se rabattre sur des emplois qui ne sont pas à leur niveau de qualification. Et à diplôme égal, ils n’auront curieusement que peu de chance d’entrer dans la Fonction Publique : majoritairement, ils occuperont des postes en CDI et/ou temps partiel. En termes de rémunération, 32% de ces jeunes perçoivent des salaires inférieurs au SMIC et seuls 15% d’entre eux se verront rémunérés au-dessus du salaire médian. Ils n’auront en outre majoritairement droit à aucune promotion ni augmentation de salaire. Rien d’étonnant alors à ce que les études révèlent une grande frustration sociale et professionnelle, puisque à terme, ils ont plus de risque que tous les autres jeunes français d’occuper toute leur vie un emploi sous-qualifié et sous-payé, la «pénalité maghrébine» à l’œuvre dans notre belle République révélant son visage particulièrement nauséabond…
Les débuts de carrière des jeunes issus de l’immigration : une double pénalité ?, Bref de Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), n°341, décembre 2015, issn 2116-6110.
«L’insurrection commencera par une crise de larmes planétaire»
(Le comité invisible). Nous avons perdu. Tous nos acquis ont été bafoués. Nous avons voté socialiste, les socialistes nous ont trahis. Des révoltes sporadiques, fragiles, inattendues, ont bien certes agitées la sphère sociale. Des insurgés sont morts, tués par les forces de police. Il faut le garder en mémoire : tués par le pouvoir socialiste (Rémi Fraisse). La colère gronde bien, mais une chape repose sur nous et plombe tout espoir de voir ce monde se transformer dirait-on. Pourtant, partout dans le monde des insurrections éclatent. Et l’on sent bien qu’en France il suffirait d’un rien pour qu’une sourde colère ne se fasse explosive. Est-ce la raison de l’état d’urgence ? Sans doute, quand les spécialistes s’accordent à dire qu’il est un vain outil contre le terrorisme (2500 perquisitions musclées, 2 mises en examen sous liberté conditionnelle…). Sinon le signe d’une capitulation devant ses exigences. Une colère, des colères se font jour donc, qui pourraient mener n’importe où. Dans les bras du FN pour les uns, de la haine de l’autre pour nombre de français, encouragés dans cette attitude par des partis qui, pour sauver leur pouvoir, n’hésitent pas à promouvoir les discours les plus extrêmes. Partout nos échecs nous font mal et retentissent de ce que nous ne savons plus ce qu’est un vrai changement politique. Peut-être parce que dans le même temps, partout se sont levés les fossoyeurs du changement. Rappelez-vous la campagne de Hollande, rappelez-vous Tsipas, dont le seul souci était de liquider tout ombre de révolution en Grèce pour rassurer les banquiers allemands. Le changement français, en fait, c’était Valls : une marche à tombeau ouvert à la rencontre de l’extrême droite. Partout le mépris du peuple de cette fausse gauche s’est étalé à l’envi. Il est grand temps d’en finir avec elle. Grand temps de la laisser, seule, s’échouer, avec sa fausse morale républicaine, la même qui naguère jeta les français dans les bras de Pétain. Il est grand temps de nous mettre à l’écoute du monde, qui grouille plus que jamais de ces colères qui nous retiennent, de ces soulèvements dont on sent venir la houle immense. Et qui partout cherchent leur sens. Que nous manque-t-il au vrai ? Il nous manque de réaliser que la crise est devenue une méthode de gestion des populations. Un outil de domination des peuples. Il nous manque de réaliser que le Front Républicain est un piège dont on ne sortira pas vivants. Il nous manque de réaliser que nous sommes les morts-vivants d’une Apocalypse en trompe-l’œil. Notre civilisation est morte, mais nous n’en voulons rien savoir. L’Occident est une catastrophe pour l’humanité, mais nous n’en voulons rien connaître. Un vide béant s’est ouvert sous nos pas, sous nos révoltes, sous notre désenchantement. Qui nous fait voter Hollande pour nous sauver de Le Pen. Puis Jupé pour nous sauver de Le Pen. Puis Valls pour nous sauver de Le Pen. Puis Estrosi pour nous sauver de Le Pen. Puis Macron pour nous sauver de Le Pen. C’est dire le dégoût qui est le nôtre. Et ce dégoût est le fond du mouvement qui nous anime. Non pas un soulèvement, mais un haut le cœur. Le vide. Pas de programme. Mieux qu’un programme à tout prendre : nous touchons le fond, où ce qui importe, où ce qui est en jeu est de savoir ce qui justifie nos vies. Moins la polis que la zoê. Quelque chose qui est de l’ordre du regard que l’enfant pose sur le monde : n’importe quel enfant sait ouvrir les yeux sur la nullité éthique de l’occident. Il nous reste à construire ce regard. Ethique. Il nous reste à construire nos révoltes. Ethiques et non politiques. Il nous reste à ne pas sombrer trop tôt dans le champ du politique, à lui résister même, à le refuser. Car ce qu’il faut construire, c’est une autre idée de la vie ensemble. Ce qu’il faut imposer, c’est une autre idée de la vie. Habiter chacun pleinement sa vie, ses relations à l’autre, plutôt que de devenir l’entrepreneur désespéré d’une vie pour soi. Il n’y a donc pas de société à détruire, comme l’affirme le Comité invisible. Il n’y a que nous et l’ensemble des liens par lesquels nous tenons à ce «nous» : un grouillement de mondes. C’est cela, la Commune : se relier, actualiser un certain niveau de partage qu’il faut inscrire dans un espace déterminé, pour ajouter au territoire la profondeur de l’humain.
À ceux pour qui la fin d’une civilisation n’est pas la fin du monde ;
À ceux qui voient l’insurrection comme une brèche, d’abord, dans le règne organisé de la bêtise, du mensonge et de la confusion ;
À ceux qui devinent, derrière l’épais brouillard de « la crise », un théâtre d’opérations, des manœuvres, des stratégies – et donc la possibilité d’une contre-attaque ;
À ceux qui portent des coups ;
À ceux qui guettent le moment propice ;
À ceux qui cherchent des complices ;
À ceux qui désertent ;
À ceux qui tiennent bon ;
À ceux qui s’organisent ;
À ceux qui veulent construire une force révolutionnaire, révolutionnaire parce que sensible ;
Cette modeste contribution à l’intelligence de ce temps.
A nos amis. Comité invisible, éd. La Fabrique, 21 octobre 2014, 250 pages, isbn : 978-2-35872-062-5
COP 21, victoire diplomatique, échec climatique ?
Il est bon de lire le document final de l’Accord de Paris. On y parle de « riposte mondiale » à la menace de changements climatiques, mais d’une riposte toute en prudence, où il est «demandé» d’engager, si possible, «des efforts ambitieux», de «chercher à parvenir» à un éventuel plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre et ce, «dans les meilleurs délais» pour «opérer à des réductions rapidement», sans précision de dates évidemment. Un document dans lequel il est «fortement demandé» aux Partis de «prendre des mesures», pour que «le niveau d’ambition soit le plus élevé possible». Une riposte, on le voit, très conditionnelle –la langue par excellence de la diplomatie. Partout du reste le conditionnel règne en maître dans ces pages. Les Partis «devraient», seraient «invités» à «faciliter», «permettre», «promouvoir», en attendant un premier bilan en 2023… On l’aura compris : rien, dans ce texte, ne passe la pétition de principe. Rien d’étonnant alors à ce que l’accord ait été signé : il n’engage à rien. Sa ratification est prévue entre le 22 avril 2016 et le 21 avril 2017. D’ici là, beaucoup d’eau boueuse aura coulé sous les ponts… Mais il faudrait tout de même saluer la diplomatie française d’avoir su conclure un accord aussi incertain. C’est un progrès, affirme-t-on. L’espoir d’une dynamique possible. Peut-être. Par les travaux qu’elle a générés, la COP 21 ne devrait pas être vouée aux gémonies. Car l’ampleur de ces travaux, en elle-même, marquerait un tournant. Historique. Une base de départ pour cette transition vers le monde bas-carbone sans lequel nous disparaîtrons. La COP 21 créerait même une feuille de route obligeant à penser la création de nouveaux modèles économiques. Difficiles à trouver au demeurant, puisque c’est dans le cadre d’un monde néolibéral qu’il faudra les inventer, et en sauvant les groupes industriels qui nous tuent… Tout de même : l’objectif de l’accord de Paris (article 2) serait bel et bien, écrit noir sur blanc, de contenir «l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ». Une victoire, un miracle. Même si l’accord ne prévoit pas que l’objectif soit atteint… Même si, de l’aveu de la communauté scientifique, ce sera de toute façon insuffisant pour enrayer la hausse des températures… On comprend alors qu’aux yeux de cette communauté scientifique, comme en témoigne Paul Watson, cet accord ne soit qu’un «conte de fées» : tous les partis ont en fait repoussé aux calendes l’idée d’un accord les engageant concrètement. Aucune action tangible n’est envisagée, et l’accord ne parle même pas des océans, dont le tiers est pollué par Fukushima, ni des dommages causés par l’industrie agro-alimentaire, sponsor, tout comme des transports, pour ne déplaire ni aux américains, ni à l’Arabie Saoudite… En gros : les chefs d’état n’ont rien voulu entendre. Et l’argument final développé par les plus fins commentateurs de l’accord, tel Alain Grandjean, rappelle curieusement le coup du front républicain : il serait en gros contreproductif «voire dangereux d’ergoter sur les insuffisances de l’accord de Paris », car ce serait «faire le jeu des lobbies qui jouent sur l’impossibilité de faire la transition». Pour nous sauver du pire, il faudrait accepter le moindre…
Front Républicain : le piège électoral est en place…
Les régionales sont derrière nous. Que faire ? Tout le monde a perdu. Sauf Hollande. Que faire ? Surtout rien. Poursuivre la droitisation de la société française. Contraindre les français au vote de résignation. Tarir toute velléité de choix politique. Tout le monde a perdu, sauf Hollande. Qui a bien manœuvré. Tuant la droite grâce au campement de Valls établi sur les terres du Front National, tuant la Gauche qui ne représente plus rien sur le plan électoral –elle vient de perdre plus de la moitié de ses voix!- et grâce au sursaut républicain, tuant toute vie politique saine pour se maintenir au pouvoir contre vents et marées. Quelle est la finalité de la politique ? Prendre et conserver le pouvoir. Tout le reste est littérature… Hollande l’a bien compris, qui poursuit, seul, son aventure politicienne. Délestant au passage la République de son peuple souverain, muselant, et pour longtemps, la société civile. Hollande a gagné. Sans programme, sinon celui du MEDEF. Sans vision. A quoi bon quand des éléments de langage suffisent à s’assurer une part raisonnable du marché politique ? Le piège est bien en place : en 2017, il faudra choisir entre Marine Le Pen et lui. Ou bien un autre, de droite, si celle-ci parvient à refaire surface. Pourquoi pas Estrosi ? Les français sont prêts à voter Estrosi pour faire barrage au Front National. Peu importe donc le futur candidat du Front Républicain, Hollande aura fait son job : défaire la souveraineté populaire, sauver les meubles d’une République insalubre. La victoire est amère. Le Front National, plus que jamais, dicte sa loi à la classe politico-médiatique : à droite, toute. Plus encore, s’il est possible. A mort les pauvres, à mort les immigrés, à mort les rroms, à mort le peuple français. Hollande a tué toute vie politique en France. Tout espoir de changement. Et après avoir trahi toutes les valeurs de la Gauche, il s’apprête à les trahir mieux encore. De phrases creuses en phrases creuses, l’indignité politique est à son comble en France. Seule lueur d’espoir : au premier tour, plus de 23 millions de français ont refusé cette mascarade.
JE SUIS DE LA COULEUR DE CEUX QU´ON PERSÉCUTE
Trente ans d’échec titrait le dernier numéro du Monde Diplomatique. En France, la haine des pauvres a fait resurgir la bête. Celle des pauvres considérés comme des sous-hommes par l’idéologie néo-libérale. Un mépris qui s’est transformé en haine. A mort les pauvres. Que l’on ne compte plus du reste, tant ils sont nombreux. Nous vivons dans un état odieux, dans lequel des millions de gens sont chaque jour affrontés à la plus extrême misère. Dans lequel plus de 30 000 enfants par exemple, vivent à la rue. Dans lequel 35% des SDF sont des familles. Dans lequel les bidonvilles ont fait leur retour –de véritables villes selon l’état des lieux réalisé fin 2013 par la Délégation Interministérielle à l’Hébergement et l’Accès au logement (DIHAL). Des villes où la population, abandonnée à elle-même, s’est organisée et que l’état français s’acharne à démanteler sans proposer de solutions aux êtres humains qui les habitent, l’état se contentant de les chasser jour après jour (on appelle ça persécution), sans considération pour les enfants que leurs parents, au prix d’incroyables sacrifices et dans des situations aussi extrêmes, ont réussi à scolariser pour qu’ils apprennent notre belle langue française. Je vis dans un état odieux dans lequel on persécute des êtres humains au prétexte qu’ils sont rroms. Dans lequel on encourage le racisme anti-musulman. Je vis dans un état odieux où les politiques (Gauche-Droite) n’ont voulu voir dans la poussée des identités périphériques que l’expression d’un néo-communautarisme dangereux, au moment où les références nationales déclinaient. Je vis dans un état odieux dont les politiciens ont ressorti du plus infâme de leur chapeau le vieux schéma national-républicain pour affronter un prétendu déclin national et dans lequel les intellectuels se sont enrôlés pour mener cette guerre abjecte contre les pauvres. Je vis dans un état odieux où des décombres de l’état Providence a surgi l’état carcéral. Je vis dans un état odieux où la régulation des couches populaires passe par l’état pénal, plutôt que le redéploiement des richesses du pays. Je vis dans un état odieux ou le traitement sécuritaire s’est substitué au traitement social. Où le manège sécuritaire nous gave de fantasmes d’ordre pour précipiter l'électorat dans les bras de l’extrême droite par calcul politique. Je vis dans un état odieux où, pour masquer l’affaiblissement de la Puissance Publique, liée à la perte de sa souveraineté face à la Finance, on ne parle que de reconquérir des zones dites de non-droit, comme pour restaurer symboliquement l’autorité d’un état qui ne sait où faire la démonstration de sa force. Je vis dans un état odieux où le spectacle de la répression du Peuple souverain permet d’exhiber les signes de l’autorité d’un état qui ne contrôle plus rien. Je vis dans un état odieux qui a centré exclusivement l’approche sécuritaire sur la délinquance de rue et les zones urbaines en déclin, alors que dans le même temps, la délinquance en col blanc et celle de la Finance explosent. Je vis dans un état odieux qui continue de penser que "le changement" viendra de l’abandon d’un modèle social prétendument en faillite, alors qu’en vérité, il ne s’agissait pour lui que d’accompagner l’avènement du néolibéralisme dont le seul horizon était justement de mettre fin à l’état providence pour confisquer au profit des riches le Bien Commun et à long terme, de mettre fin tout court à l’état de Droit – on en voit se dessiner le modèle avec l’état d’urgence. Je vis dans un état odieux où l'état sécuritaire n’est pas la réponse à la généralisation de l’insécurité salariale, sociale, mais son fondement même : punir y est devenu la discipline du salariat précaire que le néolibéralisme a installé un peu partout dans le monde, en refusant de socialiser les classes pauvres pour les abandonner à leur misère. Je vis dans un état odieux où il ne s’agit du reste plus seulement de punir les pauvres, mais d’entraîner tout le corps social dans l’abîme sécuritaire et raciste qui signe le l’horizon néolibéral. Je vis dans un état odieux qui connaît la forme la moins enviable du néolibéralisme, celle dans laquelle l’accord sur les valeurs communes ne peut venir que de la coercition. De fait, les libéraux eux-mêmes devraient s’en inquiéter : la clique au pouvoir a fini par trahir jusqu’aux fondements du libéralisme philosophique, qui originellement articulait une conception morale du service de l’état, fondée sur la norme de l’égal respect des personnes. Une norme qui est entrée dans la pensée française, quelle ironie, comme réponse aux guerres de religion qui ravageaient le pays… Or voici que sous couvert d’une nouvelle guerre de religion l’on vient rompre avec cette norme. Car aujourd’hui, non seulement l’état français n’apporte pas de réponse aux problèmes que rencontrent les français, mais il est le problème lui-même, le fauteur de troubles publics qui divise, attise les haines et dresse des murs d’incompréhension. Alors pour toutes ces raisons, oui, je suis de la couleur de ceux qu’on persécute !
Il faut sauver la classe politico-médiatique…
Plus de 60%des français ont refusé de participer à la farce électorale proposée par le PS et les Républicains sous le titre : « faire cette année encore barrage au FN » -en attendant son remake l’année prochaine aux présidentielles... Plus de 60%, car au 50,09% d’abstentionnistes il faut ajouter les non-inscrits (« à peu près 3 millions », de l’aveu du Ministère de l’Intérieur –et on doit juste s’inquiéter d’une déclaration aussi imprécise), les votes blancs et les votes nuls. Ces 60% qu’aujourd’hui toute la presse s’emploie à stigmatiser, voire à rendre responsables d’une prétendue poussée du Front National (qui ne cesse en réalité de perdre des voix, plus de 400 000 très exactement entre 2012 et 2105, et qui de son propre aveu se trouve gêné dans sa progression par cette montée en puissance de l’abstention ou du refus de voter)… 60% des français en âge de voter ont donc refusé de voter, ce qui signifie que les trois partis concurrents ne représentent pas même le tiers des suffrages exprimés ! Alors pourquoi cette curée sur les abstentionnistes ? Pourquoi en outre tant de mensonges, comme le faisait France Inter il y a quelques jours, à nous faire croire que le FN rencontre l’adhésion de la jeunesse, quand 76% des français de 18 à 25 ans se sont abstenus ou ont renoncé à voter ? Pourquoi cette stigmatisation ? Pourquoi cette dramatisation ? Partout en France, avec l’appui des grands médias, l’on entonne le fameux couplet pseudo républicain : faire barrage au FN, réveiller les consciences, il s’agirait désormais de sauver… mais quoi au juste ? La démocratie ? Certainement pas : le système républicain autoritaire mis en place par Valls et Hollande est tout sauf démocratique. Une machine à confisquer la démocratie même. Non, ce qu’il nous faudrait sauver en fait, c’est la classe politico-médiatique, celle-là même qui depuis 40 ans nous assène jusqu’à la lie ses promesses de changement, murées dans la permanence de toute absence d’alternance politique. Haro sur l’abstention donc, qui serait la grande fauteuse, soit près de la moitié des électeurs, haro sur les non-inscrits que l’on oublie toujours au passage, haro sur les votes blancs, nuls, haro en somme, sur l’immense majorité des citoyens français qui ne goûtent plus la farce électorale que nous propose cette classe stipendiée que seuls ses avantages acquis sur nos défaites retiennent. Que faudrait-il sauver en somme, sinon ses avantages acquis ? Car à moins d’être aveugle, d’élection en élection, le seul constat que l’on peut faire, c’est que nos voix ne sont jamais prises en compte. Du coup, le moins que l’on puisse penser, plutôt que d’interpréter l’abstention comme une lâcheté politique ou le vote blanc comme refus des choix proposés, c’est que nous ferions mieux d’y voir un vrai geste politique : celui du refus du système représentatif français tel qu’il fonctionne, qui permet à un parti minoritaire de confisquer et la représentation nationale et le pouvoir exécutif (tout comme le pouvoir législatif grâce au furieux bidouillage de la programmation des élections législatives dans le sillage de l’élection présidentielle). Au fond, la réalité, c’est que la Vème République, conçue pour lutter contre le régime des partis, s’est muée en République des Partis. Alors certes, l’abstention ou le refus de s’inscrire sur les listes électorales, tout comme les votes blancs et nuls, ne traduisent pas un engagement politique. Ils pointent la place du vide effarant dans lequel est tombée l’irresponsabilité politique ambiante. Ils révèlent en outre une crise sévère, et par leur refus du système politique en place, ce jeu de dupe où le prétendu engagement qui consiste à déposer son bulletin de vote dans l’urne masque en réalité une passivité politique ahurissante dès la clôture du théâtre des élections. Ils révèlent ce grand vide dans lequel s’exerce le pouvoir politique. Un grand vide que rien ne comble, sinon des gesticulations obscènes et des éléments de langage hypocrites. Un grand vide qui rappelle au fond celui qui nous est apparu lors de la fin des dictatures de l’ex-Est, qui se sont écroulées sur elles-mêmes, sans révolution sanglante, dès lors que les peuples qui se trouvaient sous leur domination n’y croyaient plus. Surtout : ne croyaient plus à leur pouvoir de coercition. Si bien que cette Vème République à bout de souffle s’effondrerait comme un château de carte si nous lui tournions tout bêtement le dos.
De Charybde socialiste en scylla frontiste…
Ce sera pire après, nous dit-on et nous n’aurons qu’à nous en prendre à nous-mêmes… Ce sera pire en effet : un cran de plus. La presse, qui n’était déjà plus vraiment libre mais aux ordres des nantis deviendra lige, mais cette fois au grand jour, sans avoir à le cacher, libre de dévoyer ce qu’aujourd’hui elle minaude. Ce sera pire, mais à tout prendre plein de promesses pour les lendemains du PS et des Républicains, qui en connaissent déjà le scénario : après quelques années sinistres, ils reviendront au pouvoir, portés par une liesse fabriquée à nouveau à l’emporte-pièce par une presse servile, toujours prête à se jeter aux pieds de nouveaux maîtres. Et tout recommencera comme au bon vieux temps : un coup à droite, un coup à gauche, avec non moins assuré le retour de ce bon vieux racisme d’état qui permettra au FN de prendre de nouveau le pouvoir. La seule chose qui change au fond, c’est que c’est un jeu à trois désormais, et non plus à deux. Pour l’heure donc, il faudrait sauver la classe politicienne, qui s’imagine la seule classe sociale indispensable à la nation française. Un entre-soi odieux, qui chaque jour révèle des pans de son ignominie sans que les médias ne s’en émeuvent–ils sont à sa botte. Aux commandes, nous avons des gens cyniques. Des nihilistes. Rien de plus. Comment en est-on arrivé là ? La question est idiote : nous le savons bien, nous le savons tous, les 60% de français qui ne votent pas à tout le moins le savent, tandis qu’un dernier tiers s’accroche à son fantasme démocratique. Mais quand l’abstention triomphe à ce point, cela signifie que nos institutions n’ont plus aucune validité, ni aucune légitimité.
Les Arméniens 100 ans après, Séda Mavian
100 ans plus tard, les Arméniens sont une nation éparpillée aux quatre coins du monde. Car si l’on compte 10 millions d’Arméniens dans le monde, 6 à 7 millions d’entre eux vivent en diaspora. Très peu donc, dans cette Arménie si jeune, qui n’a recouvré son indépendance qu’en 1991 et qui aujourd’hui se dépeuple. Beaucoup encore dans le Haut Karabagh, à vivre toujours dans l’angoisse de la reprise des pogroms des années 1988-90, et l’attente angoissée d’une intervention militaire de l’Azerbaïdjan.
100 ans après le Grand Crime (Mètz Yèghèm), les arméniens sont toujours hantés par le spectre de la disparition. Il s’agit toujours pour eux de survivre, comme si le monde s’employait à réactualiser le spectre de 1915, pour en faire la réalité obsessionnelle du peuple arménien. Survivre à l’assimilation croissante qui frappe de plein fouet la diaspora arménienne, survivre à la disparition possible des arméniens d’Arménie toujours sous la menace de l’Azerbaïdjan, survivre à la disparition du patrimoine culturel arménien. Et s’inventer une nouvelle identité que le peuple arménien ne peut plus fonder comme autrefois sur la religion, sur la langue ou les coutumes. Car aujourd’hui, les marqueurs identitaires ne fonctionnent plus pour ce peuple dispersé dont le sentiment commun d’appartenance n’est plus relayé que par la mémoire de 1915. Mais peut-on vivre longtemps dans le seul sentiment d’être un descendant des victimes de 1915 ?
Comment refonder cette identité, s’interroge l’auteure, au-delà de la tragédie commune ? Par la Connaissance, affirme-t-elle, libérée des entraves que constitue toujours le trop long combat des arméniens pour la reconnaissance internationale de leur génocide. Un combat qu’il faut poursuivre, amplifier, jusqu’à contraindre la Turquie à reconnaître ce génocide, et tout comme la France dans le cas des juifs français déportés et spoliés, la contraindre à poser la question des réparations. Sans quoi 1915 risque fort de refermer tout projet de destin sur la seule conscience de n’être que vivant.
Livre étrange, non linéaire que nous offre Séda Mavian, comprenant des portraits, des entretiens, une courte histoire géopolitique de l’Arménie, un aperçu de la culture et des problématiques identitaires des arméniens d’aujourd’hui. Plus une geste, une gestation, qu’un document qui viendrait surplomber une histoire close. Curieux livre, entre l’essai et le document, à l’image de cet éparpillement dans lequel la voix arménienne doit trouver à s’inscrire pour tenter de saisir quelque chose qui ferait sens.
Les Arméniens 100 ans après, Séda Mavian, éditions Ateliers Henry Dougier, coll. Lignes De Vie D'un Peuple, avril 2015, 145 pages, 12 euros, 979-1093594422.