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La Dimension du sens que nous sommes
Articles récents

Le Chemin du sacrifice, de Fritz von Unruh

6 Octobre 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 
Fritz von UnruhL’ouvrage, écrit au cours de la bataille de Verdun, fut immédiatement censuré. Il ne paraîtra qu’après la guerre. L’état-major allemand avait confié à l’auteur la tâche d’écrire une chronique de cette bataille. Devant l’horreur et l’absurdité de l’engagement, Fritz von Unruh choisit de dénoncer la cruauté de cette guerre à travers le destin d’une compagnie dont les hommes allaient devoir affronter la terreur de l’assaut.
Tout commence par la préparation d’artillerie. Un millions d’obus sont tirés en vingt-quatre heures… L’assaut sera donné sur les bois des Fosses, Beaumont. En face, l’état-major français a décidé de conserver Verdun. Coûte que coûte. Fer sur fer, ordre barbare sur ordre barbare. La compagnie de Fritz prend donc le chemin du sacrifice.  «Nous mangeons et engraissons pour fertiliser cette aube qui approche en nous, dévoilant sa poigne : Verdun». La nuit des temps, en chair et en os. Partout déjà des crânes défoncés, des corps pourris et «la grande fraternité des tombeaux à ciel ouvert». C’est cette communauté solennelle des morts que nous décrit l’auteur, tandis que les gaz exécutent leur danse macabre autour des survivants. Le roman croise une foule de personnages que l’auteur ne parvient pas à prendre le temps de nommer. Ils tombent aussitôt, ne font que courir et mourir. Le vicaire, le serveur, le tambour, le comédien et tant d’autres. C’est quoi l’honneur, dans ces conditions ? Celui de parvenir à verser son sang parmi le flot continu du sang versé ? L’objectif des troupes d’assaut est simple, efficace : mourir. Les ordres donnés, personne ne sait où aller vraiment, sinon tout droit, courir quelques mètres avant de s’écrouler. C’est cette géographie sinistre que décrit le roman : des montagnes de cadavres qu’un général grandiloquent observe derrière ses jumelles. Verdun n’est la promesse de rien. Place pour ceux qui ont entre leur main la foi des autres… D’une tranchée l’autre, un soldat allemand hurle : «Vous tenez à rester ennemis ?» En vérité, il n’y a plus rien à faire qu’aller au bout de l’absurde pour sceller le massacre de toute la jeunesse européenne. C’était ça 14-18 : le massacre légalisé de la jeunesse. Cet inéluctable sanglant. Chacun simplement à la recherche d’une sépulture sur le champ de bataille, à l’abri des vagues de rats qui l’envahissent sitôt la mort installée. Les seuls à guetter avec impatience le feu de l’assaut. Le champ de bataille ressemble bientôt aux viscères à nues du festin des rats. «Beaumont, dans quelle nuit as-tu sombré?», s’écrit Fritz. La mort a recouvert tout le destin européen.
 
Le chemin du sacrifice, de Fritz von Unruh, La Dernière Goutte Editions, coll. Littérature générale, 13 mars 2014, préface de Nicolas Beaupré, traduction de Martine Rémon, 239 pages, 19 euros, ISBN-13: 978-2918619185.
 
 
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Algérie 1954–1962, la sale guerre, Gérard Dhôtel, Jeff Pourquié

3 Octobre 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

 
guerre-d-Algerie.jpgLa Guerre d’Algérie racontée aux collégiens, par un écrivain et un dessinateur qui ne l’ont pas connue (le plus âgé est né en 1955), mais en ont héritée à travers leurs parcours familiaux en particulier. De cette guerre dont on se refusait à dire le nom, ils ont conçu une histoire sans fard, affrontant ses dimensions les plus viles, dès le début de la colonisation dévoilant enfin l’état de misère absolue dans lequel cette conquête plongea les autochtones. Tout y est bien sûr, de cette vérité que l’on refusa d’écrire longtemps en France. Les dates essentielles, l’empire colonial, Jules Ferry déclamant que «les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures», tout comme de la résistance très précoce des populations civiles. Avec, déjà, bien avant la torture, les exactions sans nombre que subirent les algériens, dont cette pratique ignoble des «enfumages» de paysans gazés dans les grottes où ils se réfugiaient. Les grandes figures de la résistance algérienne prennent aussi dans cet ouvrage une dimension réelle, d’Abd el-Kader à Lalla Fatma, l’égérie de Djudjura. Le tout signant une souvenance sans appel, qui nous convie par exemple à réaliser que de 1830 à 1871, la population d’Algérie chuta de moitié, victime de la famine imposée par le colonisateur, et ses exactions. Mémoire oubliée aujourd’hui, qui voudrait opposer la période barbare de la guerre proprement dite à un temps édénique de valorisation et d’organisation de la colonie de l’autre côté de la Méditerranée, quand dès les années 1830 fut mise en place une politique de repeuplement du territoire inaugurée par la confiscation des terres des algériens et la construction de villages «blancs» exigeants de leurs serfs l’abjuration de leur religion. Ce jusqu’au code de l’indigénat de 1881, qui scella une fois pour toute le déshonneur français. L’histoire se poursuivit ensuite comme l’on sait, avec la montée de l’insurrection et la torture élevée au rang de stratégie militaire, dénoncée dès 1955 par une poignée de journalistes courageux.
 
 
Algérie 1954–1962, la sale guerre, Gérard Dhôtel, Jeff Pourquié, Actes Sud Junior, septembre 2014, 112 pages, 15 euros, ISBN 978-2-330-03464-1.
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Pour les Musulmans, Edwy Plenel

2 Octobre 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

 
edwy-plenel-musulmans.jpgPour être franc, je n’aime pas Edwy Plenel. Je ne l’aime pas depuis son long article du Monde contre le «non» majoritaire des français au projet de Constitution européenne du 29 mai 2005, insultant ses propres lecteurs quand la bêtise était justement de vouloir cette Europe qui nous a conduits dans le mur que l’on sait. Je ne l’aime pas, mais peut-être que le livre qu’il vient de signer sera-t-il de quelque utilité à une cause des plus urgentes : celle de la lutte contre le racisme anti-musulman.
C’est donc aux élites et à la banalisation de ce racisme que s’en prend Edwy Plenel. Une islamophobie qui, à ses yeux, rappelle le prétendu «problème  juif» d’avant la catastrophe européenne, la préparant aveuglément. Une prise de position salutaire, dans un pays tout entier inféodé  à «la langue de la bienséance des discriminations». Finky en tête de gondole, parti grotesquement en croisade au nom de ses «souchiens» de compatriotes, rejoint sur son sentier de peu de gloire par un Renaud Camus vociférant son «grand remplacement», et l’on en passe, de ceux que l’ère buisson-sarkozy a pu ravir. Ce sont ainsi surtout les passions de la France raciste d’en haut qu’il relève, à juste raison, encourageant une montée spectaculaire des violences contre les français d’origines maghrébine, boucs émissaire du XXIème siècle. Un racisme qui est le fruit conscient d’une politique sciemment conduite, déguisé sous le terme hypocrite d’islamophobie, inventé pour dissimuler l’ampleur de cette discrimination qu’il désigne en vrai. Le marqueur musulman aura ainsi supplanté le marqueur juif dans une France d’en haut décidément douteuse. Une France crapuleuse, hypocrite, autorisant derrière sa prétendue défense de la laïcité toute cette nouvelle droite (socialiste) à user des mêmes bon vieux réflexes de la pire nation que nous ayons portée en nous… La laïcité… Un cache-sexe pour autoriser d’être raciste sans avoir encore à trop l’exposer. Un cache-sexe spécifiquement républicain, socialiste, sanctifiant l’hégémonie du discours raciste de la classe politique. C’est une alarme donc, que lance Plenel : l’engrenage est en place, qui engage la responsabilité des médias et des politiques. Un engrenage alimenté aujourd’hui par Valls après Buisson, désignant une religion comme ennemi de la démocratie. Valls parti en guerre à son tour contre une partie de la population française, celle qui réside dans ces fameux quartiers dits «sensibles», parce que «populaires» sans doute. Que l’on comprenne bien le sens de ces transgressions qui, de la Droite à la Gauche n’ont suscité aucun remous dans la classe politique : même dérive générant des tensions sociales sans précédent, Valls évoquant désormais un «ennemi intérieur», sans rire : une idée qui avait fait florès au temps de la Guerre d’Algérie !  La triade UMP, PS, FN solidaire sur ce front, a fait sienne le conseil d’un Carl Schmitt, ce théoricien du nazisme, confiant aux hommes politiques de son temps qu’est «souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle» (Théologie politique, 1934). A ce compte, oui, ils sont bien souverains, avec la complicité des médias, de tant travailler à créer de toute pièce les conditions de l’exception française : la chasse aux rroms et aux musulmans…
 
Pour les Musulmans, Edwy Plenel, LA DECOUVERTE, 18 septembre 2014, Collection : CAHIERS LIBRES, 135 pages, 12 euros, ISBN-13: 978-2707183538.
 
 
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Louis Sala-Molins : Esclavage / Réparation…

30 Septembre 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

 
Esclavage-reparation.jpgEn 2001, Christiane Taubira voulut très officiellement reposer la question des réparations aux descendants de l’esclavage français, toujours plongés pour la plupart d’entre eux, par-delà les siècles, dans une situation sociale précaire. Son texte de Loi fut jeté aux poubelles. Le gouvernement français refusait de se situer dans une perspective d’indemnisation. Archaïque, incongru, trop tard…Des siècles avant elle, Tocqueville avait donné le La, qui allait être la doctrine de la France en la matière : «Si les nègres ont droit à devenir libres, il est incontestable que les colons ont droit à n’être pas ruinés par la liberté des nègres»… Sans commentaires…. Une affaire de gros sous donc. Indigne. Et masquant le peu de lumière d’une décision passant outre ce fameux esprit des Lumières françaises, le salaire dû à l’affranchi pour son travail d’esclave leur paraissant indu… Mais la France fit bientôt mieux : la IIème République dédommagea les colons pour leur manque à gagner du fait de libération de leurs esclaves ! Balayant d’un revers méprisant de la main la question essentielle des fondements politiques de la Justice, aux yeux de laquelle les réparations ne trouvaient pas leur place… Que l’on y songe : en France, on n’a cessé d’abolir l’esclavage, à de nombreuses reprises, jetant dans une liberté précaire des êtres humains sommés de se débrouiller seuls dans leur misère… Hors propos, anachronique n’a –t-on cessé de clamer depuis, et ce jusqu’à Christiane Taubira. Anachronique ? L’essai de Louis Sala-Molins montre en fait combien cet anachronisme a été construit… Car dès le XVIIème siècle, quelques rares voix éclairées posèrent avec force la question des réparations ! Deux capucins en particulier, que l’auteur sort de l’anonymat. Francisco José de Jaca et Epiphane de Moirans. Deux hommes d’église que l’Histoire officielle s’est empressée d’ignorer, pour nous filer aujourd’hui le récit de l’anachronisme… L’un était aragonais, l’autre jurassien. «Les Noirs, affirmaient-ils dès 1678, qu’on marchande et qu’on tient pour des esclaves sont libres. Leurs maître sont obligés de les libérer à l’instant, et de leur payer ce qui leur est dû pour leur travail.» Le Pape reçut copie de ces mémoires, qui décrivaient par le menu tout l’ignoble système en place. Le Roi d’Espagne reçut ces mémoires, toute la hiérarchie cléricale et la noblesse européenne également. Rien n’y fit. On les jeta en prison, on leur confisqua leurs manuscrits, leurs papiers, ils furent envoyés en exil et pour réponse, le Code Noir (1685) vint clôturer le débat. Bien avant les Lumières donc, et leurs interminables moratoires, Francisco José de Jaca et Epiphane de Moirans avaient démontré l’évidente liberté naturelle des noirs, et pointé la réparation économique comme seul moyen de reconnaître entièrement leur droit naturel à la liberté et la dignité…
 
 
Esclavage / Réparation, de Louis Sala-Molins, éditions Lignes, 22 septembre 2014, 156 pages, 14,00 EAN : 9782355261329.
 
 
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Sénatoriales : je te tiens, tu me tiens par la barbichette…

29 Septembre 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

 

dupond-dupont.jpgLa nouvelle droite (socialiste) perd ses prébendes. La vieille droite les récupère. Et deux sénateurs Fn font leur entrée au Sénat. De quoi alimenter l’effraie républicaine et préparer demain le terrain du prétendu vote républicain. C’est lassant… Prochainement sur nos écrans, la Droite récupérera vraisemblablement le pouvoir. Le jeu de bascule y pourvoira, contre la peur du FN et malgré la déferlante abstentionniste. Le PS, lui, comptera les points, ne sachant trop où camper pour récupérer des voix. Son ancien électorat de gauche lui tournera le dos, avant même qu’il ait su convaincre l’électorat de droite de voter Valls. La fin du PS, entamée par François Hollande, son grand liquidateur, interviendra sans doute trop tard : il sera peut-être pris de vitesse par la recomposition made in Sarko, elle-même sur le doute mais s’offrant comme une nécessité pour sauver le camp des postiches républicaines. Valls, un temps, pouvait espérer organiser cette merveilleuse synthèse de l’UMPS.  Mais il est sans doute trop tard. Encore que… Peut-être aura-t-il le temps de refiler le mistigri à Sarko. A vrai dire, seul le vieillissement du corps électoral parviendra à sauver nos vieux briscards de la votation… Et maintenir peut-être une dernière fois l’idée mensongère d’une partition gauche / droite. Une course est donc engagée, pour que le FN ne parvienne pas au Pouvoir mais fasse semblant d’y parvenir. Une course engagée par les partis de pouvoir : l’UMP, le PS et le FN. Qui n’est pas exclu de cette stratégie, bien au contraire : il en est la pierre de touche, fondamentalement nécessaire pour le maintien au pouvoir de nos compères de l’UMPS. Qui ne représentent plus rien, ni l’un ni l’autre. Faites le vrai décompte des suffrages exprimés, des nuls, des abstentions, vous le verrez assez ! La fin du PS est entamée. Donc. Son socle électoral se réduit comme une peau de chagrin malgré ses débordements à droite. Certes, il lui reste encore à piocher du côté des couches intellectuelles –en transit vers la droite historique. Du côté des cadres supérieurs aussi. Il lui reste bien sûr ses bobos attachés à leur gauchisme culturel, gauchisme culturel qui l’embarrasse tout de même un peu : un temps, Hollande avait courtisé les musulmans de France, mais si éloignés de nos bobos parisiens qu’il lui a fallu faire un sérieux grand écart pour tenter de les maintenir dans son giron. D’autant que le racisme souterrain des discours de Valls n’a pas non plus contribué à aider… Peut-être restera-t-il tout de même quelques fonctionnaires pour voter PS, ou sa refondation. Et quelques territoires privilégiés, dans tous les sens du terme : Paris… Mais il prend tout de même sérieusement le chemin de la disparition. Valls a beau rivaliser sur le même terrain que celui de Sarko, il lui sera difficile de séduire les abstentionnistes qui vont se compter par millions de nouveau. Ou ces français des territoires « périphériques » comme les nomme très justement le sociologue Christophe Guilluy, exclus de la richesse nationale. Reste à se partager avec l’UMP le gâteau des bénéficiaires de la mondialisation. Les derniers discours de Valls, relayés par le patronat, allaient dans ce sens. Mais il est bien tard tout de même…

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Le Vaillant Soldat de plomb et autres contes, Andersen

28 Septembre 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 

andersen.jpgIl y a une quinzaine d'années de cela, le ministère de l'Education Nationale décida d'encourager les enseignants des collèges a travailler sur le conte. Du coup, les éditeurs multiplièrent les attentions à leur égard, distribuant généreusement des petits livres cadeaux. Ces livres, pour la plupart, n'étaient que la réédition des contes les plus connus. Le malheureux Andersen ne fit pas exception, lui qui tenait en horreur sa réputation d'ecrivain pour enfants... Il est vrai que l'on avait oublié depuis beau temps qu'il fut aussi un romancier doublé d'un remarquable essayiste. Ce génie du récit court, dont l'oeuvre eut à souffrir des traducteurs qui n'acceptaient pas ses inventions stylistiques, se vit infatigablement réduit aux deux ou trois contes que l'on se rappelait... Enfin... Le Livre de Poche eut le bon goût de publier quelques récits moins connus. Ne gâchons donc pas notre plaisir, même si, là encore, ils restaient entrelardés d'incontournables dont on aurait bien pu se passer. La fable du petit soldat est d'une efficacité rare. De déboires en déboires, sur le chemin initiatique de l'amour, elle nous conte l'histoire d'un soldat de plomb unijambiste, amoureux d'une danseuse de papier. Ils finiront l'un et l'autre dans une poèle a frire, dévorés par le feu. L'un dans l'illusion d'être enfin rejoint par l'aimée, l'autre, dans l'inadvertance d'un coup de vent...

 

Le Vaillant Soldat de plomb, la petite sirene et autres contes, Hans Christian Andersen, Le Livre de Poche, septembre 2000, épuisé dans cette édition. 

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EDWARD SAÏD, L’ISLAM DANS LES MEDIAS.

27 Septembre 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

said.jpgLes éditions Sinbad ont publié une étude d’Edward Saïd parue en 1997, fort heureusement actualisée quelques mois avant sa mort. Or de 97 à nos jours, force lui aura été de constater que le regard porté par les médias sur l’Islam a gagné en manichéisme brutal, en hostilité et en bêtise. Au point que l’Islam incarne aujourd’hui la menace suprême, la seule –un vrai complot contre l’humanité. Le sondage publié par le Figaro mercredi 24 septembre 2014 en témoigne largement (un complot pour l'occasion, en vrai, contre la communauté française musulmane), suivi de son article partisan intitulé «L’image de l’islam se détériore fortement en France»... Et de la question hallucinante posée en toute bonne conscience : "estimez-vous suffisante la condamnation des musulmans de France ?"... Et j'en passe, d'aussi insultantes, terrifiantes, attentatoires à l'idée nationale même...
Les préjugés orientalistes, révèle Saïd, les suivant au mot près pour en dresser le relevé méticuleux, balayés naguère au terme d’un effort lui-même déjà impensable, ont fait un fracassant retour et jouissent d’une popularité effarante. Rien ne lui échappe, des discours sur la pseudo mentalité arabe (comme si les mondes arabes étaient "un"), à ceux sur la religion et la culture musulmane, subsumées toutes deux sous le même générique (c’est médical) d’un Islam nécessairement radical. Or l’Islam, rappelle Saïd, ne définit qu’une petite part du monde musulman, fort de plus d’un milliard d’êtres humains, est-il bon de rappeler ! Et cet Islam, en outre, n’est pas soluble dans le terrorisme…
Aucun autre groupe religieux ni culturel, démontre Saïd, n’est soumis de nos jours à pareil régime. Et de pointer les intellectuels complices de ce laisser-faire, alors que dans le même temps, depuis 1991, aux Etats-Unis même, un groupe de recherche a été formé, doté de moyens conséquents –on l’imagine !-, qui vient de publier une première conclusion à ses travaux, et en cinq volumes encore, avouant qu’au vrai, toute définition plausible du fondamentalisme est impossible, et qu’on ne saurait l’associer à l’Islam qu’abusivement et en toute ignorance de la diversité des mondes musulmans et arabes… Mais non. Rien n’y fait. L’Islam demeure associé à la haine de toute pensée politique, à l’idée de ségrégation sociale, à celle d’infériorité civilisationnelle, à celle du déficit démocratique, etc. A croire ces médias, l’Islam serait une religion psychotique, dissimulant à grand peine une idéologie néo-fasciste, violente, irrationnelle. Bref, intrinsèquement et parce que ce serait inscrit dans son histoire comme un horizon indépassable (ses gènes, pour un peu !), l’Islam serait une menace pour le monde libre. La dernière même, c’est promis, couvrant les Unes, remplissant les vides éditoriaux. Le tout sans le moindre débat. Chacun y allant de son poncif, de son mensonge, de ses approximations douteuses quand bien même ce chacun appartiendrait à la communauté scientifique. Du reste, observe Saïd, on n’a jamais connu, dans l’histoire des sciences humaines, un tel débordement de bêtise dans le monde universitaire.
Aristotle001Qu’y a-t-il donc derrière une telle unanimité ? Qu’y a-t-il donc derrière cette insistance à souligner le caractère menaçant de la foi, de la culture, des populations musulmanes, sinon un fol aveuglement qui nous détourne de réaliser que les Etats-Unis bombardent, envahissent, occupent les pays musulmans et n’ont cessé d’être en guerre, depuis la Libération, contre les Peuples du monde pour asseoir leur domination !
La couverture médiatique de l’Islam, au fond, obéit à une logique suicidaire, au moins pour les pays qui se sont placés dans le giron des Etats-Unis, sinon génocidaire, à force de construire le musulman comme l’autre de l’humain.
Arabes, islamistes, musulmans, constituent désormais une seule et même cible qui articule une composante fondamentale de la politique de domination américaine. Placer ainsi les musulmans, comme le font les américains, au centre d’une attention thérapeutique et punitive, ne peut qu’inquiéter, ne devrait qu’inquiéter ce monde soit disant libre, qui ne sait faire la part des choses.
 
Edward W. Saïd, l’islam dans les médias, éd. Sinbad, Actes Sud, traduit de l’anglais (américain) par Charlotte Woillez, sept. 2011, 282 pages, 24 euros, ean : 978-2742-782406.

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Flou, de Colette Corneille

26 Septembre 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 
flou-corneille.jpgIl semble que le flou soit apparu comme une nécessité dans la vie de Colette Corneille. Son équivoque stridence surgit un jour de la confrontation brutale à ce qui ne se dévoile jamais à nous qu’en se dérobant : la mort d’un proche. Au moment où s’estompa ce qui liait « l’inconnaissable à l’existant », elle nous raconte comment le flou assura néanmoins une sorte de couture entre le monde et elle. Il fallait bien se tenir sur ce seuil, en marge de réserves que l’on devine immenses, d’amour, de chagrin, de volonté, d’éparpillement de soi et de révolte contre une société qui exige des actes nets. Le flou permettait en quelque sorte de verrouiller l’événement, de le corroder lentement pour le polir et le rendre «recevable».
De cette expérience depuis laquelle, provisoirement, le flou pouvait avoir raison d’elle, elle tira cependant bien d’autres vertus. Il était nécessité, elle en fit un destin. Quel peut-être le statut de ce qui n’en a pas ? Qu’aurions-nous à gagner à vivre dans le flou ? Parce que le flou refuse la coupure du concept, Collette Corneille comprit très vite le bénéfice qu’elle pouvait en tirer. Elle se mit à le défendre «contre les exigences de la culture actuelle», et explorer ses lieux, sa grammaire. Depuis quand par exemple, dans l’histoire de l’humanité, s’est effectué ce passage à l’évanouissement du sujet dans l’anonymat du «on» ? Mais elle le fit en nous livrant moins une austère méditation qu’un récit, dont la construction n’est pas sans rappeler la très belle étude de Pierre Sansot (Poétique de la ville).
Les liaisons généreuses du flou en quelque sorte, une superbe méditation en forme de récit.
 
 
Flou de Colette Corneille, éd. Le bruit des autres, oct. 2000, 150 p., 10,67 euros, ISBN 978-2909468914
 
 
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Comprendre Fanon, Michael Azu

25 Septembre 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

 
Fannon.jpg« Oui à la vie. Oui à l’homme. Oui à la générosité »… Franz Fanon, Peau noire, masques blancs
Le fil conducteur de la pensée de Fanon, c’est au fond sa réflexion sur les conditions de possibilité de la liberté humaine. Une recherche moins philosophique que située, s’efforçant de démonter les mécanismes de la domination sociale, et en tout premier lieu bien sûr, ceux de la raison coloniale. Fanon aura ainsi été celui qui, mieux que tout autre, aura inauguré l’effondrement du narcissisme européen, pour le plus grand bien de cette vieille Europe croupissante. En refusant en outre d’enfermer sa pensée dans le seul geste de la révolte, évidemment nécessaire, dessinant pour nous un horizon d’accomplissement lumineux, déterminant cette révolte en acte de création plus que de résistance. Un chemin difficile certes, douloureux, que l’on paie toujours au prix fort. Que l’on paie en particulier au prix d’une défiance à l’égard de ses propres préjugés, sinon de ses propres désirs. Creusant cet inconscient culturel qui nous plombe, Fanon aura ainsi pointé avec pertinence l’objet du leurre sociétal qui nous surprend tous dans des mimes tragiques. Que désire l’homme noir soumis ?, se demandait-il. Être blanc. On peut aisément transposer : nous voulons tous être riche et qu’importe le degré de suffisance de cette richesse-là, et reconnus. Les classes modestes et populaires orientent leurs désirs vers les classes bourgeoises, lesquelles l’ont orienté depuis beau temps vers les classes aristocratiques qui ont bien évidemment survécu à la Révolution française. Et de ces classes en cascade, chacun attend sa reconnaissance… Comment inventer, dans ces conditions, des formes nouvelles pour nos désirs ? Fanon s’en est aussi posé la question comme psychiatre : celle par exemple de savoir comment rompre avec ces sentiments d’infériorité et d’illégitimité qui façonnent nos désirs, posant une sorte de social-diagnostic sur la société qui lui a permis de mettre en relation l’inconscient et la structure socio-économico-politique de son époque. Celle-là même qui pèse si fortement sur nos désirs, les conditionne tant et dont nous ne pourrons pas faire l'économie de ne pas la déconstruire. ll faut être aussi noir que possible, affirmait-il alors, face au racisme colonial. Cette négritude devenait le point de départ d’une humanité plus profonde, qui gardait de croire au bavardage immonde de la classe politique : liberté, égalité, fraternité, honneur, patrie, autant d’injonctions vides de tout contenu, n’empêchant nullement le racisme le plus odieux de s’exprimer en toute bonne foi. Fanon avait parfaitement décrypté ce discours de domination qui commande à l’immigré d’imiter son maître mais en restant à sa place : celle de la soumission. Il avait parfaitement perçu combien c’était autant la ressemblance que la différence de ces êtres «voués» à la soumission qui troublait, avant que d’inquiéter. Car au fond, la seule chose qu’on attendait de lui, c’était la soumission. Cette même soumission que la classe politico-médiatique attend de nous aujourd’hui.
 «La fonction d’une structure sociale est de mettre en place des institutions traversées par le souci de l’homme. (…) Une société qui accule ses membres à des solutions de désespoir est une société non viable, une société à remplacer», affirmait Franz Fanon. A mesurer l’étendue du désespoir qui anime un pays comme la France, qui a cessé de faire société depuis une bonne dizaine d’année, on mesure combien Fanon était dans le vrai, porteur de ce nouvel humanisme qu’incarnent les minorités (relatives)  et qui sont le seul horizon dans lequel réintroduire la question de la dignité et de la liberté des hommes. Minorités aux identifications ambivalentes, nécessairement, oscillant entre la tentation de s’enfermer dans les insistances d’une raison identitaire et de s'ouvrir à des modèles extérieurs. Minorités toujours menacées de se retrouver piégées dans l’amertume d’un désir mimétique qu’il soit identitaire encore une fois, ou fourni par le camp de la domination, mais minorités traversées de part en part par une vraie morale, parce qu’elles reçoivent leur caractère universel à travers leur souffrance, ne revendiquant pas un droit privé «parce qu’on ne leur a pas fait un tort particulier, mais un tort en soi» (Fanon).  Et surtout, parce qu’elles ne peuvent s’émanciper sans s’émanciper de toutes les autres sphères de la société et sans, par conséquent, les émanciper toutes, la perte complète de l’humanité ne pouvant se reconquérir que par le regain complet de l’homme, ainsi que le pensait Marx, que Fanon rejoint ici.
 
Comprendre Fanon, Michael Azu, éd. MAX MILO, 3 juillet 2014, coll. Comprendre, 110 pages, 12 euros, ISBN-13: 978-2315005062.
 
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Faut que tu viennes, Pascal Thiriet

23 Septembre 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 
pascal-thiriet.jpgLa Garrigue. Grise sur fond blanc. Enée fonce sur Montpellier. Dido lui avait intimé : « Faut que tu viennes !» Enée accourt.  Dido lui avoue qu’elle a dérapé avant d’écraser et de presque tuer volontairement un banquier. Une rencontre de casino. Mais un banquier véreux. Ça excuse. Qui montait une arnaque avec le blé de deux amerloques. Genre complexe touristique international en bord de mer, dix-sept millions d’euros à la clef, sur un terrain évidemment non constructible… Alors le banquier, faut pas qu’il se réveille, parce que Dido veut reprendre l’arnaque à son compte… Manque au duo une ado en fugue de dieu sait quoi, recueillie par une mamie amie, Damien, adepte du fuck the Planet attitude, pour composer avec lui une fine équipe prête à voler le pognon des amerloques. Enée se bombarde donc directeur financier. Et rencontre la mère du banquier, Bérangère, qui n’a guère envie que son fils, Louis, s’en sorte. Elle est au courant de l’histoire qu’il monte avec les amerloques. Bérangère, presque vieille, presque maigre, jolie toujours, délurée, riche, très. Qui assigne bientôt Enée à résidence : «Viens !», tandis que son fils est débranché à l’hôpital… La famille est riche, en vue, la presse en fait ses choux gras. Louis mort, Dido veut utiliser Bérangère et la tuer. Bérangère veut utiliser Enée et le tuer. Enée veut aimer Bérangère mais doit la tuer… tandis que les flics tentent de dénouer les fils de l’histoire, vent debout sur la piste déjà de Dido et d’une sale affaire de placements financiers à Hong Kong que Louis avait intrigués. On est en France, la combine rattrape donc par la manche un député marron et une grosse intrigue d’aménagement immobilier... pour nous servir des pervers qui rencontrent plus pervers qu’eux, des cyniques qui rallient plus désabusés qu’eux, des affairistes qui rançonnent moins affairés qu’eux, sur fond d’errances mélancoliques, de blessures macabres qui dessinent, c’est troublant, des personnages au final émouvants.
 
 
Faut que tu viennes, Pascal Thiriet, éd. Jigal, coll Polar, 15 mai 2014, 264 pages, 18,50 euros, ISBN-13: 979-1092016222.
 
 
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