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La Dimension du sens que nous sommes

Début de siècles, Arnaud Cathrine

27 Décembre 2023 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Siècles au pluriel. Deux en fait : le nôtre et celui de Jean Cocteau et de Raymond Radiguet.

« Je n'existe plus », ouvre la première nouvelle : notre siècle se déballe dans un immeuble insalubre et une chambre de bonne conçue comme un refuge. Ce siècle se défait plus qu'il ne s'inaugure dans un paysage urbain en ruines. Chez nous. Pas ailleurs. Juste là, ici. Porté par une comédienne qui fait sécession, refusant de jouer le jeu, de jouer tout court. Grande lectrice de Goliarda Sapienza, elle est libre désormais, puisque redevenue personne.

C'est sur ce même paysage de ruines, mais intérieures, que ce recueil de onze nouvelles va se conclure. Barthes en mémoire : «J'y suis», si intime, si poignant, réalisant que ce qui devait être un date s'achève en bouscueil : «quelque chose était fini : l'amour d'un garçon». Que devient-on quand l'amour déserte, quand fuit le désir, l'appel de l'autre ?

1920. A notre comédienne répond Jacques Rigaut : «Je serai un grand mort». Est-ce tout ce qu'il nous reste ? Tout quitter là encore. S'évader. Ou n'être que de passage, comme Vincent dans le troisième acte, fort de son ironie détachée.

Fuir toujours, comme Klaus Mann en 1932 : «Je ne suis pas l'Europe», du moins pas celle qu'ils nous ont concoctée, cette Union contre les peuples, qui résonne sous nos pas aujourd'hui comme une bête immonde. Fuir, ou partir en vacances, vivre dans l'insouciance de nos désirs adolescents ? Pas même. A tout, prix pourtant. On aimerait pouvoir encore courir, rêver, même un peu ? Peut-être même pas.

Au fond, c'est la problématique du XXIème siècle que déroule l'auteur. Ce qu'il reste de ce que l'on a cru -comme l'idée que l'on pouvait ne vivre que pour soi. Ce pour soi du siècle précédent qui nous a tant fait perdre et nous hante encore avec son imaginaire de guerre, de ruines, qui s'amoncellent déjà.

«J'ai le soleil en moins», écrit dans une lettre Jean Cocteau : il faudrait fuir, mais il ne le peut plus. Fuir l'illusion de la douceur de Radiguet.

Parce que l'on n'aurait « pas besoin d'amour » ? Au pied du Mont Ventoux, énoncé dans un très tendre récit dont on goûte jusqu'à l'ivresse la simplicité et la limpidité.

 

Onze nouvelles qui ont en commun, au-delà de la ruine, le refuge de la langue, sa beauté, sa fluidité, son miracle.

Arnaud Cathrine est un écrivain précieux. Non pas au sens d'une préciosité qui lui supposerait une vie littéraire faite de vanités, mais pour reprendre monsieur Bray qui tenta de théoriser ce mouvement littéraire si injustement moqué par la suite, au sens, un peu, d'une préciosité de figuration attachée à une certaine esthétique, plus qu'à une éthique de la vie. Mais l'un dans l'autre, n'est-ce pas... J'ai lu ses nouvelles comme des anti-scènes de fêtes galantes, entre mesure, politesse et ironie, attentives au raffinement de la langue, des évocations, fuyant les artifices dans cette volonté si affirmée de se créer un monde qui ne fût pas qu'à soi. Le goût de l'élégance littéraire, celui des portraits, de l'éloge, dans cet attachement à l'amitié tendre comme au salon de Mademoiselle de Scudéry.

 

Un art de vivre, que ce raffinement des idées et du langage. Et tout comme au salon de Scudéry, on y retrouve la subtilité d'une écriture qui s'est mise au service d'un discours sur l'amour. Mais nul langage ampoulé ici. Pas de jargon. Pas d'affectation et surtout pas le refus du sensuel. Pas de formules brillantes. La recherche de l'effet se cantonne aux titres des nouvelles si curieux -«J'y suis» : si fragile.

 

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Arnaud Cathrine, Début de siècles, Verticales, décembre 2021, 308 pages, 20 euros, ean : 9782072945618.

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