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13 décembre 2013 5 13 /12 /décembre /2013 05:39
 
Nelson.jpgLa voix de Dr House pour lire cette autobiographie d'un homme que la planète salue dans un curieux ensemble de louanges. A croire que nos chefs d'états se sont convertis à la raison des faibles épris de liberté et de justice... Mais à se demander tout de même s'ils l'ont seulement entendu, Mandela, évoquer les conditions de sa venue au politique : "Etre africain en Afrique du sud, s'interrogeait-il alors, signifiait qu'on était politisé à l'instant de sa naissance. Qu'on l'ait voulu ou non, qu'on l'ait su ou non". Parce qu'on naissait nègre dans des hospices de fortune, qu'on mangeait nègre, qu'on étudiait nègre, qu'on vivait nègre dans les quartiers férocement grillagés par les sbires de Pretoria. Combien, parmi ces chefs d'états, sensibles à pareille leçon d'histoire ? Il n'est que de transposer en France : non pas naître nègre mais roms, ou d'origine algérienne, jeté dans le marigot d'une France décidément réactionnaire. Certes, nous ne vivons pas le régime de l'apartheid. Mais les banlieues françaises sont tout de même des ghettos, dixit un rapport vite enterré du Sénat lui-même. Et les roms sont nos victimes. La voix de House donc pour nous raconter l'histoire d'un engagement qu'on voudrait aujourd'hui empailler. Moins la dérision de House. La voix du Mike de Breaking Bad pour nous rappeler ces lois abjectes qui circonscrivent et qui mutilent les enfants, les femmes, les hommes par millions, par milliards, victimes de l'organisation particulièrement ordurière du monde, soutenue par ces mêmes chefs d'états. Comment affronter une réalité pareille ? Une pareille hypocrisie ? Sans doute en ne participant pas à l'éloge thaumaturge. En refusant de construire cette posture du grand homme qu'on nous jette à la figure pour masquer l'outrage fait à la quasi totalité du genre humain. House donc, mais non pas cette fois à son spectacle, bien que l'écho y renvoit. Car il y a dans cette mise en scène quelque chose de salutaire. La notoriété de  cette voix, son audience, ouvre comme un vide sur la scène imaginée. Mandela porté par la voix d'un anti-héros ! Odieux, intelligent, séduisant... Imaginez : l'humanité en souffrance traitée avec pareille désinvolture sous une puissante miséricorde à l'oeuvre... C'est un spectacle, certes, puisqu'un comédien interprète cette biographie de Mandela, mais comme mis en abîme et le choix de la voix de House se montre là très judicieux. Parce qu'il nous invite, dans le léger vacillement de nos raisons d'entendre Mandela, qui sont toutes, d'abord, de bien mauvaises raisons, à choisir de lever ou non l'ambiguïté du spectacle. Parce que la scène où se déroule ce spectacle est vide, comme elle l'était au moment où le jeune Mandela se posait la question d'entrer en politique. Une question qu'en fait il ne se posait pas, lui. Il n'y a rien dans ses mémoires sur ce sujet, aucun moment décisif, juste le souvenir de ces milliers d'offenses quotidiennes, de ces affronts, de ces humiliations qui jalonnent la vie des opprimés jour après jour. Juste l'accumulation d'une humiliation constante et Nelson se découvrant un jour engagé déjà sur le terrain de la lutte, à une époque où ces mêmes chefs d'états le considéraient comme un terroriste. Il y avait peu de choix possible à l'époque. Il n'y en a guère plus aujourd'hui pour nombre d'entre nous. Si : préférer le spectacle bon enfant et fossoyeur de l'enterrement solennel de Mandela. Feodor Atkine, par son interprétation, tourne le dos au spectacle. Mais il reste l'écho du Dr House dans cette voix, auquel s'accrocheront ceux qui préfèreront tourner le dos aux luttes libératrices pour applaudir des deux mains aux cérémonies hypocrites qui escamotent nos exigences.   
 
A paraître à partir du 15/1/2014, 1 livre-audio en 1 CD mp3, ean : 9782356416483, 20 euros.   
La Version abrégée d'une durée de 6h15 (Livre audio MP3, Ean : 9782356416957 -Prix conseillé : 18€ TTC) peut se télécharger dès à présent sur le site audiolib :      
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12 décembre 2013 4 12 /12 /décembre /2013 05:34

lectureDans le même temps où l’on créait en France, en 1959, un Ministère de la Culture, les élites intellectuelles et politiques s’inquiétaient de l’apparition d’une culture de masse...
Elles découvraient, effarées, l’existence de cultures hétérogènes, porteuses de valeurs qui leur semblaient antagonistes (sic) au sein d’une société qu'elles auraient préférée "homogène", voire d’une même classe ou d’un même groupe. Quoi, dans ces conditions, de la fonction sociale de la lecture ?
Les élites s'agitèrent alors au chevet de la lecture pour tenter de sauver au moins la pratique qui leur paraissait la plus pertinente : la leur. De Sartre à Barthes, revint comme un credo l’idée qu’il existait deux types de lectures, l’une intensive, l’autre extensive.
La première prétendait relever d’une démarche quasi philosophique, tandis que la seconde se voyait rejetée, non sans mépris, dans l’ordre du romanesque. La question du lecteur, évidemment, ne se posait qu’à l’intérieur d’une configuration intellectuelle qui le dépouillait de toute pertinence quant à l’évaluation de son acte. Il y avait des bons et des mauvais lecteurs, il fallait éduquer les derniers…
Il y aurait donc une pratique cultivée de la lecture qui serait la vraie, à laquelle s’opposerait une pratique populaire...
Faguet ouvrit tout de même une brèche dans ce moralisme indigent, en affirmant qu’il n’y avait au fond que des livres, introduisant des modalités de lecture différentes.
    Depuis, le livre est devenue une valeur consensuelle -depuis les années 60 précisément. Il ne l’a pourtant pas toujours été : au XIXe siècle par exemple, on pensait que le peuple lisait trop. Et de nos jours, cette minorité d’intellectuels qui essaie de penser les conséquences de l’abandon des valeurs d’une civilisation fondée sur le livre et la lecture sont réactionnaires (Finky). Non sans raison, ils montrent que la lecture lettrée n’est plus le paradigme de la culture. Mais sa valorisation inconditionnelle, assortie d’une inquiétude sociale pour les non-lecteurs, n’est devenue un thème politique qu’à partir des années 1950.

Qu’exprime donc la lecture dans nos sociétés ? A travers son «universalité», tente-t-elle de reformuler une sorte de religion d’après la religion ? La mort de Dieu aurait-elle impliqué l’assomption du Livre ? Tout se passe en effet comme si les critères de la valeur littéraire, en se substituant aux critères de moralité, remplissaient la même fonction… Quand on ne parle pas tout simplement de lien social. Mais la lecture est-elle vraiment le lieu du lien social ?
Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard n’ont pas répondu à ces questions. Ils en ont construit les fondements. Ce n’est déjà pas si mal… Leur immense travail décrit ainsi une pratique qui peu à peu s’est inscrite dans la sphère privée, alors qu’elle relevait pour l’essentiel de phénomènes sociaux. Histoire politique, sociale, culturelle, ils nous éclairent sur les modèles qui se sont disputés ses enjeux. Trois, essentiellement : catholique, républicain et celui d’un corps voué à son «administration» : les bibliothécaires. Au fil du temps, les parentés des deux premiers s’établissent clairement : la lecture relève de la formation morale, critique, intellectuelle, voire civique de l’individu. Face à cela, les bibliothécaires mirent en place un discours paradoxalement plus «consumériste», et inventèrent l’idée de lecture comme aventure personnelle. C’est cet horizon qui paraît triompher dans nos sociétés, sauf dans le monde scolaire, formidable macine à produire des non-lecteurs, où la lecture est devenue utilitaire, moyen raisonnable de réussir ses études et non fin.

Le Livre introduit sans doute encore à l'élaboration d'une certaine idée de la société. Les humanités classiques, dont il constituait l’assise, maintenaient l’idéal d’un monde humain fictif construit sur l’idée d’une société unanime et centrée. A l’heure où nous découvrons qu’il pourrait exister une culture sans littérature, quels enjeux la lecture peut-elle encore représenter ?


Discours sur la lecture (1880 – 2000), Anne-Marie Chartier, Jean Hébrard, éd. Fayard / Bibliothèque du Centre Pompidou, 762 p., août 2000, 29 euros, ISBN-13 :  9782213607351


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11 décembre 2013 3 11 /12 /décembre /2013 05:32

ange.jpg

Tysnes. Une île superbe perdue dans les fjords norvégiens, dans ce drôle de pays où les cerfs connaissent la date d’ouverture de la chasse... Engel est journaliste. Stagiaire. Petit boulot d’été. Mais elle n’a pas l’intention de jouer les porte-café. On l’a envoyée faire un papier sans importance sur le défaut de ramassage des ordures ménagères sur la presqu’île. Sur place, Engel découvre de surprenantes villas travesties en faux hangars. De superbes bungalows en fait, construits dans la plus parfaite illégalité. Elle fleure une belle affaire, mais personne ne veut de son enquête. Le maire, frère du proprio du journal, moins que quiconque.  Engel s’obstine, déjoue les tactiques minables des villageois qui lui refilent des infos avec l’espoir de la manipuler. Sur l’île, une vieille légende l’intrigue : celle d’un palais léguée à la famille royale par un riche britannique qui retenait chez lui une fillette de onze ans… Engel enquête, tourne obstinément autour du palais, soulève beaucoup d’inimitiés, découvre des lieux louches, une boîte de nuit sulfureuse, des filles offertes, de bien intrigants lofts… Et finit par se mettre dans de sales draps à fouiner pareillement. Ce n’ets plus un job d’été, mais des scandales à répétitions qu’elle a débusqués et désormais, la mort rôde. Engel fera face, avec une audace monstrueuse, déterrant tout ce que cette population tranquille compte d’histoires glauques à cacher. Pugnace, volontiers rebelle, dévoilant sans fard une Norvège très peu paradisiaque. A la critique sociale, le roman ajoute l’art de peindre un personnage tout en finesse, avec cette héroïnecompliquée, souffrant de sa solitude, loin de son père toujours en voyage, de sa mère décédée, d'une grand-mère à crocs au shit. Livrée à elle-même, obstinée, Engel bouscule l'adversité, fait face à ses peurs, tient tête aux puissants de son monde et se construit fièrement. Quel beau personnage que cette jeune fille rebelle, qui sait pousser aussi loin qu’on le peut le courage et la soif de justice.    

Aile d'ange, Ingelin Rossland, éd. du Rouergue, coll. DoAdo noir, traduit du néo-norvégien par jean-Baptiste Couraud, 5 octobre 2013, 218 pages, 13 euros, ISBN 13 : 978-2812605819.

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10 décembre 2013 2 10 /12 /décembre /2013 05:30
lelivre.jpgPlaisant pays que cette France où les deux principaux groupes du monde de la presse et de l’édition, Dassault et Lagardère, sont en réalité des marchands de canons qui savent, au détour d’un article ou d’un opuscule par trop critique, faire usage de leur force pour châtier cette liberté de penser que l’on croyait tant prisée dans nos campagnes… Plaisant pays, jadis de culture, où la littérature est tombée entre les mains de vendeurs de charme, selon la délicieuse expression de Pierre Senges.
Le livre, nous dit-on, ne se porte pas vraiment bien. La déploration est tactique, qui ne sait différencier les ouvrages de valeur de l’écume inconsistante des produits marketing qui ne cesse, jour après jour, d’envahir les tables des libraires. (Hallucinant chantage, par parenthèse, que celui des offices qui permet à un gros éditeur d’asphyxier littéralement les petites librairies indépendantes qui par ce biais en outre, lui avancent sa trésorerie retorse).
Le livre se porte mal donc, entendons-nous dire à longueur de journée. Mais quel livre ? Le livre industriel, lui, marchandisé à l’envi, se porte on ne peut mieux. Les auteurs du Goncourt aussi, merci. Les grandes maisons d’édition itou, installées dans le confort de leur renoncement culturel, qui ne redoutent au demeurant guère la concurrence promise du livre numérique, lequel a déjà emboîté le pas claudiquant du best-seller et du livre utilitaire pour se tailler ses pitoyables parts de marché. Bref, les marchands de vent vont bien et cultivent avec zèle la médiocrité ambiante, de même que les distributeurs et autres diffuseurs qui tractent par millions les palettes d’un produit dont on n’ose même plus dire le nom, emballé comme la vulgaire aubaine d’une fête sans joie. De même que ces librairies sans libraires de la grande farce numérique, qui donnent à croire qu’on peut gagner du temps à les fréquenter et n’offrent en guise d’assistance que la commodité d’hésiter entre le Même et l’Identique pour tout choix de lecture.
Le livre va mal, mais la Direction très officielle du Livre qui s’est (presque) portée à son chevet ne cesse en vérité de lui administrer ses remèdes anémiants, de vraies saignées mortifères à soutenir la bonne santé des mauvais livres avec la même ardeur qu’elle terrasse les productions intellectuelles un tant soit peu exigeantes –il n’est que de s’intéresser aux aides desservies par le CNL et dont l’opacité à elle seule en dit long sur sa politique de cache-misère et de vrai reniement. Restent des auteurs, des éditeurs, des libraires, une poignée à vrai dire, qui n’ont pas renoncé et tentent d’inventer, ici et là, une résistance dont on voit bien la vulnérabilité à lire les témoignages qui nous sont offerts dans cet opuscule. Des librairies aux semaines de plus de 70h d’efforts continus pour des salaires de misère (quand ils parviennent à se rémunérer), des éditeurs bénévoles entourés d’équipes invraisemblablement enthousiastes, des auteurs acculés à vivre dans les conditions de l’homme de trop du XIXème siècle nihiliste (Bazarov). C’est ça le paysage du livre aujourd’hui, où l’on invente malgré tout la résistance culturelle sans laquelle l’idée de nation ne sera bientôt que la vile moulinette des peuples promis à l’exécrable. SCOOP, coopératives, associations bénévoles, ONG, une poignée de lecteurs fiévreux inventent aujourd’hui les conditions de possibilité de la Culture à venir, pointant les vrais problèmes du livre et de la lecture, à commencer par ceux de l’école à la française, qui est une formidable machine à produire des non-lecteurs avec ses manuels qui ne sont que des non-livres distillant jour après jour leur prêt-à-penser imbécile, contournant soigneusement le privilège de la formation intellectuelle que la fréquentation et l’usage du livre autorisait jadis.
Des acteurs qui défrichent de nouvelles formes de journalisme, de nouvelles formes d’édition, de nouvelles formes de diffusion du livre, dans l’accablement d’institutions qui se refusent à prendre la mesure du drame qui se joue là, à commencer par le tissu des bibliothèques françaises sommées de frapper aux portes des grossistes pour remplir leurs étals… Alors que ce réseau quasi militant du livre et de la lecture remplit, seul, de vraies missions de service public, à savoir : l’approfondissement de la liberté, l’affermissement de la démocratie culturelle.
 
 
Le livre : que faire ?, collectif, La fabrique éditions, février 2008, Roland Alberto, Francis Combes, Eric Hazan, Joël Faucilhon, 28 février 2008, 95 pages, 12,20 euros, ISBN-13: 978-2913372733.
 
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9 décembre 2013 1 09 /12 /décembre /2013 08:08
klein.jpg «Il fait un temps de tant», disait André Breton. De chien aussi bien, quand vieillir contraint à troquer la structure du muscle pour celle, calcinée, des os. Durer, constate Etienne Klein, c’est devenir plus dur… S’extirper peu à peu du flux des temporalités qui nous aura submergé toute notre vie. Parvenir enfin, mais sans savoir si cela vaut mieux ou non, à simplifier sinon réduire drastiquement les quotités qui nous furent imparties. Mais sans rejoindre quiconque, loin au bout de l’heure qui s’avance. Vieillir ne nous soustrait pas aux temps désynchronisés que les hommes sont appelés à fréquenter. Ils vivent tous au même endroit, mais pas dans les mêmes temps. Nous n’habitons jamais le même présent. Et moins que partout avant, dans ce monde contemporain qui nous a saisis avec brusquerie : nous ne faisons pas monde commun. C’est l’une des réflexions jetées comme par mégarde par Etienne Klein, qui ouvre moins au vertige métaphysique de la question du temps, qu’à celui des possibles politiques. Nous ne faisons plus monde commun, la chrono-dispersion de nos sociétés rend infiniment problématique le sens commun. Quand bien même il subsisterait un baiser assez sincère pour arrêter le temps.  Temps, mouvement, rythme, succession… De quoi parle-t-on au juste, quand on parle du temps ? Etienne Klein observe que notre usage du mot temps en a fait une sorte d’être autonome. Qu’il n’est pas. Car le temps n’est rien en soi, rien en dehors du sujet qui le parle. Qui l’habite. Et dont il prétend qu’il passe trop vite. Mais passe-t-il vraiment ? Le langage nous leurre : ce n’est pas le temps qui passe, il ne se succède pas à lui-même : seuls ses moments passent.  Sa présence, elle, reste constante.  Le temps, affirmait Newton, est la seule chose dans l’univers qui ne change pas. Mais chose n’est pas le bon terme. Le temps ne change pas sa façon d’être le temps. C’est peut-être la seule validité de la représentation que nous nous en faisons, sous les espèces d’une ligne droite. Une ligne dont nous ne savons pas comment elle se construit. Il y a bien, comme sur toute droite, l’impression de points juxtaposés. Mais le temps se présente-t-il à nous ainsi ? Qu’est-ce qui fait que ça avance ? Le moteur du temps est-il objectif, ou purement lié à notre subjectivité ? L’espace-temps, lui, on sait un peu mieux. Qu’il ne se déplace pas, par exemple. C’est nous qui nous déplaçons. Livrés à une conception du temps incertaine. Pour les uns, partisans de la théorie de l’univers-bloc, nous pourrions nous déplacer autrement, parmi tous les éléments passés, présents, à venir, qui coexistent tous dans l’univers, comme l’affirmait Einstein. Avec tous exactement la même réalité. Voilà de quoi occasionner un sérieux vertige. Le présent ne serait ainsi que le lieu de notre présence mobile. L’intégralité de la réalité, passée, présente, future, nous ne saurions la découvrir que partiellement, et localement. Pauvres humains que nous sommes, infiniment limités dans leur appréhension des mondes qu’ils parcourent. La théorie de l’univers-bloc fascine, tout autant qu’elle inquiète. Peut-être est-ce la raison pour laquelle nous lui avons préféré celle dite du présentisme, pour laquelle seuls les événements présents sont réels.  Qui a raison ?  Etienne Klein ne tranche pas. Nous n’en savons rien aujourd’hui, dans l’état actuel de nos connaissances. La physique n’est toujours pas une science unifiée, il est donc impossible de savoir. Est-ce que le futur existe déjà dans l’avenir ? Telle est la question qui divise les physiciens aujourd’hui.  Où est demain ? Qu’importe, exigeons-nous. Le présentisme a tout envahi, le futur s’est absenté de nos vies. Mais Etienne Klein ne renonce pas à plaider une synthèse subtile : le futur existerait déjà, mais il ne serait pas entièrement configuré. Il y aurait du coup place pour le désir, la volonté. Pour ce temps psychologique en marge du temps physique, et dont la physique peut nous dire beaucoup. Etonnamment plus que les philosophes qui ont tenté de s’emparer d’une question pour laquelle, au fond, ils n’étaient pas outillés.
 
 
ÉTIENNE KLEIN - LE TEMPS, Du point de vue scientifique et philosophique, Frémeaux et Associés, 2 CD, Label Frémeaux et Associés, production françois lapérou pour arte filosofia.
 
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29 novembre 2013 5 29 /11 /novembre /2013 05:30

plus-haut-salaire.jpgOn a voulu nous faire croire que les marchés financiers conditionnaient la régulation d’ensemble du capitalisme et qu’en conséquence, ils étaient favorables à la croissance économique. Alors qu’au fond, si l’on observe ce qu’il se passe vraiment, force est de constater qu’aujourd’hui, ce sont les entreprises qui financent les actionnaires et non l’inverse !

L’entreprise est en effet désormais conçue comme étant exclusivement au service des actionnaires. Enfonçons le clou : les entreprises doivent satisfaire exclusivement le désir d’enrichissement des actionnaires.

Dans le vocabulaire technique des économistes, on appelle cela le ROE : Return on Equity… Le mécanisme en est fort simple, le calcul grossier sinon abject : la norme qui s’est partout imposée par la finance est d’un ROE de 20% et plus, soit une exigence de profit démesurée. L’instrument de ce pouvoir : la liquidité, qui permet aux capitaux frustrés de déserter telle entreprise au ROE jugé trop faible, quand bien même cette entreprise serait florissante, largement bénéficiaire, créatrice d’emplois et vitale pour son bassin économique, pour aller pas même se porter ailleurs, mais tout simplement empocher ailleurs des dividendes plus intéressants.

Une capacité dont les actionnaires veulent pouvoir jouir à tout moment, d’un simple claquement de doigt, des fois qu’une opportunité se présenterait…

Volatil, le capital ne cesse de s’évaporer pour parasiter ici ou là, en France ou partout ailleurs dans le monde, les opportunités qui s’offrent à lui sur le marché boursier mondial.

La conséquence en est que les inégalités augmentent selon la même courbe exponentielle que la précarité, que les investissements s’en trouvent inhibés, que les salaires subissent une pression sans commune mesure, que le chômage augmente tandis que le pouvoir d’achat ne cesse de baisser, et que nos fameux fondamentaux de l’économie en ressortent le cou tordu.

Dans les pays anglo-saxons, cette tendance avait été momentanément contrecarrée par l’endettement des ménages qui assuraient à eux seul une croissance forte du PIB. Ils payaient ainsi doublement la facture : par la pression sur leur salaire et leur endettement. Avant de la payer une troisième fois, quand le krach fut venu… La bulle financière avait permis de créer une richesse fictive dans tout le pays, en autorisant une croissance importante d’une consommation inédite réalisée sans salaire, les ménages n’avaient qu’à méditer leur manque de jugeote…

 

Manifeste d’économistes atterrés, éd. Les liens qui Libèrent, nov. 2010, 70 pages, 5,50 euros, ean : 978-2-918597-26.

Le BIP 40 sur l’évolution de la pauvreté en France : http://www.bip40.org/bip40/barometre

Courbe : l’évolution des 1% de salaires les plus élevés en France…

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26 novembre 2013 2 26 /11 /novembre /2013 05:35
corps.jpgAu départ, on a un corps. Et puis il faut gagner autre chose : être ce corps, l’habiter, le découvrir, le connaître, l’aimer peut-être. L’exister. Dans sa chair, non dans ses signes. Dans cette chair ouverte à l’émotion, au risque de la voir déferler. Au début, un corps nous est donc donné. Inachevé. Il faut ensuite entrer en sa possession. En faire son corps. En nouer tous les morceaux. Le rassembler. Puis l’unifier. Pour ne rien céder au déterminisme biologique qui ferait de nous des viandes, fussent-elles lyriques. Il faut alors trouver la passion de l’animer. Lui donner vie, lui insuffler ce supplément sans lequel nous ne sommes rien. Et ce n’est pas facile, certes. Jamais gagné d’avance : longtemps, on est mal dans sa peau. Ce n’est pas une obligation, mais un fait sociologique. On est tout d’abord dans son corps comme dans la peau d’un autre. Celle d’un étranger. Dès l’enfance où le corps est immédiatement l’objet des attentes parentales. Il semble leur appartenir du reste, davantage qu’à l’enfant lui-même. Ils l’habillent, l’exhibent, le façonnent. C’est une structure, un genou qui saigne, une grippe qui l’enfièvre. L’auteure raconte ces signes qui rassurent les parents, la fabrique du genre, le bleu des garçons, le rose des filles. On est loin du corps pourtant, à travers ce façonnage des souvenirs, contraints par la forme romanesque à se déployer linéairement. C’est moins une histoire du corps au fond, qu’une histoire du Moi, ou de la conscience que l’on pourrait se faire de son propre corps comme objet sociétal… Tous les accessoires qui font corps sont égrenés sans surprise. Toute la panoplie des petits garçons, des petites filles. Toutes ces béquilles, ces étais que les parents installent jour après jour pour soutenir leur vision du monde. Mais on reste en surface des choses dans le roman, à peine à soulever l’écume d’un énoncé qui ne parvient pas à faire corps dans le récit. On reste dans la Lettre, loin du corps. Certes, il y a la justesse à penser, la question du genre par exemple. Toute l'entreprise éducative est longtemps exclusivement la question du genre. Le roman s’en empare à loisir, démonstrativement. Tout comme de l’apprentissage de la sexualité, ou de l’aventure d’aimer, passant en revue les phases, les codes, pour nous mener là où le roman veut nous mener : au romanesque d‘une trajectoire plus ou moins exemplaire. On n'y sent guère le désir fouailler. Sinon comme principe. Non cette affaire vrillée dans nos chairs. Tout est bien vu donc, intellectuellement. La découverte de la pudeur adolescente et la gêne qui s’installe dans l’espace intime de la famille, les changements de gravité du corps au cours des âges. Mais ce cours des âges plombe le récit, il me semble du moins, le rend factice, l’assujettit à sa seule entreprise romanesque où le physique va primer sur le corps, l’auteure n’étant jamais aussi prolixe que lorsqu’elle évoque ce physique qui ressortit au tempérament, ou au style : la mise en scène de soi, dans l’oubli du corps, du pathétique de la chair. Alors on suit comme ça le personnage central, qui vieillit, devient mère et réinstalle sa problématique dans la succession des filiations. Mais jamais l’épreuve d’être nu devant son objet d’écriture n’est advenue. Tout est terriblement fabriqué. Même les «mises à nu», l’aveu infime truqué, trop écrit. Quand il faudrait pouvoir se dénuder, se mettre à poil pour tout dire. Se mettre à poil devant autrui. Pas devant soi. Pas devant le miroir où le regard est toujours déjà trop habillé. Nu devant un autre. Non pas devant ce regard médical qui ramène le corps à sa machine. Ni devant le regard amoureux qui le revêt de ses parures sacramentelles. Peut-être pas même devant un regard désirant. A poil devant un autre, hésitant. Plutôt que de parler bourgeoisement du corps, dans l’apparat d’une conscience faite pour s'admirer, et subsumer le désir d'autrui sous le désir de soi…
 
 
Avoir un corps, Brigitte Giraud, Stock, Collection : La Bleue, août 2013, 240 pages, 18,50 euros, ISBN-13: 978-2234074804
 
 
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25 novembre 2013 1 25 /11 /novembre /2013 05:26

paris.jpgUne poétique de la ville qui s’ouvre sur le Paris de Balzac. Un parti pris déjà, d’une perspective critique. Celui d’une compréhension en profondeur de cette ville que l’auteur a tant habité semble-t-il, rue après rue, quartier après quartier, scrutant ses signes et les traces qui honorent encore cette ville que le lent épuisement contemporain voudrait tant congédier. Qu’est-ce qu’un quartier parisien aujourd’hui, en effet ? Dont on a chassé son âme la plus sensible, cette classe populaire qui avait élevé l’art d’habiter au rang de vivre et non de fréquenter. Eric Hazan évoque donc ce Paris turbulent, fiévreux, aux croissances irrégulières, soulevées en éruptions discontinues contre ses enceintes successives, de la muraille de Philippe Auguste au périphérique. Et ce n’est pas le moins troublant au demeurant que cette mise en perspective, qui donne à interroger la sourde volonté des pouvoirs publics au gré des siècles, d’enfermer Paris… Incroyablement documenté, cet homme a parcouru la ville en tous sens pour nous en livrer la chair la plus intime, celle du Paris Rouge, Paris défunt aujourd’hui, qui hier encore savait écrire les pages les plus glorieuses de notre Histoire. Il n’est que de nous rappeler l’immigration d’avant-guerre qui offrit tant de résistants dont Eric Hazan, de plaque en plaque commémorative, déploie le martyre. Des rues toutes simples, chargées d’une histoire vertueuse au contraire de ces avenues délétères, dont la plus célèbre, les Champs Elysées, ne s’illustra guère que pour constituer l’axe majeure de la collaboration ou celui de toutes les reprises en main réactionnaires des grandes avancées politiques… Qu’aurait été Paris sans cette vergogne ? Celui qu’Eric Hazan compulse justement : celui de la Commune, du Montmartre de Louise Michel et avant cela des barricades de 1830 révélant le vrai visage de la République Française : celui de la réaction, toujours. Quelle balade au final, dans ce Paris qui n’existe presque plus, où pour paraphraser Walter Benjamin affirmant que le « temps des opprimés est par nature discontinu », on n’en finirait pas d’espérer une autre fin que cette navrante gentrification de Paris.

 

 

L'Invention de Paris : Il n'y pas de pas perdus, Eric Hazan, éd. Seuil, coll. Albums, septembre 2012, 450 pages, 45 euros, ISBN-13: 978-2021056990.

 

 

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22 novembre 2013 5 22 /11 /novembre /2013 05:44

Inventé en 1874, et bien qu'expression malingre du génie mécanique, le barbelé a conservé jusqu’à aujourd’hui sa redoutable efficacité pour délimiter les espaces.
De la prairie américaine où son brevet fut déposé, aux camps de concentration, en passant par les tranchées de 14-18, Olivier Razac en étudie l'histoire avec une autorité tout à fait sûre.
Dans la lignée du Foucault analysant la montée en puissance du biopolitique dans les sociétés démocratiques, en particulier dans le nouveau clivage qu’il trace entre l’idéal d’un «peuple» encore politisé et sa dégradation en «populations» de plus en plus enfermées dans leur destin biologique, ou dans celle d'Agamben prolongeant cette réflexion, il nous offre une leçon de philosophie de l'histoire très convaincante - outre que l’étude explore avec une acuité parfaitement épouvantable l’invention des fameuses torsades biseautées et de leur nécessité.
La guerre du barbelé marqua tout d'abord la fin d'une civilisation : celle des Indiens d'Amérique. En découpant, fermant, individualisant l'espace, le barbelé brisa la structure communautaire de la société indienne. En 14-18 on le vit s'inscrire dans une esthétique du désastre, comme composante symbolique essentielle d'un cauchemar peuplé de cadavres désarticulés. Avec le camp de concentration, le symbole s'accomplit, semble-t-il, dans sa plénitude, permettant d'identifier durablement le paysage concentrationnaire. Révélateur puissant de son dessein caché, le barbelé avouait alors enfin la finalité de sa raison d’être : séparer l'humain de celui à qui on ne veut plus reconnaître d’humanité. Le barbelé congédie ainsi vers un extérieur «antique» des franges entières de populations «déshumanisées», ouvrant dans le même temps ce qu'il entoure sur un abîme. Opérateur actif entre ce qui doit vivre et ce qui doit mourir, il trace définitivement l'extérieur effroyable de ce que nous voulons retenir comme civilisation "nôtre".



Histoire politique du barbelé : La Prairie, la tranchée, le camp, de Olivier Razac, éd. La Fabrique, avril 2000, 111p, ISBN-10: 2913372066, ISBN-13: 978-2913372061.

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21 novembre 2013 4 21 /11 /novembre /2013 05:49
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Le XXème siècle avait innové, en jouant de la faim comme d’une arme stratégique à l’échelle des populations, éparses ou ciblées dans le cas des crimes génocidaires. Mais le XXIème promet de faire mieux encore, cette fois à l’échelle de continents entiers : l’Afrique noire, avec d‘autant plus de facilité que la famine est sortie de nos cultures. A Dachau, Auschwitz, elle était  méthodique, pensée au sommet de l’Etat. C’était un moyen d’administrer les populations, de contrôler leurs flux, de gérer les forces utilisables. La faim y apparaissait comme un instrument disciplinaire efficace. Aujourd’hui, cette gestion s’étend aux continents. 960 millions d’êtres humains meurent de faim actuellement dans le monde, un volume que nous ne connaissions plus depuis les années 60, 70… L’accaparement marchand des denrées agricoles  fournit en fait d’inquiétantes similitudes avec le souci nazi des flux alimentaires. Le Grand Jeu géopolitique actuel, d’accaparement des terres agricoles en Afrique, par les Etats-Unis, la Chine, la France, pour y produire des «bio-carburants», détournant du cycle alimentaire des millions d’hectares d’où sont chassées en masse les populations qui les cultivaient et que nos productions intensives ne permettent même pas d’employer, ou bien, comme dans le cas de la Chine en 2008, la confiscation des stocks de riz, qui constitue la base alimentaire de la moitié de la population mondiale, aux seules fins de spéculation, provoquant artificiellement des famines ahurissantes, renvoie d’une façon nette à cette conception d’une gestion totalitaire de la production alimentaire mondiale.
L’étude d’Olivier Assouly fait froid dans le dos. Elle montre que l’explication naturaliste de la faim tient moins que jamais. Bien que le fatalisme en soit répandu, masquant commodément nos responsabilités politiques. La faim dans le monde n’est rien moins que l’expression d’une volonté économique abjecte, qui se traduit par l’asservissement éhonté de populations à une échelle jusqu’alors inconnue. Car la famine ne s’explique que rarement par le manque de nourriture. Les nazis l’avaient compris mieux que les autres, qui en firent un outil d’extermination et de contrôle des populations redoutablement efficace. En 1941, Himmler commanda une étude sur le sujet au Commissariat pour la consolidation de l’ethnie allemande. Un scénario fut réfléchi, pesé, argumenté, d’une politique alimentaire répressive à l’égard de la future Europe de l’Est. Le scénario prévoyait d’exterminer une partie de la population par la faim… Une partie seulement : exterminer la totalité de ces populations aurait été contreproductif. Il s’agissait pour le Reich de s’accaparer les terres agricoles de ces régions, pour le Reich et non l’économie locale. Le plan prévoyait de découper les espaces en aires de production agricole et en aires de famine. On imagina même de recomposer le maillage des villages et d’évaluer le nombre d’habitants admissibles pour chacun de ces villages en fonction de leur orientation productive, avec autour de ces villages des campements de main d’œuvre d’esclaves slaves… La modernité de ce plan était de conjuguer l’action répressive à la rationalisation économique. La Fonction Publique allemande tentait alors de penser l’administration des populations sur le très long terme, sur la base d’une planification alimentaire rigoureuse. Dans le rapport remis à Himmler, la famine était explicitement décrite comme un outil de sélection des races.  On en vantait aussi la puissance d’asservissement inouïe. Olivier Assouly décrit par le menu cette pensée et celle de la bureaucratie allemande, tatillonne, rationnelle, évaluant scientifiquement la résistance à la faim et les effets de la privation sur la capacité de révolte ou de travail en fonction du nombre de calories administrées, autorisant en particulier de maintenir en survie une classe de «sous-hommes», que l’on pourrait ensuite retraiter au titre de déchets organiques. Il n’est pas jusqu’aux carcasses des déportées qui n’ait été évaluées sous leur angle marchand : les os et les cendres furent par exemple vendus à la société Strem pour recyclage en engrais, qui permirent à la production laitière de l’Allemagne nazie de se porter mieux. Entre 1943 et 1944, dans les archives de cette société on trouve trace de 100 tonnes d’ossements acquis à Auschwitz.
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Aujourd’hui, l’usage criminel de la famine se passe de nouveau sur le terrain des races et de l’économie, en période de paix, au sein de l’économie de marché tellement vantée pour les bienfaits qu’elle nous apporte. Cette organisation criminelle de la faim répond à un plan, une administration, une idéologie, des responsables et des exécutants. La nouveauté, c’est l’imbrication des strates politiques, géopolitiques, culturelles, économiques, idéologiques et la totale opacité de nos responsabilités dans ce problème. Les motivations racistes (les noirs), tout comme les motivations sociales (les pauvres), sont tellement masquées que nul n’y voit rien à redire. Rien ne doit troubler l’ordre du marché, fût-il criminel, et même si, de fait, le monde cette fois est déjà découpé en aires de production agricole et en aires de famine.
 
 
L’organisation criminelle de la faim, Olivier Assouly, Actes Sud, coll. Essais sciences, 9 octobre 2013, 128 pages, 20 euros, ISBN-13: 978-2330024680.
 
 
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