GOLIARDA SAPIENZA – Moi, Jean Gabin…
"Essaie de vivre libre, toi, et tu verras le temps qu’il te reste pour dormir"…
S’il fallait n’en lire qu’un, lisez ce roman, autobiographique, de Goliarda. Mais qu’il serait dommage de l’enfermer dans le catalogue de l’invraisemblable rentrée littéraire 2012, tant il en déborde !
On connaissait de Goliarda L’art de la Joie, le Fil d’une vie. Voici enfin traduit ce texte qu’elle écrivit dans les dernières années de sa vie, tout à la gloire de l’enfance, ce rêve d’être, à tout jamais glorieux dans sa nudité même.
Militante presque par tradition familiale, caressant des idées anarchistes plus qu’elle ne l’avouait, rétive, née dans une famille éprouvée autant par l’adversité du fait de son engagement politique que par les maladies, Goliarda témoigne, sans commune mesure dans ce quartier invraisemblable de Catane, la Civita, de ce qu’il en coûte de vivre quand on ne veut pas renoncer à ses idéaux.
Fidèle à Pirandello, elle qui quitta tôt l’école pour courir les rues malfamées de la Civita et quelques années plus tard fonder une troupe de théâtre d’avant-garde, T45, elle qui joua pour Visconti (Medea, Senso), si elle vint à l’écriture en 1958, ce fut pour ne jamais connaître la notoriété –dont elle se souciait comme d’une guigne à vrai dire, non sans raison.
Io, Jean Gabin, c’est l’histoire de son enfance, d’une enfance prise dans les rets de l’Histoire, le Duce sur les talons et Gabin pour idéal, rebelle, traqué, à court d’amour mais crâne, pris au piège de la casbah d’Alger. Gabin qui lui apprend à aimer les femmes, à aimer les hommes, à aimer la Civita, à jamais immature mais droit dans ce livre écrit sous le règne de Thatcher et le triomphe de pacotille du libéralisme économique, qui lui fait se demander ce qui a bien pu s‘effondrer dans l’histoire des hommes pour qu’ils aient pareillement évacué de leur conscience toute exigence démocratique.
Un livre de traversée en somme, du battement fébrile d’une histoire en rupture, cercueil et berceau avec au loin la mer immense, la Méditerranée dressée aujourd’hui comme un mur entre les civilisations, avec sur l’autre rive justement, l’algérienne, Gabin rêvant un autre monde et courant à corps perdu se lover dans la casbah d’Alger. Goliarda sur les talons, aux prises avec le doute d’avoir voulu, si tôt, séjourner dans cet espace du beau déserté par la gente humaine. L’envie lui prend alors de défier les foules immenses, de bousculer ces brutes déguisées en êtres humains, déguisées en messieurs, démocrates de pacotille qui ne cessent de briser la Civita.
Io, Jean Gabin, c’est le fil d’un imaginaire rétif caracolant dans les ruelles d’un quartier que l’on nommerait de pittoresque aujourd’hui, mais que Goliarda somme de survivre au fil d’un récit éclatant et tendre, frappé de colère et d’amour, balançant entre le sublime et le banal dans l’exercice des langues de la rue. Goliarda courant les salles obscures, de Pépé le Moko au si attendu Quai des brumes, que des pages et des pages annoncent avant qu’enfin elle y soit affrontée, là, plongée dans l’obscurité d’une salle de quartier, extase pour soi seule, endiguée dans ces pages étranges où Goliarda relate le film pour n'en convier que l’atmosphère musicale, solennelle, ample et puis brutale, consommée bientôt dans le vacarme de la civitas, les hurlements des chiens et des coups de sifflets des policiers à la poursuite de Gabin, son beau visage calme manquant de sommeil et d’amour.
Io, Jean Gabin est un roman d’initiation, du temps qui presse, du désir qui monte, d’un corps qui se transforme, d’une fillette véhémente, navire en fête déjouant toutes les bourrasques pour déployer bien haut l’étendard d’une écriture qui a renoncé à se faire flamboyante, à se cajoler, affairée qu’elle est à dépecer le monde, à l’inciser pour scruter son épaisseur moite, suspecte, plus vivante que convaincue de l’être, tenue toujours loin même de toute nécessité d’écrire, festoyant le verbe plutôt que s’y complaisant, pour en faire celui de quelque Ulysse (de Joyce) déambulant dans le quartier de la Civita, inaliénable liberté dans cette Civita où tous volent, trafiquent, mendient et de balcon à balcon, profèrent leurs histoires la nuit pour la recouvrir entièrement, les yeux grand ouverts sur la vie.
Il faut lire ce seul ouvrage à l’écoute des gémissements de la Civita, ses monstres sculptés dans la pierre fasciste. On voudrait écrire comme elle le fait, dans la véhémence d’être présent enfin à soi, loin du prestige de la langue des hommes, et courir les rues sitôt sa lecture achevée, comme elle le fait au sortir de Quai des brumes, quittant la salle sous une pluie butée, quelques silhouettes désespérées enlacées au coin du cinéma de quartier, la ville au loin, très loin civitas embusquée dans son ironie obscène qui ne fera pourtant jamais changé Goliarda de cap. Il faut la lire, nommant, rêvant -(dormir, mourir, mourir, rêver peut-être… –Hamlet)-, étreignant les désespoirs utiles des exclus, rejoignant la belle figure du Gabin des Quais d’Alger pour descendre avec lui dans ces brumes où nos gestes prennent leur gîte.
Goliarda Sapienza, Moi, Jean Gabin, traduit de l’italien par Nathalie Castagné, éd. Attila, 30 août 2012, 176 pages, ean : 978-2-917084-30-2.
Apprendre à lire – des sciences cognitives à la salle de classe…
Après bien des batailles et des déconvenues, sait-on vraiment comment apprendre à lire ? Comment leur apprendre à lire ?
Savant, l’ouvrage publié sous la direction de Stanislas Dehaene se présente presque comme un guide pratique, modeste, d’une lecture déconcertante de facilité, mais qui rend compte tout de même de dix années de recherches en sciences cognitives. Rappelez-vous ce miracle du CP, l’enfant devant sa première lettre, son premier mot, sa première phrase. Mais rappelez-vous aussi les échecs cruels, l’immense effort et le prix qu’il a payé pour parvenir à déchiffrer ce qui n’est en rien naturel chez l’homme : lire. Comment avons-nous donc appris ? Le savez-vous encore ? Comment le cerveau reconnaît-il l’écriture ? Et se modifie au contact de cette reconnaissance ! Nous avons oublié tout cela, ou bien nous n’en savons rien. Entrer dans le monde de la lecture… Un monde codé, verrouillé. Graphème, phonème, est-ce la même chose d’apprendre à lire le français que n’importe quelle autre langue ? Alors pourquoi 95% des petits allemands apprennent à lire leur langue en quelques mois, quand les petits français trébuchent des années durant, faute, par exemple, d’une correspondance étendue entre les phonèmes et les graphèmes ?
Tant d’irrégularités dans le français. En avons-nous réellement conscience, quand à longueur de journée on ne cesse de gloser sur les difficultés d’apprentissage de la lecture en France, l’école ne proposant guère qu’un parcours d’apprentissage obligatoire alors qu’il en faudrait de multiples, adaptés aux situations pourtant fréquentes que le législateur n’a pas voulu recenser.
Imaginez : le petit français doit apprendre non seulement l’association entre les lettres et les sons, mais dans le même temps, mémoriser les exceptions. Le français note la sonorité des mots, mais aussi les indices de leurs racines, de leur sens, de leur forme grammaticale, impliquant sans cesse un va-et-vient de l‘écrit au son et au sens, quand dans d’autres langues, l’apprentissage peut s’opérer graduellement.
Lire ? Une activité tellement récente dans l’histoire de l’humanité qu’il n’existe pas de matériel génétique permettant d’y accéder immédiatement. Et c’est bien là le problème, quand le langage parlé, lui, siège sereinement dans l’hémisphère gauche de notre cerveau, du bébé comme de l’adulte, avec ses aires parfaitement localisées, ses circuits neuronaux clairement établis, qui permettent à l’enfant en bas âge de stabiliser les voyelles sans effort, d’intégrer les règles grammaticales du bien parler dès sa deuxième année, de manière presque insouciante… Rien de tout cela avec la lecture, qui le contraint à prendre conscience des structures du langage oral pour oser s’y aventurer…
Que dire en outre de cette modalité accessible par la vision, imposant des changements profonds dans les zones de l’hémisphère gauche du cortex visuel, dans cette aire de la forme visuelle où il faudra loger la reconnaissance des mots, là où les circuits neuronaux s’étaient spécialisés dans la reconnaissance des formes géométriques… Sommes-nous bien conscients de l’énormité de la tâche, l’enfant forcé de recycler une partie de ces neurones, de modifier son activité cérébrale, de raffiner la précision de sa vision, de recoder les sons du langage derrière l’aire auditive, pour développer au final une conscience phonémique sans laquelle il échouera dans son apprentissage…
Savons-nous au vrai tout ce qui peut préparer à la lecture, tous ces exercices, ces jeux oulipiens sur le langage parlé qui peu à peu permettent de modifier l’activité cérébrale et de la disposer en ordre de bataille pour gagner celle de la lecture ?
Construire l’attention sélective, apprendre à observer les détails des objets, des formes, des lettres, scruter les correspondances… Comment se guider dans cet apprentissage soi-même, éducateur, enseignant, parent, pour être attentif à ne pas brouiller cet apprentissage en adressant des informations vers les circuits cérébraux inappropriés ?
Chaque mot est une énigme pour le lecteur débutant, un puzzle qui lui commande un effort gigantesque. Aujourd’hui, si les grands circuits cérébraux de l’apprentissage de la lecture sont identifiés, leur mode opératoire commencent à peine d’être connus. Et ce qui se dessine, c’est la nécessité de multiplier les stratégies éducatives de cet apprentissage. L’intelligence des contributeurs de cet essai est alors non pas de tenter de définir une énième méthode unique de plus, mais de dresser une liste de principes éducatifs clairs, immédiatement applicables, facilitant l’apprentissage de la lecture du français -et du français seulement, singulière langue qui commande la singularité même de son apprentissage.
Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe, collectif sous la direction de Stanislas Dehaene, éditions Odile Jacob, octobre 2011, 155 pages, 9,90 euros, ean : 978-2738126801.
Partir... My Son, ruines du royaume Cham (centre Vietnam).
Une centaine de kilomètres au sud-ouest de Da Nang.
Un peu moins par la Nationale 1, goudronnée sur une cinquantaine de kilomètres jusqu’à l’embranchement de My Son.
Le reste est empierré sur une dizaine de kilomètres, puis le voyage se poursuit sur terre battue, impraticable pendant la saison des pluies.
Mais à vrai dire, il est plus pénétrant d’y aller en partant de Da Nang en moto, par les pistes du nord : de Hoa Vang à Than My, puis Lang Ro, pour redescendre sur My Son en coupant par la montagne de Yang Brai.
La piste est somptueuse, jaune nuancée d’ocres rouges et de bruns aux tonalités soutenues. Elle coupe des villages de paille que peu d’occidentaux ont traversés.
Tous les dix kilomètres, un lac ou une rivière qu’il faut franchir sur un bac ou ce qui en tient lieu : des barques de paysans sur lesquelles il n’est pas commode d’installer son véhicule.
Des rivières larges comme l’embouchure du Rhône, la jungle enclavant l’impeccable géométrie des rizières. Et de loin en loin, d’immenses cimetières bouddhistes clairsemés de monuments multicolores.
My Son. La guérite du gardien et le panneau dérisoire de Mercedes Benz qui finance sans trop y croire la réfection des ruines. Une jeep, cinq kilomètres de jungle par des ravines défoncées. La solitude dès lors, le silence, absolu, d’un monde décampé.
Même lors du petit été –mars, avril-, la chaleur et le taux d’humidité sont tels que dès le troisième pas l’on suffoque. La rosée ne se lève jamais, recouverte en permanence d’une chape de nuages obturant la vallée comme un couvercle de plomb. Partout cette végétation épaisse, dense, impénétrable. Trois kilomètres à pied, un pont de liane et le décor sublime qui crève d’un coup les yeux. L’étonnement. Brutal. De trouver au cœur du Vietnam un lingam érigé en pleine nature, des statues de Ganesh et de quelques autres divinités hindoues.
Les ruines du royaume Cham datent du VIIe siècle. Partout des cratères laissés par les bombes larguées des B52 -les ruines abritaient une base Vietcong. Les bombardiers américains ont tenté de raser la cuvette sans y parvenir. Mais ce n’est pas leur souvenir ou les traces qu’ils ont laissées qui retient le souffle : c’est cet étrange surgissement d’une masse de briques rouges envahies par le vert si intense de la végétation qui règne en virtuose sur ce monde (Henri Miller : "à la fin, l’herbe aura raison de tout").
Dans cette humidité pressante, la réfraction des couleurs est littéralement fantasmagorique ! C’est cela. Oui. Une fantasmagorie. Ce paysage. L’intensité de ses couleurs. La fantaisie d’une présence confuse, quasi spectrale. L’humain absent mais son humanité intriguant la nature au paysage plombé par cette mémoire étincelante, au paysage brusquement pénétré, révélé, ouvert à l'ouvert de l'homme pourtant disparu, au paysage soudain convoqué sous des espèces humaines.
Je vivai pourtant seul soudain, m’assurant malgré moi que tout être recommence le monde. Accueillant l’appel retentissant, achoppant là-bas contre la bute de jasmin, peut-être de ce secret mot d’ordre qui, selon Walter Benjamin, traverse l’univers.
Et malgré le ciel de plomb, ou plutôt l’absence de ciel -pas d’infini, plus d’infini quand surgissait autre chose dans cet Ici trop palpable-, traversant le regard à la nage, avec à l’autre bout du rivage une main tendue d’on ne sait quel abîme. Et puis, tenace, l’impossibilité de regarder ce dehors avec un grand regard d’animal (Rilke), éloignant de moi l’extrême lointain de cet univers dans lequel je ne parvenais pas à prendre pied.
Pourtant je crus un instant vivre dans son arrangement sublime, comme si l’accès m’avait été livré d’un coup et comme par soustraction, cette sorte de sérénité que dépose parfois en nous la vie "naturelle", cette douceur "nue" de la vie comme zoê (Aristote), cette vie que le monde classique a exclue de la Polis, surgie en moi par on ne sait quel détour et comme si cette vie nue avait pu m’atteindre enfin pour m’inviter à glisser vers "l’obscurité où meurent les métaphores" (Claudio Margis). Mais l’instant ne tint pas. Je fis quelques images pour me délivrer da la vérité d’avoir été là.
Vacances, l'événement des loisirs...
Du temps libre aux loisirs, de quelles valeurs ces espaces nouveaux ont-ils été l’enjeu ? Alain Corbin, avec le brio qu’on lui connaît, a réuni autour de lui des contributions passionnantes pour tenter de répondre à ces questions. Du désir d’aventure au divertissement de masse, c’est au fond tout un changement de civilisation que son étude embrasse. Dès 1850, Barnum invente le divertissement de masse, tandis que d’autres plantent déjà le décor du sport spectacle. Très vite, l’on redessine parcs et forêts pour répondre à ce besoin nouveau d’agrément qui se fait jour, ainsi du Bois de Boulogne en 1850. Une année passe et cette révolution se transporte à Londres, où s’ouvre le premier music-hall. Comment la Révolution industrielle a-t-elle réussi à imposer cette nouvelle distribution des temps sociaux ?
Orientée vers l’analyse historique, l’étude de Corbin ne se prive pas d’interroger notre rapport actuel à ce temps libre pour en appréhender les enjeux contemporains. Deux conceptions du loisir s’y affrontent : l’américaine et l’européenne. D’un côté, l’institution du loisir comme jeu, de l’autre sa moralisation. C’est qu’en France par exemple, la question du temps libre est longtemps restée associée aux luttes ouvrières. Reste aujourd’hui une troisième voie : celle de l’invention d’un style de vie propre à chaque individu, poussant à des formes inédites de construction de soi, où l’on comprend bien alors l’importance stratégique du temps libre.
L'avènement des loisirs, 1850-1960, de Alain Corbin et Julia Csergo, éd. Aubier Montaigne, nov. 98, 471 pages, ISBN-10: 2700722477, ISBN-13: 978-2700722475
ENFANCES... L'AMITIE DE LEON WERTH POUR SAINT-EXUPERY
Rappelez-vous la dédicace du Petit prince : "A Léon Werth, quand il était petit garçon". Est-il important d'en apprendre plus long sur celui dont Saint-Exupéry disait qu'il était... sa "morale" ? Est-il important du reste, de l'apprendre dans le contexte d'un hommage rendu à Saint-Exupéry ? Ne devrions-nous pas nous efforcer bien plutôt de lire ou de relire l'oeuvre de Léon Werth, l'une des plus fortes de la littérature française ?
Quelqu'un aura-t-il un jour l'audace d'écrire un livre sur l'amitié, se demandait Léon Werth, en songeant à celle, si profonde, qui le liait à Saint-Exupéry. Blanchot exauça son vœu sans le savoir, en pensant, lui, à Lévinas. Et bien plus tard, dans un autre registre, le philosophe Giorgio Agamben.
- Bien des années après, je revois du reste cette pensée de Blanchot s’accomplir en un geste humble et tout puissant, au moment où se réunissaient à la Sorbonne quelques témoins en l’hommage de Lévinas, qui venait de décéder. Maurice Blanchot devait rejoindre cette assemblée émue, mais il ne vint pas et fit passer un petit billet griffonné de sa main sur un bout d’enveloppe déchirée : «soyez mes répondants». Outre qu’il y a un peu de cela dans toute lecture accordée aux textes qui le méritent, quelle autre preuve d’amitié que celle de répondre d’autrui, quand il nous est cher ?
Qu'est-ce qui fait qu'une amitié est profonde ? Werth y répond page après page. Mais il y répond sans s'y complaire : le livre est fait de notes éparses, de lettres, de photos souvenirs. C'est Viviane Hamy qui les a rassemblées. Belle intelligence d'éditeur !
A ceux qui cherchent le portrait de Saint-Exupéry, conseillons d'autres lectures. Werth a fait mieux : il vit jusqu’à la dernière ligne la passion qui le portait auprès de son ami. Le livre est superbe, d'une composition pascalienne, en fragments laissant dériver les images ténues de leur amitié. La terrasse de l'auberge de Fleurville, un goût d’accomplissement à siroter un Pernod tout en mordant dans un saucisson et du pain de campagne. Jamais Werth n'enferme Saint-Exupéry dans aucune explication. "La certitude qu'il est vivant s'est installée en moi. Mais que cette certitude est inquiète !", écrit-il en 1948, au moment de confier l’ouvrage à ses lecteurs – nous, qui en répondons aujourd’hui.
Ne jouons donc pas les créateurs de "cadavres sublimes". L’amitié qui se dévoile là est si intimement liée au dessein de la prose qui la manifeste, qu’elle rend possible et comme par un enchantement auquel je ne saurais renoncer, l’intimité entre le lecteur et l’auteur, de part et d’autre du texte. Cette intimité entre lecture et écriture est si profonde que l’une et l’autre y pointent en effet le texte, dans son nom même.
Saint-Exupéry tel que je l'ai connu. 100 photos et dessins inédits, de Léon Werth, éditions Viviane Hamy (25 mai 1993), Collection : Domaine français - Les Aînés, 159 pages, ISBN-10: 2878580532, ISBN-13: 978-2878580532
L’ECOLE EST FINIE…
L’avenir de l’enseignement des Lettres paraît sombre, dans l’école française. Epuisée par une didactique savante, reléguée dans la grammaire des techniciens, la pédagogie du français a fini par dévaluer tout ce sur quoi reposait le travail des enseignants : l’étude patiente, attentive, respectueuse des œuvres du patrimoine culturel et intellectuel de l’humanité, l’amour passionné de la lecture. Tandis que dans le même temps, une conception intempestive de la modernité jetait aux oubliettes les vertus du silence, de la patience, muant la lectio en verbiages indigestes. L’excellence scolaire, depuis, ne se mesure qu’à l’aulne de la réussite dans les études scientifiques, la filière littéraire, malgré sa récente revalorisation, n’a entrevu de salut que dans l’horizon de l’exception scolaire, tournée vers un enseignement ouvert aux seules élites, comme pour nous remplir encore de l’illusion d’une culture des humanités assurément probante, le vieux monde en somme, avec son charme discret, sinon désuet. Faut-il s’enfermer pour autant dans la déploration ? Ou chercher malgré tout à défendre ce qu’il existait d’irréductible dans l’enseignement des Lettres ? Et chercher de nouveau à en faire une culture, plutôt qu’une doctrine ? A bien des égards, un poème de Paul Celan (Le Méridien) nous y invite, dans lequel il évoque le lieu où tout poème prend forme : dans "la recherche de l’autre, ne s’adressant qu’à lui". Là où l’attention à la chose écrite se transfigure dans l’expression poétique en "un dialogue éperdu" qu’il n’est pas simple ensuite de congédier. C’est cette attention qui fondait la relation de l’enseignant à sa discipline et aux élèves qu’il enseignait, cherchant les "chemins difficiles et secrets" où créer les conditions "par lesquelles une parole de vérité", celle des élèves, pouvait avoir lieu. Un geste poétique en somme, sinon une geste pédagogique telle qu’on n’en connaît plus, où "créer le ‘tu’, le vis-à-vis, le destinataire", où "faire entendre que quelque chose (lui) est destiné", plutôt que d’affronter nos élèves à des techniques littéraires soigneusement rangées dans les tiroirs des époques stériles.
Le Méridien, de Paul Celan, traduit de l’allemand par André du Bouchet, préface d’Emmanuel Lévinas, illustrations Jean Capdeville, éd. Fata Morgana, avril 2008, 43 pages, 10 euros, ISBN-13: 978-2851947116.
L’ART COMME L’AUTRE DE LA PHILOSOPHIE…
L’art n’est pas un savoir, bien qu’il ne se fasse pas sans raison. Il n’accomplit pas non plus de tâche ontologique, bien qu’il sache provoquer le surgissement de réalités nouvelles, et qu’il sache organiser le seul lieu peut-être, à partir duquel le réel nous fasse signe. Et si l’on peut raisonnablement admettre que la représentation esthétique met en résonance les facultés de l’imagination et celle de l’entendement, il faut maintenir que l’art est l’Autre de la Philosophie et qu’il ne saurait en conséquence être justiciable du seul discours philosophique, voire de tout autre discours spéculatif : il faut rejeter, absolument, l’illusion discursive qui consiste à croire que l’on peut réduire l’art aux catégories de l’entendement.
De même qu’il faut maintenir que l’histoire de l’art est discontinue. Malgré les apparences. Malgré les certitudes scientifiques débitant les mouvements en tranches chronologiques. Il est discontinu parce qu’il n’existe pas de principe nomologique dans l’exécution d’une œuvre par exemple, qui autoriserait de tenir un tel discours sur l’ensemble des œuvres d’art présentes au monde en un temps donné. L’art, contrairement à la physique, n’est pas soumis à des lois exclusives. L’on ne peut donc en donner une explication théorique complète. Sa force est sans doute, justement, d’échapper à tout réductionnisme ontologique comme épistémologique.
Pour autant, l’autotélie de l’œuvre, argumentation centrale des théories spéculatives contemporaines, n’est peut-être elle aussi qu’un leurre destiné à contourner les difficultés que tout objet artistique pose à l’esprit.
Il n’y a certes pas d’unité organique des genres, des œuvres, des influences, des critiques, mais l’œuvre n’est pas non plus un phénomène sui generis.
Et l’on ne peut échapper au danger de l’approche des théories spéculatives qui ordonnent sagement la confusion épistémologique entre l’approche descriptive et l’approche évaluative, évaluant beaucoup quand elles prétendent décrire.
L’art me réjouit en somme, de révéler qu’il ne fait bien souvent que flotter l’odeur aigre du besoin de réussite sur l’essentiel de la controverse littéraire ou artistique, ainsi que l’affirmait un Connolly…
QU’EST-CE QUE LA LITTERATURE ? (Sartre)
Sartre s’interroge en 1947. Mais c’est une interrogation de philosophe.
Où trouver l’appui qui l’enracinera dans cette dimension du sens dont parlait March Bloch ?
Qu’est-ce que la littérature, dans cette dimension du sens commun qui la fonde ?
Quand y a-t-il littérature ?
Faisons vite : la question ne se pose presque plus déjà quand Sartre la pose. Gracq est en passe de lui donner une conclusion deux ans plus tard, dans son pamphlet : La Littérature à l'estomac. Une manière de remettre les pendules à l’heure (d’été), non sans intelligence ni talent, ni raisons du reste. Mais avec Gracq, il ne s’agit déjà plus que de partager le gâteau. Les prix littéraires en deviendront la forme la plus achevée : une farce pour les générations futures. Gracq affûte donc une arme redoutable : l’autonomie du littéraire. La transposition, en somme, de la réquisition de Heidegger dans le champ littéraire.
Quelle fin poursuit la littérature ? Aucune. Ce qu’elle est réellement ? Demandez à Mallarmé, désabusé : ce n’était donc que cela, la création littéraire : un pur jeu formel… Mais à l’époque de Gracq, cela fait figure de manifeste. Contre Sartre. On trouve l’idée élégante, en plus d’être rassurante. Exit l’Histoire. La littérature dégagée. Il n’y a plus rien à voir, peut-être plus grand chose à lire, il n’y a pas de conscience littéraire, et s’il en existe une, elle ne reflète rien. Si : son potage de lettrines et de poncifs accumulés à la hâte, voire de dissertation scolaire poussive mais aux allures grammaticales coruscantes sur la carte et le territoire. Le tout articulé par une propédeutique de la lecture à combler d’aise les maisons d’édition : enfin un auteur qui va nous faire vendre du bouquin. Car pour Gracq, seule la grâce du lecteur peut fonder le plaisir du texte, comme le dira plus tard Barthes, et seul ce plaisir actualise le pacte littéraire –en attendant que le pacte ne se scelle ailleurs bientôt, hors des usages du texte, sur cette autre scène où se joue l’image de l’auteur. Du coup, la littérature connaît son premier glissement : libérée des gros clous de l’Histoire, elle devient un marché. Enfin… On parle encore, dans les officines, d’une "demande" à laquelle répondre. Réponse faite pour apaiser les consciences dans un pays où la littérature reste un mythe fondateur de l'idée nationale.
D’un côté donc, chacun sa niche : on taille le marché en parts. On promeut même l’élargissement de la cible : pourquoi ne s’en tenir qu’aux seuls lecteurs ? Puisque le livre est un produit, le non-lecteur fournira demain la clientèle de masse de ce marché. Superbe malice. Au terme de laquelle, évidemment, ne survivront que les vedettes de la littérature show-biz. Les chanteurs de charme, comme l’écrivait Pierre Senges. Ce fut le grand miracle de l’après-Sartre. Aux enfants de Gracq, pour faire vite, il ne restait qu’à devenir les actionnaires d’une société de consommation bâtie sur ce vide, et dont la logique ne servirait en fait qu’à redistribuer les dividendes du marché (du livre).
Voilà. On y est. A en toucher le fond bientôt. Rien d’étonnant à ce que le formalisme ait fini par régner en maître dans les Lettres françaises : il n’ouvrait en somme qu’à des querelles de tirages. Et encore, l’époque du formalisme était une époque bénie, du point de vue de la qualité littéraire des textes promus sous leur manière. Restait à mettre en place les hiérarchies : la Blanche, et les autres littératures. Une littérature des élites (?) et des littératures populaires, avant d’en joindre, ultime pied de nez, les deux bouts dans la foirade des Prix.
Les gestes blancs, de Gianni Clerici – comment lire un roman ?
1939, en Italie fasciste. Au monde qui s’effondre, Clerici oppose la claire conscience d’un enfant s’éveillant à sa vie.
Giovannino a huit ans. Il vit à la villa Géranium, entouré de sa maman, de sa grand-mère et d’une gouvernante russe excentrique. Son père séjourne en Afrique orientale. La famille est aisée et lui donne une éducation raffinée, sensualiste plutôt que le catéchisme des jésuites. Sweet, son professeur de tennis, l’initie à l’art de danser autour de minces lignes d’asphalte. Près du filet, les empreintes des glissades dessinent de fugaces figures de ballets. Giovannino est fasciné par la Pirelli, cette petite balle blanche aux rebonds mathématiques. Un jour, le directeur de l’école convoque ses parents : pour quelles raisons l’enfant consacre-t-il ses samedis "fascistes" à une activité anglo-saxonne ? Puni, il se voit contraint d’endosser l’uniforme et de défiler dans d’immondes godillots cloutés. Mais dès le lendemain, il ose, sans malice, se rendre à l’école en pull-over blanc : sa tenue de tennis ! Il est chassé de l’école comme "élément préjudiciable à la santé morale de ses camarades".
De courts chapitres brossent à petites touches subtiles l’éveil d’un enfant à la société des adultes. On peut certes se demander quelle peut être la force de dénonciation d’un roman stigmatisant en 1960 l’Italie fasciste des années trente. Nous sommes loin, ici, d’un Feuchtwanger dénonçant avec Simone, en 43 la France du grand renoncement. Peut-être faut-il alors lire le livre autrement : roman de l’initiation sportive, récit d’apprentissage, l’auteur enchante par l’adresse de sa prose et la force de sa description du monde du tennis, dont il fut une grande figure lui-même. Et l’essentiel serait là, malgré l’idée saugrenue d’un arrière-plan, d’un décor comme on le dit au théâtre, organisant notre compréhension, orientant notre lecture, pointant l’ordre des satisfactions. Tout de même, quel décor étrange que celui de l’Italie fasciste, gagnant à coup sûr notre cœur, confiant pour ainsi dire notre lecture à quelque commune sympathie, unanimement partagée ou peu s’en faut, mais nous y conviant aujourd’hui, pas hier, certain de tous nous y retrouver dans la condamnation d’un monde que nous n’avons pas éprouvé. Il va sans dire, oui, qu’il y a là une gratuité qui m’exaspère. Comme m’exaspère ce supplément d’âme requis dès l’abord du texte, quand tout est joué déjà et qu’ils furent peu nombreux à l’avoir dénoncé quand il fallait le dénoncer. Alors pourquoi cet après-coup, quand l’écriture en outre enchante tellement par la délicatesse de sa prose qu’elle en devient suspecte, si au fond, l’art du conteur n’avait eu pour objet que le tennis et non Mussolini ? Pour que l’histoire nous rassure sur notre compte aujourd’hui ? Elle le fait poliment, oui. Courtoisement. Nous invitant à prendre part à ce plaisir d’un texte plaisant. J’ai aimé l’écriture, il va sans dire, et la manière de conter une histoire somme toute difficile. Mais pour finir par m’étonner et me décourager de ce genre de littérature où la pratique de la vertu est de bonne conscience. Elle s’est mise à incarner à mes yeux cette prose qui prétend rendre l’art essentiel, mais ne fait que l’évider dans une cause de trop bon aloi. L’art, dont je suis bien certain qu’il est essentiel, fait faux bond ici, finalement. La narration est devenue trop sociable plus que sociale, mémorable plus que mémorielle, témoignant de l’état d’une culture courtoise capable de fermer demain les yeux sur les massacres à venir.
La vie, menacée par la trajectoire d’une balle de tennis, crépite sous chaque pas, grenade, mais ferme les yeux sur ce sol de terre battue où les corps gisent vraiment. Clerici a fait du monde un thème, de l’Italie fasciste un genre. Et de nous tous, les assommants messagers d’un "plus jamais ça" galvaudé, à peine un rite de consolation, qui ne sait éviter qu’aujourd’hui l’on s’en prenne partout dans le monde à d’autres populations pas moins menacées que celles qu’il met en scène dans son hier commode.
La vérité muette et barbare de cette réalité là, sa bonne volonté d’écrivain ne nous en préserve pas ou plutôt, elle ne nous préserve que d’une chose : d’avoir à faire face à cette réalité plus douloureuse qui déjà affecte notre Histoire commune.
La vie au rebond des balles de tennis. Fuse. L’aurait dû en définitive, pelote de nerfs sur le vif d’un écorché plus saignant, non cette lanterne d’une lecture oisive, consensuelle.
Et tout bien réfléchit, il y a à mon sens une plus grande quantité de Mal dans ce genre romanesque que de ce Bien qu’il prétend soutenir : son texte n’empêchera rien, encore une fois, qui vise à empêcher que le passé ne se reproduise. Mais quoi ? ça a déjà eu lieu, serions-nous tenté de lui opposer. Il ne revêt aucune conscience du tout. Et la balle de tennis y fait un bruit désagréable, dont les rebonds sont à vrai dire terrifiants.
On peut, il est vrai, éprouver pour le gamin du texte un sentiment réel d’empathie. L’enfance émeut dans ses résistances fragiles. Mais il y a là une bien étrange éthique, qui n’advient que de ce qu’un enfant soit planté dans ce décor, attisant une lecture compassionnelle bien suspecte : qu’est-ce que cette requête archaïque ? A quoi ce personnage d’enfant doit-il toucher en moi ? Où est-il tapi en moi ? Dans quelle pré-histoire que le récit ne sait pas enrayer ? Qu’il soit bien difficile de redevenir un cœur simple ? Cette hauteur morale captive, peut-être, partagée de force…
Mais quand on referme le bouquin, en quelques secondes la vie se charge de corrompre cette taille éthique que l’ouvrage vous a faite. Peut-être est-ce pour ne pas en perdre la mesure que de tels livres sont faits ? Pour nous donner la certitude que le visage de l’horreur n’est pas le nôtre. L’enfant aux gestes blancs survit dans son pull de tennis fièrement posé sur la table du salon… Avons-nous réellement grandi à le côtoyer ? La bonté de sa narration comble le lecteur. Sa vie, comme un événement excessif, a soulevé les nôtres, les lestant de leur poids d’amertume. Le petit théâtre qu’il a construit séduit. Je le vois bien. Pour tenir bon contre la nuit qui ne cesse de monter, comme un fugace répit, d’un bonheur de lecture qui demeure encore une fois bien étrange. A propos de ce bonheur de la lecture, Dorothy Hewett affirmait qu’il ne pouvait être désormais que celui d’une époque où la littérature était devenue un art perdu. Egaré, abîmé si l’on veut, corrompu. Si bien que ce plaisir serait celui d’un mort déplorable, enfermé dans sa bienséance…
Les gestes blancs, Gianni Clerici, traduit de l’italien par Nathalie Castagné, éd. Viviane Hamy, mai 2000, 224p., 20 euros, ean : 9782878581263.
Linda Lê : tu écriras sur le bonheur…
C’est un peu le jardin littéraire de Linda Lê, qui adopte ici le ton de la promenade érudite pour nous donner à partager ses lectures. Sereine, toujours juste dans ses observations, d’Ingeborg Bachmann à Dürenmatt, de Connolly à Bohumil Hrabal, en passant par Klaus Mann, Ernst Weiss et quelques autres, elle dessine un paysage de "sang, de chair et de nerfs", qui ne sombre jamais dans une perspective douloureuse, bien que le désastre soit toujours proche. L’on s’étonne même de cette langue si raffinée pour le construire. "L‘enterrement des étoiles dans la fosse commune" est pointé d’un geste nonchalant, avec cette diligence désinvolte du courtisan qui sait tout le talent qu’il faut déployer pour faire face à l’idiotie du réel. Mais curieusement, c’est dans la compagnie de Paul Nizon que son écriture fléchit. Or c’est à une phrase de ce même Nizon que son livre est adossé : "Tu écriras sur le bonheur". Une stèle, l’épitaphe d’un marbre où le bonheur d’écrire viendrait se rompre, le feindrait dans la raillerie du vouloir écrire sur le bonheur. Nizon, en quête d’harmonie reléguant sans cesse cette quête pour que l’écriture puisse s’installer dans son impossible franchissement. "Vouloir écrire sur le bonheur, c’est vouloir attendre la floraison d’un cactus", nous dit Linda Lê. On peut l’imaginer. Mais sa notation ne vise peut-être qu’à déplacer la justification de ce vouloir pour entretenir la machine à écrire dans l’espoir d’en libérer les rouages avec, encore une fois, cette maturité du courtisan qui sait de quelles impuissances relève l’économie de la jouissance…
La tâche de l’écrivain, affirme-t-elle plus loin dans un ultime texte où il est question de l’identité qu’on voudrait lui voir endosser, est de produire "une parole déplacée, puisqu’elle se place au cœur de la douleur sans chercher à lénifier cette douleur avec la panacée des mots". Pour qui refuse à l’art son pouvoir de célébration, ou de consolation, cette assertion ouvre tout de même un bien paradoxal chemin : celui de l’exil volontaire, conçu comme croix et bannière. Laissons de côté l’injonction de la douleur. Sans doute tout écrivain doit-il s’exiler dans sa langue pour réussir quelque texte. Surtout si cette langue est maternelle, pour ne pas sombrer sous le poids de son habitus. Qu’il se mette en route ne commande pour autant pas ces détours incertains et pour tout dire, tellement familiers dans le contexte de l’énonciation littéraire nationale. Gombrowicz parcourut joyeusement dans sa langue maternelle un chemin non nécessairement pavé d’épines. Dépouillé du martyrologue polonais, pour paraphraser le tchèque Ladislav Klima, il était passé maître dans l’art de tout amocher. Le devait-il au seul génie de sa langue ? Rabelais en fit autant dans la nôtre, pourtant si réfractaire à l’amochage public.
L’impeccable français de Linda Lê témoigne peut-être encore d’une inquiétude. Elle qui s’est chargée de l’inconvenance d’une parole retournée contre soi, hésite à renoncer à la consolation d’une écriture bien faite.
Tu écriras sur le bonheur, Linda Lê, Christian Bourgois Editeur, novembre 2009, poche, 338 pages, 10,15 euros, ean : 978-2267020564.