Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 janvier 2012 5 20 /01 /janvier /2012 08:00

le_radeau_de_la_meduse1.jpg"Dans une campagne électorale, chaque candidat parle au nom de tous. Est gagnant celui qui a trouvé la petite astuce langagière de la totalité symbolique", explique Benny Lévy dans son essai Le Meurtre du pasteur, critique de la vision politique du monde.

Il ne faut plus croire à ce "nous" que l’on profère ici et là dans le champ du discours politique. Le "nous", en démocratie, est régalien. Mais on ne peut dire "nous" dans un système politique qui ne respecte pas ses propres principes. Il ne peut y avoir de cohésion, il ne peut y avoir de peuple là où le pouvoir a perdu toute substance symbolique. Il faut de même rompre avec la logique auto-référentielle du Souverain qui déploie la truculence d’un Nous mensonger pour mieux le subsumer sous la confiscation éhontée du Bien Commun. Il faut rompre avec cette logique qui récuse l’idée d’auto-organisation de la société. Nous ne comptons pour rien dans les Affaires de l’Etat : ce dernier n’est plus identique à la société civile, pas même à la société politique. Il faut penser, au contraire, l’hétéronomie du Principe souverain et admettre que l’unité d’un état réellement démocratique ne peut être que celle d’un sommet contingent labile. Un sommet labile, nécessairement. Mais d’une labilité qui serait articulée par une alternance plus mature que celle du "faire et défaire le roi". La conception de la démocratie est nécessairement liée à une ontologie de la liberté. Qui n’existe qu’en actes. Simples, individuels, mais qui ne peuvent se déployer que dans l’espace commun.

Le monde n’est ni vide ni absurde, nous ne sommes pas des vagabonds de la faim, ni des hommes refusés qui devraient déléguer à la nature la responsabilité d’écrire leur projet de vie. Il faut changer d’optique, reconstruire autrement le sens commun, décrire le monde à la lumière de la logique du sensible qui rend les choses perceptibles dans leurs articulations internes. Ne plus subir la pathologie du politique contemporain, qui se traduit par un Etat qui protège les vies dans un certain ordre hiérarchique. Quelles sont en effet les grandes options de la société française ? Nous ? Non : une préférence accordée à certaines vies aux détriments d’autres (chômeurs, précaires, immigrés, morts de la rue, etc.). Si bien que la seule possibilité pour en sortir aujourd’hui, tant qu’à parler de Nous, c’est de parler d’eux et se porter aux côtés de ceux dont l’existence même contredit l‘idéologie néo-libérale et son "Nous" péremptoire. C’est de leur côté, du côté des minorités morales que se dessine notre salut. --joël jégouzo--.

 

Benny Lévy, Le Meurtre du pasteur, critique de la vision politique du monde, Le livre de Poche, Collection : Biblio Essais, 25 août 2004, 318 pages, ISBN-13: 978-225313090.

Partager cet article
Repost0
19 janvier 2012 4 19 /01 /janvier /2012 08:50

Leviathan.jpgDans son essai sur le politique (Le Meurtre du pasteur, critique de la vision politique du monde), Benny Lévy pointait les mensonges constitutifs du discours politique, tentant entre autre de nous faire croire que dans l’espace public qu’il traçait, il n’existait pas de différence entre la circonférence (où l’immense majorité des citoyens se tient), et le centre (le stricte périmètre du pouvoir étatique). Un mensonge proféré au nom du Bien Commun, nous convaincant qu’il faut à tout prix réduire la "masse" au centre, réduire le tout des diversités importunes à l’universel abstrait. Une opération modélisée à la faveur de la raison, la réduction du multiple à l’un se faisant d’autant mieux accepter que la science en schématisait le recours, nécessaire, logique, primordial, constituant ainsi le discours politique en mathématique du pathétique. Ce pathétique qui, peut-être, constitue justement la force négative qui traverse souterrainement le bien-fondé du discours politique. Une force négative qui n’enseigne rien, mais contraint et nous commande de céder aux injonctions les plus ahurissantes de la nécessité politique.

A concevoir la cité comme dialogue, nous avons ainsi oublié que ce dialogue était biaisé. A trop cherché à le soustraire aux "mauvais débats", au mauvais accord, aux mauvais contradicteurs, nous avons gommé l’essentiel de ce qui forme notre vie, la conditionne, l’anime.

Seule demeurait une échappatoire, depuis Socrate et Platon du reste, répétée de siècle en siècle avec la plus parfaite mauvaise foi : celle du Mythe, réinscrivant cette parole politique si succincte dans son propre horizon, comme pour assurer la présence de l’Origine dans la parole moderne.

Il faudrait aujourd’hui convoquer de nouveau cette parole, ses soubassements philosophiques du moins, changer de conception : celle-là ne nous vaudra plus rien de bon… Pour affirmer que dans le défi d’exister, c’est d’être présent à soi-même qui importe. Non pas délégué. Non plus que dans une présence qui serait antérieure à soi-même, et comme inscrite déjà par avance en nous et qu’il faudrait éveiller, au sens où un Platon le concevait, dressant devant chaque un la nécessité de prendre langue, ou des leçons, d’un éveilleur soigneusement situé dans une position d’extériorité à soi. Le philosophe pour Platon. Chargé de tirer l’immense majorité de ses semblables du sommeil qui les écourte. Mais nous n’avons pas besoin d’un Maître pour nous éveiller.

Nous avons commencé de nous révolter et d’affirmer que le dialogue politique n’était pas un dialogue, qu’il était essentiellement démoniaque, au sens cette fois où les grecs l’entendaient -mais pourquoi pas, au sens quelconque du terme aussi bien : un dialogue qui cherche l’embarras, qui cherche à embarrasser la raison, qui cherche à nuire et ne produire aucune clarté intellectuelle, existentielle, mais au contraire, qui cherche à produire de l’embarras, à couper son interlocuteur de cette nécessité d’exister que j’évoquais plus haut : l’empêcher d’être présent à soi-même.

Nous avons commencé d’affirmer que le discours politique est la mort même, la mort dans l’âme, la mort de l’âme… Et que son arrête rationnelle n’est qu’un déversoir : aucune nécessité logique ne peut relayer la nécessité de vivre.

benny.jpgDepuis Platon, nous avons célébré les noces du politique et du philosophique. Mais aujourd’hui nous avons commencé de brouiller ces deux là, pour contraindre par exemple la philosophie à obliger le politique à redescendre "auprès des prisonniers". Pour contraindre le monarque à assumer sa vraie grandeur : pour être roi, il faut haïr le pouvoir. Cela seul est la noblesse de l’homme du service de l’Etat.

Nous avons commencé de lui rappeler, à ce monarque d’un autre âge, que gouverner, ce n’était pas viser le trouble Bien Commun si souvent défini frauduleusement à force de manipulations de toutes sortes, mais l’approcher au plus près du souci de justice de l’enfant.

La politique n’est pas une science : c’est une sagesse. Au sens métaphysique du terme. Une sagesse au cœur de laquelle le logos n’a aucune autorité (il en a si peu déjà sur ses propres apories)…

Nous avons commencé de raccrocher le politique à une définition métaphysique : retrouver le souci de justice de l’enfant. Car nous savons qu’aucune politique ne peut se fonder sur le meurtre de ce souci. Sur le meurtre de l’enfant.

Car nous savons que le vrai problème de la politique, c’est la tyrannie. C’est l’Homme de Pouvoir, distant, enfermé dans ses prétendues hauteurs. Parce que nous savons que la politique doit venir s’asseoir auprès de chacun, à tout instant. Etre sensible à chaque "un". Il nous faut rompre à présent avec la duplicité de la philosophie politique telle que nous l’avons héritée de Hobbes, où l’unité se fait sous le couvert de l’illusion et de la nécessité.

N’y croyons plus ! bannissons cet intégrisme de nos vies politiques ! Car le scandale de cet intégrisme, c’est qu’il nous assujettit à un discours de domination. –joël jégouzo--.

 

Benny Lévy, Le Meurtre du pasteur, critique de la vision politique du monde, Le livre de Poche, Collection : Biblio Essais, 25 août 2004, 318 pages, ISBN-13: 978-225313090.

Partager cet article
Repost0
17 janvier 2012 2 17 /01 /janvier /2012 06:58

indignes-copie-1.jpgLa notion moderne de démocratie ne trouve pas son origine, contrairement à ce que l’on ne cesse de nous faire croire, dans l’imaginaire que l’on s’est construit de l’Agora de la Grèce Antique, favorisant l’émergence de la cité conçue comme dialogue. Le moment grec au demeurant, sous l’impulsion de Socrate et de Platon, avait pas mal verrouillé les conditions de ce dialogue en lui imposant une hauteur conceptuelle destinée certes à le soustraire au mauvais accord entre les interlocuteurs, mais surtout, raréfiant à ce point les intervention qu’il en réduisait le nombre à la part congrue des seules paroles candidates à l’appréciation politique, rapetissant de fait le discours public aux seules visées capables de clore ce prétendu dialogue en rabattant la masse sur le centre, en réduisant la diversité des vies à l’illusion de l’universalité.

Pas davantage trouve-t-elle ses origines dans le moment romain qui prétendait accomplir l’universalité laïque.

L’idée d’un gouvernement représentatif relève en fait du passé colonial britannique qui articula très tôt une conception aristocratique de la volonté commune. La conception européenne en hérita, s’affirmant elle aussi comme une conception disjonctive de la représentation nationale, avec en son sommet une prétendue élite seule capable de diriger le destin de la Nation, un gouvernement des hommes en outre compatible avec une vision fondamentalement inégalitaire des civilisations –la bonne conscience coloniale l’ayant massivement attesté jusqu’à nos jours, autant à Droite qu’à Gauche. Si bien que le déficit démocratique que l’on croit pouvoir dénoncer dans le monde d’aujourd’hui n’est pas, ainsi qu’on l’affirme à l’envi, un trait spécifique des régimes arabes contemporains, mais bel et bien, d’abord, celui des démocraties occidentales.

Au cœur de cette conception politique inégalitaire qui fut l’œuvre des élites, le thème démocratique s’est vu intégré dans un corpus philosophique d’inspiration essentiellement libérale, élaboré au XIXème siècle au sein d’institutions comme les universités et les académies des sciences morales et politiques. Ordre monétaire et économique, paix sociale en étaient les grandes composantes. Au cœur de cette édifice, son pouls le plus intime, la garantie d’une croissance illimitée favorisant le déploiement de l’ordre monétaire et économique. La croissance, objet central de la politique des démocraties avancées. L’obsession libérale d’imposer aux Etats une discipline est liée à cette croyance en une croissance illimitée tombant jour après jour comme une manne du ciel des marchés. Mais les marchés n’ont jamais été providentiels. Et la financiarisation des économies relève du crime d’Etat, tout comme l’idéologie de la méritocratie n’est qu’une fumisterie intellectuelle dissimulant mal l’idéologie de l’arrangement qui est la vraie nature du néo-libéralisme contemporain. --joël jégouzo--.

Partager cet article
Repost0
16 janvier 2012 1 16 /01 /janvier /2012 06:56

AAA.jpgLe verdict est tombé. On l’attendait depuis des semaines. La France perd son triple A. Avec pour conséquence non seulement un poids plus grand d’une dette qui n’est pas la nôtre, mais l’aggravation du déficit démocratique qui caractérise l’abominable entrée dans ce XXIème siècle décidément pourri.

Demain on nous répétera que le marché reste le moyen le plus efficace pour réguler la vie sociale. Un président en exercice viendra nous l’expliquer, appelant au sacrifice, de la Nation en fait, puisque l'idée de décider démocratiquement sous quelles lois nous voulons vivre est devenue déraisonnable. Sarkozy nous resservira la nécessité d’approfondir les réformes comme l’unique moyen de nous en sortir. Il faudra alléger davantage le service public, le privatiser au motif de l'efficacité et des économies à faire.

Demain on nous conseillera de confier la santé, l’éducation, la collecte des impôts, la sécurité à des sociétés privées. On nous demandera de nous délester de ce qu’il reste de l’Administration Publique pour nous offrir un nouvel A.

Demain, nous devrons substituer aux règles de gouvernement public les règles du management privé. Concevoir l'État, ses assemblées représentatives, ses pouvoirs exécutifs, législatifs, comme des établissements soumis au principe d'efficacité des entreprises – et les détacher définitivement du principe de justice qui définissait l’État démocratique…

Il faudra vider les assemblées élues au suffrage universel de leurs substances pour adopter ce nouveau type de gouvernance au sein duquel les techniciens de la Finance, seuls, auront leur mot à dire.

Détruire l’Ordre Public, déconstruire la République. Calquer la gouvernance nationale sur la gouvernance européenne, enfin délestée de la pesanteur du suffrage universel. Abattre l'État politique au profit de l'État technique.

Demain il faudra en finir avec la souveraineté du Peuple. Il faudra soumettre davantage la Constitution aux exigences de cette construction technocratique (voir l’inscription dans la Constitution de la règle d’équilibre budgétaire). Et ne pas sourire de voir des parlementaires fantoches déchirer au coup de sifflet présidentiel le contrat social. De toute façon le peuple est déjà si peu souverain quand la politique se réduit à des dispositions techniques au service du fonctionnement de la machine financière et de la prétendue régulation de l'économie de marché…

Demain nous n’aurons qu’un seul maître : la Finance. Il faut donc parachever le processus de transformation des démocraties en oligarchies et pour cela, ce n’est pas le Mammouth qu’il faut dégraisser, mais les droits politiques fondamentaux des citoyens qu’il faut lessiver, au kärcher sans doute… --joël jégouzo--.

 

Partager cet article
Repost0
6 janvier 2012 5 06 /01 /janvier /2012 08:17

alternatives-eco.jpgLa très libérale revue Alternatives Economiques publie un volumineux dossier dans son numéro de janvier, consacré au bilan de la Présidence Sarkozy. L’heure des comptes a donc sonné, y compris dans le camp libéral, qui voit sans bonheur le chef de l’Etat briguer un second mandat. Car qu'il s'agisse d'éducation, d’emploi, de pauvreté, de sécurité ou encore des finances publiques, le moins qu’avouent les éléments les plus lucides de son camp, c’est que ces comptes ne sont pas bons. Mais alors, pas bons du tout… Ils sont tellement mauvais même, qu’à leurs propres yeux il faudrait être sacrément myope pour ne pas voir que la crise n’y est pour rien, ou si peu, dans ce désastre, autant moral que politique, social ou économique. Et pour la revue, ce sont avant tout les politiques conduites depuis 2007 qui sont en cause. Des "erreurs" s’efforce-t-elle d’excuser. On voudrait bien le croire, n’était une volonté politique très sûre au contraire, qui aura par exemple joué en toute connaissance de cause du bouclier fiscal contre la Nation pour enrichir le camp de celui que des sociologues avertis ont qualifié à juste titre de Président des riches.

Il suffit au fond de lister les engagements de campagne et de les comparer aux résultats en fin de mandat pour s’en rendre compte. Le président a beau tenté de s’abriter aujourd'hui derrière la crise pour expliquer une situation particulièrement dégradée, avec la récession qui s’apprête à camper dans notre futur, 4,8 millions de personnes inscrites à Pôle emploi (un record pour la Vème), une dette publique de près de 1 700 milliards d'euros (500 de plus qu'en 2007), sa responsabilité est totale…

Et c’est bel et bien le programme qu’il a mis en place dès le printemps 2007 qui a dégradé le pays. Il n’est pas même la question de la sécurité qui n’y échappe : le bilan est là aussi nul, aucune amélioration n’a été constatée sur le terrain.

Aux yeux de la revue, c’est évidemment surtout en matière de finances publiques que les décisions de Nicolas Sarkozy auront été les plus pénalisantes pour la Nation. Et le numéro de constater qu’en fait, c’est le modèle social tant vilipendé par le président des riches qui a, dans les faits, permis d’amortir le choc de la crise ! Les RTT en particulier, qui ont permis aux entreprises de limiter la casse en jouant sur l’aménagement du temps de travail ! Le monde à l’envers ! Toutes les mesures prises par le chef de l’Etat ont, de ce point de vue, joué contre l’emploi : c’est l’exemple de la défiscalisation des heures supplémentaires, cassant le marché. Si bien que le gouvernement lui-même a dû revoir précipitamment cette fumeuse copie de campagne et revenir sur la plupart des dispositions prises en début de mandat : abolition du bouclier fiscal, révision du régime social des heures supplémentaires, etc… Révision au demeurant avortée, pour des raisons idéologiques, belliqueuses à n’en pas douter, mais dans un combat mené contre la Nation, comme celle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite, dont on mesure aujourd’hui combien il a aliéné durablement la structure de la gestion publique, renvoyant l’Administration française à ses heures les plus sombres… L’Ecole ? Détruite. La Santé ? Détruite. L’Emploi ? Détruit. Ne reste que l’austérité en guise de politique, qui ne fait, aux yeux des spécialistes, qu’aggraver la crise plutôt que la résoudre… Mais le plus dommageable aura été sans doute cette stigmatisation des étrangers et du monde arabe, ouvrant une béance dans les mentalités et créant les conditions d’une rupture civique si grande qu’elle est aujourd’hui lourde d’une menace atterrante, dont nous sommes loin de pouvoir évaluer toutes les conséquences. --joël jégouzo --.

 

Alternatives Economiques n° 309 - janvier 2012

Partager cet article
Repost0
4 janvier 2012 3 04 /01 /janvier /2012 06:18

Hollande.jpgMais le changement jusqu'au bout !

 

 

Une centaine de jours nous séparent de l’élection présidentielle. Nous serions même à une centaine de jours de pouvoir initier un "vrai changement", ainsi qu’y invitait hier François Hollande dans son adresse aux français, publiée dans Libé. On aimerait le croire. On devrait le croire même, lui plus que tout autre au fond, en ce sens que sa candidature à lui porte pragmatiquement la possibilité d’en finir avec Sarkozy. Tout comme on croit volontiers avec lui que ce scrutin interviendra, comme il l’écrit encore, "dans un contexte que rarement notre pays aura connu depuis le début de la Ve République", recouvrant un enjeu tel qu’il est peut-être celui de la dernière chance, avant que le pays ne bascule dans l'horreur d'un dernier virage, à l’extrême de la Droite cette fois, tant la rupture civique est grande aujourd’hui et lourde de cette menace atterrante.

François Hollande a donc raison d’écrire que "Pour la première fois depuis longtemps dans notre histoire nationale, ce choix dépassera, et de loin, les seules questions politiques et partisanes". Il a raison d’y voir une date clef de notre histoire contemporaine. Il a raison d’affirmer que "ce qui est en jeu dans cette élection et dans le choix que feront les Français, c’est plus que la seule élection d’un président, plus que la désignation d’une majorité, plus que l’orientation d’une politique". Mais il n’est pas certain que cet enjeu soit celui qu’il désigne : "l’indispensable redressement de la Nation". Ou bien alors oui, à condition de soutenir que ce redressement ne pourra s’arrêter aux frontières de l’économie, voire du social ou de la politique politicienne. Car il exige bien plus encore, revêtant un enjeu civique et politique. Un enjeu que traduit le scepticisme bien naturel qui mine aujourd’hui la démocratie française, si mal nommée. Non pas tant que nous ne puissions plus "vivre ensemble", ainsi qu’une certaine Droite voudrait nous le faire croire, montant les français les uns contre les autres selon une vindicte raciste, mais parce que cette démocratie là n’a de démocratique que le nom, vidé de sa substance politique élection après élection.

la-5eme-en-image.jpgEt là, on aimerait bien croire, avec lui, "que la gauche et la droite, ce n’est pas la même chose". Mais nous avons trop à l’esprit cette Gauche qui nous a précipité dans les bras de cette Droite autoritaire et folle… Pour le dire autrement, nous avions tant besoin d’une vraie opposition de Gauche au néo-libéralisme que son défaut nous a diminués. Enormément.

C’est là que le bât blesse. Car cette gauche qui s’apprête à revenir au pouvoir n’a pas su trouver encore les narrations politiques capables de nous décrire ce monde du refus qui a fini par se dessiner hors de son champ d’influence. Des narrations qui n’ont cessé de poser la question du pouvoir comme la plus urgente à poser : il faut redéfinir la démocratie française et les contours de sa République.

Mais le sujet est éludé. Il y a tant à faire de plus urgent. Voire… D’autant qu’il est peut-être évité uniquement parce que nos candidats n’ont, pour l’un (Sarkozy) pas envie de remettre en cause l’opportunité constitutionnelle qui lui a permis de gouverner la France aussi autoritairement et de façon si partisane, et pour l’autre (Hollande), parce que son camp peine à penser la question, ne disposant plus des moyens adéquats pour décrire la société dans laquelle nous vivons.

Comment la décrire au demeurant ? Avec quels outils théoriques ?

Le problème serait-il par exemple toujours celui d’une régulation des rapports entre France d’en haut et France d’en bas ? A les entendre, on le croirait…

Mais depuis 1789, l’Etat n’est plus identique à la société. En clair, cela veut dire qu’il ne la représente pas. Ce que semble ignorer François Hollande, ce que veut nous faire ignorer Nicolas Sarkozy. Et parce que l’Etat n’est plus identique à la société, tout le problème aura été celui de la limitation de son pouvoir. Or c’était en divisant ce pouvoir entre gouvernement et opposition qu’on avait fini par trouver une possible réponse.

La vérité d’un état démocratique réside là : dans la nécessité d’un sommet contingent, labile.

Cette déstabilisation fondatrice de la puissance suprême est même constitutive de l’essence du caractère démocratique de nos sociétés, qui inclut dans le pouvoir politique la particularité de valeurs nécessairement opposées.

constitution-1958De sorte que ce qui est fondamental, en politique, c’est la fonction d’opposition.
Or si l’on considère le passé politique récent d’un pays comme la France, force est de constater que cette fonction n’a pas été assumée par la Gauche socialiste. A peine cela fait-il surface de nouveau aujourd’hui, mais dans le contexte d’une lutte électorale, frappée au sceau de la politique politicienne…

Mais que l’on ne se méprenne pas : cette fonction d’opposition est si indispensable qu’aucune société démocratique ne peut en faire l’économie. Ainsi en France où, longtemps, l’électorat dut la récupérer, errant d’une Droite l’autre Gauche, contraignant les uns et les autres à cohabiter –jusqu’au moment où le calendrier électoral vint vider la démocratie de sa substance. Mais si ce n’est l’électorat (l’abstention en est un signe, sinon un usage politique), l’opinion sait prendre le relais, ou la rue, tôt ou tard…
Si bien que la question est simple aujourd’hui : cette Gauche que Hollande veut ramener au pouvoir, saura-t-elle y accéder en s’opposant réellement à ce qui a été défait par Sarkozy ? Comment y croire, quand la social-démocratie de la Gauche de pouvoir, celle d’un DSK par exemple, n’aura été qu’un libéralisme en trompe-l’œil ? Que faire aussi de cette Gauche qui avait cru que la classe moyenne avait définitivement triomphé non pas de la misère, mais des pauvres ? Et qui déjà rêvait de conduire une politique soustraite du fardeau des indigents… Que faire de cette Gauche dont l’idéal s’est mesuré à l’aune de la poussée de la précarité en France et de son acceptation : la dissolution du peuple de gauche. Dissolution aidée, accentuée par les médias, lesquels, pareillement, n’ont plus voulu assumer leur fonction d’opposition pour goûter à leur tour aux ors du pouvoir...

Faut-il alors ne pas s’en poser la question au prétexte de risquer de faire perdre Hollande ? Mais suffit-il de changer les rôles pour changer de société, quand échanger les rôles, fussent-ils présidentiels, ne sera pas changer la société…

La grammaire du changement que François Hollande s’emploie à écrire aujourd’hui ne me convainc pas encore…

état françaisCertes, il y a bien dans sa lettre de quoi retrouver quelque chose comme l’envie d’agir. Mais quid de la Volonté du Peuple, quand les démocraties modernes prétendent que cette volonté n’a le droit de s’exprimer qu’à la faveur des opportunités politiciennes ? Car c’est de cela qu’il s’agit aussi dans le suffrage universel pointé comme seule expression politique acceptable de cette volonté. Quand, par parenthèse, l’histoire a démontré passablement que le suffrage universel ne cherchait jamais à établir une identité entre la volonté des gouvernements et la volonté des gouvernés…

Comment donc cette forme exclusivement électoraliste de notre liberté politique ouvrerait-elle au vrai changement ? Surtout quand l’Etat français est aujourd’hui un système qui ne respecte plus ses propres principes, nous livrant jour après jour aux décisions les plus iniques. A-t-il assez compris, le candidat Hollande, que de cet Etat nous ne voulions plus ?…Car il n’est qu’une Dictature moderne, subordonnant le politique à la politique, et dont l’autoritarisme est paré d’une façade démocratique symbolique.

Prenez l’équilibre des forces institutionnelles sous la Vème République : la séparation des pouvoirs semblent, sur le papier, garantie. Mais dans les faits, accentués par le calendrier électoral, l’Assemblée Nationale est vidée de sa substance, au point que le Parlement français apparaît comme l’un des Parlements les plus faibles du monde, à l’égal des républiques bananières, et qu’il rappelle fortement la chambre d’écho qu’il fut sous le Premier Empire.

La France est une dictature moderne, en ce sens que ce qui la fonde est un régime d’allégeance plutôt que de consensus politique.

Devons-nous alors croire qu’en changeant d’allégeance nous pourrions changer la société dans laquelle nous vivons ?

Pas le moins du monde. Il nous faudra, avant, interroger les techniques du pouvoir et du gouvernement qui régissent l’Etat français pour nous convaincre qu’un changement est possible. Là gît la vérité de l’action politique : dans l’acte de gestion politique se consument tous les principes d’égalité, de liberté et de fraternité. Contre le triomphe du gouvernement sur la société civile il faudra démontrer, dans les faits, que toute économie est avant tout une construction sociale. Dans les faits, c’est-à-dire tout d’abord dans les pratiques gouvernementales que l’on mettra en place. L’enjeu sera donc aussi celui du fonctionnement du dispositif gouvernemental, que la visée pastorale de l’égalité ne recouvre pas et sur lequel, au fond, on entend peu nos candidats. Rien d’étonnant de la part d’un Sarkozy. Mais de la part de François Hollande, on peut attendre autre chose. Certes, la tâche est énorme. Hors norme. Mais ce n’est pas d’un candidat hors norme dont nous avons besoin : c’est d’une volonté publique qui sache s’affranchir de l’appareil d’Etat pour que ses décisions soient prises au terme d’un processus réellement démocratique. Car dans son essence, l’appareil d’Etat répond à une logique non démocratique, passant pour pertes et profits la question du fondement des choix publiques. De sorte qu’en vérité, la justification étatique ne coïncide que très rarement avec la justification publique. L’Etat français n’est ainsi pas la solution aux difficultés que nous traversons, il est un élément du problème. François Hollande aurait tort de négliger cet aspect de la Chose Publique : la liberté et l’égalité de tous établit en réalité une hiérarchie qui impose des limites au gouvernement démocratique. De même que le parlementarisme ne mène pas à la vérité mais à la nécessité du dialogue. Là réside la légitimité de l’Etat, et non ailleurs, encore moins dans l’idée que la Raison d’Etat pourrait se hausser au dessus de l’Histoire que nous sommes.

Sarkozy appelait de ses vœux une société fermée. Que François Hollande en appelle alors vraiment, dès sa campagne, à une société ouverte à ce qui fait aujourd'hui sens dans son Histoire plutôt qu'à tout ce qui la replierait sur un passé fantasmatique. Une société au sein de la quelle nous pourrions pleinement affirmer chacun notre humanité dans ce qu'elle a de singulier, d'unique, de différent, afin que l’Histoire redevienne enfin cette dimension du sens que nous devons être collectivement et dont aucune histoire humaine ne saurait faire l’économie. Ce n’est qu’à travailler à ce sens que l’on peut convoquer les citoyens aux urnes. --joël jégouzo--.

 

 

Partager cet article
Repost0
12 décembre 2011 1 12 /12 /décembre /2011 08:49

sloterdijk-tempe.jpgPeter Sloterdijk fait paraître un ouvrage très intéressant, sous le couvert de réflexions philosophiques, pour témoigner, avec toute la force de son autorité de ses convictions politiques. Mais tout en douceur, sinon dissimulation, sous la forme d’une méditation plus que d’une réflexion, émaillées de vignettes philosophiques qui voudraient prendre le contre-pied du genre, se refusant à donner des leçons de philosophie. Il livre tout de même un ouvrage qui permet de parcourir les grandes étapes de la pensée philosophique, antique et moderne, articulées par les principaux auteurs de cette histoire, selon Sloterdijk évidemment, mentionnant un Sartre ou un Foucault mais ignorant Derrida. Un livre donc tout à la fois différent de ce que l’on publie désormais, mais y ressemblant fort, manuel de rattrapage philosophique, d’un niveau certes plus conséquent que ces philosophies pour les nulles qui encombrent les rayons des librairies. Car ce texte est aussi une vraie prise de position, tant philosophique qu’idéologique. Un texte qui se veut donc à contre-courant de ce qui se fait en la matière aujourd’hui, refusant cette littérature secondaire qui prétend discipliner nos esprits navrés, celle des BHL, Onfray, Ferry et on en passe, philosophie de commentaire qui n’a de cesse de faire disparaître les textes originaux sous des gloses plus rutilantes que brillantes. Un livre qui refuse ainsi de s’inscrire dans cette typologie du commentaire, mais qui parfois n’y échappe pas, dès l’entrée Platon par exemple, reconstruit comme à l’accoutumée dans l’après-coup de pseudos lectures chrétiennes, quand il n’y a pas d’anthropologie plus éloignée de la pensée chrétienne que celle de Platon, associant la chute de l’Esprit dans le corps à une Tragédie, là où les chrétiens en firent au contraire un éblouissement. Dommage que Sloterdijk, qui se donne tant de peine à sortir du commun y replonge avec fracas quand il s’agit d’évaluer l’apport de la pensée chrétienne, qui n’est du reste pas du tout l’objet de sa réflexion et dont on ne comprend pas qu’il puisse dans ces conditions l’expédier en poncifs éculés… Car associer le dédain de Platon à la matière au prétendu mépris du christianisme pour cette dernière, c’est non seulement aller vite en besogne mais s’exposer à la raillerie : si Platon opposa bien la matière à l’esprit, hiérarchisant même, à l’intérieur du méprisable, l’immonde de l’animal et de la femme au malheureux de l’être masculin victime de cette chute, le christianisme, lui, du moins celui des origines, aura fait de cette même matière le lieu mystérieux de la consécration et de la rédemption de l’humain. Etonnant même de voir, à ce propos, Sloterdijk déployer tout le vocabulaire de l’Eglise pour tenter de construire, encore une fois, une argumentation dont on se demande bien ce qu’elle vient faire là, sinon, peut-être, disqualifier à l’avance toutes les religions à travers une vision de Platon réduit à n’avoir jouer le rôle que de modernisateur des traditions chamaniques. Mais peut-être cela aura-t-il servi aussi une pensée plus sombre, restée celle-là dans le secret d’un aveu consenti du bout des lèvres, et dont les expressions les plus fortes sont, sous la plume de Sloterdijk, celles qui se rapportent au politique et qui autorisa naguère l’auteur à ne penser l’espèce humaine que sous sa condition disqualifiée au sein du "parc humain" -comme il en va du bétail. Passion au fond que les élites partagent avec lui, dans leur mépris cette fois du Peuple et de ses prétentions démocratiques. Nul n’est en effet plus éloigné que Platon de toute aventure démocratique. Rien d‘étonnant alors à ce que Sloterdijk n’ait à l’esprit que de faire à son tour reposer la vie de la cité sur des rites d’initiation. Rien de tel que de mettre en avant la pensée magique pour aider au renoncement et reconstruire la légitimité de la polis sur le refus de la polémique, du débat, de la diversité. En un mot, on le voit, la cible de cette philosophie politique n’est rien d’autre que le Peuple, auquel on ne saurait décidément confier un quelconque destin dans la cité, sinon celui de la soumission à la sagesse des élites… --joël jégouzo--.

 

Tempéraments philosophiques : de Platon à Michel Foucault, de Peter Sloterdijk, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Libella-Maren Sell Editions, Collection : ESS.DOCUM, nov. 2011, 155 pages, 18 euros, ean : 978-2355800283.

Partager cet article
Repost0
7 décembre 2011 3 07 /12 /décembre /2011 07:03

faillite-generale.jpg

Ce n’est pas moi qui parle, ni Mélanchon, ni un quelconque syndicat révolutionnaire, mais Jean-Pierre Mustier, l’un des barons français de la Finance Internationale. Il n’était pas réapparu en public, le patron de Kerviel à la Société Générale, très exactement depuis le procès de son ex-trader. Et c’est dans le très feutré amphi de l’école des Mines qu’il a choisi de lancer cette déclaration ahurissante, poursuivant du même ton abrupt : "Les banques ont dégagé des taux de rentabilité trop importants" (…), "Notre monde pourrait disparaître"…

Vous avez bien lu : "disparaître"… Stupéfiant même son auditoire, moins d’une centaine de dirigeants et d’étudiants compulsifs triés sur le volet, en ajoutant : "Il faudrait peut-être parler des vrais sujets -en anglais of course, langue obligée de l’école des Mines. Les bonus, c’est bien gentil, mais je crois que vous ne vous rendez pas compte que d’ici deux jours, ou une semaine, notre monde pourrait disparaître. C’est Armageddon"…

Armageddon ! A savoir : la colère définitive des Peuples excédés par tant de gabegies… Dixit un baron de la Finance Internationale…Une révolution sociale… Non pas la misère, mais la chienlit qu’il faudrait redouter ! Une révolution sociale, à notre porte, imminente… de quoi faire pâlir Merkozy et tous les journaleux qui leur servent leur soupe jour après jour, feignant d’ignorer ce genre de déclaration par trop fracassante et criante de vérité, pour nous assommer une fois de plus sous la menace qui pèse sur nos têtes, l’agence de notation Standard & Poor's annonçant dans le même temps qu’elle plaçait sous "surveillance négative" quinze pays de la zone euro, dont les six encore notés "AAA" et qu’au sein de ces six là, la France remportait la palme de la dégradation la plus sévère…

Des journaleux, toute honte bue, qui accourrait à la rescousse de Merkozy pour nous faire avaler la pilule d’un accord terrifiant, au terme duquel, c’est fait, la BCE ne pourra pas se transformer en prêteur du dernier ressort. Ce qui concrètement signifie une chose : nous emprunterons sur les marchés l’argent qu’ils ont perdu, aux taux des marchés. Ces dettes qui ne sont pas les nôtres seront renflouées par l’effort de la Nation et non leurs fauteurs privés…

Mais dans quelle fiction vivons-nous donc ? Quel est le genre de la société française, déclinée comme une fiction qui tient à la fois du roman noir et du roman de famille, au sens où Freud pouvait l’entendre, au sein de laquelle la Parole se déchire et ne sait circuler que sous les auspices des plus fourbes ? Quelle Histoire de France est-on donc en train de nous écrire ?

 

Kraus-DerniersJours"L’Histoire, c’est la dimension du sens que nous sommes" (Marc Bloch)

Il faudrait alors recommencer là : dans ce qui fonde ce rapport tout à la fois individuel et collectif au sens. Et chercher à comprendre comment ce sens s’inscrit dans le présent de nos vies individuelles, tout comme dans celui de notre Histoire commune. S’y inscrit ou s’y absente. Et marteler que désormais, seule l’absence du sens est perceptible dans le champ clos de la Nation (f)rançaise (défunte).

Car à l'heure où celle-ci s’enlise dans la misère de masse, s’y englue et se ment, à l’heure où les médias, quasi unanimes, ne savent convoquer que les discours fallacieux des magnats de la Finance et de leurs sbires, sous l’œil vigilant d’intellectuels incapables de dénoncer un tel mépris ; à l’heure où le silence cauteleux des nantis ressemble à un fameux discrédit de la conscience nationale, ne pue-t-elle pas la démission, cette France de Merkozy ?

Et comment ! Le roman noir de la société française, c’est cela : son renoncement aux valeurs de justice et d’équité. Ne parlons même plus de fraternité, il n’y a plus d’instinct pour cela dans notre beau pays, où ne surnage que la cague des mots d’ordre usés jusqu’à la corde -Travailler plus ! pour mémoire, dans un pays incapable de créer des emplois… Des mots d’ordre relayés sans faiblir par des médias qui se sont faits les complices objectifs de cette chape de plomb qui écrase toute vérité sociale sous ses mensonges odieux.

Un scénario si peu convaincant au fond, mais tellement efficace quand il ne s’agit plus d’inventer mais de gérer nos fins.

La France relève désormais de la catégorie du fictionnel. Comment ne pas reconnaître le caractère imaginaire des objets qui nous sont proposés pour "faire France" ? Voyez comme le monde politico-médiatique produit cette fiction, goûtez la merveilleuse manipulation d’une crise dont les conséquences ne portent que sur les 99% de la population qui n’ont pas droit à leur part de gâteau. Ecoutez Monsieur 20 heures à sa télévision, déverser ses vérités dans une énonciation impeccable, la crise des dettes souveraines, les efforts de Merkozy pour nous sauver de la faillite, quand dans le même temps l’homme-tronc escamote les autres indicateurs qui pourraient faire sens -le chômage réel, la pauvreté, la précarité et j’en passe. Que dire de ses bouffées énonciatives, sinon qu’elles jouent bellement de l’effet de réel, mais que dans le même temps, elles ne font que bâtir une fiction qui n’articule qu’un récit hypocrite, criminel, vandale.

the-end-jason-kasper 

Vendue, la journaille !

Oui, car que conclure de la journaille, comme l’appelait Karl Kraus, l’aboyeur autrichien (quand il ne reste en France que des miauleurs), et du rôle essentiel qu’elle joue dans l’entreprise de démolition généralisée des populations françaises ? Rien, sinon qu’une caste acquise à l’économie libérale et au maintien de l’ordre financier barbare précipite la France dans son chaos balourd.

Aujourd’hui, la société politico-médiatique est une vaste conspiration contre toute espèce de vie sociale.

Il nous faudrait alors au plus vite reprendre les leçons d’un Kraus, à qui j’emprunte la formule, pour nous en sauver. A Kraus, oui, qui ne cessait d’alerter ses compatriotes dans l’Allemagne des années 1930, sur la maîtrise gagnée par les nazis dans l’art de "faire passer la bêtise, qui a remplacé la raison, pour de la raison…" 

Kraus qui ne cessait de pointer l’horizon de cette entreprise de crétinisation : nous faire perdre le sens des réalités sociales. Car lorsque le discours public ne sert qu’à proférer avec un tel aplomb des arguments aussi spécieux ou à rendre honorables des idées ignobles ("travailler plus", quand il n’y a pas d’emplois), ce qu’il y a au bout, c’est bel et bien la mort collective. --joël jégouzo--.

Partager cet article
Repost0
6 décembre 2011 2 06 /12 /décembre /2011 06:18

imagine.jpgFace à une culture politique qui voit l’Etat confisquer toutes les dimensions du social et du politique aux dépens de toute morale publique, et qu’au mieux l’on dénonce comme une crise normative de la société contemporaine alors qu’elle n’est qu’un accident du politique qui ne cesse de vouloir nous faire prendre son souhaitable pour le réel, que faire ?

Que faire alors que s’annonce la comédie électorale, le bluff des sondages détaillant la vacuité du politique pour ouvrir à l’incertitude d’un changement réel, tant il existe, en France, une vraie incapacité dans la succession politique à produire du neuf, et même si, à tout prendre, Hollande vaut mieux que Sarkozy ?

Changer la vie ? Mais changer la vie ou la société ne veut rien dire. Nous ne pouvons continuer de nous payer de mots quand nos destins se conjuguent au futur antérieur. Quand échanger les rôles, fussent-ils présidentiels, ne sera pas changer la société. Parce que la presse par exemple, ne sera pas davantage demain le lieu d’émergence du vrai.

Que faire alors face à la disparition d’une société que l’on ne peut plus se contenter de décrire, mais que l’on ne sait toujours pas réécrire ?

Que faire quand l’exploration des nouvelles subjectivités collectives ne peut être que le labeur d’un travail organique, souterrain, mené ici et là par des pionniers de l’incertain, du couvert, du ténu ?

palestine.jpgPointer le doigt au loin peut-être, montrer ces luttes nécessaires, signaler les collectifs qui les tressent, les stratégies qu’il nous faudrait inventer pour nous arracher à la fausse fatalité de la Finance et inventer d’autres modes de ré-appropriation créatrice, un autre Vivre Ensemble, déjà…

Que faire de ce symptôme d’une société en décomposition, d’une société traversée souterrainement par des failles dont les observateurs ont tort de croire qu’ils pourront lui trouver des réponses aisément, car peut-être vaudrait-il mieux y voir le début de quelque chose de terrible, indécidable encore.

Peut-être l’éclipse révolutionnaire -(appelons cela comme ça, pourquoi pas)-, inaugure-t-elle d’une sorte de fin de l’éthique du changement social dans la soumission aux Lois du Marché. Ou son abandon sous la pression de l’insécurité qui plombe nos vies, de la fragilité depuis laquelle, désormais, s’énoncent les libertés civiles, de l’absence de ces valeurs de désir qui pourraient orienter ailleurs la production du monde.

Peut-être ne pouvons-nous tout simplement plus comprendre les raisons de nos renoncements -et peu importe que nous sachions décrire à la perfection ce mécanisme subtil qui a fait de l’insécurité le point d’appui fondamental de la gestion du pouvoir politique.

Peut-être n’osons-nous plus organiser de nouvelles subjectivités du changement social parce que le front des luttes à mener est innombrable et qu'il existe une réelle difficulté à réaliser une synthèse idéologique de toutes les révoltes qui émergent ? 

Peut-être ne disposons-nous plus de grammaire pour travailler au changement social. De celle qui nous aurait par exemple donné à comprendre qu’il s’opère tout de même un déplacement de l’éthique du changement vers de nouveaux acteurs sociaux et politiques, de nouveaux médias, de nouveaux médiums, sous l’impulsion desquels les lieux de résiliance et de résistance (les réseaux sociaux) seraient en passe de devenir, sans que nous sachions bien comment, des agencements de production de nouvelles réalités sociales et de nouvelles subjectivités collectives.

D’où pourrait surgir les conditions de possibilité d’une intentionnalité collective ? Que faire ? Peut-être simplement commencer là : affirmer ce que nous voulons, sans détail. Et ce que nous voulons n’est rien d’autre que recouvrer notre puissance d’agir. --joël jégouzo--.

 

image : un tag sur le mur construit par l'Etat d'Israël en Palestine.

Partager cet article
Repost0
5 décembre 2011 1 05 /12 /décembre /2011 08:10

KULTUR.jpgRelativité des normes, des goûts, l’éclectisme, conclut dans son essai Philippe Coulangeon, est le nouvel opérateur de la domination symbolique. Un opérateur qui pourrait perturber bientôt notre vision du sens et de la place de la culture dans notre société, tout comme celle des combats qu’il nous faudrait mener pour une société plus juste. Car il s’agit là d’un opérateur qui donne à penser que toutes les cultures sont légitimes alors qu’il ne fait que les recycler à l’intérieur d’une hiérarchie sédimentée de longue date. Un opérateur donc, dont la visibilité sociale a pour paradoxe de nous rendre parfaitement invisibles les inégalités économiques et sociales que le champ de la Culture ne sait que trop bien dissimuler. Et de ce point de vue, toute approche du fait culturel et de sa fonction dans la société ne peut faire l’économie d’une évaluation sociologique : le niveau des inégalités culturelles par exemple, est aujourd’hui celui que l’on connaissait dans les années 70… Soit une régression sans précédent ! Les équipements culturels, pour le dire à la hâte et non sans provocation (et en toute connaissance de cause des relents réactionnaires qu’une telle provocation est susceptible de véhiculer), ne servent de fait, tels qu’ils sont conçus et fonctionnent, qu’à renforcer les structures de domination de la société française, arrimant les discours sur la culture à leurs attributs les plus falsificateurs, au niveau desquels l’apprêté le dispute à l’hypocrite. Etudiant la structure des inégalités sociales en France, Philippe Coulangeon montre assez que désormais, c’est l’impact des conditions et des lieux de logement qui est prépondérant, et non celui des ressources culturelles des parents, qui ne compensent plus en rien ces inégalités. En gros, si vous êtes un parfait crétin mais que vous habitez le 5ème arrondissement de Paris, vos enfants s’en sortiront mieux socialement que si vous êtes cultivé mais habitez Vitry-sur-Seine… Il y a de quoi réfléchir alors, sur les engagements de la petite bourgeoisie intellectuelle par exemple, si souvent obsédée par son identité résidentielle… La seule question n’est ainsi pas d’évaluer la production artistique de cette petite bourgeoisie résidentielle du point de vue de l’histoire de l’art, mais cette histoire de l’art qu’elle construit et dont il serait bon de se poser la question de savoir où elle s’écrit, dans quelle dimension fictive de notre vie sociale et politique (la dimension du sens que nous sommes).

opera-news.jpgEtudiant le rôle effectif de la culture dans la structuration des rapports sociaux, les conclusions de notre auteur sont de fait terrifiantes : le capital culturel ne classe plus grand monde… Constat d’importance, quand on sait l’investissement reconduit de génération en génération dans le combat pour l’éducation et sur le front de la culture, conçus l’un et l’autre comme vecteurs d’une meilleure intégration sociale. Une rhétorique par trop systématique au fond, masquant désormais avec difficulté ses impasses sous des tonnes de bonne conscience artistique…

Trente ans après la Distinction, les codes culturels sont devenus autres. Tout comme la stratification sociale des goûts. Et il y a là de quoi s’interroger. Brutalement. La lecture par exemple, est devenue quasiment inopérante. Le livre n’est plus discriminant, même si la pratique de la lecture est plus que jamais celle des classes aisées. Par parenthèse, la fin annoncée de la librairie française n’est de ce point de vue rien d‘autre que l’immense farce de la confiscation définitive d’un Bien culturel par les classes dominantes. D’autres suivront, n’en doutons pas. Sous couvert du reste, autre paradoxe, de la désaffection des installations culturelles par les masses, poussées à déserter les Biens culturels –cqfd- pour des tonnes de mauvaises raisons, y compris par les opérateurs eux-mêmes d’une conception pédagogique de la Culture à l’usage des dites masses populaires…

Par ailleurs, autre segment implacable de l’essai mentionné, si l’on veut bien décrypter le poids des pratiques culturelles dans la discrimination sociale, force est de reconnaître que ce qui importe désormais, c’est la visibilité de ces pratiques et non leur contenu. Si bien que ces pratiques peuvent parfaitement s’avérer superficielles, le conformisme culturel fera le reste, suppléant à toute superficialité, pourvu que l’on sache se montrer là où il faut se montrer, et du point de vue des artistes, que l’on sache exhiber ce qu’il faut montrer… La visibilité maximale étant celle de l’Opéra, Bastille en particulier, confisqué par une élite financière, cela va de soi : la sociabilité grande bourgeoise n’est pas partageuse.

power.jpgLe brouillage des frontières qui s’est opéré entre les cultures de masses et les cultures des élites, anoblissant le divertissement et gommant les différences entre les registres savants et les registres populaires, largement favorisé par l’effritement du monopole culturel de l’école, qui a ainsi contribué puissamment à favoriser l’émergence de cet éclectisme des goûts et des pratiques, n’aura été à tout prendre (provisoirement, on l’espère), qu’une cautère sur une jambe de bois… Rien dont on puisse se réjouir en somme : la distinction se fait plus que jamais en France non par le capital symbolique mais par les ressources financières et patrimoniales. De quoi méditer sur la priorité de nos engagements. Certes, que cette culture de l’éclectisme puisse théoriquement nous aider à renouer avec des visées émancipatrices, voilà qui distraira. Mais au fond, l’étude commande de relativiser le poids de la culture et de l’éducation dans ce tournant de l’Histoire française. La faible visibilité politique (et non sociale ou idéologique) de la culture n’en diminue certes pas l’enjeu, mais la relativise beaucoup : pour que la culture ne devienne pas une danseuse neurasthénique des Pouvoirs en place, pour que la diversité des ressources culturelles mobilisables devienne une vraie force de transformation du social, il faut sans doute faire face, d’abord, à la tragédie qui est la nôtre : celle de la disparition d’une société où nous ne faisions déjà que survivre. Survivre : c’est dire l’embarras dans lequel nous nous trouvons, qui ne fait que traduire notre impossibilité à formuler de véritables tâches politiques autres que celle du "plus jamais Sarkozy". Car il existe une sorte de véritable tragédie structurelle propre au réformisme politique, que l’on voit partout à l’œuvre en Europe, quelle que soit la couleur du gouvernement en place, et qui ne se lèvera pas avec la venue au pouvoir d’un Hollande par exemple, même si cette venue est préférable, à tout prendre, à celle du maintien de Sarkozy. Enfin, la démocratisation feinte des savoirs et des cultures qui se pratique aujourd’hui sous couvert d’éclectisme, ne peut occulter les dimensions économiques et politiques des vrais enjeux qui s’offrent désormais à nous. La barbarie est l’ordre des lieux du Pouvoir, y compris de sa conception et de sa pratique de la culture, et tels qu’ils se sont construits institutionnellement, et pratiqués constitutionnellement en France depuis l’avènement de la Vème République… On ne changera pas cette situation en échangeant des rôles, fussent-ils présidentiels. --joël jégouzo--

 

 Philippe Coulangeon, Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d'aujourd'hui, Paris, Grasset, coll. " Mondes vécus ", 2011, 168 pages, 15 euros, ean : 978-2246769712.

Image : Power, de Sanchstar et Slavoj Žižek on life, happiness and Hegel , Lacanian cultural theorist interviewed by The Guardian.

Partager cet article
Repost0