A quoi servent les contrôles migratoires ?, se demande Claire Rodier. La réponse est sans appel : à faire de l’argent. Beaucoup d’argent. Des milliards d’euros de bénéfice, 450 milliards pour être exact, si l’on y ajoute les activités annexes : la chasse aux migrants, le marché de leur détention, celui des camps de rétention, celui de l’économie sécuritaire, etc. Une constatation sans appel, vérifiée par FRONTEX, l’agence bien connue qui sévit en méditerranée avec la bénédiction de l’UE. L’un des segments économiques les plus moteurs de l’UE. Car selon cette même agence, FRONTEX, les niches commerciales engendrées par l’explosion de la poussée migratoire en 2015, ont fait du marché du migrant l’un des plus remarquables secteurs d’innovations de l’économie européenne. Et de profit. Pour les multinationales s’entend, non les populations. Et toujours si l’on en croit FRONTEX, pour une efficacité nulle. Les franchissements des frontières n’ont jamais baissé. Seul le nombre de morts a augmenté, le nombre de populations terrorisées, ou réduites, réellement, à l’esclavage. Qui a récupéré ces marchés ? EADS, THALES, INDRA, AIRBUS, SIEMENS, etc. Un lobby de la sécurité qui nous vend très cher… du vent ! «Ceux qui ont le plus intérêt à ce que l’Europe soir mal sécurisée sont aussi ceux qui fournissent les équipements de sécurité», dixit Peter Burges, le 19 avril 2015, chercheur à l’Institut de recherche pour la Paix (Oslo). Des milliards donc, prélevés dans nos poches, pour un résultat nécessairement nul : il faut bien que ces multinationales préservent leurs gisements de profit… Tandis que le coût pour les victimes des passages clandestins ne cesse lui aussi d’augmenter sous cette pression économique néolibérale. Car «tout le monde» en profite : dans le sillage des multinationales, des sociétés prolifèrent, telle G4S, 600 000 «employés» dans le monde, qui s’est fait une spécialité de la chasse rémunérée aux migrants, et dont nombre de rapports accablants montrent qu’elle ne s’embarrasse guère de scrupules humanistes à leur égard, les tuant plus souvent qu’à l’occasion, ou bien les retenant en captivité voire les affectant à l’esclavage de travaux forcés dans leurs propres camps. C’est ça et mourir, tandis que les gouvernements de l’UE ferment les yeux sur ces pratiques barbares. Tandis que les médias détournent le regard et nous servent leur rhétorique de la peur du migrant, ces mêmes médias qui sont évidemment entre les mains de magnats qui ont largement investi le filon des flux migratoires…
Xénophobie Business, Claire Rodier, La Découverte, octobre 2012, 192 pages, 16 euros, ean : 9782707174338.
A sa parution, l‘ouvrage avait fait polémique. Il prétendait non seulement réécrire le roman national mais, en replaçant ce récit dans son contexte mondial, l’arracher à ses dérives identitaires. 122 historiens attachés à ce travail. Une entreprise qui n’était pas sans rappeler celle des Lieux de mémoire de Pierre Nora, dont la démarche canonisante avait été à juste titre dénoncée, même si Pierre Nora s’en était défendu en rétorquant qu’à l’origine il avait simplement voulu faire œuvre de renouvellement historiographique. Mais sa démarche n’en restait pas moins «militante», le reproche qu’il adressa précisément à Boucheron, Pierre Nora s’étant saisi, au moment d’ouvrir son chantier, du mal être qui s’emparait d’une France à l’identité vacillante pour tenter de lui ouvrir des réponses capables de la rassurer. Or, lorsqu’on compulse l’immense travail effectué, force est d’admettre que dans le choix même de ses objets, à privilégier ces lieux qui accomplissent la seule mémoire des élites académiques (telle la Khâgne par exemple), le projet relevait d’une intention politique sacrifiant à la visée publiciste traditionnelle de l’enseignement de l’Histoire : la formation de la conscience nationale. Nora devait d’ailleurs dans ses nombreux interviews l’avouer : son travail reprenait en main en quelque sorte le sentiment national, pour l’aider à se ré-ancrer dans la conscience sociale de la Nation. Rien d’étonnant alors à ce qu’il ait évité les objets polémiques : notre passé colonial, ou à plus forte raison, notre présent post-colonial. L’historien s’était fait idéologue, figeant les éléments de l’identification nationale autour de quelques légendes patrimoniales aptes à raffermir la dévotion nationale (voir le tome consacré à la Nation). Idéologue, en ce sens qu’il ne faisait rien d’autre que de recadrer les figures symboliques autour desquelles le souvenir français était autorisé à tourner. Rien de surprenant alors à ce que, in fine, ce devaient être des Bern ou des Finkielkraut qui allaient prendre le relais pour nous servir cette fois la soupe immonde d’un horizon bêlant. Cadrage idéologique en somme, auquel a répondu des années (trop longues) plus tard, le contre-cadrage de Boucheron. En commençant son histoire à l’heure où la France n’existait pas, c’est tout d’abord rien moins que la sommation téléologique qu’il bat en brèche, pour nous donner à explorer nos discontinuités comme autant de moments mettant à mal la fiction d’un canon culturel unitaire. C’est bien là ce qui heurtait Pierre Nora : l’intention de Patrick Boucheron différait de la sienne, à l’approche des présidentielles de 2017 : sortir du pré carré identitaire. Et pour cela, il lui fallait montrer combien notre histoire était redevable aux interactions avec le monde extérieur –voire combien peu «nationale» elle aura été ! Boucheron a retenu 146 dates pour l’articuler, dont certaines peuvent surprendre. 146 dates qui permettent de porter un regard critique sur ces «grands événements» qui ont fondé notre histoire. Un regard chaque fois documenté, comme celui porté sur l’ouverture de la Sorbonne, lieu de migration de tous les Lettrés d’Europe, ou cette Loi de naturalisation qui bricola en 1927 un millions de nouveaux français en une décennie… C’est donc une France ouverte qu’il nous donne à contempler. Et qui fait de ce livre un projet éditorial passionnant. Et lisible. Par tous. Ouvert au grand public. Les articles sont courts, faciles à lire. Comme un roman.Notre roman national. Appréhendé chaque fois sous un angle décalé : ses repères ne sont plus ceux de l'école primaire. Boucheron prend 719 plutôt que 732, mobilise une conception pluraliste de l'histoire. Rien d'étriqué dans son modèle. Pas de crispation identitaire. Alors oui, cette histoire peut paraître plus émiettée que celle dont nous avons appris à croire qu'elle était nôtre de tous temps. Comme avec ce fil conducteur des Rois de France par exemple, grâce auxquels le projet France a pu assurer sa continuité. Mais c'est en oublier le prix, et les rafistolages... Le résultat ? Un laboratoire, forcément. Comme l'étaient les lieux de mémoire. Inabouti. Un laboratoire, avec des résultats inégaux. Comme toujours avec l'Histoire des historiens. Dans sa version sonore, elle est plus passionnante encore : la lecture qu'en fait Mathieu Buscatto est un régal, prenant le parti du romanesque. On suit chaque péripétie de cette histoire comme à l'écoute d'une intrigue radiophonique. On touche ainsi à cette dimension de l'écriture des historiens à laquelle un Michelet avait su élever l'Histoire de France. Et l'entretien avec Patrick Boucheron vient clore magistralement cette prestation. Une oeuvre au final, assurément à écouter et à conserver.
Histoire mondiale de la France, Patrick Boucheron (collectif), lu par Mathieu Buscatto, suivi d’un entretien avec l’auteur, Audiolib, livre audio 3 CD MP3, livret 8 pages, 16 mai 2018, durée d'écoute : 32h54, 34,50 euros, ean : 9782367626611.
Karl Kraus l’apocalyptique. Les Derniers jours de l’humanité… Die Fackel, son monumental journal ! Kraus bataillant jour après jour contre cette «journaille» à la solde des puissants –ô combien nous aurions besoin aujourd’hui d’un Karl Kraus ! Dénonçant sans relâche la fabrique du consentement, l’immense fourvoiement des faux démocrates de la fausse liberté d’informer, dénonçant, déjà, cette mensongère liberté de la presse qui ne fait que dissimuler un discours de domination construit à l’exacte mesure des trahisons de la République socialiste de Weimar. Kraus l’Autrichien, combattant sans relâche le nazisme, traquant les phraséologies creuses des démocrates allemands, la profusion mesquine des scandales de leur vie politique, la commercialisation de la pensée… Kraus l’infatigable, pointant ces jours sombres où l’homme a succombé à sa famine intellectuelle sous le poids de médias indigents, fabricants d’opinion. Kraus démontant inlassablement les rouages de cette presse dite libre. Walter Benjamin dresse le portrait de cet homme qui toujours s’est engagé non pas au nom d’une idée, mais de son humanité. S’engager envers soi-même autant que l’on s’engage auprès d’autrui. Sa maxime, Kraus dissertant comme personne sur la question de l’autorité et qui avait fait de la presse son combat. Cette presse qui aujourd’hui révèle sa vraie nature : non pas analyser les événements du monde, mais les fabriquer. Cette presse à l’identité de toujours intrigante. Il faut bannir la presse, affirmait Kral Kraus, parce que son horizon n’est pas la vérité, mais l’opinion. La presse est l’idéologue au service du Pouvoir. Toujours. Elle qui s’est hissée au-dessus du monde, de la société, des hommes, elle qui, par essence, est une corruption. Il n’y a pas de compte rendu impartial, nous dit Kraus et nous ferions bien de l’entendre enfin : tout journal est d’abord un instrument de Pouvoir, qui ne tire sa valeur que du pouvoir qu’il sert. Et quand il s’agit du pouvoir libéral, même dans sa version sociale-démocrate, martèle Kraus, la seule vocation de la presse est de retirer de la circulation les idéaux qui lui nuisent, en tout premier lieu, celui de la dignité de l’homme. Kraus dont Benjamin nous dresse un portrait sans complaisance. L’homme n’était pas vertueux. Ni Saint Just ni un personnage «éthique». Un vaniteux, un homme en colère, cruel, moqueur et certainement pas un philanthrope. Son humanité ?, s’interroge Benjamin. Elle aura été tout simplement d’avoir su convertir sa méchanceté en une sophistique au service d’une idée de la Justice qui, littéralement, empoisonnait son existence. Kraus était un homme du Droit, plein de rage, toujours à se tenir sur «le seuil du Jugement dernier», irrécupérable procédurier inculpant l’ordre juridique lui-même, incapable de défendre la moindre notion de Justice.
Karl Kraus, de Walter Benjamin, éditions Allia, traduit de l’allemand par Marion Maurin et Antonin Wiser, mars 2018, 90 pages, 7 euros, ean : 9791030408416.
La librairie l’établi a tiré son nom du livre éponyme de Robert Linhart, véritable chef d’œuvre de la littérature française, L’établi, publié aux éditions de Minuit en 1978. Des années 1967 aux années 1973, de jeunes intellectuels se sont établis en usine, pour marcher à la rencontre d'une classe ouvrière qu'ils idéalisaient, mais ne connaissaient pas. Ils y sont allés armés de l’idée naïve qu’ils constituaient une avant-garde éclairée, seule capable d’organiser le mouvement ouvrier dans son désir de libération. Et du sentiment généreux qu’ils avaient quelque chose à apprendre à son contact. Un paradoxe dont ils revinrent le plus souvent décillés, tel Robert Linhart découvrant que les ouvriers pouvaient parfaitement s’organiser sans lui. De ce mouvement il n’est resté qu’un livre. Celui de Robert Linhart. Moins un témoignage qu’une épreuve féconde. Le livre L’établi, à lui seul, constitue un aboutissement qui a transcendé largement son objet. Peut-être tout écrivain est-il jeté sans le savoir dans ce même mouvement, dont il ne restera à terme qu’un livre, à la rencontre d’un monde qu'il croyait transformer et que son ouvrage a peut-être en effet transformé, là où il n'attendait plus rien...
Peut-être tout comédien est-il jeté sans le savoir dans ce même mouvement, dont il ne restera à terme qu’une lecture… Hier soir, le comédien du studio-théâtre de Vitry, Guillaume Gilliet, nous en a administré la formidable preuve, au travers d’une interprétation tantôt malicieuse, tantôt grave de l’établi. Et ce qui était frappant dans cette lecture, c’était sa capacité à faire ressortir le caractère poignant de l’expérience rapportée par Robert Linhart qui a su, mieux que tout autre, saisir ces conditions d’humiliation faites aux hommes dans les sociétés libérales. C’est jusque dans le détail des vies, au plus intime des gestes qui nous fondent, que Robert Linhart est allé débusquer ce que vivre veut dire, bien au-delà des circonstances historiques ou sociologiques du travail à la chaîne. Hier soir, Guillaume Gilliet nous a littéralement jetés dans cette condition humaine qu’ils sont trop nombreux à considérer comme fâcheuse, préméditant sa lecture pour nous engager, chacun, à en relever en nous les exigences. Nous ravissant peu à peu, au fil d’un texte souvent ironique dont sa lecture soulignait avec allant le ton moqueur, Guillaume Gilliet nous a offert la chance d’éprouver l’émotion de cette incertitude qui pesa dans l’usine Citroën et que Linhart rapporte au moment de relever la tête, et celle d’éprouver le frémissement libérateur quand la lutte s’énonce, où puiser non seulement la force d’être enfin, mais sa générosité. En une heure de temps, nous avons pu éprouver la mesure d’un monde fait pour broyer les vies et partager la joie de déposer le renoncement auquel nos sociétés nous ont tant réduits, à travers une lecture facétieuse et juste.
Prochaine lecture à la médiathèque de Vitry-sur-Seine.
A suivre : Longueur d’ondes, histoire d’une radio libre,
vendredi 23 mars, samedi 24, dimanche 25 et lundi 26, par la Compagnie Trois-six-trente, direction : Bérangère Vantusso.
En mars 1979 commençaient d'émettre l'une des premières radios libres françaises, autour des luttes dans le bassin sidérurgique de Longwy. C’est cette histoire que la pièce raconte.
L’établi, Robert Linhart, éditions de Minuit, poche n°6, 180 pages, 6,50 euros, ean : 9782707303295. Première publication aux éditions de Minuit en 1978.
Librairie L’établi, 8 Rue Jules Cuillerier, 94140 Alfortville
En 2007, Pierre Douillard-Lefevre perdait l’usage d’un œil, touché par un tir de flash-ball… Il était lycéen et participait à une manifestation autorisée, lycéenne. Quand le vieux monde se meurt, écrivait Gramsci, avant qu’un autre ne surgisse, on lâche les chiens. Lui a compris que c’est ce temps-là que nous vivons : la décomposition de l’état français, qui s’accompagne d’une violence inouïe, programmée, délibérée. A Sivens, Rémi Fraisse est tué. Les forces de l’ordre utilisaient alors et continuent d‘utiliser des armes de guerre. Des armes faites pour tuer. Comme à Nantes. Comme à Rennes. Comme à Paris. Au lendemain de la mort de Rémi Fraisse, le pouvoir socialiste ordonna des assauts très violents contre les manifestants venus demander des comptes. C’est ça la réalité de l’état français. Un état aux abois, qui mord ses vrais opposants avec une rage pathologique. Un état dans lequel manifester est devenu périlleux. Moins d’une semaine après la mort de Rémi Fraisse, un étudiant nantais était frappé d’une balle en caoutchouc en plein visage. Comme en Palestine. La classe politico-médiatique n’y trouva rien à redire. Une commission parlementaire fut bien mise en place pour étudier cette violence d’exception, mais elle écarta de son audit tout ce qui n’appartenait pas à l’appareil répressif de l’état, pour livrer des conclusions ahurissantes le 28 mai 2015 : l’arrestation préventive des individus considérés comme «suspects», sans que l’on sache quoi mettre derrière ce vocable… Voilà qui rappelle les Lois scélérates du XIXème siècle… Le Pouvoir socialiste parachevait ainsi l’avènement de l’état policier. On sait désormais que l’on peut tuer des manifestants sans provoquer le moindre remous… Les médias y veillent. Pas une ligne sur la militarisation des forces de l’ordre. Alors Pierre Douillard-Lefevre a enquêté. Le Flash-ball ? Une arme de la famille du Rubber-Bullet utilisé en Irlande du Nord par l’armée britannique ! La marque est déposée à Saint-Etienne. D’abord réservé aux situations extrêmes, le Flash-Ball a commencé par équiper la BAC de Mantes-la-Jolie. Dès 1998, un père de famille perdait un œil. Il s’appelait Alexis Ali. L’arme est redoutable : un fusil d’épaule d’une portée de 50m, à canon rayé et viseur holographique. Développé par Eotech, dans le cadre de l’ingénierie militaire. En 2008, lors des émeutes de Villiers-le-Bel, on décida de le diffuser massivement dans les rangs de la police, alors qu’il était classé dans la catégorie A : «arme à feu à usage militaire». Potentiellement létale. Incontournable désormais dans les manifestations. Sa précision est légendaire : impossible de toucher quelqu’un sans l’avoir visé. En 2012, 2485 LBD 40 était en service. Depuis, la courbe de sa mise en circulation est devenue exponentielle. Du coup les tirs au visage se sont multipliés. En 2010, Mostefa Ziani meurt après avoir été touché au niveau du cœur par un projectile tiré par un LBD 40. 40 plaintes ont été déposées entre 2007 et 2015 à l’encontre de son usage. Seuls 2 policiers ont été suspendus. Pour épauler le LBD 40, les grenades offensives, qui contiennent 76 grammes de TNT… Arme d’exception là encore, militaire, dont l’usage est théoriquement encadré. Mais à Marseille, en 2010, un homme en est mort. En 2011 un ado de 17 ans perdait un œil à la suite de la projection de bouts de métal provenant de l’une de ces grenades jetées dans la foule. A Corbeil, une fillette de 9 ans, en juin 2011, fut touchée indirectement par ce projectile. Trois semaines de coma, pronostic vital engagé. Elle en porte désormais les séquelles à vie. Chaque année, des milliers de ces grenades sont utilisées en France. Avec des conséquences dramatiques, redessinant le paysage français des gueules cassées. Mains arrachées, yeux éclatés, crânes perforés… Nous sommes dans une logique de guerre. La doctrine de répression des manifestations est aujourd’hui en France celle d’une logique de guerre. La France est même devenue en quelques années la championne du monde de la répression civile. Partout on lui envie son savoir. Il est vrai constitué au temps de la Guerre d’Algérie et qui lui a valu d’asseoir depuis son expertise auprès des pires dictatures, de Pinochet à Ben Ali, en passant par la Turquie d’Erdoğan... Partout dans le monde la France a livré les moyens militaires et les stratégies policières aptes à faire et gagner ces guerres de basse intensité contre les populations civiles. Des populations vouées au massacre. En France, plus le corps des policiers est sanctuarisé, plus celui des manifestants est déshumanisé. Nassé, gazé, estropié, mutiler celui qui se dresse sur le chemin de la police est devenu la norme. En France il est possible de mettre en joue un manifestant. Le tir tendu est devenu une pratique acceptable. Les stratégies d'encagement, de saturation en gaz, sont devenues coutumières. La répression des mouvements populaires y est féroce. Sauvage. Sans doute parce que la fabrique du consentement a échoué et que la classe politico-médiatique sait qu'elle ne peut plus compter sur sa légitimité : il lui faut maintenant conserver le pouvoir à n'importe quel prix. C'est pourquoi dès 2012 les socialistes décidaient de généraliser l'emploi du LBD 40 : "A ceux qui avaient tout trahi, il ne restait que la police."
L’Arme à l’œil, Violence d’état et militarisation de la police, Pierre Douillard-Lefevre, éditions Le Bord de l’eau, collection Altérité critique, 84 pages, mai 2016, 8 euros, ean : 9782356874641.
25 000 êtres humains meurent chaque jour de faim dans le monde. Martin Caparrós en dresse l’état des lieux, pays par pays, au plus près des êtres qu’il a vu mourir. Il raconte ainsi cet hôpital de fortune, cette femme soulevant son enfant pour l’attacher sur son dos comme le font les mères africaines pour porter leurs enfants. Sauf que là, l’enfant est mort et ce qu’elle ramène, c’est son cadavre. Martin Caparrós raconte nos compassions oubliées : le Biafra dans les années soixante. Nos promesses oubliées : l’Occident promettait d’éradiquer la faim. Il le pouvait. Mais aujourd’hui, on ne parle plus des enfants affamés du Tiers-monde, qui ne s’appelle du reste plus ainsi. Ils n’existent même plus, même s’ils sont des milliers à mourir chaque jour : leur famine est devenue routinière. La disette, chronique. Comme au Sahel, en Somalie, au Bengale, etc. … Des centaines de millions d’êtres humains, pas loin du milliard, vivent au quotidien la famine. On ne sait combien exactement. On ne compte plus. Il en meurt beaucoup, voilà tout. C’est trop loin de nous, sur le plan de l’imaginaire. Peut-on imaginer une vie où il n’est pas possible de concevoir si l’on pourra manger demain ? Peut-on imaginer une vie qui se ramène à rien ? Juste trouver à manger. Pas grand-chose au demeurant. Jamais un vrai repas. Impossible à imaginer n’est-ce pas : c’est tout juste si on se demande comment se nourrissent les migrants en France, les mineurs abandonnés dans nos propres rues. Ceux qui n’ont aucune visibilité dans notre monde de communication. Près d’un milliard d’êtres humains meurt de faim. Ces mots ne revêtent aucun sens. « Mon livre est un échec », affirme Martin Caparrós. Un échec parce qu’il ne sert à rien. Parce que ces 900 millions d’êtres humains ne seront pas sauvés. Ils vont mourir. Ils meurent. Toutes les 5 secondes, 1 enfant de moins de 10 ans meurt de faim. Tandis que dans son état actuel, l’agriculture occidentale est capable de nourrir 12 milliards d’êtres humains. Comment parvenons-nous à vivre en sachant que ces choses existent ? Pays par pays, Martin Caparrós étudie les structures de la faim. Au Niger, c’est simple : tracées par l’occident, les frontières ont dessiné le pays le plus désolant de la planète, où les ¾ des terres sont stériles… Martin Caparrós a également enquêté auprès des médecins : c’est quoi, avoir faim ? Que se passe-t-il quand on a faim ? La réponse est terrifiante : un corps affamé est un corps en train de se manger lui-même. Sucre, graisse, masse musculaire. Tout y passe. Sans compter que cet affaiblissement généralisé l’expose à tous les virus. La peau elle-même servira de combustible. Elle se fendille, le corps se recroqueville et chaque étape fait mal. Mais il n’en a pas fait le sujet de ses réflexions. Le sujet de la faim n’est pas la faim, mais celui de l’humanité des hommes. Aïcha, Ismaïl. Ils sont 2 milliards en réalité, dans le monde, à souffrir d’insécurité alimentaire. Et 900 millions à en mourir. Dont 20 millions de nourrissons qui naissent avec des carences. Car les femmes représentent 60% des affamés. Des mères sous-alimentées qui nourrissent des bébés sous-développés. Martin Caparrós rapporte des témoignages précis, des noms, par milliers, des personnes qu’il a rencontrées. Hussena, Marïama, Abdelaziz. Des millions, qui vivent dans des régions pour lesquelles le FMI a décrété un jour que les états ne devaient plus subventionner leurs paysans. Concurrence oblige. Ni leur garantir un prix d’achat minimum. Ni réguler les prix. C’est cela, la réalité de notre responsabilité. Entre 1980 et 2010, la part de l’aide internationale accordée à l’Afrique agricole est passée de 17% à 3%. Dans le même temps, l’Amérique et la France par exemple, subventionnaient leur agro-agriculture en y investissant 300 milliards de dollars par an. Et cette agriculture industrielle rachetait les terres en Afrique, liquidant là-bas, loin, les exploitations familiales : il fallait mieux utiliser les terres agricoles, affirmait-elle, les mettre au service du commerce mondial du café, du thé, du soja OGM, etc. … L’Afrique, peu à peu, devint l’otage des marchés internationaux contrôlés par les multinationales occidentales. Si bien qu’entre 1980 et 2010, brutalement, la production locale fut remplacée par des denrées alimentaires importées d’Occident… Privés de débouchés, des millions d’agriculteurs africains furent jetés dans la plus extrême misère. Parmi les 50 pays les plus pauvres, 46 achètent aux pays riches plus de denrées alimentaires qu’ils ne leur en vendent. Alors que pendant plus d’un siècle, l’Afrique était exportatrice net de denrées alimentaires. Mais la logique de la mondialisation libérale était à ce prix. John Block, secrétaire agricole de l’administration Regan n’avait-il pas affirmé que : « l’idée selon laquelle les pays en voie de développement devraient se nourrir eux-mêmes est anachronique. Ils doivent plutôt s’en remettre aux produits étasuniens, dans la plupart des cas moins coûteux »… Les africains devaient ainsi abandonner cette activité, alors qu’aux 2/3, ils étaient paysans… Pouvons-nous encore parler de famine dans ces conditions ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un génocide de basse intensité parfaitement orchestré par les pays occidentaux ? Où la bourse de Chicago, créée il y a une vingtaine d’année, et où les denrées agricoles sont cotées en bourses comme des valeurs quelconques, tient lieu d’arme de destruction massive ? Songez : on gagne 50 fois plus d’argent à spéculer sur le blé qu’à le produire. C’est ça la réalité de notre responsabilité.
La Faim, Martin Caparrós, traduit de l’espagnol (argentin), par Alexandra Carrasco, Buchet-Chastel, octobre 2015, 782 pages, ean : 9782283028865.
Résultat d’une enquête menée sur deux cohortes, l’une de la génération 1998, l’autre de celle de 2010, à travers un dispositif mis en place pour les suivre sur dix ans de vie professionnelle. Et les résultats de cette étude sont plus troublants que ne le donnent à penser leurs analyses... Celles-ci montrent par exemple que paradoxalement, l’inquiétude a grandi pour la génération 1998, diminué pour celle de 2010. Est-ce parce que la conjoncture économique lui paraît plus favorable ? Eh bien non, pas du tout ! Les jeunes de 2010 sont «moins inquiets», parce qu’en fait ils ont intériorisé comme une fatalité la dégradation de la conjoncture économique, du marché de l’emploi et donc de leur propre avenir ! Il n’y a pas lieu de se réjouir devant un tel sentiment ! D’autant qu’on y découvre qu’ils ressentent un vrai soulagement à décrocher un emploi… précaire ! Ils se sont ainsi habitués à la précarité, qui leur est devenu un mode de vie normal ! Cela, quel que soit le niveau de diplôme, qui ne semble plus en mesure de garantir leur sécurité professionnelle. On découvre ainsi que même les docteurs demeurent majoritairement inquiets quant à leur avenir professionnel. Et bien évidemment, cela n’étonnera personne, les femmes sont les plus inquiètes, conscientes qu’elles sont de la discrimination à l’emploi qui continue de peser sur leur vie ! Cette inquiétude en outre ne change pas avec l’ancienneté dans l’entreprise. Il est frappant de découvrir qu’aux yeux de tous, la détérioration des conditions de travail est intégrée comme un signe normatif, tout comme l’absence de perspectives professionnelles et la crainte du déclassement statutaire. Un trouble que renforce la législation du travail, perçue comme globalement anxiogène. Sans oublier que les effets délétères du comportement au travail se traduisent aussi en termes de performance ou d’engagement, à mille lieux du discours néolibéral ambiant…
D’une génération à l’autre : l’inquiétude des jeunes en question, Céreq, Bref n°361, février 2018, issn : 2553-5102.
Ultime réforme du baccalauréat ? Pas sûr, chaque nouveau ministre voulant laisser son empreinte dans une histoire trop ancienne pour qu’elle s’en lasse... Une réforme donc, sans nouveaux moyens ni guère de réflexion sur les espaces chargés de la mettre en œuvre : les écoles, les collèges, les lycées… On fera avec l’existant, et qu’importe si l’existant dit tout le contraire de la réforme… L’occasion alors de s’interroger aussi sur ces espaces dont nous avons besoin, enseignants, élèves, parents, pour étudier dans de bonnes conditions. Il est loin certes, ce temps où l’on construisait des bâtiments de carton qui prenaient feu au moindre souffle, et où la République logeait les enfants dont elle se détournait hypocritement. Reste qu’on nous demande de penser à l’intérieur de cadres architecturaux souvent dépassés.
Une salle de classe peut-elle modifier un état d’âme ? Tout comme un bel édifice. Mais qu’est-ce qu’un bel édifice ? Alain de Botton en déroule l’histoire depuis la Renaissance : qu’est-ce qu’un bel édifice ? Interrogation majeure dans l’histoire des civilisations, qui donna lieu chez nous à la réalisation d’une architecture oscillant entre le sublime et le ridicule. A partir de quoi construire ? Depuis l’ornement ou bien pour répondre à telle disposition d’esprit ? John Ruskin pensait que nous attendions tous deux choses de nos bâtiments : nous voulions qu’ils nous abritent, et qu’ils nous parlent. De quoi parlent les établissements scolaires ? Ne répondons pas trop vite à cette question. Pas, en tout cas, avec la hâte des spécialistes qui font et défont au gré de leurs convictions. De quoi nous parle la salle de classe ? Qu’est-ce que sa frontalité ordonne ? On sait qu’elle voudrait nous parler de choses importantes. L’enseignant est justifié à nous le rappeler. Mais touchantes ? Dans quelle vision d’eux-mêmes les espaces scolaires maintiennent-ils les élèves ? Les entretiennent-ils d’une vision décidable d’eux-mêmes ? On sait les valeurs que ces lieux voudraient encourager. Mais les aspirations ? Alain de Botton évoque dans son essai cette expérience troublante dans la cathédrale de Westminster : «Au bout de dix minutes dans la cathédrale, des idées qui auraient été inconcevables à l’extérieur commençaient à paraître raisonnables»… L’Eglise, tout comme la République, ont pensé les lieux d’apprentissage comme des lieux de dévotion, capables de nous rendre meilleurs… Peut-on croire en de tels lieux ? Leçon visuelle et droiture morale, il y aurait beaucoup à dire des cartes de géographie accrochées dans les salles de classe, par exemple… Mais passons. L’école de la République était la gardienne d’un état d’esprit au fond. Voici qu’elle veut aujourd’hui consacrer la maturité comme une sorte de nouvelle vertu républicaine…
Tout enseignant peut adhérer à l’idée de travailler à rendre ses élèves plus matures. D’un élève qui «échoue», ne dit-on pas volontiers qu’il est «immature» ? Il s’agirait ainsi, comme l’évoque Freud, d’aider chaque élève à dépasser «les résidus de (son) enfance»… Mais la maturité est-elle une notion biologique ou psychologique ? Et dans quelle cadre l’école va-t-elle la faire entrer ? Dans son analyse de la maturité, Edmond Marc en évoque la définition coutumière, qui en fait un aboutissement, une stabilité, l’achèvement biologique d’un processus de développement… Tout en soulignant que la psychologie n’a jamais vraiment fait sienne ce terme, emprunté et renvoyé plutôt à sa compréhension biologique. On sait ce que Foucault pensait de l’effacement des catégories politiques au profit des catégories biologiques... Mais admettons que seul son emploi métaphorique prévaudrait. Au lycée, il ne s’agirait donc plus seulement d’instruire, mais d’interroger le point de développement «normal» d’un enfant ? Sommes-nous toujours dans le pédagogique, là ? Ne sommes-nous pas plutôt déjà dans l’idéologie ? Car qu’est-ce que le bon développement de la personne ? On rejoint ici le questionnement sur l’architecture scolaire en France, qui dit tout, sauf le souci du développement de la personne. Comment y naître à soi ? Quand en outre, comme le rappelle Edmond Marc, «l’individu ne porte pas en lui-même, comme pour ce qui relève de l’instinct, un schème de développement fixé par avance». Faudra-t-il que l’école lui en fixe d’autorité les termes ? Cette école dont l’architecture, précisément, relève la plupart du temps d’une logique de panoptique et où les adultes semblent justement missionner pour surveiller les élèves et les dissuader d’explorer une vision décidable d’eux-mêmes ?
A lire, sur la maturité, le très intéressant article d’Edmond Marc : le mythe de la maturité :
Même lorsque l’espérance nous concerne au plus intime de notre être : car comment pourrions-nous espérer sans aussitôt prendre soin de l’espérer d’autrui ?
Nous avons exclu, dans notre société, l’espérance des pauvres. L’économie néolibérale nous impose de tourner le dos non seulement à leur espérance, mais d’abandonner aussi toute forme de justice sociale. Il faudrait abandonner les déshérités, les réfugiés, lâcher des territoires entiers, des villes, des quartiers, précariser toutes les activités humaines marquées par le souci de l’autre, déposséder des communautés entières et finalement nos vies de leur puissance d’espérer, «c’est-à-dire de leur capacité de se comprendre», affirme non sans force Frédéric Boyer. Une déraison sur laquelle il nous faudrait méditer longuement dans une société dont «on» défait les coutures jour après jour, dont «on» saccage jour après le jour le Vivre Ensemble pour feindre de nous étonner que personne n’y comprenne plus personne… A longueur d’ondes, «on» nous rabâche le discours mortifère de la prétendue realpolitik qui commande que les mêmes, toujours, consentent à leur propre sacrifice et à celui de leurs enfants. Face aux réfugiés, aux sans-papiers, aux déshérités du monde, ce refus d’accueillir leur espérance dégouline comme l’injurieuse philosophie d’un monde indigne. Pourquoi donc notre société refuse-t-elle tant l’espérance ?, s’interroge Frédéric Boyer. Parce qu’elle est, justement, une dignité refusée ? Parce qu’une vie qui espère est aussitôt une vie qui agit ? Qui ne renonce plus à elle-même ? Une vie qui se libère ? L’espérance, nous dit-il, est la catégorie du commencement politique et son temps est le présent, non le futur. Creusant dans l’aujourd’hui un chemin de vie et non de mort. Et donc, certes, il n’y a pas d’espérance sans révolte. Entendons-nous : nous parlons de cette sorte d’espérance libérée de toute platitude, où espérer est se confronter au démesuré. Où espérer n’efface pas le pire, mais l’habite. Où espérer est renoncer à la triste défaite des lendemains qui devraient chanter et dont on sait qu’ils ne chantent jamais. Car ce n’est pas cela, espérer. Ce n’est pas attendre les prochaines élections, ni saluer la victoire de Mitterrand naguère, qui sut tourner le dos à nos espérances et trancher dans ce gras de l’espoir que son élection avait promu. Espérer, c’est agir notre capacité à vivre ici, et maintenant. C’est une façon non pas d’attendre, mais de prendre à bras le corps sa vie, d’ouvrir, ici, dans l’adversité, un possible dont on ne sait rien et dont la réalisation n’importe pas encore. Espérer, c’est un appel, un souffle dans lequel on sait différencier l’acte d’espérer de l’objet de l’espérance : car c’est la promesse qui seule peut ouvrir à sa réalisation. Espérer, c’est faire advenir notre puissance d’être et cette vie meilleure que nous nous promettions. C’est s’exercer à ce Bien que nous réclamons tant, c’est se lier à ce dont on nous prive. Non annoncer des lendemains qui chantent. Et c’est sans doute la raison pour laquelle, cet élan déjà là, on voudrait le voir s’éteindre à tout jamais dans l’immonde déraison néolibérale. Frédéric Boyer a raison d’affirmer que nos sociétés néolibérales se caractérisent par la désertion de l’acte même d’espérer. Car l’espérance inquiète. Car l’espérance intrigue la vie parce qu’elle est une reconnaissance fondée sur la gratuité. Et parce qu’elle a la sagesse d’introduire l’incertitude dans l’horizon de sa gratuité : espérer, c’est se laisser guider par ce que nous ne connaissons pas encore. C’est, d’abord, la contestation aveugle du tragique de la destinée humaine, un projet radical, grandiose, en vue d’une vie véritablement humaine, portée par de vraies valeurs, où l’être humain serait une fin et non un moyen. Et c’est pourquoi elle est, déjà, libération contre toute attente. Sans même se préoccuper de produire le monde à venir, elle est ce monde déjà advenu, dans l’effraction du monde présent. Espérer, c’est habiter le maintenant de l’événement et non tirer des plans sur la comète. C’est accueillir ici et maintenant la venue d’un temps qui jamais ne s’achèvera, c’est une forme de l’action politique qui ne repose pas sur un idéal abstrait mais exige un travail sur soi constant, et sur l’aujourd’hui exécrable qu’on voudrait nous voir épouser.
Frédéric Boyer, Là où le cœur attend, P.O.L., septembre 2017, 188 pages, 15 euros, ean : 9782818043769.
On savait la pollution atmosphérique, le gaspillage scandaleux sinon criminel de l’eau dans des régions qui en manquent, les millions de tonnes de déchets qui font de l’Himalaya la poubelle la plus haute de la terre, les pollutions innombrables et ces invraisemblables croisières vendues comme un loisir non seulement de détente mais de santé, sur des bateaux gigantesques sur les ponts desquels la pollution est supérieure à celles des villes les plus polluées du monde… On savait les violences faites aux cultures baptisées d’exotiques et condamnées au folklore le plus abject, en pays Dogon par exemple. On savait qu’à défaut de redistribution des richesses on assistait en fait à la marchandisation du monde, des cultures et des êtres, les produits dits ethniques manufacturés en Chine désormais. On savait qu’on nous vendait partout des fac-similés à défaut d’originaux : Lascaux 1, Lascaux 2, Lascaux 3, demain vendus comme objet de consommation et implantés dans n’importe quelle partie du monde. On savait que ce monde récréatif qu’on nous propose n’était qu’une attraction payante au plus vil prix. Mais ce qu’on ne savait pas, c’était que le tourisme était réellement une arme de destruction massive des peuples et que les outils de cette destruction avançaient sous le couvert d’une fausse protection. Celle de l’UNESCO en particulier, et de son fameux Patrimoine Mondial de l’Humanité, qui marchandise des villes entières : voyez le mont Saint-Michel, voyez Saint-Emilion, Carcassonne, Avignon, ramenés à de déprimantes mono-activités. Voyez le canal du midi et voyez le Tibet avec ses faux monastères en béton. Voyez, justement, le Xinjiang chinois et sa route de la soie, qui a permis à la Chine de siniser des régions non chinoises pour recouvrir les civilisations islamiques qui la gênaient. Prenez l’exemple de Kashgar, cette vieille ville musulmane dont des quartiers entiers ont été détruits et les maisons restantes confisquées, avec leurs familles, pour faire place à un tourisme lissé, après sa labellisation. Voyez son centre-ville à péage, détruit à 85%, où la culture «authentique» est devenue une attraction payante, où les familles subsistantes sont sommées d’ouvrir leurs portes aux touristes, sommées d’exhiber un mode de vie plus traditionnel qu’il ne l’a jamais été. Voyez comme on y a folklorisé de force les habitants qui ont pu y rester. Et rappelez-vous les émeutes de cette même population dans les années 2009, refusant sa déportation, sa folklorisation : elles ont fait plus de 200 morts, tandis que le monde entier se réjouissait de voir Kashgar classée au patrimoine mondial de l’humanité ! Voyez ce qu’il en reste aujourd’hui, les rares habitants tenus en laisse et vendus dans les packages touristiques offerts aux étrangers… Et interrogez-vous sur la chose. Comment est-ce possible ? Le label ne vaut pas protection ? Non ! Au contraire : il expose, fragilise, condamne et vend aux plus offrants lieux et populations. C’est sans doute la raison pour laquelle cette hypocrisie est si bien orchestrée et qu’au Comité du Patrimoine Mondial, seuls 21 pays ont le droit de siéger. Occidentaux évidemment, pour la plupart ! C’est peut-être la raison pour laquelle à la tête de la Commission Nationale française du Patrimoine Mondial de l’Humanité on trouve une directrice d’agence de pub et un banquier d’affaires venus tout droit de chez Rothschild… Ouvrez vos yeux : le tourisme n’est pas une activité culturelle. Le type d’échange qui s’y joue repose sur le mensonge, la vénalité et l’esclavagisme…
Le Tourisme arme de destruction massive, Jean-Paul Loubes, édition du Sextant, juillet 2005, 164 pages, 18 euros, ean : 9782849780497.
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"L'Histoire, c'est la dimension du sens que nous sommes" (Marc Bloch) -du sens que nous voulons être, et c'est à travailler à explorer et fonder ce sens que ce blog aspire.