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13 novembre 2012 2 13 /11 /novembre /2012 05:16

 

banlieue-change.jpgCes territoires équivoques dont on ne parle qu’à l’occasion des événements tragiques qui les animent, ne semblent plus faire problème aujourd’hui, tant le silence est assourdissant autour de ce que les banlieues vivent.

L’essai publié sous la direction de Régis Cortéséro tente de faire le point sur leur situation réelle, sous un titre optimiste : la banlieue change. Mais le livre refermé, on ne comprend pas vraiment ce qui a changé dans ces banlieues, sinon qu’abandonnées à elles-mêmes, ses habitants tentent désespérément d’inventer de nouvelles solidarités. Et certes, parce que la France se paupérise, ce qui change vraiment en banlieue, c’est que l’extrême misère qui s’est installée en France a renouvelé l’espace de l’habiter populaire, transformant les banlieues en un gigantesque système de solidarités locales : des solidarités qui, exclusivement ancrées dans l’espace territorial de la banlieue, conditionnent une logique de socialisation "enfermante". Que ce soit sur le marché de l’éducation comme sur celui de l’emploi, la banlieue joue plus que jamais contre ses habitants, l’effet de nasse complotant à plein. Ce qui change, donc, pointe un horizon sinistre, de construction d’une morale étrangère aux jeux sociaux du reste du pays, où l’ethnicité devient le seul support possible de construction identitaire, tout autant que de revendication politique. La politique de mixité ayant par ailleurs pitoyablement échouée –la ségrégation est revenue au galop dans les quartiers mixtes, les architectes de l’Etat ayant appris a posteriori qu’on ne pouvait pas fabriquer de la mixité par simple frottement avec des populations mieux intégrées, seule l’action Publique pourrait peser sur cette évolution catastrophique, à la seule condition de ne pas laisser intacte la trame de la domination sociale. Mais voilà qui est illusoire dans un pays qui, par tradition, postule une société ignorante confrontée à une administration savante. La quadrature du cercle en quelque sorte : il faudrait pouvoir écouter la banlieue, mais l’écouter aujourd’hui, c’est d’abord accepter de s’exposer à sa colère et en libérer l’énergie…

 

 

La banlieue change !, de Régis Cortéséro, éd. Le Bord de l’eau, coll. Clair et net, oct. 2012, 230 pages, 20 euros, isbn :

978-2-35687-197-8.

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12 novembre 2012 1 12 /11 /novembre /2012 05:11

 

deux-ou-trois.jpgLe ton est presque badin, Ha-Joon, professeur d’économie à Cambridge, ouvrant sur les sept façons de lire son essai, selon que l’on soit ou non informé, selon que l’on veuille ou non s‘informer. Economiste hétérodoxe, attaché au système capitaliste, il nous livre ici une réflexion réjouissante, sinon inquiétante, sur l’issue d’une crise dont on nous promet qu’elle sera bientôt presque derrière nous. C’est ce "presque", on l’aura compris, le nœud du problème, qui invite les peuples à se serrer toujours davantage la ceinture, dans l’illusion d’un sacrifice collectif salutaire…

L’économie mondiale est en lambeaux, nous dit sans ambages Ha-Joon. Ça, on le savait. Mais personne ne veut en prendre acte : on ne cesse au contraire de renflouer un navire qui est en train de sombrer. A fonds perdus donc Littéralement. Et tandis que l’argent fait défaut dans l’économie réelle, il abonde dans les places financières, qui l’ont presque totalement capté. Dans ces conditions, affirme Ha-Joon, nous avons des années de vache maigre devant nous : la pauvreté est notre horizon commun. Et il y a de fortes chances pour que l’économie mondiale connaisse de nouvelles phases de récession. Des phases que nos dirigeants politiques sauront imputer à de nouveaux secteurs d’une économie trop peu concurrentielles…

Les chômeurs ? Dans leur immense majorité, ils ne réintègreront pas les circuits économiques normaux.

Pourquoi ce désastre ? Pour une grande part à cause de la liberté totale dont jouissent les marchés financiers. Une liberté soutenue par une idéologie dévastatrice : le néolibéralisme, qui a fini par liquider totalement le "take care" du libéralisme philosophique. Et Ha-Joon, de s’employer à démontrer combien la vision du monde néo-libérale est étriquée. Malheureusement, au cynisme des économistes néo-libéraux s’est ajouté la collusion du milieu politico-médiatique. Car ce qui est arrivé n’était pas un accident : nous aurions pu l’empêcher –nous le pouvons toujours. Le marché libre, ça n’existe pas. Cette liberté se définit politiquement. Pour les banques, le choix était simple : il était possible de ne pas offrir 700 milliards de dollars, aux Etats-Unis par exemple, sinon sous condition, aux banques qui se sont empressées de les partager en dividendes…

Passons sur les démonstrations, simples et chiffrées. Ha-Joon revient sur nombre d’idées reçues concernant l’économie, qu’il faudra bien entendre un jour.

Prenez les entreprises : faut-il les gérer dans l’intérêt des actionnaires ? Il est bien évident que non : les actionnaires, contrairement à une idée reçue, ne sont pas les propriétaires des entreprises, mais les parties prenantes les plus versatiles et les moins soucieuses de leur avenir à long terme. Jetant par millions des salariés à la rue, un simple calcul rétrospectif permet de constater que depuis les années 1980, l’un des facteurs de déstabilisation le plus important de l’économie mondiale aura été l’insécurité de l’emploi, et non son manque de flexibilité.

Autre exemple : enrichir les riches n’enrichit pas les pauvres. Cette idée d’économie du ruissellement est un pur fantasme, la politique en faveur des riches n’ayant jamais permit d’augmenter la croissance d’un pays, chiffres à l’appui toujours : depuis 1980, nous n’avons cessé de donner toujours plus aux riches, en vain. La croissance par habitant, elle, n’a cessé dans le même temps de s’effondrer. Dans la même période, l’investissement des riches n’a cessé de chuter : les riches gardent l’argent pour eux. Point.

Prenez encore les systèmes de rémunération des dirigeants des plus grandes entreprises : ils sont unilatéraux, jamais fixés par leur fameux marché libre, jamais corrélés sur la moindre performance, ni moins encore sur le résultats de l’entreprise, mais bien plutôt le fruit d’un pillage systématique et ordonné des biens produits.

Et quant aux marchés financiers, contrairement à ce que l’on peut entendre dire, ils ne sont pas inefficaces, mais au contraire, particulièrement performants : avec leurs nouveaux outils mathématiques, ils ont trouvé de quoi générer des profits immenses à court terme, même et surtout en temps de crise, en fragilisant toujours davantage l’économie mondiale. Si bien qu’il n’est pas possible de concevoir autrement ces outils financiers que sous la vision d’armes de destructions massives.

  

 

Deux ou trois choses que l’on ne vous dit jamais sur le capitalisme, de Ha-Joon Chang, traduit de l’anglais par Françoise Chemla et Paul Chemla, éd. du seuil, coll. Philo.Gener., octobre 2012, 356 pages, 21 euros, ean : 978-2021083736.

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8 novembre 2012 4 08 /11 /novembre /2012 05:10

 

 

 

freedom-summer-copie-1.jpg1964. Les trois mois qui vont faire basculer l’Amérique : 959 gosses de riches vont adhérer au Summer Project, et descendre inscrire les noirs du Mississippi sur les listes électorales de l’état le plus réactionnaire de l’Union. 959 gosses de la Heavy League : Harvard, Yale, le M.I.T., plutôt libéraux politiquement, issues des familles les plus riches des Etats-Unis (c’était l’un des critères de leur sélection !), vont vivre chez l’habitant : les familles les plus pauvres des Etats-Unis. Ou dans des Freedom Houses, dans la plus grande promiscuité, qui vont très vite se transformer en phalanstère où la parole ne cesse de ciculer, où les sens ne cessent d’être sollicités, filles, garçons de bonnes familles soudain mélangés entre eux et avec les populations noires -et découvrir la liberté sexuelle. Ils vont se voir confrontés à l’extrême misère de populations toujours quasiment réduites à l’esclavage, en prendre la mesure, créer des écoles libres, des dispensaires libres, des maisons communes, et se heurter à l’extrême brutalité des blancs, que le KKK, toujours vivace, va déchaîner contre eux dans une haine totale. Libéraux, chrétiens, issus des familles les plus prestigieuses de l’Union, ils vont connaître la Terreur, vont se voir kidnappés, battus à mort pour une dizaine d’entre eux, se faire tabasser, le tout avec la complicité de la police de l’Etat cédant à l’arbitraire aveugle. Et moins d’un mois après leur arrivée, ils vont se radicaliser. Les courriers qu’ils envoient à leur parent en témoignent, alertant d’un coup par l’intermédiaire de ceux-ci, grands magnats de la presse, puissants capitaines d’industrie, l’opinion publique américaine (blanche) qui ne peut supporter de voir ses enfants battus à mort par une bande de fascistes furieux. De nouveaux volontaires débarquent, des communautés se forment, la rupture est totale avec leur ancien mode de vie et de pensée. Une grande partie des leaders de la contestation américaine va sortir du Freedom Summer. Trois mois. On kidnappe toujours, on bat toujours à mort, mais par centaines des journalistes descendent dans le Mississippi relayer les événements, faire une publicité énorme aux modes de vie expérimentés par ces jeunes étudiants blancs. L’Amérique n’en croit pas ses yeux. Une Nouvelle Gauche émerge, radicale, qui se rappelle soudain ses aînés communistes, réprimés dans le sang, se met à leur écoute dans ces communautés libres où l’on ne veut plus vivre comme avant. Les attentats à la bombe n’y font rien. Les volontaires restent et expérimentent dans la foulée de nouveaux discours politiques, culturels, idéologiques, un autre mode de vie sans classes, sans races, sans différences sexuelles. Et cette jeunesse réformiste au départ, idéaliste, met à bat non seulement le libéralisme américain, mais cette pseudo Gauche qui veut leur confisquer leur lutte. Ils étaient l’apogée du mouvement libéral américain, celui-ci s’écroule comme un château de cartes. Dans un an, le Black Power surgira. La violence change de camp. 1965 : les émeutes de Watts, à L.A., terrifiante réponse des blancs conservateurs qui enverront les chars dans les rues de L.A.

Il n’y a pas de changement possible sans violence révolutionnaire. C’est ce que nos volontaires ont appris.

Et c’est cette expérience qu’explore le livre. Une enquête sociologique menée des années durant. L’auteur a compulsé les archives, les lettres de motivation étonnantes de candeur au départ, et puis les courriers envoyés par ces gosses à leurs parents. Il a retrouvé les vétérans du Freedom Summer, a mené ses entretiens, décrypté les discours, les idées, les cultures, enregistré les trajectoires, les vécus, qui nous étonnent encore et nous éclairent sur ce tournant invraisemblable et la surrection de cette Gauche radicale. Trois mois. La création d’un réseau social à l’échelle des Etats-Unis, porteur d’un message qui allait transformer toute la jeunesse américaine. Trois Mois d'où vont surgir le féminisme, la contre-culture américaine, le mouvement hippie et les comités Viernam. Freedom Summer : le canevas d’une grande partie des mouvements des années 60.

 

 

Freedom Summer, Luttes pour les droits civiques Mississippi 1964, Doug McAdam, traduit de l'américain par Lélia Izoard, éd. Agone, coll. l'Ordre des choses, 474 pages, 26 euros, ean : 978-2-7489-0164-1.

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6 novembre 2012 2 06 /11 /novembre /2012 05:03
 
 
haine-usa.jpgLa moitié des électeurs américains va confier son destin à un républicain modéré (Obama), ou radical (Romney). Un vote de dépit titrait très justement aujourd’hui Libération. L’autre moitié n’ira pas voté. Elle sait qu’il n’en ressortira rien de bon pour elle. Elle sait que le calendrier électoral est l’une des formes qu’a prise dans le monde la liquidation de la démocratie.
L’électorat américain, lui, a franchement glissé à droite. Sous l’impulsion du Tea Party, largement télécommandé par les factions les plus extrémistes du parti républicain. On connaît la chanson : la France a voté Hollande, mais du bout des lèvres.
Les plus riches s’en félicitent. Qui vivent sur ce que les américains nomment désormais le sixième continent. Le leur, exclusivement, tandis que l’espace de la citoyenneté ordinaire, lui, s’est rétréci comme une peau de chagrin. Là-bas comme ici du reste : sitôt le vote dépouillé, nous ne décidons jamais de rien.
En réinstallant la haine et la peur au cœur de la société américaine, les républicains ne poursuivent en fait qu’un seul objectif : passer tout le pouvoir politique entre les mains du secteur privé. Partout on les entend vanter la supériorité intellectuelle et morale du milieu des affaires sur le reste des hommes : nous. Déjà leurs mercenaires (et ce n’est pas une image) s’affairent à liquider le peu qu’il reste de démocratie dans le monde.
La rationalisation de la haine, aux Etats-Unis, s’inscrit dans cette perspective. On brûle les livres désormais, on pend des effigies –non pas en Iran : aux Etats-Unis. Une atmosphère de curée s’est installée, vraie manifestation de cette alliance entre les intégristes chrétiens et les barons de la finance. Partout on entend les membres du Tea Party affirmer qu’il est grand temps de se débarrasser de ces déchets humains qui encombrent la société américaine : les gays, les enfants déficients, les handicapés sans travail, les chômeurs, etc. La morale intégriste ne s’embarrasse pas de nuances, la discipline économique en appelant à la discipline religieuse. Et partout bien sûr, le laissez-faire totalitaire du néolibéralisme se cherche des complices dans le camp démocrate. Et en trouve.
L’ouvrage de Nicole Morgan est sans doute par trop touffu, décousu, mal ficelé. Mais il montre bien cette continuité de la politique américaine, tous partis confondus, et son glissement réactionnaire aujourd’hui. Le zèle du Tea Party est constant. Ses moyens, énormes, décrits ici avec beaucoup de précision. Et sa vindicte, ahurissante : une déferlante continue de mensonges, de contrevérités, de fadaises abjectes. Comme celles de Michèle Bachmann racontant sans rire qu’elle a rencontré Dieu par deux fois et qu’à deux reprises, celui-ci lui a fait part de sa colère. Le fondamentalisme chrétien, on l’aura compris, s’est lancé à l’assaut de la nation américaine, ne cessant de réinterpréter les événements qu’elle traverse à la lumière d’une lecture débile des livres de l’Apocalypse et, pour plaire aux riches, travaillant au corps la mauvaise conscience des citoyens à l’égard des pauvres pour l’éradiquer enfin…
 
 
Haine froide, à quoi pense la droite américaine, de Nicole Morgan, Seuil, septembre 2012, Collection : H.C. ESSAIS, 254 pages, 19,50 euros, ISBN-13: 978-2021076226.
 
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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 05:10
 
 
est-ce-ainsi.jpgQue reste-t-il d’actuel dans ces doléances éditées en décembre 2011 ? Tout…
De la création des banques privées tournées exclusivement vers les français les plus riches, à l’indifférence des nantis face aux noyades des clochards au large de Deauville, les témoignages recueillis de ville en ville témoignent toujours d’une seule réalité : la France souffre. Les rescapés du cancer doublement stigmatisés, les décrochés de la vie sociale, naufragés sans espoir, les précaires à perpétuité, les chômeurs, l’impossible loyer, l’impossible fin de mois, les soins inaccessibles pour des millions d’entre nous, les dents qui se déchaussent, les lunettes qu’on rafistole, tout y est, tout y passe, et tout est resté d’une actualité toujours prégnante, révélant l’effarante étendue des catastrophes qui se sont accumulées depuis des décennies sur les français. Du prix des légumes aux 811 000 enfants qui ne prennent de repas protéiné qu’une fois tous les trois jours, en passant par les enquêtes parlementaires laissées lettres mortes (qui se souvient de celle intitulée : Les banlieues françaises sont des ghettos ?), tout y est, tout est toujours d’actualité. Le règne de la sauvagerie économique n’est pas derrière nous. L’école est toujours un problème, le sous-emploi frappe toujours des millions de gens en France. Mis à disposition du public, ce diagnostic effarant de l’état des lieux en France a conservé toute son actualité. Certes, on sait bien que Hollande vient d’être élu. Mais on sait bien aussi que ce n’est pas d’une politique de symboles dont nous avons besoin.
Par parenthèse enfin, ce travail de mise à jour des doléances populaires est demeuré très lacunaire en France, au regard de celui qui est pratiqué aux Etats-Unis et que tout le monde peut consulter et enrichir sur le site
http://wearethe99percent   
De quoi s’interroger, aussi, sur notre conduite du vrai changement, trop aisément confié à la classe politique.
  
 

Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Cahier de doléance contemporain, Luce Faber, les Prairies ordinaires, janvier 2012, 143 pages, 12 euros, ean : 978-2350960647

Tout au long de l’année 2012, Mediapart et le collectif Luce Faber ont proposé des doléances filmées. Les 36 vidéos sont rassemblées toutes ensemble, à cette adresse :

http://www.mediapart.fr/content/2012-un-cahier-de-doleances-semaine-2

   
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18 octobre 2012 4 18 /10 /octobre /2012 04:35

 

left.jpgNon, Obama n’est pas l’incarnation de la Gauche américaine, n’en déplaise aux obamaniaques. Il existe une Gauche à la prétendue gauche d’Obama. Une vraie Gauche que par surdité politique, nous n’avons pas voulu entendre, tant Obama nous confortait dans nos propres dérives droitières.

Une Gauche radicale qui a toujours joué un rôle clef dans les moments les plus cruciaux de l’histoire des Etats-Unis, qui par parenthèse n’est pas une histoire linéaire, mais le halètement d’une succession de crises dramatiques.

C’est cette Gauche par exemple qui a mené le combat des droits politiques lors de la crise du système esclavagistes américains. C’est cette Gauche qui a conduit à l’abolition de l’esclavage et a mené le combat de la reconnaissance des droits des populations noires américaines.

C’est cette Gauche qui a mené le combat contre le capitalisme industriel sauvage, contre l’impérialisme américain barbare. Et c’est cette Gauche qui mène aujourd’hui le combat contre le système de la Finance mondialisée.

Une Gauche toujours fortement centrée sur l’idée d’égalité, imposant sa culture égalitaire aux réformes structurelles de l’Amérique. C’est elle qui a fait de l’idée égalitaire l’identité profonde des Etats-Unis, au moins sous la forme d’une représentation incontournable. Elle qui a non pas opposé stérilement comme la France l’a fait, l’idée de liberté à l’idée d’égalité, mais refusant l’hypocrisie de droits formels, a opposé l’idée de redistribution à celle du consentement fataliste aux inégalités.

Chaque fois, cette Gauche a surgi aux Etats-Unis quand le pays s’est trouvé à un tournant de son histoire. Un tournant marqué par la dimension systémique et identitaire de la crise en question. Un tournant qui exigeait une transformation radicale accompagnée d’un surplus de sens, que cette Gauche incarna en posant chaque fois la question de savoir ce que signifiait exactement être américain, et qu’elle traduisait chaque fois en un élargissement de l’idéal d’égalité.

Et c’est bien le cas de cette Gauche radicale qui, aujourd’hui, travaille au corps l’idée de démocratie participative.

Car c’est elle qui a su nous ouvrir les yeux sur la nature de cet ordre néolibéral qui a fini par s’imposer presque partout dans le monde. Cet ordre n’est pas simplement un ordre économique, mais un ordre politique et moral. Qui a su intriguer les valeurs libertaires des années 60 pour les vider de leur contenu égalitaire. L’individualisme débridé des années 60, le néolibéralisme l’a en effet déconnecté de l’éthos anti-capitaliste. Dépolitisées, ces valeurs ont alimentées le nouvel esprit du capitalisme, fondé sur l’hédonisme, le consumérisme et l’empowerment. Des valeurs au centre desquelles trône l’idée du choix rationnel, qui accrédite la thèse que l’égalité sociale serait une simple affaire de proportions économiques.

Mais les années 60 n’ont jamais été totalement absorbée par le néo-libéralisme. Leur promesse de radicalisation de l’idéal égalitaire est demeurée vive.

C’est ce combat que relève aujourd’hui un mouvement comme Occupy Wall Street, note Zaretsky. Un mouvement qui a de longtemps tourné le dos à Obama, otage volontaire des milieux de la Finance.

Occupy Wall Street contribue à assurer une présence permanente de la Gauche radicale dans la vie américaine.

Et qu’importe que ce mouvement soit aujourd’hui encore très peu programmatique : contre le pragmatisme technocratique de la fausse gauche, il défriche des voies nouvelles. Et Pour Zaretsky, il est clair que la relation à la crise que connaît le monde contemporain passe cette fois encore par la résurrection de cette Gauche radicale.

Les libertés politiques ne peuvent acquérir de contenu réel que sous l’impulsion d’une Gauche réellement critique, et des mouvements sociaux, qui seuls peuvent stimuler un vrai changement.

 

 

 

Left, Essai sur l'autre gauche aux Etats-Unis, Eli Zaretsky, traduit d el’anglais (Etats-Unis) par Marc Saint-Upéry, Seuil, coll. H.C. essais, septembre 2012, 297 pages, 20 euros, ean : 978-2021089028.

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16 octobre 2012 2 16 /10 /octobre /2012 04:10

 

homme-tomber.jpgLe titre semble paraphraser celui d’un film de Jacques Audiard : Regarde les hommes tomber. Moins la distance, Arthur Frayer s’étant efforcé de marcher au plus près de ceux qui tombaient. Ouvriers, employés, patrons pauvres. La crise. En France. Pas en Grèce. Des milliers de petits commerces frappés de plein fouet par la bien trop commode crise (en 2010, la hausse du revenu des patrons du CAC 40 se chiffrait à 34%). Des milliers de petits patrons pauvres, sans sécu, sans chômage, sans filet. Des salariés, leur CDI en poche, qui dorment dans leur voiture. Qui mangent dans leur voiture. Qui vivent dans leur voiture les week-end pluvieux. Pas en Grèce, en France. L’an passé, cette année. Salariés en souffrance, par millions cette fois. Leurs combats perdus les uns après les autres malgré les feux médiatiques. Des millions qui ne peuvent enrayer la chute libre de leurs revenus. Agriculteurs, artisans, étudiants, une liste jamais exhaustive, qui s’allonge sans cesse. La France des petits revenus. La France en fait, tout bonnement. Celle des trajectoires brisées. Des vies humaines broyées. De la paupérisation forcenée de quartiers entiers. Des boutiques, par milliers, dont l’activité ne permet pas de dégager un salaire. Des millions qui ont démarré au Smic et se retrouvent au Smic. La vérité de la France d’aujourd’hui. Le récit est poignant, sans ornement. Juste cette France appauvrie, qui attend. Quoi au juste ? Cette France de la défiance qui vient d’élire son nouveau Président et qui attend, non pas une politique de symboles, mais une politique de justice. Cette France qui croit de moins en moins au vivre ensemble républicain qui l’a jetée si bas. Lejaby. L’auteur y est allé. La valeur travail… Un élément de langage. Rien d’autre. Photowatt. Les zones urbaines sensibles, où 1 jeune sur 2 survit au chômage. Survivre. Simplement survivre. Le journal de la France qui tombe. Jour après jour. Odile, 600 euros par mois. Elle enseigne le français aux familles étrangères. Trilingue, Master de Lettres modernes en poche. Sans commentaire. Des milliers dans le même cas. Valentine, 3 Masters. Yasmine, 31 ans, bardée de diplômes, au chômage. Khalimat, française d’origine tchétchène, 50 ans. Vit dans sa voiture. Dans un parking de banlieue. Et travaille à Paris. En CDI.

  

 

J’ai vu des hommes tomber, Arthur Frayer, Don Quichotte éditions, coll. Non fiction, octobre 2012, 249 pages, 16 euros, ean 978-2359490909.

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15 octobre 2012 1 15 /10 /octobre /2012 04:58

 

l-argent.jpgEn 2010, la hausse du revenu des patrons du CAC 40 se chiffrait à 34%.

La totalité des sommes échangées en 2008 par les milieux de la Finance mondiale représentait 74 fois le PIB mondial.

Le déficit français était de 90,8 milliards d’euros en 2011. Les avoirs français dissimulés dans les paradis fiscaux s’élèvent à 590 milliards d’euros, dont 220 appartiennent non à des entreprises, mais à des particuliers.

Il n’est même pas besoin d’évoquer ici les 3 millions de chômeurs, sans parler des fins de droit, des chômeurs qui se comptent par centaines de milliers mais sont exclus de cette comptabilité au prétexte qu’ils ont travaillé une semaine dans le mois, ou des "bénéficiaires" du RSA bien plus nombreux encore et des précaires, dont plus de 80 000 d’entre eux, bien que salariés, sont SDF.

Et encore moins des 811 000 enfants qui, aujourd’hui en France, ne parviennent à manger un repas protéiné que tous les 3 jours…

Et l’on voudrait nous faire croire que "nous" français, vivons au-dessus de nos moyens…

La mise en scène médiatique d’une société consensuelle convaincue qu’en effet, la rigueur est de mise, est tout simplement odieuse.

Tout comme il est odieux que l’argent, dont le plus grand nombre ne dispose pas, soit devenu la valeur de la réussite personnelle, qui plus est dans une République qui continue de tenir le discours du mérite !

L’argent est devenu asocial, alors que sa véritable fonction est sociale.

Coupé du corps social, il s’est mué en arme de domination pour la classe dirigeante, en particulier pour ce 1% de riches qui tirent leurs revenus de dividendes, non de salaires.

"Nous sommes dans une véritable guerre de classes", affirment les époux Pinçon. Mais nul ne veut le dire. L’idéologie de l’argent, grâce à des journalistes et des médias stipendiés, s’est lentement diffusée à toutes les classes sociales, y compris les classes pauvres, divisant les classes moyennes et laborieuses sur leur propre statut au sein d’une société de mépris où les riches ne cessent, décomplexés, d’exhiber leur fortune.

Au point que nul en Finance n’est choqué de cette collusion qui règne entre les milieux de la Finance et ceux du prétendu service de l’Etat, qui voit les membres des conseils d’administrations des banques présider aux destinées du Trésor Public !

C’est très simple au fond : Déficit et Dette Publique sont les armes utilisées contre le peuple pour l’asservir, quand il serait facile, s’étonnent les époux Pinçon, de revenir à l’équilibre budgétaire sans grand dommage pour la nation…

  

 

 

L'argent sans foi ni loi, Monique Pinçon-Charlot, Michel Pinçon, Régis Meyrand, éd. Textuel, Collection : Conversations pour demain, août 2012, 112 pages, 12 euros, ean : 978-2845974449.

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21 septembre 2012 5 21 /09 /septembre /2012 05:27

Mike-Davis.jpgLe titre est idiot, oubliez-le. Les Prairies ordinaires publient tout de même un petit recueil très réconfortant du sociologue américain Mike Davis, vieux briscard de la lutte anti-capitaliste des années 60, qui est tout, sauf un vieux schnock donneur de leçons.

Une suite de réflexions donc, plutôt que de conseils, offertes aux jeunes générations engagées à leur tour dans la lutte –c’est drôle, sinon bouffon, comme l’histoire se répète… Mais peut-être pas finalement : Occupy Wall Street, malgré ses airs de sixties, ne répète pas le Flower Power de Woodstock, sinon dans ces grandes largeurs qu’une presse à court d’image fantasme. Un mouvement qui occupe une grande partie des pensées de Mike Davis, qui dure, qui dure malgré le silence radio que nous impose des médias stipendiés, et dans lequel notre sociologue voit pointer l’un de ces contre-mouvements de civilisation dont seuls les States ont le secret, et qui a bien de quoi surprendre en effet –s’il ne meurt pas demain. D’abord parce qu’il est issu de la rue, pour la première fois depuis une bonne cinquantaine d’années. Ensuite parce qu’il recompose toutes les composantes des mouvements de contestations qui ont traversé les Etats-Unis (et le monde) depuis ces cinquante dernières années justement –et qui tous, à un moment où un autre, se sont échoués faute de perspectives, sur les plages grotesques de l’individualisme bobo (pour faire vite), qui a pris sa pitoyable réussite pécuniaire pour un progrès de l’Esprit quand elle n’était qu’un égotisme d’héritier à la remorque des marqueurs des classes huppées… Ensuite parce que, hétéroclite, il pointe le seul vrai horizon dépouillé par les soins d’un néolibéralisme colonisateur : la question de la richesse et de sa répartition.

Et Mike Davis, d’un ton très enjoué, de convoquer pour sa démonstration les films de John Carpenter dont son Invasion Los Angeless de 1988, un bijou cinématographique qui dépeignait au vitriol l’ère Reagan, coup d’envoi de la mondialisation néolibérale dont on mesure aujourd’hui l’escroquerie. Dans ce film, on y voyait alors la classe ouvrière condamnée à vivre sous des tentes. C’est fait. Mais elle finissait par piquer une vraie grosse colère pour botter les fesses des banquiers. Ça reste à faire.

Certes, Occupy Wall street n’a pas encore découvert son programme, ni ses stratégies, et sa colère peace and love est bien en deçà de la révolte que mériterait la question sociale telle qu’elle se pose à nous aujourd’hui. Mais symboliquement déjà, elle lève un lièvre énorme : ils ont libéré un arpent de terrain là où le foncier est le plus cher du monde ! Et disposé une agora en plein cœur de leur sanctuaire privé. Qu’on y regarde de plus près enfin : l’auto-organisation militante, sur place, peut bien paraître chaotique, elle est ce dont nous avons le plus besoin politiquement pour récupérer notre souveraineté confisquée.

Et Mike Davis a raison d’affirmer qu’il faut instruire enfin le procès de ce capitalisme dévastateur, qu’il faut dénoncer le massacre économique auquel il se livre et qui se facture en vies humaines. Une dénonciation effective, plutôt que politicienne, et Mike Davis a toujours raison d’affirmer que le problème n’est pas d’augmenter les impôts des plus riches, mais de conquérir une meilleure répartition de la richesse créée. Car, on l’aurait presque oublié, il NOUS revient de décider, politiquement, ce que nous voulons en faire en termes de dépenses sociales ou d’emploi par exemple, tout comme de retraite ou d’éducation, plutôt que de voir nos richesses filer sous la forme de dividendes iniques dans des poches que rien ne légitime politiquement.

  

 

Soyez réaliste, demandez l’impossible, de Mike Davis, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Meyer, Les prairies ordinaires, collection Penser/croiser, août 2012, 72 pages, 9 euros, ean : 9782350960579.

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19 septembre 2012 3 19 /09 /septembre /2012 04:22

genereux.jpgDe plus en plus de voix s’élèvent contre la folie du néolibéralisme mondial qui voudrait mettre à genoux les peuples au prétexte de sauver ses banques. De plus en plus de volontés se font jour qui dénoncent l’iniquité des politiques menées, en Europe en particulier, où l’injustice des sacrifices exigés, du peuple grec par exemple, est proprement ahurissante.

De plus en plus d’intelligences se révoltent contre la prétendue impuissance des états face à la crise financière et l’hystérie de l’argument d’une mondialisation tout autant incontournable que providentielle, qui ne laisserait pour seul alternative que l’aventure solitaire du repli sur soi ou la promesse d’un monde meilleur jour après jour repoussé dans un futur hypothétique.

De plus en plus de personnalités crient au scandale d’un mensonge entériné autant par les médias que par les hommes politiques, qui ne peuvent plus cacher que cette politique d’impuissance des états relève en réalité d’un choix qu’ils ont fait de protéger les spéculateurs plutôt que les nations.

De plus en plus de citoyens découvrent, horrifiés, l’absurdité de cette théorie selon laquelle le néolibéralisme serait l’horizon indépassable de notre pensée.

Précarité, misère, il y aurait nous dit-on encore, comme une fatalité des politiques qu’il faut conduire, de sacrifice, nécessairement, et contre lesquelles il serait fou de s’opposer tout comme il serait fou de vouloir légiférer dans son petit coin de planète l’utopie d’un marché plus équitable… Mais au final, ce que l’on a voulu nous faire avaler, c’est l’idée selon laquelle il est plus sage de suspendre la démocratie quand la pression des marchés est aussi forte –car il serait fou de vouloir confier aux peuples européens le choix politique de leur avenir... 

Jacques Généreux, économiste, professeur à Sciences Po, ne passe ni pour un illuminé, ni pour un extrémiste. Il est du nombre de ceux que ces mensonges exaspèrent, donnant de la voix dans son salutaire essai pour dénoncer les supercheries et le scandale d’une pensée qui prend l’eau de toute part, mais ne renonce pas, même travestie aux couleurs socialistes.

La mondialisation ?, nous dit-il, un mythe ! Commode pour les libéraux, dérangeant pour les socialistes, puisqu’il a fondé le retournement de leur pensée politique.

L’intégration à l’Union Européenne ? Un piège désormais. Et là encore, un embarras pour les socialistes qui voulaient y voir le moyen de restaurer la démocratie mise à mal dans les états souverains. Un piège qui se referme sur les peuples européens. Leur tombeau. Voyez la Grèce, voyez l’Espagne. L’UE est devenue l’instrument de soumission des peuples européens aux lois des marchés financiers. Et face à leur diktat, l’UE n’a rien trouvé de mieux à faire que de confisquer la conduite des politiques nationales… Quelle infamie, quand on y songe !

Ce court mais pertinent essai s’affirme aussi comme un avant-programme de tout projet de transformation sociale. Il ne suffit pas de s’indigner : des solutions sont possibles. A prendre de toute urgence même, si l’on veut réellement s’en sortir. Et notre économiste de lister clairement les mesures prioritaires qui rendront possible une nouvelle voie de développement économique.

Parmi celles-ci, des mesures morales presque, pourrait-on dire, comme celle de refuser l’idée selon laquelle nos gouvernements sont impuissants à changer quoi que ce soit. Pour mémoire, dans les années 1980, ce sont ces mêmes gouvernements qui ont fait voter les lois et autres accords européens qui nous livraient aux marchés financiers. Toutes les règles mises en place depuis les années 1980, l’ont été parce qu’elles étaient l’expression d’un choix politique duquel il découle que la mondialisation n’aura pas été autre chose que la privatisation de la Puissance Publique au service des oligarchies financières. Dans cette exacte continuité idéologique : les prétendus plans de sauvetage, qui n’ont fait qu’aggraver la situation, liant les peuples à des états stipendiés.

Alors qu’on ne nous pose plus la question de savoir s’il est possible de gouverner face au marché. La réponse est oui. Oui, on peut stopper la course folle du néolibéralisme sauvage qui entraîne l’économie mondiale dans une spirale destructrice. Oui, on peut reprendre le contrôle. C’est même très simple : il n’y a rien d’autre à faire que d’appliquer les lois déjà en place. Comme en matière d’évasion fiscale par exemple, où derrière l’écran de fumée des listes grises, noires, tout le monde sait qu’aux plus hauts sommets des états européens, personne n’a jamais voulu appliquer les règles pourtant votées. Aucun tribunal, en France moins que partout ailleurs, n’a jamais eu le droit d’instruire la moindre enquête sur le sujet.

Les mesure sont simples, de l’instauration d’une vraie banque centrale européenne à l’annulation pure et simple de cette partie des dettes souveraines qui a été créée artificiellement du fait du défaut de cette banque, de l’obligation des états à emprunter sur le marché privé aux taux dudit marché, et de l’existence d’instruments financiers de spéculation sur les Dettes souveraines, qui ont transformé l’Europe en vulgaire pompe à fric. Les solutions sont simples, encore faut-il en avoir la volonté politique, plutôt que de nous distraire avec des négociations internationales qui campent sur la confiscation des souverainetés populaires.

 

Nous, on peut ! : Manuel anticrise à l'usage du citoyen, Jacques Généreux, Points, septembre 2012, édition revue et corrigée, 205 pages, 6 euros, ean : 978-2757829790 .

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