REFONDER LE DISCOURS POLITIQUE (l’univers du sens)
Dans son essai sur le politique (Le Meurtre du pasteur, critique de la vision politique du monde), Benny Lévy pointait les mensonges constitutifs du discours politique, tentant entre autre de nous faire croire que dans l’espace public qu’il traçait, il n’existait pas de différence entre la circonférence (où l’immense majorité des citoyens se tient), et le centre (le stricte périmètre du pouvoir étatique). Un mensonge proféré au nom du Bien Commun, nous convaincant qu’il faut à tout prix réduire la "masse" au centre, réduire le tout des diversités importunes à l’universel abstrait. Une opération modélisée à la faveur de la raison, la réduction du multiple à l’un se faisant d’autant mieux accepter que la science en schématisait le recours, nécessaire, logique, primordial, constituant ainsi le discours politique en mathématique du pathétique. Ce pathétique qui, peut-être, constitue justement la force négative qui traverse souterrainement le bien-fondé du discours politique. Une force négative qui n’enseigne rien, mais contraint et nous commande de céder aux injonctions les plus ahurissantes de la nécessité politique.
A concevoir la cité comme dialogue, nous avons ainsi oublié que ce dialogue était biaisé. A trop cherché à le soustraire aux "mauvais débats", au mauvais accord, aux mauvais contradicteurs, nous avons gommé l’essentiel de ce qui forme notre vie, la conditionne, l’anime.
Seule demeurait une échappatoire, depuis Socrate et Platon du reste, répétée de siècle en siècle avec la plus parfaite mauvaise foi : celle du Mythe, réinscrivant cette parole politique si succincte dans son propre horizon, comme pour assurer la présence de l’Origine dans la parole moderne.
Il faudrait aujourd’hui convoquer de nouveau cette parole, ses soubassements philosophiques du moins, changer de conception : celle-là ne nous vaudra plus rien de bon… Pour affirmer que dans le défi d’exister, c’est d’être présent à soi-même qui importe. Non pas délégué. Non plus que dans une présence qui serait antérieure à soi-même, et comme inscrite déjà par avance en nous et qu’il faudrait éveiller, au sens où un Platon le concevait, dressant devant chaque un la nécessité de prendre langue, ou des leçons, d’un éveilleur soigneusement situé dans une position d’extériorité à soi. Le philosophe pour Platon. Chargé de tirer l’immense majorité de ses semblables du sommeil qui les écourte. Mais nous n’avons pas besoin d’un Maître pour nous éveiller.
Nous avons commencé de nous révolter et d’affirmer que le dialogue politique n’était pas un dialogue, qu’il était essentiellement démoniaque, au sens cette fois où les grecs l’entendaient -mais pourquoi pas, au sens quelconque du terme aussi bien : un dialogue qui cherche l’embarras, qui cherche à embarrasser la raison, qui cherche à nuire et ne produire aucune clarté intellectuelle, existentielle, mais au contraire, qui cherche à produire de l’embarras, à couper son interlocuteur de cette nécessité d’exister que j’évoquais plus haut : l’empêcher d’être présent à soi-même.
Nous avons commencé d’affirmer que le discours politique est la mort même, la mort dans l’âme, la mort de l’âme… Et que son arrête rationnelle n’est qu’un déversoir : aucune nécessité logique ne peut relayer la nécessité de vivre.
Depuis Platon, nous avons célébré les noces du politique et du philosophique. Mais aujourd’hui nous avons commencé de brouiller ces deux là, pour contraindre par exemple la philosophie à obliger le politique à redescendre "auprès des prisonniers". Pour contraindre le monarque à assumer sa vraie grandeur : pour être roi, il faut haïr le pouvoir. Cela seul est la noblesse de l’homme du service de l’Etat.
Nous avons commencé de lui rappeler, à ce monarque d’un autre âge, que gouverner, ce n’était pas viser le trouble Bien Commun si souvent défini frauduleusement à force de manipulations de toutes sortes, mais l’approcher au plus près du souci de justice de l’enfant.
La politique n’est pas une science : c’est une sagesse. Au sens métaphysique du terme. Une sagesse au cœur de laquelle le logos n’a aucune autorité (il en a si peu déjà sur ses propres apories)…
Nous avons commencé de raccrocher le politique à une définition métaphysique : retrouver le souci de justice de l’enfant. Car nous savons qu’aucune politique ne peut se fonder sur le meurtre de ce souci. Sur le meurtre de l’enfant.
Car nous savons que le vrai problème de la politique, c’est la tyrannie. C’est l’Homme de Pouvoir, distant, enfermé dans ses prétendues hauteurs. Parce que nous savons que la politique doit venir s’asseoir auprès de chacun, à tout instant. Etre sensible à chaque "un". Il nous faut rompre à présent avec la duplicité de la philosophie politique telle que nous l’avons héritée de Hobbes, où l’unité se fait sous le couvert de l’illusion et de la nécessité.
N’y croyons plus ! bannissons cet intégrisme de nos vies politiques ! Car le scandale de cet intégrisme, c’est qu’il nous assujettit à un discours de domination. –joël jégouzo--.
Benny Lévy, Le Meurtre du pasteur, critique de la vision politique du monde, Le livre de Poche, Collection : Biblio Essais, 25 août 2004, 318 pages, ISBN-13: 978-225313090.