LE CHANGEMENT, AVANT QUE DES ARMEES OBTUSES S’AFFRONTENT DANS LA NUIT
Mais le changement jusqu'au bout !
Une centaine de jours nous séparent de l’élection présidentielle. Nous serions même à une centaine de jours de pouvoir initier un "vrai changement", ainsi qu’y invitait hier François Hollande dans son adresse aux français, publiée dans Libé. On aimerait le croire. On devrait le croire même, lui plus que tout autre au fond, en ce sens que sa candidature à lui porte pragmatiquement la possibilité d’en finir avec Sarkozy. Tout comme on croit volontiers avec lui que ce scrutin interviendra, comme il l’écrit encore, "dans un contexte que rarement notre pays aura connu depuis le début de la Ve République", recouvrant un enjeu tel qu’il est peut-être celui de la dernière chance, avant que le pays ne bascule dans l'horreur d'un dernier virage, à l’extrême de la Droite cette fois, tant la rupture civique est grande aujourd’hui et lourde de cette menace atterrante.
François Hollande a donc raison d’écrire que "Pour la première fois depuis longtemps dans notre histoire nationale, ce choix dépassera, et de loin, les seules questions politiques et partisanes". Il a raison d’y voir une date clef de notre histoire contemporaine. Il a raison d’affirmer que "ce qui est en jeu dans cette élection et dans le choix que feront les Français, c’est plus que la seule élection d’un président, plus que la désignation d’une majorité, plus que l’orientation d’une politique". Mais il n’est pas certain que cet enjeu soit celui qu’il désigne : "l’indispensable redressement de la Nation". Ou bien alors oui, à condition de soutenir que ce redressement ne pourra s’arrêter aux frontières de l’économie, voire du social ou de la politique politicienne. Car il exige bien plus encore, revêtant un enjeu civique et politique. Un enjeu que traduit le scepticisme bien naturel qui mine aujourd’hui la démocratie française, si mal nommée. Non pas tant que nous ne puissions plus "vivre ensemble", ainsi qu’une certaine Droite voudrait nous le faire croire, montant les français les uns contre les autres selon une vindicte raciste, mais parce que cette démocratie là n’a de démocratique que le nom, vidé de sa substance politique élection après élection.
Et là, on aimerait bien croire, avec lui, "que la gauche et la droite, ce n’est pas la même chose". Mais nous avons trop à l’esprit cette Gauche qui nous a précipité dans les bras de cette Droite autoritaire et folle… Pour le dire autrement, nous avions tant besoin d’une vraie opposition de Gauche au néo-libéralisme que son défaut nous a diminués. Enormément.
C’est là que le bât blesse. Car cette gauche qui s’apprête à revenir au pouvoir n’a pas su trouver encore les narrations politiques capables de nous décrire ce monde du refus qui a fini par se dessiner hors de son champ d’influence. Des narrations qui n’ont cessé de poser la question du pouvoir comme la plus urgente à poser : il faut redéfinir la démocratie française et les contours de sa République.
Mais le sujet est éludé. Il y a tant à faire de plus urgent. Voire… D’autant qu’il est peut-être évité uniquement parce que nos candidats n’ont, pour l’un (Sarkozy) pas envie de remettre en cause l’opportunité constitutionnelle qui lui a permis de gouverner la France aussi autoritairement et de façon si partisane, et pour l’autre (Hollande), parce que son camp peine à penser la question, ne disposant plus des moyens adéquats pour décrire la société dans laquelle nous vivons.
Comment la décrire au demeurant ? Avec quels outils théoriques ?
Le problème serait-il par exemple toujours celui d’une régulation des rapports entre France d’en haut et France d’en bas ? A les entendre, on le croirait…
Mais depuis 1789, l’Etat n’est plus identique à la société. En clair, cela veut dire qu’il ne la représente pas. Ce que semble ignorer François Hollande, ce que veut nous faire ignorer Nicolas Sarkozy. Et parce que l’Etat n’est plus identique à la société, tout le problème aura été celui de la limitation de son pouvoir. Or c’était en divisant ce pouvoir entre gouvernement et opposition qu’on avait fini par trouver une possible réponse.
La vérité d’un état démocratique réside là : dans la nécessité d’un sommet contingent, labile.
Cette déstabilisation fondatrice de la puissance suprême est même constitutive de l’essence du caractère démocratique de nos sociétés, qui inclut dans le pouvoir politique la particularité de valeurs nécessairement opposées.
De sorte que ce qui est fondamental, en politique, c’est la fonction d’opposition.
Or si l’on considère le passé politique récent d’un pays comme la France, force est de constater que cette fonction n’a pas été assumée par la Gauche socialiste. A peine cela fait-il surface de nouveau aujourd’hui, mais dans le contexte d’une lutte électorale, frappée au sceau de la politique politicienne…
Mais que l’on ne se méprenne pas : cette fonction d’opposition est si indispensable qu’aucune société démocratique ne peut en faire l’économie. Ainsi en France où, longtemps, l’électorat dut la récupérer, errant d’une Droite l’autre Gauche, contraignant les uns et les autres à cohabiter –jusqu’au moment où le calendrier électoral vint vider la démocratie de sa substance. Mais si ce n’est l’électorat (l’abstention en est un signe, sinon un usage politique), l’opinion sait prendre le relais, ou la rue, tôt ou tard…
Si bien que la question est simple aujourd’hui : cette Gauche que Hollande veut ramener au pouvoir, saura-t-elle y accéder en s’opposant réellement à ce qui a été défait par Sarkozy ? Comment y croire, quand la social-démocratie de la Gauche de pouvoir, celle d’un DSK par exemple, n’aura été qu’un libéralisme en trompe-l’œil ? Que faire aussi de cette Gauche qui avait cru que la classe moyenne avait définitivement triomphé non pas de la misère, mais des pauvres ? Et qui déjà rêvait de conduire une politique soustraite du fardeau des indigents… Que faire de cette Gauche dont l’idéal s’est mesuré à l’aune de la poussée de la précarité en France et de son acceptation : la dissolution du peuple de gauche. Dissolution aidée, accentuée par les médias, lesquels, pareillement, n’ont plus voulu assumer leur fonction d’opposition pour goûter à leur tour aux ors du pouvoir...
Faut-il alors ne pas s’en poser la question au prétexte de risquer de faire perdre Hollande ? Mais suffit-il de changer les rôles pour changer de société, quand échanger les rôles, fussent-ils présidentiels, ne sera pas changer la société…
La grammaire du changement que François Hollande s’emploie à écrire aujourd’hui ne me convainc pas encore…
Certes, il y a bien dans sa lettre de quoi retrouver quelque chose comme l’envie d’agir. Mais quid de la Volonté du Peuple, quand les démocraties modernes prétendent que cette volonté n’a le droit de s’exprimer qu’à la faveur des opportunités politiciennes ? Car c’est de cela qu’il s’agit aussi dans le suffrage universel pointé comme seule expression politique acceptable de cette volonté. Quand, par parenthèse, l’histoire a démontré passablement que le suffrage universel ne cherchait jamais à établir une identité entre la volonté des gouvernements et la volonté des gouvernés…
Comment donc cette forme exclusivement électoraliste de notre liberté politique ouvrerait-elle au vrai changement ? Surtout quand l’Etat français est aujourd’hui un système qui ne respecte plus ses propres principes, nous livrant jour après jour aux décisions les plus iniques. A-t-il assez compris, le candidat Hollande, que de cet Etat nous ne voulions plus ?…Car il n’est qu’une Dictature moderne, subordonnant le politique à la politique, et dont l’autoritarisme est paré d’une façade démocratique symbolique.
Prenez l’équilibre des forces institutionnelles sous la Vème République : la séparation des pouvoirs semblent, sur le papier, garantie. Mais dans les faits, accentués par le calendrier électoral, l’Assemblée Nationale est vidée de sa substance, au point que le Parlement français apparaît comme l’un des Parlements les plus faibles du monde, à l’égal des républiques bananières, et qu’il rappelle fortement la chambre d’écho qu’il fut sous le Premier Empire.
La France est une dictature moderne, en ce sens que ce qui la fonde est un régime d’allégeance plutôt que de consensus politique.
Devons-nous alors croire qu’en changeant d’allégeance nous pourrions changer la société dans laquelle nous vivons ?
Pas le moins du monde. Il nous faudra, avant, interroger les techniques du pouvoir et du gouvernement qui régissent l’Etat français pour nous convaincre qu’un changement est possible. Là gît la vérité de l’action politique : dans l’acte de gestion politique se consument tous les principes d’égalité, de liberté et de fraternité. Contre le triomphe du gouvernement sur la société civile il faudra démontrer, dans les faits, que toute économie est avant tout une construction sociale. Dans les faits, c’est-à-dire tout d’abord dans les pratiques gouvernementales que l’on mettra en place. L’enjeu sera donc aussi celui du fonctionnement du dispositif gouvernemental, que la visée pastorale de l’égalité ne recouvre pas et sur lequel, au fond, on entend peu nos candidats. Rien d’étonnant de la part d’un Sarkozy. Mais de la part de François Hollande, on peut attendre autre chose. Certes, la tâche est énorme. Hors norme. Mais ce n’est pas d’un candidat hors norme dont nous avons besoin : c’est d’une volonté publique qui sache s’affranchir de l’appareil d’Etat pour que ses décisions soient prises au terme d’un processus réellement démocratique. Car dans son essence, l’appareil d’Etat répond à une logique non démocratique, passant pour pertes et profits la question du fondement des choix publiques. De sorte qu’en vérité, la justification étatique ne coïncide que très rarement avec la justification publique. L’Etat français n’est ainsi pas la solution aux difficultés que nous traversons, il est un élément du problème. François Hollande aurait tort de négliger cet aspect de la Chose Publique : la liberté et l’égalité de tous établit en réalité une hiérarchie qui impose des limites au gouvernement démocratique. De même que le parlementarisme ne mène pas à la vérité mais à la nécessité du dialogue. Là réside la légitimité de l’Etat, et non ailleurs, encore moins dans l’idée que la Raison d’Etat pourrait se hausser au dessus de l’Histoire que nous sommes.
Sarkozy appelait de ses vœux une société fermée. Que François Hollande en appelle alors vraiment, dès sa campagne, à une société ouverte à ce qui fait aujourd'hui sens dans son Histoire plutôt qu'à tout ce qui la replierait sur un passé fantasmatique. Une société au sein de la quelle nous pourrions pleinement affirmer chacun notre humanité dans ce qu'elle a de singulier, d'unique, de différent, afin que l’Histoire redevienne enfin cette dimension du sens que nous devons être collectivement et dont aucune histoire humaine ne saurait faire l’économie. Ce n’est qu’à travailler à ce sens que l’on peut convoquer les citoyens aux urnes. --joël jégouzo--.