« J’ai été Macbeth »…
Un tel aveu laisse pantois. Imaginez son équivalent français : "J'ai été Président"...
«J’ai été Macbeth – je le sais, j’ai été Macbeth»…
Son métier consistait à frapper de stupeur.
Maître des événements, de la parole, en charge du pouvoir de vie et de mort, à décider de la misère comme des souffrances.
La solitude du monologue de cet homme qui se souvient d'avoir été Macbeth semble attester d’un vrai pouvoir perdu, se révélant dans ce à quoi tout monologue engage : l’immense fragilité à ne pouvoir établir son être dans un dialogue.
De sorte que la certitude et la méfiance se combinent ici pour ne produire dans le périmètre d’un tel discours qu’un décor.
Mais quand bien même, serait-il aussi déroutant pour le roi que pour l’acteur, de régner sur un décor ?
Tyran ou comédien, qui le dira, de ce qu’au théâtre la mort même, pour se rendre crédible, doive charrier quelque chose du vivant ?
Tout y est dans ce superbe texte de Pierre Senges, de la jouissance du pouvoir à la fébrilité de sa conquête, tout comme du goût de l’emphase dès lors qu’il est tombé entre vos mains, ce pouvoir. Tout y est jusqu’au doute de posséder quoi que ce soit, d’injonction en injonction, le «de cela je suis sûr» ouvrant à l’éparpillement des convictions. La solitude du pouvoir ? Une farce, qui se noue très vite à cette unique certitude : l’inanité de l’expression «la comédie du pouvoir».
Il y a dans Macbeth quelque chose du tyran et il n’y a rien de ce qui fonde à nos yeux le tyran : dans la pièce de Shakespeare, il n’est plus qu’une image. Mais le rôle titre doit y demeurer tyrannique. (Macbeth, au théâtre, est-ce un personnage qui doit tyranniser l’espace de la représentation ?)
Etre Macbeth, pour un tyran, c’est savoir qu’on appartient à un passé qui n’intéresse plus.
Etre Macbeth pour un comédien, c’est s’en souvenir comme d’un «mélange de cabale politique et de maison hantée», «accumuler un savoir des interprétations du rôle, des représentations, voire se souvenir des tyrans». Mais dans quel but ? Est-il possible d’en tirer une leçon qui ne serait pas qu’à l’usage des salles de spectacle ? Proférer les mots de l’autorité avec les mots du comédien, qu’est-ce que cela peut bien vouloir signifier ?
Au fond, qu’est-ce qui est indécidable ? La réalité ou son double ?
Cependant qu’il ne faut jamais oublier que comparer le monde à un théâtre ne profite qu’au tyran. L’idée de la comédie du pouvoir ne sert que le pouvoir, car comme l’écrit Pierre Senges, «pour ne pas céder le pouvoir à des maîtres de ballet, il faut renoncer à envisager l’univers comme une fantaisie».
A l’ignorer, on méconnaît que le tyran, lui, ne comprend pas la comédie : s'il possède la malice, il ne possède pas l’intelligence publique.
Le vrai Macbeth, s'il avait existé, n'aurait été qu'un imposteur entretenant l’idée de la validité de l’expression «la comédie du pouvoir» pour excuser sa politique, laquelle n'aurait engendré que la mesquinerie et sa magnificence, pour abjurer l'idée que la fidélité est l'ennemi de l'homme politique. De sorte que l’on ne peut lui reprocher, au fond, que de savoir si mal jouer la comédie, tout en ne doutant de rien. Toute honte bue, le tyran fait un spectacle de son cabotinage – ouvrant à son seul lustre : une tyrannie sans royauté.
Ruminant une sorte de dramaturgie de Macbeth, Pierre Senges nous invite à nous interroger : quels indices ramasser pour différencier le tyran du pitre ? L’impudence, l’orgueil, l’aplomb d’une pseudo autorité. Et sur l’espace de la représentation, nous interpelle avec force : l’art théâtral sert-il la justice, ou n’est-il qu’une consolation, qu'un cérémonial qui ne servirait qu’à «entretenir des rituels de révolte de peur de les oublier un jour» ?…
Sort l’assassin, entre le spectre, de Pierre Senges, éditions Verticales, août 2006, 96p., 10,5 euros, isbn : 2070781127
Le BIP 40 est le baromètre des inégalités et de la pauvreté. Vous n'en entendrez jamais parler : l'INSEE n'a pas voulu le retenir, et les éditocrates préfèrent le taire. Et pour cause : Précarité, pauvreté, inégalités : le baromètre explose depuis que Sarkozy est au pouvoir. L’indicateur, élaboré par le Réseau d’alerte sur les inégalités indique des hausses sans commune mesure avec la montée en puissance conjoncturelle de la fameuse crise alibi de la Droite. Avec Sarkozy, nous sommes entrés dans une spirale morbide d’accroissement des inégalités et de la pauvreté. Et bien évidemment, alors que les chiffres du Dow Jones et du Cac 40 sont relayés partout dans les médias, ceux du BIP 40 sont tus. Sans doute parce qu'à trop fréquenter ces chiffres là, on finit vite par se rendre compte que les politiques mises en place par l'actuel président convergent toutes vers la paupérisation du Peuple français et sa précarisation forcenée.
Mais ne croyez rien, ni personne, donnez-vous simplement la peine d'en suivre l'évolution sur le site du BIP 40. Vous y apprendrez accessoirement beaucoup sur les promesses en l'air et les maraudes financières de nos chers dirigeants. Vous y apprendrez à démonter les discours fallacieux concernant le chômage et la formation par exemple, qui ne profite, chiffres à l'appui, qu'aux plus formés... Non que les ouvriers n'en veulent pas, bien au contraire... Car là encore, là toujours, un vrai parcours du combattant est imposé aux classes défavorisées, moins de 20% des ouvriers et employés y parvenant, quand la moitié des cadres se forment sans difficulté...
Vous y apprendrez aussi que la France connaît une explosion de demandes d'aides, et que près de 40% de ces demandes sont tournées vers les besoins alimentaires. Que près de 20% de ces demandes concernent en outre des populations salariées. Que les pourvoyeurs de repas gratuits sont débordés. Que la Fédération Française des banques alimentaires, qui ravitaille plus de 5 000 associations, enregistre une hausse sans précédent de la quantité des produits à livrer. Que dans les 250 vestiaires de la Croix-Rouge, le nombre d’acheteurs est en hausse faramineuse. Que la plate-forme téléphonique lancée par la Fondation Abbé Pierre reçoit désormais un nombre ahurissant de demandes de secours d’urgence. Que le nombre de dossiers pour surendettement en France ne cesse de bondir d'année en année...
Vous y apprendrez encore que Sarkozy parle beaucoup des fraudeurs au chômage -qui ne représentent statistiquement rien-, et tonne volontiers contre les patrons voyous qu'il faudrait ramener dans le droit chemin, mais qu'il ne dit jamais que l'Etat français, contre ses propres règles de Droit, refuse l’accès des prestations sociales aux étrangers qui y ont droit.
Vous y apprendrez aussi que le RSA est inefficace contre la pauvreté (ça, on s'en doutait), mais que surtout, il ne fait qu'enfermer dans la spirale des "petits boulots" ceux qui sont pris à son piège.
Et vous découvrirez enfin les vrais chiffres du chômage, ces millions dont on ne parle jamais, écartés de la comptabilité publique sans vergogne.
Mais ne croyez rien, ni personne, vérifiez, c'est à 1 clic : http://www.bip40.org/
D'aucuns prétendent que c'est possible, en réfléchissant à une transition écologique et sociale de notre économie. Mais à quel prix ? Quand en catimini Nicolas Sarkozy vient d'accepter et de valider la proposition allemande de jeter sur le marché de nouveaux outils de spéculation financière sur les dettes souveraines qui vont de nouveau malmener (un euphémisme) nos sociétés ? Mais à quel prix, tant l’époque que nous venons de vivre aura été longue, désespérante, douloureuse ? Celui déjà de reprendre ce combat, c’est-à-dire le reformuler, ce qui ne sera pas aisé, en ne laissant aucune hypothèque derrière nous, comme celle de la Constitution de la Vème République par exemple, qui aura permis une telle dérive dans l’exercice du pouvoir. Qui aura permis la formulation d’un exercice inconditionnel de ce pouvoir. Qui aura permis cette dérive thénardière qui nous inviterait presque à penser que si le pouvoir doit par nature toujours rester en position d‘excès, alors la seule question qui vaille est celle de savoir au service de quel excès le mettre ! Celui de la Dictature de la Finance, ou celui de la Dictature du prolétariat ? Et parce que cette expression nous paraît sidérante, alors, oui, il est grand temps de refuser ce pouvoir sidérant de la Finance sur nos vies et grand temps de nous contraindre à reformuler entièrement la question du Pouvoir dans les pseudos démocraties occidentales.
Il est grand temps par exemple de réaliser que le quinquennat qui s’achève aura tout fait pour faire voler en éclat la sphère du citoyen, et nous faire oublier que le citoyen vivait dans le champ politique de l’engagement public pour le Bien Commun, à l’inverse du bourgeois ou du bobo, qui ne sont que des usuriers du droit commun.
Il est grand temps de réaliser que les déplacements post-modernes du combat anti-capitaliste vers le culturel (cultural studies), ou vers l’altermondialisme, qui avait presque fini par nous faire croire que le terme de "capitalisme" n’avait plus aucun sens, nous ont embarqué dans des illusions. Même s’il nous faut récupérer ces deux héritages, tout comme il est nécessaire de camper de nouveau sur l’impensé colonial, devenu si contre-productif aujourd’hui. Un impensé qui nous a conduit tout droit à cette mise en scène publique ridicule, sinon abjecte, du faux problème de l’immigration. Tout comme il n’est pas moins temps de nous tourner vers les Trauma studies pour mieux comprendre l'épouvante qui est la nôtre dans le monde qu’on nous a fait.
L’ironie suprême aura été finalement de voir comment les sensibilités issues de l’ex-gauche française ont nomadisé les luttes et les résistances. Alors sans doute est-il temps de tenter d’en faire la synthèse. De renoncer au nihilisme politique. Car comment ne pas voir qu’un souffle nouveau a bel et bien traversé cette campagne ?
Comment ne pas voir que des forces nouvelles, et non simplement rénovées, ont fini par réaliser que le néo-libéralisme contemporain, dans sa faillite, nous a ouvert malgré lui de formidables perspectives politiques et intellectuelles ? A commencer par la nécessité de repenser de fond en comble la question du pouvoir, de son asymétrie structurelle, qui a fait que sa violence a fini par transcender sa légitimité. Qui a fait que désormais, il n’est pas possible de cacher qu’un excès totalitaire est associé au pourvoir souverain dans les démocraties occidentales.
"Le fascisme n'est pas si improbable, il est même, je crois, plus près de nous que le totalitarisme communiste" (Georges Pompidou, Le Nœud gordien, Plon, 1974, p. 205). La crainte avait étonné. Le deuxième président de la Ve République ne songeait peut-être pas exactement à la recomposition de cette nouvelle Droite fondamentaliste que nous connaissons désormais, post-fasciste, mais toujours raciste. Il pressentait néanmoins que le danger n'était pas là où ses amis avaient coutume de l'attendre. Même si, bien évidemment, il ne lui serait pas venu à l’esprit que ce danger pouvait venir des rangs mêmes des courants politiques issus du Gaullisme. Et moins encore qu’au tournant du XXIème siècle, la problématique politique contemporaine serait celle de la réduction de l’espace démocratique. Un espace au sein duquel la moralité qui a fini par s’affirmer est celle du chacun pour soi, ouvrant à une conception instrumentale du lien social. L’opportunisme politicien du candidat sortant, un président sans convictions qui aura gouverné à vue, sinon à cru, aura au final induit tout l’inverse de ce que son discours proposait, à savoir : la montée en puissance du particularisme identitaire. Amoral, apolitique et incivique, le candidat sortant n’aura jamais affirmé aucun autre critère de justification que celui de ses préférences subjectives, transformant sa différence en pure volonté de puissance, au mépris des dangers que cela impliquait : xénophobie, haine de l’autre, rancœur sociale. L’État minimal, égoïste et calculateur, qu’il a fini par imposer, n’est le résultat que de ce manque de convictions qui ne s’appuyait sur aucune validation publique, sinon la vindicte d’une opinion fabriquée à grands coups de sondages. Et loin que de favoriser l’émergence de citoyens raisonnables, capables de distinguer l’intérêt public de leurs intérêts particuliers, il n’aura contribué qu’à balkaniser la société française, éloignant par calcul toujours plus de citoyens de leurs responsabilités morales, sociales et politiques. Détaché de l’Etat, mais attaché à une cause (l’identité nationale), intronisant cette cause comme supérieure à la légalité étatique, il n’aura cessé de valoriser la sphère des égoïsmes, laissant voler en éclat la sphère publique et le consensus démocratique. Face à ces agressions sans précédent, il est urgent de rétablir la puissance politique dans son fondement premier : l’espace public de délibération, seule instance capable de réintroduire de la civilité dans ce contexte d’implosion sociale. C’est d’autant plus urgent que le lien social est miné : les populations françaises existent désormais, montées les unes contre les autres. Le renoncement de l’Etat à la norme de l’universalité nous a jeté dans l’ordre du contingent et de l’irrationnel, interdisant tout recours à une éthique de la citoyenneté –qu’est-elle devenue sinon une éthique de l’exclusion ? Nous devons donc mettre en œuvre dès aujourd’hui une politique de résistance, qui ne peut trouver à se fonder que sur la formation d’identités hybrides, seules susceptibles de réintroduire en France quelque chose comme une éthique du respect de l’autre, à défaut de quoi cet autre ne pourra nous apparaître que sous la figure de l’étranger, sinon l’ennemi, intérieur en outre, dans la mesure où toute la communication gouvernementale n’a cessé de jouer sur l’idée d’un clivage qui passerait à l’intérieur même de cette citoyenneté française devenue de fait suspecte.
Les économistes atterrés publient leurs propositions pour 2012. Atterrés mais pas résignés, ils explorent les alternatives possibles et en font la magistrale démonstration contre les experts aveugles de l’économie néo-libérale, imbus de leurs erreurs, et qui n’ont cessé de nous conduire dans le mur.
Sur les deux points cruciaux de la Dette et de la croissance économique, ils apportent à court et long terme des solutions des plus pertinentes, provoquant à tout le moins au débat qu’on nous vole.
A propos de la Dette, les économistes atterrés (2000 membres tout de même aujourd’hui), proclament avec force ses origines : le problème aujourd’hui en Europe n’est pas celui de la Dette Publique, mais bien de la Dette Privée. Il faut absolument dénoncer tout d’abord le transfert des dettes bancaires vers les comptes publics, et retirer aux marchés financiers la clé du financement des Etats. Car jusque là, les Etats européens ne pouvaient se financer que sur les marchés financiers ! Or les taux d’intérêt ahurissants pratiqués par ces acteurs privés de l’économie privée ont tout simplement étranglés les finances publiques des Etats en question. L’urgence est bien de rompre avec cette logique idéologique d’une Banque centrale inféodée aux intérêts privés : ces banques qui n’ont cessé de spéculer contre ces mêmes états européens !
Quant à la croissance telle qu’elle se conçoit aujourd’hui dans nos démocraties libérales, l’ouvrage en dévoile l’impasse : il faut en finir avec son dogme imbécile et profiter de cette crise non pas pour entamer une procédure de décroissance, mais au contraire, d’opérer au véritable rebond de cette croissance en assurant sa transition vers des activités économiques et industrielles capables d’assurer notre évolution vers un développement conçu en termes écologique et social. Il faut opérer à cette transition écologique et sociale, seule capable de relancer l’activité économique et d’ouvrir de formidables gisements d’emplois. Face aux néo-libéraux incapables gérer l’évolution économique des pays dont ils ont la charge, il n’est en outre que temps d’engager un vrai débat démocratique sur ces questions. Les politiques d’austérité qui s’annoncent ne règleront rien, bien au contraire. Tout le monde le sait au demeurant et dans ce jeu de dupes, il semble que la seule question soit celle de savoir combien de temps encore les riches pourront en toute insolence profiter d’un système taillé à la mesure de leur cynisme.
Changer d’économie ! Nos propositions pour 2012, Les économistes atterrés, éd. les liens qui libèrent, janvier 2012, 244 pages, 18,50 euros, ean : 9782918597445.
Nicolas Sarkozy n’aime pas le vin. Il lui préfère le Coca ligth. Il n’aime pas le fromage non plus. Ça pue. Il lui préfère les bonbons. Son dégoût du bon goût est sans borne. Sans complexe. Sa grammaire ? Approximative. Celle d’un parvenu sans gêne. Qui aime l’argent. La hausse du pouvoir d’achat était son cri de ralliement. Le pouvoir d’achat a dégringolé comme jamais sous son quinquennat. Et alors ? Les français ont parié sur lui en 2007. Ils ont perdu. L’outrance, l’exhibitionnisme, le mensonge auront été sa marque de fabrique présidentielle. Sans parler de l’arrogance, de la vulgarité, de la violence. Un vrai numéro de cirque à lui tout seul. N’était qu’il a ruiné la France : quand il est arrivé au pouvoir, l’économie française était en plein essor. N’était qu’il l’a divisée.
Sarko aspirait à la grandeur, affirme Philip Gourevitch, observateur étranger du barnum politico-médiatique français. Il y aspirait parce qu’il était petit, poursuit-il. Non par la taille : par la morale. Par la pensée. N’y accédant pas, il nous a servi ce mauvais soap opéra que Gourevitch décrit et commente par le menu, nous ouvrant grand les confidences des plus proches conseillers du boss. Un boss sans vergogne, impitoyable dans sa quête du pouvoir, autrocrate. La droite extrême ? C’est lui, n’en doutez pas. Un stratège hors norme dit-on, n’hésitant pas à user de la brutalité la plus féroce, de la mauvaise foi la plus extrême. Un impulsif. Un homme sans idéologie. Un homme sans convictions. Un homme décevant, juge-t-il. Qui n’aura jamais été qu’un bateleur de campagne, pas un président. Un chef qui ne savait pas gouverner. Mais qui voulait le pouvoir. Comme un gamin convoite le jouet du voisin. Sans trop savoir ce qu’il allait en faire au juste. Il voulait juste être adulé. Un homme dont on apprend que les guerres le rendaient euphorique. Qu’il en redemandait, l’œil rivé sur les sondages d’opinion –c’est bon pour moi coco ? Un homme qui aimait l’importance que la guerre lui donnait. Un homme de guéguerre donc, plus efficace comme candidat que comme président. Voilà ce que la droite s’est choisie. Elle méritait mieux.
L’ouvrage glisse ensuite volontiers sur une interprétation du phénomène Sarkozy qui en laissera plus d’un meurtri : Gourevitch voit dans la présidence Sarkozy le symptôme de la désillusion des français sur leur compte. La France était devenu un petit pays. Un petit président lui allait bien.
Avec au fil des pages l’humiliation qui monte, de voir égrenés les scandales qui ont ponctué cette présidence et qui n’ont jamais fait scandale… Comme si toute morale citoyenne avait définitivement déserté le périmètre républicain, l’immunité jusqu’au dégoût…
No Exit, de Philip Gourevitch, éd. Allia, traduit de l’anglais par Violaine Huisman, avril 2012, 94 apges, 3,10 euros, ean: 9782844855701.
"Vive la crise!" On se rappelle Laurent Joffrin accompagnant Yves Montang aux réjouissances de l’ex-deuxième droite (on l'espère vivement, François, qu'elle ressortisse au passé!) affublée de son nez rose (l’expression est de Jean-Pierre Garnier, 1986). On se rappelle Joffrin en pédagogue Simplicissimus, voulant réconcilier les français avec la Finance, invitant toute l’éditocratie issue de 68 à se mettre au service du Pouvoir Politique. Une histoire navrante, mais dont il ne faudrait pas oublier qu’elle est notre histoire commune, celle d’une déconvenue tragique, concomitante de l’invention du pouvoir politico-médiatique en France, concomitante de la construction d’une cléricature médiatique qui n’allait plus lâcher les jugulaires du pouvoir jusqu’à aujourd’hui et consacrer, réjouie, la fin du contre-pouvoir de la Presse. Libé en tête donc, avec July convertissant Libé en canard régimaire. De ce même July, Fontenelle nous rappelle l’édito du 22 février 84, titrant sans rire "Vive la crise!", invitant à renoncer au socialisme et se livrant à la surenchère des formules publicitaires pour tenter de convaincre ces idiots de français (décidément) que l’Etat-Providence, c’était has been… On se rappelle qu’il s’agissait déjà de nous faire avaler la pilule du marché, July nous encourageant non pas à changer la vie, mais à changer de vie. July toujours, claironnant dans son éditorial vertigineux qu’il fallait "faire des citoyens assistés des citoyens entrepreneurs"… On a bien lu : "assistés"… Non pas sous la plume de Sarko, mais de Serge July... "Assistés"… On a vu ce que cela a donné, trente ans plus tard… Reprenez l’article et dans la foulée, lisez celui de Joffrin lui emboîtant servilement le pas pour nous expliquer, toujours sans rire, que les socialistes de l’époque ne s’étaient pas brisés sur le mur de l’argent mais celui de la réalité : les lois du marché, auxquelles il fallait se soumettre… Joffrin raillant leur mot d’ordre, galvaudé à ses yeux, et assurant que si la vie était bien "ailleurs", c'était ailleurs que dans "le fort délabré de l’Etat-Providence", et qu’elle ne pouvait sourdre que dans l’initiative privée…
C’était l’époque bénie où toute l’élite politico-médiatique s’entendait à faire de la lutte des classes une lutte de pique-assiettes ! C’était l’époque où Libé pouvait tirer à boulet rouge contre la grève des postiers de Toulouse, qualifiés "d’égoïstes" ! C’était l’époque où pour Joffrin le salariat se vautrait dans l’hideux spectre de la revendication corporatiste… L’époque où ce même Joffrin, toute honte bue, n’hésitait pas à dire que le travail au noir était "utile" face aux trop grandes rigidités du Droit français du travail… Faut-il poursuivre cette lecture ad nauseam ? Trente ans plus tard, Sarko trouva à s’inscrire dans cette continuité, en digne héritier de Joffrin ! Avec cette différence que lui, Sarko, a su restaurer la lutte des classes, mais pour la mettre au service des plus riches, en une série d’agressions sociales sans précédent dans l’histoire de la République française. Une offensive d’une extrême brutalité, faisant sauter en quelques semaines, en 2007, tous les verrous qui empêchaient les inégalités de se creuser trop visiblement. Bouclier fiscal en tête. Affaiblissement du droit de grève en second front, avec pour solde l’indigence pour tous les retraités et l’on en passe, tant l’homme s’était mis en tête de finir pour de bon le travail de casse de l’Etat-Providence qu’un Joffrin appelait de tout son cœur…
C’est cela que nous rappelle Fontenelle : le sarkozysme de gouvernement est l’achèvement de trente années de renoncement. Trente années d’un pouvoir construit sans vergogne par la presse française, tous bords confondus. Trente années au cours desquels nos intellectuels se sont réjouis de voir la France enfin libérée de la tutelle de Marx. Trente années de glorification du syndrome Attali, expert en tout, compétent en rien, cynique et impudent, de droite comme de gauche, parangon d’opportunisme, voyez : il vient de se faire le partisan farouche de l’augmentation de la TVA et de la baisse des transferts sociaux ! Plus sarkozyste, tu meurs… Alors après la grande rupture avec le socialisme, qui fut largement à l’origine de nos défaites, de notre ruine et de notre anéantissement, avec quoi faut-il renoncer, aujourd’hui, pour qu’un vrai changement ait lieu ?
Vive la crise, Sébastien Fontenelle, édition du seuil, mars 2012, 184 pages, 14,50 euros, isbn : 9782021057713.
"Ou l’art de répéter dans les médias qu’il est urgent de réformer (enfin) ce pays de feignants et d’assistés qui vit (vraiment) au-dessus de ses moyens"…
"Vive la crise"… Dans son dernier essai, Sébastien Fontenelle n’y va pas avec le dos de la cuillère. La Crise ? Depuis les années 2000, la presse dominante n’a cessé de nous en rebattre les oreilles, martelant jour après jour le même message à la teneur si indigente, ne cessant de travailler, jour après jour, à "la fabrication du consentement", selon la très pertinente formule de Noam Chomsky. Une mise en condition sans précédent de l’opinion, pour une totale soumission au dogme libéral.
La révision générale des politiques publiques, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, la destruction de l’Administration française, de l’école française, des hôpitaux français, de la santé française, des transports français, de l’emploi français, de la Justice française, tout cela au nom de la crise, voilà qui fait beaucoup en effet, beaucoup a avaler et que nous n’aurions jamais avalé sans l’aide de médias stipendiés.
Certes, aucun doute sur le sujet, tout cela auquel ajouter les somptueux cadeaux fiscaux aux plus riches, cadeaux qui ont littéralement ruiné le pays, l’orientation éhontée de la dépense publique au service des mêmes plus riches, la confection de conditions de vie toujours plus précaires et plus difficiles pour les salariés, aucun doute, c’est bien à Nicolas Sarkozy que nous le devons, qui n’aura cessé de voler dans la poche des pauvres pendant cinq longues années.
Cela dit, il nous faut tout de même affronter notre histoire dans toute son étendue, et c’est ce à quoi se livre Fontenelle, décortiquant avec intelligence et un rien d’exaspération, la presse française qui, depuis plus de vingt ans, n’a cessé de marteler ses fumeux mots d’ordre pour nous faire avaler la pilule. De l’emploi du mot "tabou" -entendez par là tout ce qui va contre l’idéologie dominante d’exploitation éhontée des classes populaires-, jusqu’au "modèle social" estampillé pour l’occasion "français" pour mieux en dénoncer l’exception, en passant par "l’assistanat" salarié, tout y passe, d’un vocabulaire que nous n’avons cessé d‘entendre sinon de faire nôtre, au point de n’être plus jamais troublés par ses usages quotidiens pilonnés à longueur de journée par une journaille vendue à la cause néo-libérale.
La novlangue des élites est édifiante, qui a fait du progrès la désignation exactement contraire à son sens originel. Et quant aux "nécessaires réformes", elles ont fini par signer les pires reculs anti-sociaux jamais enregistrés dans l’histoire française. Des procédés langagiers dont on sait trop bien à quelle histoire les imputer. La crise ? Le mot était magique, il est devenu notre pain quotidien. Et c’est là que le bât blesse : une génération de clercs de médias s’est agrippée à ce vocable. Une génération arc-boutée sur ses privilèges, une génération, comme l’écrit si justement Fontenelle, qui s’est transformée en fan club de l’exploitation de l’homme par l’homme, depuis le Figaro, certes, mais jusqu’à Libé. Car à lire de près les articles des années 80 que Fontenelle déterre, un sentiment de nausée nous envahit sur le rôle joué dans cette funeste comédie par des acteurs sociaux issus de l’ex-gauchisme à la française, devenus des patrons de presse comme les autres. "Vive la crise", c’était précisément le titre d’un éditorial de Serge July en 1983, servant avant l’heure la soupe aux grands patrons, Laurent Joffrin en chien-chien jappant à ses côtés la même sérénade indigeste. Il faudra bien alors, tout de même, nous en poser la question si l’on veut un vrai changement. Ce n’est pas le moment, me direz-vous, de le mettre en péril par ces rappels intempestifs d’une époque révolue où la deuxième droite affublée de son nez rose, selon la moqueuse expression de Jean-Pierre Garnier (1986) accourut au service d’une classe politique convaincue que l’avenir de la France c’était l’entreprise, sinon la Finance, et non ces travailleurs qui l’avaient portée au pouvoir. Et cette histoire de l’ancrage du pouvoir médiatique dans le pouvoir politique devra elle aussi être ré-évaluée, si nous ne voulons pas d’un changement en trompe-l’œil. Le score atteint par Mélanchon dans les sondages en témoigne, qu’on aime ou non le personnage. Ce score témoigne d’une exigence plus grande qui se fait jour. Alors le changement ? Les forces sociales y sont prêtes. N’en ratons pas l’opportunité.
Vive la crise, Sébastien Fontenelle, édition du seuil, mars 2012, 184 pages, 14,50 euros, isbn : 9782021057713.