«Nous sommes tout près d’une grande révolution sociale» (J-P Mustier)
Ce n’est pas moi qui parle, ni Mélanchon, ni un quelconque syndicat révolutionnaire, mais Jean-Pierre Mustier, l’un des barons français de la Finance Internationale. Il n’était pas réapparu en public, le patron de Kerviel à la Société Générale, très exactement depuis le procès de son ex-trader. Et c’est dans le très feutré amphi de l’école des Mines qu’il a choisi de lancer cette déclaration ahurissante, poursuivant du même ton abrupt : "Les banques ont dégagé des taux de rentabilité trop importants" (…), "Notre monde pourrait disparaître"…
Vous avez bien lu : "disparaître"… Stupéfiant même son auditoire, moins d’une centaine de dirigeants et d’étudiants compulsifs triés sur le volet, en ajoutant : "Il faudrait peut-être parler des vrais sujets -en anglais of course, langue obligée de l’école des Mines. Les bonus, c’est bien gentil, mais je crois que vous ne vous rendez pas compte que d’ici deux jours, ou une semaine, notre monde pourrait disparaître. C’est Armageddon"…
Armageddon ! A savoir : la colère définitive des Peuples excédés par tant de gabegies… Dixit un baron de la Finance Internationale…Une révolution sociale… Non pas la misère, mais la chienlit qu’il faudrait redouter ! Une révolution sociale, à notre porte, imminente… de quoi faire pâlir Merkozy et tous les journaleux qui leur servent leur soupe jour après jour, feignant d’ignorer ce genre de déclaration par trop fracassante et criante de vérité, pour nous assommer une fois de plus sous la menace qui pèse sur nos têtes, l’agence de notation Standard & Poor's annonçant dans le même temps qu’elle plaçait sous "surveillance négative" quinze pays de la zone euro, dont les six encore notés "AAA" et qu’au sein de ces six là, la France remportait la palme de la dégradation la plus sévère…
Des journaleux, toute honte bue, qui accourrait à la rescousse de Merkozy pour nous faire avaler la pilule d’un accord terrifiant, au terme duquel, c’est fait, la BCE ne pourra pas se transformer en prêteur du dernier ressort. Ce qui concrètement signifie une chose : nous emprunterons sur les marchés l’argent qu’ils ont perdu, aux taux des marchés. Ces dettes qui ne sont pas les nôtres seront renflouées par l’effort de la Nation et non leurs fauteurs privés…
Mais dans quelle fiction vivons-nous donc ? Quel est le genre de la société française, déclinée comme une fiction qui tient à la fois du roman noir et du roman de famille, au sens où Freud pouvait l’entendre, au sein de laquelle la Parole se déchire et ne sait circuler que sous les auspices des plus fourbes ? Quelle Histoire de France est-on donc en train de nous écrire ?
"L’Histoire, c’est la dimension du sens que nous sommes" (Marc Bloch)
Il faudrait alors recommencer là : dans ce qui fonde ce rapport tout à la fois individuel et collectif au sens. Et chercher à comprendre comment ce sens s’inscrit dans le présent de nos vies individuelles, tout comme dans celui de notre Histoire commune. S’y inscrit ou s’y absente. Et marteler que désormais, seule l’absence du sens est perceptible dans le champ clos de la Nation (f)rançaise (défunte).
Car à l'heure où celle-ci s’enlise dans la misère de masse, s’y englue et se ment, à l’heure où les médias, quasi unanimes, ne savent convoquer que les discours fallacieux des magnats de la Finance et de leurs sbires, sous l’œil vigilant d’intellectuels incapables de dénoncer un tel mépris ; à l’heure où le silence cauteleux des nantis ressemble à un fameux discrédit de la conscience nationale, ne pue-t-elle pas la démission, cette France de Merkozy ?
Et comment ! Le roman noir de la société française, c’est cela : son renoncement aux valeurs de justice et d’équité. Ne parlons même plus de fraternité, il n’y a plus d’instinct pour cela dans notre beau pays, où ne surnage que la cague des mots d’ordre usés jusqu’à la corde -Travailler plus ! pour mémoire, dans un pays incapable de créer des emplois… Des mots d’ordre relayés sans faiblir par des médias qui se sont faits les complices objectifs de cette chape de plomb qui écrase toute vérité sociale sous ses mensonges odieux.
Un scénario si peu convaincant au fond, mais tellement efficace quand il ne s’agit plus d’inventer mais de gérer nos fins.
La France relève désormais de la catégorie du fictionnel. Comment ne pas reconnaître le caractère imaginaire des objets qui nous sont proposés pour "faire France" ? Voyez comme le monde politico-médiatique produit cette fiction, goûtez la merveilleuse manipulation d’une crise dont les conséquences ne portent que sur les 99% de la population qui n’ont pas droit à leur part de gâteau. Ecoutez Monsieur 20 heures à sa télévision, déverser ses vérités dans une énonciation impeccable, la crise des dettes souveraines, les efforts de Merkozy pour nous sauver de la faillite, quand dans le même temps l’homme-tronc escamote les autres indicateurs qui pourraient faire sens -le chômage réel, la pauvreté, la précarité et j’en passe. Que dire de ses bouffées énonciatives, sinon qu’elles jouent bellement de l’effet de réel, mais que dans le même temps, elles ne font que bâtir une fiction qui n’articule qu’un récit hypocrite, criminel, vandale.
Vendue, la journaille !
Oui, car que conclure de la journaille, comme l’appelait Karl Kraus, l’aboyeur autrichien (quand il ne reste en France que des miauleurs), et du rôle essentiel qu’elle joue dans l’entreprise de démolition généralisée des populations françaises ? Rien, sinon qu’une caste acquise à l’économie libérale et au maintien de l’ordre financier barbare précipite la France dans son chaos balourd.
Aujourd’hui, la société politico-médiatique est une vaste conspiration contre toute espèce de vie sociale.
Il nous faudrait alors au plus vite reprendre les leçons d’un Kraus, à qui j’emprunte la formule, pour nous en sauver. A Kraus, oui, qui ne cessait d’alerter ses compatriotes dans l’Allemagne des années 1930, sur la maîtrise gagnée par les nazis dans l’art de "faire passer la bêtise, qui a remplacé la raison, pour de la raison…"
Kraus qui ne cessait de pointer l’horizon de cette entreprise de crétinisation : nous faire perdre le sens des réalités sociales. Car lorsque le discours public ne sert qu’à proférer avec un tel aplomb des arguments aussi spécieux ou à rendre honorables des idées ignobles ("travailler plus", quand il n’y a pas d’emplois), ce qu’il y a au bout, c’est bel et bien la mort collective. --joël jégouzo--.