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29 avril 2011 5 29 /04 /avril /2011 06:44

james.jpgAix-en-Provence. Les beaux gestes brusques de ces éclats de langue berbère, un dimanche matin, sous les feuillages des platanes d’une place quelconque. Mélancolie d'une langue lasse et un peu solitaire de ne pouvoir se dire en arabe. La mosquée rue des Gondraux, minuscule et comme inventée de bric et de broc, à l’image, précisément, de cette langue immigrée que James Sacré tente et nous donne à voir plus qu’à entendre. Car ces gens dont il croit pouvoir parler, il ne les parle pas mais les montre, dans une langue simple, maladroitement exprimée (mais si justement parlée). Il nous les donne à voir dans une image qui paraît resurgir du vieil imaginaire provençal : un dimanche matin sous les platanes, place de la mairie. Mais de quel être-ensemble qui n’existe pas et dont on ne veut pas qu’il fasse souche ici et qui pourtant fait souche, s’épanouirait-elle ? La voici typiquement immobilisée dans ses heures de marché, un peuple assis au coin des rues, dans la pauvreté d’un express consommé avec beaucoup d’attention.

Dans L’autre figuier, les reprises anaphoriques se multiplient, comme d’une langue qui ne parviendrait pas à se déployer. Le poème paraît creuser et ravauder à chaque mot sa façon, puis il se voit retravailler et son nouvel état n’est pas moins passager. "Un vieux figuier de barbarie / Comme tout éventré. / Le paysage (ou le fond de papier) / En presque pas de couleur."

James Sacré écrit comme à côté d’écrire, en quelque endroit du désarroi des mots, comme en déshérence de soi et construit ses poèmes en ne montrant que cela : le presque rien de leur construction. --joël jégouzo--.

 

James Sacré, Écrire à côté, Éditions Tarabuste, 2000, America solitudes, André Dimanche, 2011, Mouvementé de mots et de couleurs, éd. Le Temps qu'il fait.

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28 avril 2011 4 28 /04 /avril /2011 07:58

 

abdellatif-1.jpg"Je t’insulte / règne de bouledogue / citadelle policière / de matraques à mon peuple"

 

 

Immigré politique en un temps où la France en accueillait encore, Abdellatif Laâbi, vigie méticuleuse, déchiré dans son exil parisien grattant partout le sol absent de sa terre natale lancinante, la seule, qu’il ne cessa de porter en lui partout, son Peuple y rejoignant tous les Peuples opprimés asphyxiés sous les décombres des Pouvoirs funéraires, Abdellatif Laâbi, jamais totalement du lieu où l’on voulait l’assigner, ouvrant, toujours, les territoires occupés aux cris des aspirations humaines, les peuples opprimés coudoyant tous les peuples opprimés.

 

"Pleine lune. La nuit serpente entre les gorges du Tarn. Au matin, elle se versera dans le Jourdain, et au-delà peut-être, on ne sait comment, dans l’Euphrate."

Non quelque prescience des solidarités populaires mais l’attention au secret mot d’ordre qui traverse le monde, cette ronde fragile.

 

Une œuvre immense, vingt-cinq années d’apologie clairvoyante de la Vie, Abdellatif Laâbi, non pas un littérateur (il le refusait), mais un artiste au service des Nations, séditieux dès son premier opus –Le Règne de la barbarie-, militant d’un Peuple qu’il voulait reconstruire, jetant les livres, ce pâle orgueil des gloires pressées, pour se jeter à corps perdu dans une parole heurtée, sa colère toujours si dense, profonde, traversée de la souffrance de ses frères, hérissant ses voiles sans grande confiance pour les mots mais veillant, implacablement, les malheurs et les espérances, rêvant aux côtés des prisonniers des geôles marocaines, françaises, algériennes. La parole est urgente quand la répression domine. Abdellatif Laâbi, forçat d’une liberté qui tarde toujours à venir, embrassait depuis les prisons marocaines un horizon plus vaste que ses tortionnaires ne l’espéraient. De son exil français, il enlaçait un horizon plus grand que ses hôtes ne le souhaitaient.

oeuvres_poetiques_II.jpg

"meurt / logos des cités / raison meurt / broyée dans les rides / sans le secours des mains.

(…) maintenant / je cherche à ma tribu / un langage / qui ne soit pas alliage

(…) au rythme des caravanes / c’est mon atroce lucidité / qui me taille un âge / à la dimension du désert.

(…) Ne me cherchez pas dans vos archives / effrayés par mes dénonciations / je ne suis pas de la nature de l’écrit / cherchez moi plutôt dans vos entrailles

(…) Je t’insulte / règne de bouledogue / citadelle policière / de matraques à mon peuple."

 

Qu’on relise cette poésie, forte, brutale, résiliant la torture, dénonçant les fêtes macabres, l’air vicié des pouvoirs qui trône sur les gradins de quelque foule grotesque. La vie est urgente quand on nous assassine à chaque frontière, quand s’élève le chant des guerres qui ameutent l’Europe, convertie au racisme de ses Etats. Jusqu’au naufrage du souffle il faudra rompre ces déroutes, car face à la faillite universelle, notre errance ne fait que débuter. --joël jégouzo--.

 

Abdellatif Laâbi, Œuvre poétique vol. I et II, édition de la Différence, 1er trimestre 2010, 35 euros chacun, Vol. I, préface de Jean-Luc Wouthier, 458 pages, isbn : 978-2-7291-1885-3. Volume II, préface de Jean Pérol, 450 p., isbn : 978-2-7291-1862-4

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27 avril 2011 3 27 /04 /avril /2011 12:32

armenien.jpgDans ce très poignant échange dissymétrique entre un père et sa fille autour d’un héritage douloureux -celui du génocide arménien-, Janine Altounian avait tenté d’éclairer son propre parcours à l’intérieur des traces laissées dans son psychisme par le Journal de déportation de son père. Elle en avait fait un livre, épaulé si l’on peut dire par d’autres voix fortes -psychanalytiques. Dénouant les malentendus d’une réception hâtive qui en avait fait tout d’abord un enjeu de mémoire familiale, bouteille à la mer sans assignataire, reléguée au fond d’une armoire, elle avait fini par comprendre que ce document ne pouvait rester enfermé dans l’espace du vécu familial. Là, piégé dans les méandres égologiques, prisonnier dans l'enclos d’une famille traumatisée, il ne pouvait déployer qu’une histoire impossible à vivre. Car seule l’Histoire, en tant que d’autres, arméniens luttant pour la reconnaissance du génocide de leur peuple, l’avait contrainte, pouvait aider à inscrire leurs souffrances dans sa trame pour soulager les mémoires individuelles, illustrant parfaitement la maxime de Marc Bloch : "L’Histoire, c’est la dimension du sens que nous sommes". Au fond, cette dimension de la conscience historique qui ressortit au même "continuer à vivre dans un monde inhumain" dont témoignait le Journal de son père, forgeant dans la tragédie de leur déportation commune la précarité de ce sens que nous ne pouvons pas renoncer à être.

Il y a ainsi quelque chose de très "beau", encore que le mot paraisse déplacé s’agissant d’une réalité cousue d’abîmes, à moins de l’entendre dans cette signification que lui donnait Rilke d’un commencement de la terreur que l’on aurait été capable d’affronter et à laquelle l’émotion du beau confronte, il y a quelque chose de très beau, oui, dans cet échange que Janine Altounian a risqué (mais pouvait-elle s’en dispenser ? Et si oui, à quel prix ?), pour témoigner à son tour du temps qu’il faut à s’éveiller de pareilles atrocités. Deux, voire trois générations affirme-t-elle, une durée qu’il faudra bien compter à charge des bourreaux pour s’arracher enfin au traumatisme des meurtres de masse. Deux, voire trois générations pour parvenir à symboliser ce que l’on reçoit en héritage. Pour que les "les morts d’aujourd’hui (bénéficiant enfin) d’une sépulture", celle-ci vienne "clore l’espace béant des mises à mort terrifiantes dans le nulle part des déserts".

Assertion inouïe, si l’on y songe, que celle de penser que "les défunts d’ici protègent les morts de là-bas", dénouant, peu à peu et à l’ombre des sépultures nouvelles, ces liens douloureux qui ligaturaient les enfants aux parents pour que le temps du réveil, qui vient de ce que l’Histoire ait trouvé les mots pour libérer ces "affects gelés", s’avance enfin. --joël jégouzo--.

 

 

Mémoires du Génocide Arménien –héritage traumatique et travail analytique, Vahram et Janine Altounian, PUF, 236 pages, avril 2009, 32 euros, isbn : 978-2-13-057327-2.

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26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 08:42

janine-altounian.jpgIl y a deux ans précisément, soit quatre-vingt dix ans après sa rédaction, Janine Altounian publiait une version définitive du Journal de Déportation tenu par son père lorsqu’il avait 14 ans. Une version "définitive", corrigeant les déboires que ce manuscrit avait connu, jugé longtemps irrecevable parce qu’écrit dans une langue trop peu littéraire pour satisfaire aux exigences éditoriales françaises…

Un texte de déporté, écrit au cours d’une longue, incessante, immuable déportation étirée sans fin par les autorités turques, jusqu’à ce que mort s’en suivît pour ces arméniens dont on avait décrété qu’ils n’avaient plus leur place sur la terre, débardés d’un désert l’autre, en train, à pied, en train de nouveau, campant une semaine au creux d’une arête montagneuse invivable, battus, affamés, sommés ensuite de plier bagage pour repartir errer dans la montagne et rallier une gare fantôme d’où on les convoyait en wagons à bestiaux vers un autre séjour impossible, de nouveau bâtonnés, de nouveau harcelés en marches épuisantes, affamés, volés, matraqués sans fin. Un témoignage brut que les éditeurs ne pouvaient, décemment, offrir au lecteur français et que l’on avait tout d’abord retravaillé, "amélioré", raboté pour le dégrossir et l’enjoliver de tournures stylistiques recevables…

Mercredi 10 août 1915. Boursa, en Asie Mineure. "Tout ce que j’ai enduré, des années 1915 à 1919". Quatre années de déportations incessantes, de marches forcées, de brutalités, de pillages, de sauvageries, de convoyages, d’attentes dans des gares fétides.

"Nous sommes partis de Boursa sur un chariot tiré par un bœuf et nous sommes arrivés à Alayout, la gare de Kötaly". Dix jours pour y arriver. Trois mois ensuite d’un séjour insalubre dans cette ville qui n’était pas préparée à les accueillir. "Alors ils ont voulu nous déporter". Un train, une autre ville. Une halte improvisée dans le tumulte et le pillage des affaires emportés. Battus, volés, violés. Des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants poussés dans les montagnes à coups de nerfs de bœufs. Trois jours de marche plus tard, une autre ville tout aussi inhospitalière. Des draps déployés en guise de tentes. De nouveau le train. De nouveau la montagne, une marche de trois jours sous la pluie, la boue, le froid, les maladies qui se propagent, l’épuisement des vieux, des enfants, la faim, la crasse, la terreur, de nouveau un train, de nouveau une marche, la déportation qui ne cesse jamais. Nulle part, de toute part. Les geôliers brûlent tout, toujours, chaque matin ils répandent le feu au hasard du campement, terrorisent, tuent. Il faut sauver quelques couvertures pour les enfants et repartir sous les coups des matraques et la mitraille des tortionnaires. Les uns portent les autres, nombre d’entre eux meurent sur le bas côté de cette route infâme, les enfants qu’on ne peut plus porter, les femmes accroupis auprès d’eux. Au fil des jours, tous s’égarent dans la montagne, précipités dans les ravins, poursuivis par leurs bourreaux, exécutés sauvagement. Mais la déportation reprend, toujours.

Nous savons bien qu’il y a eu les massacres de masse, les camps de concentration, mais nous ne connaissions pas la réalité de cette déportation sans fin, inventée comme mode du tuer.

Vahram a quatorze ans. Il ne sait pas écrire correctement l’arménien. C’est que dans les écoles, on l’a obligé à apprendre le turc. Sa langue donc, voulait-on nous faire croire, est maladroite. C’est pourquoi son Journal de bord de la déportation arménienne ne fut pas pris au sérieux. Il aura fallu attendre 90 ans pour qu’il nous soit enfin restitué dans sa rédaction originelle. Et encore… encadré par les travaux de cinq universitaires, comme pour le rendre plus acceptable aujourd’hui encore, lui restituer son sérieux !

Car l’histoire qui nous est offerte là est aussi celle d’une soit disant "sous-littérature", jugée telle par des éditeurs empesés qui ne cessent d’écarter de leur catalogue des manuscrits importants au prétexte que nous serions, nous autres français, tellement sensibles à la belle façon que décidément, une seule manière serait admissible… C’est l’histoire d’un texte dont on nous raconte qu’il fut ré-écrit, corrigé -comme on corrigeait les arméniens sur les routes de leur déportation, au prétexte qu’ils n’étaient pas assez turcs…

C’est l’histoire de cette littérature des démunis dont on affirme qu’elle n’est pas de la littérature… Pensez : un manuscrit écrit sur un cahier d’écolier. 34 pages. Un compte-rendu méticuleux en fait, extraordinairement précis. Un récit en langue turque traversé, nous dit-on dans l’édition présente, d’un dialecte arménien frayant une voix autre sous la langue officielle, faisant exploser de l’intérieur la dynamique de cette langue officielle, laissant bourgeonner les mots arméniens dans une écriture faite pour les taire, la contaminant, l’enlevant, laissant entendre cette voix d’une résistance impassible. C’est l’histoire d’un texte écrit en turc, mais dans l’alphabet arménien. Vahram a 14 ans quand il part en déportation. Il ne maîtrise pas l’écriture, ni aucune langue. C’est, d’abord, l’œuvre d’un collégien. Mais son Journal est traversé par autre chose, une force que l’on sent poindre jusque dans sa traduction française : il voulait témoigner, collecter, éprouver, et proclamer haut et fort son identité sous l’horreur de la déportation, qu’il dévoile avec une rare acuité. --joël jégouzo--.

 



Mémoires du Génocide Arménien –héritage traumatique et travail analytique, Vahram et Janine Altounian, PUF, 236 pages, avril 2009, 32 euros, isbn : 978-2-13-057327-2.

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17 avril 2011 7 17 /04 /avril /2011 04:58

camarade.jpgPlongeons à corps perdu (c’est le cas de le dire), dans les méandres de la politique locale. Dans ce roman à clés, Serge Lesbre dresse la chronique des mystifications politiques du microcosme socialiste clermontois.

Antoine, le narrateur, ancien adjoint à la Culture, un Police Python 357 magnum en main, veut en finir. Flash-back. PSU en porte-voix, clarks aux pieds, LIP, le Larzac, toute l’histoire post-soixante-huitarde défile. Fin des années 70 : Antoine se pare des atours socio-démocrates et touche son premier mandat électif au PS. Le roman campe dès lors sur les années de fin de règne de la municipalité clermontoise, celles où la ville ne jouissait que d’une image vieillotte en France. Combats, tractations, c’est finalement un PS peu ragoûtant qu’il "balance", avec ses pratiques confuses et ses logiques de courant qui ne soutiennent que de féroces ambitions personnelles. Un tribalisme en somme, éclairant de bien singulière manière la vie politique à l’échelon local. Le tout émaillé de notations enracinées dans l’idéologie partouzarde des années 68, muant le roman en journal intime d’un faune libidineux traitant la Culture entre deux parties fines.

Au-delà des comptes effarants, saluons de belles intuitions, comme le syndrome Serge July : les fils de bonnes familles passant en masse au socialisme dans l’après-68, pour infiltrer la gauche française et assurer ainsi la pérennité du libéralisme. Savoureuse intuition : Strauss-Kahn en suppôt d’une droite inavouable, subjugué par le MEDEF. On sort tout de même de ce roman comme au retour d’une gueule de bois : un peu honteux. C’était ça, l’engagement de cette Gauche de Pouvoir ? Terrifiant de voir combien l’exigence démocratique y fut bafouée. Terrifiant de découvrir le propre de la gouvernance socialiste : un machiavélique système d’alliances destiné à liquider le peuple de gauche…

Antoine, le représentant historique de la gauche socialiste de Clermont sera finalement débarqué du radeau sans ménagement. Il finit pris de nausée, remettant à plus tard son suicide, ou plutôt le transformant en projet littéraire qu’il nous expose sans vergogne, nous délivrant le plan du roman qu’il projette d’écrire, celui-là même que nous venons de lire, comme si tout, en France, devait finir ainsi, dans une cure romanesque.

Reste à refonder la Gauche… Ce qui n’est pas une mince affaire, quand on découvre qu’au fond, le PS, ce n’est peut-être plus que cela : un appareil incapable de se situer politiquement. A quelques mois de la présidentielle, il y a de quoi s'inquiéter... --joël jégouzo--.



Serge Lesbre, Cours Camarade !, éd. La Galipote, Clermont-Ferrand, 338p., mai 2004, isbn 2-91525704-03.

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16 avril 2011 6 16 /04 /avril /2011 09:32

bucher.jpgSisteron. Nils Baker, suédois d’origine, mille métiers bidons derrière lui, enterre ses 44 ans dans son bar préféré quand débarque son pote, Kevin : sa sœur a été violée. Il veut retrouver l’agresseur. Nils rechigne, mais le privé-agriculteur finit par accepter et se met en quête d’un taxi blanc aperçu dans les parages de l’agression. De retour chez lui, deux hommes à la mine patibulaire l’interpellent dans son champ : "on" lui rachèterait bien sa propriété. Sur le cadastre, elle dérange des projets d’envergure. C’est qu’à part la prochaine récolte de cailloux, il n’y a plus grande activité dans la région. Aussi prête-t-elle à toutes les convoitises : les uns veulent y implanter une décharge, les autres y creuser un lac, les derniers enfin, bâtir un complexe touristique. Ginette, le maire de la commune de Monfut, dont Nils relève, une copine de jeu qui plus est, vendrait bien le tout n’était encore, peut-être, un reste de mauvaise conscience. Quant à Nils : non, jamais. Mais voilà que les affaires pleuvent : trois filles disparaissent au sortir d’une boîte de Sisteron. Nils soupçonne toutes ces embrouilles d’être liées : Pedro, le patron de la boîte en question, est une petite frappe douteuse, lui-même affichant d’extravagantes ambitions pour la région. Mais à trop faire le malin, Nils ne récolte que des coups. Et des emmerdes : Pedro se fait buter à son tour, et il n’est pas jusqu’aux gendarmes qui ne somment Nils de travailler pour eux. Tout part en godille. D’autant que les promoteurs ne rigolent plus et envoient des hommes de main régler la question écolo-babacool en suspens. S’opposer par les armes au projet immobilier ? Les mauvais coups abondent. Nils finit par piquer le fric proposé par un promoteur véreux. Un beau magot dont il ne sait que faire au demeurant, volé sur un coup de tête, presque comme un canular. Or dans l’altercation finale avec les malfrats venus récupérer le fric qu’il avait l’intention de rendre, Nathalie, sa copine, est tuée d’une balle en pleine tête. Une mort absurde. Dans un combat auquel il ne croyait même plus. Un combat pas même désespéré, son Vietnam à lui et celui de ces années 70 si longues en défaites, renoncements et sacrifices. Le roman des causes perdues en somme, la fin d’une époque, celle des années romantiques de l’ultra-gauche écolo-idéaliste, construit dans une langue savoureuse, ironique, jouant railleusement avec le genre et nous en régalant. Une enquête insolite ponctuée par les travaux des champs, écrite en 1988, maintes fois reprise et corrigée par son auteur, lui-même agriculteur dans les Alpes de Hautes-Provence. Et c’est tant mieux pour nous, lecteur, qu’un éditeur ait songé à le publier. –joël jégouzo--.

 

André Bucher, Pays à vendre, éd. Sabine Wespieser, 202p, mai 2005, 19 euros, isbn : 2848050349.

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15 avril 2011 5 15 /04 /avril /2011 05:02

cargosentimental.jpgEtrange sentiment laissé par ce roman. Etrange roman de remémoration, plongeant ses racines dans la petite enfance, voire ces histoires qui se racontaient alors, d’une guerre (39-45) qui n’en finissait pas de côtoyer ses survivants, investissant l’imaginaire des petits pour le saturer du vocabulaire de l’injustice passée, son père, le presque-nain, voleur de pneus boches transformé malgré lui en héros de la Résistance Italienne, finissant par le devenir presque par jeu. Etrange roman à faire le pont d’une guerre l’autre en nous réinscrivant dans un temps si long qu’on ne sait en prendre la mesure. Singulier même, dans son attachement à cette enfance vécut dans la misère, son dénuement pour gage d’une morale dont l’auteur ne se serait pas départi. Avec plus tard le récit des premières ruptures : le collège comme figure de l’échappée vers un monde nouveau où seuls les bobards pour séduire les filles vous sauvent quand déjà, il est honteux d’être pauvre. Puis les années 70, à dessiner les contours d’une lutte perdue d’avance, si peu comparable à celle des années quarante, comme si la Seconde Guerre mondiale et la Résistance avaient constitué l’horizon indépassable de la pensée du narrateur, de ses émotions plutôt. "C’était en 44", motif aveuglant d’une conscience plongée désormais dans la déréliction. Bientôt son propre souvenir, un Beretta à la main, rejouant la vieille rengaine, terroriste à une époque où l’important était de jouir.

Retour au présent du récit, 1979, le narrateur en planque. L’écriture se fait l’écho d’une plainte souterraine, celle d’un engagement privé de sens dans ces démocraties qui ont fini par vider toutes les causes de leur poids. Sa fuite dès lors. Paris. Déjà l’angoisse de la prison. Jusqu’à choisir la pire clandestinité qui soit, quand il ne reste que du sable, des révoltes passées. A un point tel, que sa survie de vétéran d’une révolution de dupes, son existence de vétéro-révolutionnaire a fini par mettre dans l’embarras jusqu’aux fonctionnaires du Ministère français de l’Intérieur, gênés par la demande de leurs collègues italiens, réclamant qu’on leur livre Battisti. La cavale dès lors. A quelques encablures de la retraite ! Fuir, après un dernier adieu pour mettre les pendules à l’heure —celles de l’horloge intime—, du côté de Saint-Macaire, là où son ex séjourne chez les morts depuis deux ans déjà, après avoir recouvert sa tombe d’un adieu dépressif à sa vie de chimère. Et à la fin de tout, le sommet d’une dune de sable dans l’attente du lever du soleil, sa fille à ses côtés — Nada, qu’il retrouve 25 ans et 8 mois après sa première cavale.

"C’est la musique des mots qui compte", affirme le roman. Pas celle des armes, on l’a compris. La musique des mots comme un écho au choix des romantiques allemands, quand il ne restait à leurs yeux désabusés, déjà, que la solution poétique pour seule réponse aux troubles du monde et à leur responsabilité dans ces troubles du monde. La solution poétique en lieu et place des luttes inachevables. Comme s’il ne s’agissait plus que de survivre dans cette tendresse pour soi, hors de toute conscience politique. Et ce n’est pas le moins troublant, du reste, qu’il n’y ait dans cet ultime roman de Battisti aucune conscience historique à se manifester. Comme s’il avait fui, depuis longtemps déjà, dans le romanesque. Comme si, encore une fois, le salut par l’histoire (la fiction : la storia, dieu que le vocabulaire français est pauvre), pouvait offrir une chance à l’Histoire de n’être plus cette grande pourvoyeuse d’injustice. Nous ne sommes plus, aujourd’hui, dans la confusion des armes. Les années 70 sont loin derrière nous. Reste la confusion des genres : l’acceptation triste du mauvais genre de l’Histoire. --joël jégouzo--.





 

Cesare Battisti, Le Cargo sentimental, éd. Joëlle Losfeld, traduit de l’italien par Claude-Sophie Mazéas, févri. 2003, 198p. isbn : 2-84412-151-9.

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14 avril 2011 4 14 /04 /avril /2011 16:05

lenine-yeux.jpgIl s’agit ici, au fond, de l’histoire d’une image. D’une photo terrible, fascinante, qui s’affiche en couverture du livre : celle de Lénine grabataire, le regard fou, dévorant son image comme un forcené. Une photo cruelle et tragique, emblème d’une possession longtemps soustraite à tout regard, resurgie des placards de l’histoire en 1992, alors que notre propre histoire se débarrassait de ses convictions pour se purifier, croyait-elle, de ses maladies infantiles.

Moscou, 7 août 1923, sanatorium de la Révolution. Piskov est convoqué pour prendre une photo. Il ignore de qui. Le protocole est un peu effrayant, quand soudain, caché sous le drap noir qui recouvre son objectif, il reconnaît à l’image Lénine, le chef halluciné d’une Révolution qui s’étiole déjà.

Paris, hiver 2004. Près de la Très Grande Bibliothèque, une péniche et ces bordages anarchiques. Laure, journaliste de télévision au placard, reçoit un courrier qui lui apprend qu’elle est le légataire universelle d’un certain Alain Molinier, vraie mémoire russe de Paris. Elle hérite de ses dossiers, de ses archives, des milliers de documents qu’il a accumulés sur cette Russie soviétique qui nous a tant coûté et fait rêver avant de basculer dans le cauchemar du tragique XXe siècle.

Moscou, 1982. Laure se rappelle. Elle avait fait la connaissance d’Alain cette année là. L’année de la mort de Brejnev. Désormais le roman va se jouer dans ces appels de mémoire, dans ces allers retours entre l’hiver 2004 à Paris et les voyages moscovites de 82 à 85, l’année où, sur la piste de la photo de Lénine, beaucoup ont donné leur vie pour qu’elle n’existe plus.

Le visage halluciné de Lénine joue étrangement aujourd’hui dans nos consciences, avec ce roman policier. Aphasique, sombrant dans la folie tout en étant lucide sur son état, l’image tabou de ce Lénine incapable désormais d’écarter Staline de sa succession, alors qu’il y songeait, pétrifie et nous laisse interdits, moroses d’un gâchis dont nous sommes revenus, mais à quel prix ? Une histoire de possession en somme, la nôtre, dont Gérard Streiff signe ici le roman. Roman d’une mémoire biffée sinon dépossédée, du tout est dit sommaire d’un compte soldé à l’arrachée.--joël jégouzo--.

 

Gérard Streiff, Les yeux de Lénine, éd. Le Passage, mars 2005, 196p, 14 euros, isbn : 2847420711

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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 12:15

Des-mules-et-des-hommesune-enfance-un-lieu.jpgEn tournant le dos au socialisme, il ne nous est resté en travers de la gorge qu’un mauvais avenir à déglutir, dont on mesure aujourd’hui combien chacun d’entre nous peine à l’avaler. Le communisme, la cause est entendue, n’aura débouché que sur le désarroi de masses flouées, la honte de leaders compromis ou la comédie du pouvoir, made in PS français. D’oublis en ajournements, nous avons fini par renoncer à construire une alternative au libéralisme économique. On a beaucoup écrit sur ces questions. Reste à explorer comment on en ressort, dans le champ romanesque par exemple, et pas n’importe lequel : celui du polar, qui fut en ces origines tellement soucieux de ces questions. De Mémoires d’un rouge aux Yeux de Lénine, des années de plomb au socialisme bougnat, ce qui se lit entre les lignes, c’est toujours, semble-t-il, un grand vide. Qu’est devenue la conscience politique ? Si le roman est —aussi—, le lieu où s’exprime, voire s’élabore une conscience du monde, ne doutons pas que le témoignage qu’il recèle n’en soit instructif. Prenez La Nausée, de Sartre. Un roman a priori aussi éloigné qu’il est possible de toute conscience politique. Soumettez-le à l’analyse sociologique : personnel de l’œuvre, lieux de l’action, etc. Vous y découvrirez une typologie des plus intéressantes, relevant du même populisme noir que l’univers de Céline. Même évacuée, voici donc qu’elle fait retour, cette conscience politique, comme inscrite en creux dans la trame romanesque. Qu’elle ne soit pas un objet littéraire affirmé importe peu : il subsiste toujours quelque chose du monde dans le romanesque. Ce qui importe, au fond, c’est d’en relever les traces. Une longue période vient de se clore, D’Howard Fast et ses Mémoires d’un Rouge témoignant de la fin de l’engagement politique prolétarien, à Cesare Battisti, ouvrant à quelque étrange déréliction, en passant par Les yeux de Lénine de Streiff, naturalisant la folie de Lénine, ou par le socialisme tribal d’un PS toujours à court d’histoire, ainsi que le décrit Serge Lesbre. Une longue période vient de se clore, marquée in fine par la thrillerisation du roman policier, toujours plus astucieux, rabotant toujours plus sa langue pour tourner au plus court, qu’il croit être un formel plus juste… Une longue période vient de se clore, qui voit émerger –trop peu encore- des écrivains qui savent prendre de nouveau en charge le romanesque et le politique (Adlène Meddi, La Prière du Maure, ou Atiq Rahimi, Maudit soir Dostoïevski, bien que dans des registres d’écriture différents, etc…). De ces écrivains qui savent faire autre chose que ficeler un roman. Reste à ouvrir une nouvelle période, que l’espoir articulerait, surgissant du seul vrai ailleurs qu’il nous soit utile d’explorer aujourd’hui : celui de cette France post-coloniale qui tarde à mobiliser son devenir… --joël  jégouzo--.

 

http://www.joel-jegouzo.com/article-memoires-d-un-rouge-de-howard-fast-50910184.html

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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 09:35

peterbrook.jpgTémoin du parcours de Brook, Georges Banu nous livre un récit vibrant, plus sensible qu’intellectuel, sa vision de l’homme et de son œuvre dans le cadre du théâtre des Bouffes du Nord. L’ouvrage est composé de courts chapitres distribuant les catégories les plus pertinentes du travail de Brook : disparition, permanence, verticalité, etc. Des "phrases rayonnantes" au "théâtre du vide", le lecteur coutumier du metteur en scène trouve de quoi satisfaire sa curiosité, et le lecteur non familier de Brook en découvre la singularité, exprimée dans une langue claire. Une clarté qui tient sans doute au recul depuis lequel les techniques et les partis pris de ce théâtre peuvent désormais s’appréhender. Recul qui, toutefois, ouvre aujourd’hui à la compréhension des limites de ce travail. Des limites que l’on peut pointer dans le témoignage même de Banu, en particulier en ce qui concerne les Bouffes du Nord. Il est frappant en effet, de découvrir combien son discours est "daté", à leur propos. Pour Banu, cette architecture, pourtant savamment scénographiée par Brook, figure un lieu impur (au théâtre), structuré autour du vide. Or cette esthétique de la ruine ne nous apparaît-elle pas aujourd’hui comme, au contraire, surchargée de signes trop explicites ? Brook y a-t-il vraiment éviter le culte du monument ? Prenons aussi ses conceptions sur le travail de l’acteur. En tentant de lui substituer un modèle existentiel s’enracinant dans la vie de l’acteur, a-t-il réellement réussi à contrer la construction occidentale de la composition artistique "virtuose" du personnage ? --joël jégouzo--.

 

 

Peter Brook, de Timon d’Athènes à Hamlet de Georges Banu, Flammarion, septembre 2001, 338p., ISBN : 2082100537

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