MEMOIRES D’UN ROUGE, de HOWARD FAST
Howard fast fut pendant douze ans, à l’un des pires moments de l’histoire idéologique des Etats-Unis, membre du Parti Communiste américain. Mais c’est au fond moins cette histoire qu’il nous raconte dans cet ouvrage, que le sens d’une vie attachée à dénoncer l’injustice à travers son engagement politique et romanesque, avant de rompre avec les formes sclérosées que le militantisme communiste avait prises, sans parvenir ensuite jamais à donner un autre poids à sa vie que celui de cet engagement passé. Il flotte ainsi comme un air de nostalgie dans ces mémoires, le recul pris n’ouvrant qu’à l’expression de ce grand vide qui nous effare, d’un passé avec lequel nous avons rompu en l’ensevelissant sous des tonnes de regrets, sans que rien n’ait pu contrebalancer, ni le libéral-socialisme que nous connaissons, au fond pas si éloigné que cela du modèle démocrate américain, ni notre désormais coutumier anti-communisme. Peut-être parce que ce communisme était trop viscéral, sans abstractions, touchant au plus intime de cette foi de charbonnier qui le saisit d’un coup, un jour de dèche à Brooklyn. Il faut dire qu’il y avait de quoi : l’Amérique d’avant la Seconde guerre mondiale était celle de la misère extrême, celle des masses jetées sans vergogne dans la plus effroyable pauvreté. Une société en décomposition, grande consommatrice de vies humaines et dont H. Fast développa une conscience aiguë. Il n’est que de relire son œuvre : Il fut, après Jack London, le premier auteur américain issu de la classe ouvrière. Toute sa trajectoire romanesque en témoigne, dès sa première réussite de romancier, dans sa nouvelle The Children qui dépeignait la misère des enfants des rues du New-York yiddish. Vint ensuite le succès avec Conceived in Liberty (1936), vendu à plus de 15 000 exemplaires, qui lui permit de partir pour un long périple vers l’Ouest, dont il revint avec l'incomparable The Last Frontier, qui devait le consacrer définitivement comme l’un des auteurs américains les plus intéressants, roman dédié à la redécouverte du peuple spolié — Amérindien. Freedom Road (1943) enfin, bouleversant sur ce Sud tant haï et tant aimé.
Entré au Parti en 1944, jeté en prison en 1950 pour avoir refusé de devenir un délateur, à une époque où l’on pouvait se faire agresser dans la plus totale impunité simplement parce que l’on était communiste, à une époque où les sbires sans scrupules du capitalisme tabassaient au grand jour, difficile, aujourd’hui, d’imaginer que ce qui fut la grande question du siècle ait passé si vite au rang d’aveuglement criminel. Vint alors l’heure du renoncement. L’Amérique fut sauvée in extremis par la Seconde guerre mondiale. La machine économique repartit, préservant ici des vies qu’elle dévorait ailleurs, loin des espaces américains. L’opulence vint à bout des idéologies de révolte, ainsi que le silence abaissé comme un couvercle de plomb sur ces révoltes. Déjà, l’idéologie de la croissance l’emportait et les américains avec elle, enfin presque tous, vers de nouveaux horizons politiques. C’est là certainement la force du témoignage qu’il nous délivre : que cette rupture, au fond, ait été portée par l’oubli des causes de l’enrichissement national. Mais c’est aussi là que s’enracine notre conscience politique, en deuil d’un nouvel engagement que nul ne sait plus oser. Et cette conscience, en devenant mémoire, s’affirme en définitive conscience historique, peu dupe d’un avenir dont Howard Fast devine les mensonges et l’hypocrisie.—joël jégouzo--.
MEMOIRES D’UN ROUGE, de HOWARD FAST, Rivages/Noir, traduit de l’américain par Emilie Chaix-Morgiève, janv. 2005, 352p., isbn : 2-7436-1352-1