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La Dimension du sens que nous sommes

Les yeux de Lénine…

14 Avril 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

lenine-yeux.jpgIl s’agit ici, au fond, de l’histoire d’une image. D’une photo terrible, fascinante, qui s’affiche en couverture du livre : celle de Lénine grabataire, le regard fou, dévorant son image comme un forcené. Une photo cruelle et tragique, emblème d’une possession longtemps soustraite à tout regard, resurgie des placards de l’histoire en 1992, alors que notre propre histoire se débarrassait de ses convictions pour se purifier, croyait-elle, de ses maladies infantiles.

Moscou, 7 août 1923, sanatorium de la Révolution. Piskov est convoqué pour prendre une photo. Il ignore de qui. Le protocole est un peu effrayant, quand soudain, caché sous le drap noir qui recouvre son objectif, il reconnaît à l’image Lénine, le chef halluciné d’une Révolution qui s’étiole déjà.

Paris, hiver 2004. Près de la Très Grande Bibliothèque, une péniche et ces bordages anarchiques. Laure, journaliste de télévision au placard, reçoit un courrier qui lui apprend qu’elle est le légataire universelle d’un certain Alain Molinier, vraie mémoire russe de Paris. Elle hérite de ses dossiers, de ses archives, des milliers de documents qu’il a accumulés sur cette Russie soviétique qui nous a tant coûté et fait rêver avant de basculer dans le cauchemar du tragique XXe siècle.

Moscou, 1982. Laure se rappelle. Elle avait fait la connaissance d’Alain cette année là. L’année de la mort de Brejnev. Désormais le roman va se jouer dans ces appels de mémoire, dans ces allers retours entre l’hiver 2004 à Paris et les voyages moscovites de 82 à 85, l’année où, sur la piste de la photo de Lénine, beaucoup ont donné leur vie pour qu’elle n’existe plus.

Le visage halluciné de Lénine joue étrangement aujourd’hui dans nos consciences, avec ce roman policier. Aphasique, sombrant dans la folie tout en étant lucide sur son état, l’image tabou de ce Lénine incapable désormais d’écarter Staline de sa succession, alors qu’il y songeait, pétrifie et nous laisse interdits, moroses d’un gâchis dont nous sommes revenus, mais à quel prix ? Une histoire de possession en somme, la nôtre, dont Gérard Streiff signe ici le roman. Roman d’une mémoire biffée sinon dépossédée, du tout est dit sommaire d’un compte soldé à l’arrachée.--joël jégouzo--.

 

Gérard Streiff, Les yeux de Lénine, éd. Le Passage, mars 2005, 196p, 14 euros, isbn : 2847420711

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