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12 novembre 2010 5 12 /11 /novembre /2010 08:57

copi.jpgUn spectacle de fin d’humanité qui débuterait sur des hurlements de chiens que l’on ne verrait pas, remplissant tout l’espace du dehors, ponctués de cris brefs de la douleur physique des êtres humains. Des êtres peut-être même plus vraiment humain, plus tout à fait, déjà en passe de ne plus l’être du moins, jetés hors de leur humanité, à peine encore étreinte dans ces quelques cris, brefs témoins de l’expulsion. Même si l’on peut, même si l’on doit entendre dans le lointain d’une mémoire recousue, ce quelque souffle d’une musique agonisante, Bach, Mozart, Purcell certainement, aux voix naguère resplendissantes. En Alaska, au creux d’une mer de glace écrit l’auteur, c’est-à-dire nulle part, de ce nulle part peuplé d’exilés, étranger, relégué comme un décor de sous-sol d’immeuble désaffecté, un ensemble dépourvu de son être-ensemble, le sol jonché de granules de fuel séché. Et sous le niveau de la rue, enferrmées, quatre jumelles en paires furieuses, arpentant les caves aux longs couloirs rampants sous leur éclairage glauque. Le monde replié comme dans quelques tortures barbares. Le monde dont il ne reste rien : ici commencerait le territoire des chiens, un peu à la manière dont la géographie romaine de l’Antiquité signifiait l’absence de sa culture pour désigner les terres inconnues : hic sunt leones… Là où très exactement aurait dû se dresser l’humanité triomphante. C’est l’anniversaire de la sœur de Maria. Leïla déteste. Une piqûre d’héroïne la console. Surgit un autre couple de jumelles, Joséphine et Fougère. Une danse de mort commence : ces quatre-là ne cesseront plus de s’entretuer. Paumées, droguées, elles se foutent sur la gueule, se poignardent, se tirent dessus ("Putain, elle est morte"), étonnées qu’une balle fasse tant de dégâts ou qu’un couteau puisse faire des trous aussi gros. Dans la plus grande désinvolture elles s’assassinent, se massacrent : mourir n’est rien ! Mais du coup vivre non plus. Leur violence s’épanouit sans frein. Vertige : "le parc humain" livré à sa débauche fondatrice. Les dialogues s’enchaînent sur un rythme effréné, pris dans un dernier halètement commun. La pièce est époustouflante, littéralement. –joël jégouzo--.

 

Les Quatre jumelles / Loretta Song, de Copi, Christian Bourgois éditeur, juin 1999, coll. Théâtre, 186 pages, 15 euros, ISBN-13: 978-2267015065.

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11 novembre 2010 4 11 /11 /novembre /2010 10:41

jeunes-gens-aujourd-hui.jpgLa littérature comme dimension du sens, voilà ce qui nous fait le plus défaut. Les écrivains ne sont plus occupés que de leur posture –évidemment pas tous, mais l’exagération, ici, ne s’écrit pas sans quelques raisons. Ils écrivent donc vautrés ("mon livre le plus facile"), et nous devrions les lire affalés. En attendant les lendemains de bringue, féroces, nécessairement : la faillite de ce système. Vautrés… Pseudos martyres, enfants terribles, incompris, rebelles de pacotille, des us qui relevaient jadis d’un engagement, dévoyés et recyclés dans l’esprit de la farce bourgeoise. En guise d’aboyeurs, nous avons des miauleurs. Pseudos libertaires de droite, dans la noble filiation célinienne prétendent-ils, quand ils ne font qu’entonner leur sotte louange. Leurs provocations ? Une fiction. En collection Blanche (Wasp). Un anticonformisme de pacotille qu’ils préfèrent à la contestation militante, laquelle pourrait, sait-on jamais si quelque révolution venait à se faire jour, abolir leurs pitoyables privilèges et s’énoncer dans leur vie comme un calvaire. Ne parlons même pas de littérature engagée, il n’y a plus d’instinct pour cela. Se prostituer au marché (accessoirement du livre), voilà le dernier mot d’ordre à la mode.

Aujourd’hui, la société politico-médiatique est une vaste conspiration contre toute espèce de vie sociale. Le populisme noir des années de l’entre-deux guerres paraît de nouveau taillé à notre mesure ! Aucun chemin parcouru dirait-on. Le populisme pour ultime vérité d’un Peuple introuvable. D’un Peuple que l’on ne veut pas trouver. Une pathologie intellectuelle et sociale terrifiante pour bilan, où le monde des citoyens de la France d’en bas a lentement pourri. La France d’aujourd’hui ? Une foule tragique qui somnole. Du sommeil de la défaite voudrait-on nous faire croire. Une foule sans légitimité donc, forclose dans ses gestes de désespérée, qui ne rencontre pour écoute que la vindicte de politiques en proie eux-mêmes à leur manque de légitimité. Un vrai crime pour exclus. Un vrai crime d’Etat, ce dernier ayant depuis belle lurette tranché : qu’on se le dise, il ne protègera que certaines vies, définies sous le manteau de cet ensemble social qu’est le milieu politico-médiatique.

Cette amoralité sordide ne veut accepter l’interférence d’aucune éthique. Et voudrait nous contraindre à entériner son option morale : il n’y a rien de sacré dans la vie humaine. Tenez : quel journaliste s’indignerait réellement du scandale de la misère en France ? Quel journaliste s’indignerait réellement du racisme de tel ou tel écrivain ? L’horreur est donc à venir. C’est peut-être notre seul avenir commun. Il suffit de porter la main à l’oreille pour l’entendre croître sous la précarité de masse, qui est aujourd’hui le vrai destin de la France. Plutôt que ce tournant auquel on voudrait nous faire adhérer : le tournant nationaliste que nombre d’intellectuels ont embrassé avec enthousiasme et qui n’est pas sans rappeler le tournant nationaliste de ces mêmes élites dans les années 1910… Une page peu glorieuse de notre histoire, qu’il vaudrait mieux relire pour servir par exemple de leçon, à l’approche des présidentielles de 2012.

Il est vrai que l’idée nationale est une vieille connaissance des intellectuels français. Prenez ces années du début du siècle passé : il n’était pas jusqu’au débats artistiques qui n’aient été contaminés par la gangrène nationaliste. Le débat sur le Symbolisme par exemple, prenait largement appui sur des fondements nationaux. Et dans le champ scientifique ce n’était pas mieux, sous couvert d’une saine rivalité entre l’esprit français et le manque d’esprit des autres nations. Prenez Pasteur et ses élèves, patriotes à l’envi. Relisez leurs discours qui avaient pour objet d’honorer la science française, convoquez la controverse sémantique autour du terme de microbie que Pasteur défendait becs et ongles contre le terme allemand de bactériologie. Reprenez les disputes sur le choix des langues de Congrès, comme à Heidelberg, en 1911, à propos de l’usage de l’allemand.

L’idée nationale… Une vieille grimace, assurément. L’histoire d’un complexe en fait. Que l’on a voulu faire passer pour une dynamique sociale, politique, intellectuelle, thématisée dans la fameuse enquête d’Agathon (1910). Un montage plutôt que l’enquête annoncée qui, elle, prétendait recueillir le sentiment de jeunes garçons de 18 à 25 ans sur leur relation au monde –encore ne s’agissait-il que d’interroger l’élite khâgneuse ou normalienne. Un montage fabriqué avec la complicité des écrivains les plus en vue de l’époque, et qui n’avait retenu que les voix porteuses du sentiment national. Une manipulation. Diffusée à grands fracas, promue, commentée, relayée par toute la presse disponible qui n’avait plus alors en tête que de convertir le Peuple français à son nationalisme étroit… On a vu ce que ça a donné… Mêmes montages aujourd’hui, même classe d’intellectuels se gobergeant dans l’idée nationale. Mêmes échos massifs pour relayer une seule voix dans l’espoir qu’elle parvienne bientôt à dominer tous les possibles. Et dans le tempo médiatique, même diffusion complaisante des discours ouvertement racistes, discours qui prolifèrent, contaminent tout le corps social. Et nos écrivains, qui hier encore tentait de masquer comme ils le pouvaient leur position de classe en essayant de nous faire croire qu’ils étaient en dehors des classes, à occuper une position intermédiaire entre le Ciel et l’Enfer, nos écrivains de se rappeler subitement leur histoire dans son exact surgissement, au fond, celle d’une alliance qui leur profita bien, à se placer dans le sillage des nantis : la bourgeoisie ne parvint en effet à harmoniser ses valeurs avec celles des aristos qu’avec l’aide de cette cléricature nouvelle qui émergea alors : celle de l’écrivain. Des écrivains qui peuvent aujourd’hui toucher leurs dividendes sans scrupules, en se fichant même de la littérature comme d’une guigne, une littérature qui, du reste, n’a peut-être plus lieu d’être "nationalement" – les relations entre la société, la vie intellectuelle et les sensibilités publiques ne passant peut-être tout simplement plus par le livre, mais à travers des institutions nouvelles qui ne demandent qu’à surgir enfin au grand jour, comme, dansd leur versant négatif, cette grande fête civique qu’on nous prépare, de pogroms anti-arabes.

Nous assistons au fond peut-être à l’avènement d’un nouveau pouvoir spirituel en France. Qui saura confisquer la doctrine de l’enthousiasme des mains des littérateurs d’autrefois. Car déjà, la mission des littérateurs vautrés n’est plus celle du XVIIIème siècle Révolutionnaire, quand la littérature se voulait militante, porteuse de convictions pour assurer la vie et lui montrer le chemin. La foi de l’homme de Lettres s’est désagrégée, l’éducation sensible du genre humain ne signifie rien pour lui. Exit cette littérature qui s’identifiait à l’honneur de l’Esprit, au pouvoir de former des sensibilités nouvelles, à la passion de la disputatio. La littérature ne poursuit désormais que ses moyens, et elle est devenue ce genre de littérature qui ne vise pas l’inventio, mais l’elocutio. –joël jégouzo--.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5729391w.swfv.f6.langFR

Enquête d’Agathon (1910), publiée par Alfred de Tarbes et Henri Massys dans L’opinion (1912), puis sous forme de volume en 1913 : Jeunes gens d’aujourd’hui.http://www.archive.org/details/lesjeunesgensdau00mass

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10 novembre 2010 3 10 /11 /novembre /2010 08:11

 

 

spean.jpgLa Grande-Bretagne envisage le travail gratuit des chômeurs… Son gouvernement présentera cette semaine son nouveau plan anti-chômage, deux semaines après avoir rendu public un plan de rigueur assassin. Le dispositif présenté par le ministre britannique du Travail, Iain Duncan Smith, affiche un objectif abject : réduire la facture des allocations et casser le cycle de la dépendance… Comme si les chômeurs souffraient d’addiction à la paresse, quand tous ne réclament en réalité qu’une chose : du travail, que ce même Ministre est incapable de leur fournir… Voilà qui pourrait bien inspirer la clique au pouvoir en France… Voilà qui, surtout, convoque un vieux travers anglo-saxon face à la misère du Peuple, que des dirigeants incapables n’ont jamais su régler autrement que par une répression féroce.

 

 Pour mémoire, les débats qui secouèrent l’Angleterre au plus fort de la Révolution industrielle, poussant les patrons à ne se soucier d’un Bien dit commun qu’entendu comme condition d’affrontement des enjeux de la concurrence internationale, à l’exclusion du sort des salariés. En voici un exemple pertinent, dans lequel il ne s’agit rien moins que de demander que soit libéralisé la traite des travailleurs britanniques pour faciliter leur exploitation sauvage… Rhésus Gregg, industriel à Styal (commune de Manchester), parvenait difficilement à recruter de "bons" ouvriers pour ses fabriques. Il réfléchit à la question. Voici ce qu’il écrit à Edwin Chadwick, Secrétaire de la Commission Loi sur les Pauvres :

 

" Manchester, 17 septembre 1834.

Je prends temporairement la permission de m’adresser à vous sur le même sujet que mon ami Ashworth, dont je sais qu’il vous a fait parvenir des conclusions identiques, à savoir, la convenance d'ouvrir un système d’échange entre les espaces où vivent nos "sous-hommes" (underpeople). J’ai le sentiment que ces suggestions sont telles qu’elles méritent d'être rendues opérationnelles immédiatement. Nous considérons même cela comme une coïncidence heureuse, au moment où l’on songe à supprimer ou du moins à diminuer fortement les allocations à une moitié de la population vivant en Angleterre, et au moment où, par ces décisions, une grande partie de cette population risque de se voir précipitée dans une très grande misère du fait du niveau très bas des salaires que l’on connaît aujourd’hui, chute dont nous savons qu’elle pourrait provoquer une bousculade vers l’emploi, qui pourrait introduire une difficulté nouvelle à gérer l’afflux des travailleurs des comtés du nord, où par ailleurs les salaires sont encore beaucoup trop élevés. De cette occurrence, nous devrions pouvoir tirer le meilleur profit. Mais en ce qui concerne le système des Lois sur les pauvres, qui lient encore trop souvent les travailleurs à leurs paroisses respectives, en mode et en degré, je n'ai pas besoin de vous expliquer, surtout à vous, ce que l’établissement d’une libre circulation des travailleurs pourrait nous procurer comme avantages. D’autant que rien, pas même les règlements des Lois sur les pauvres, n’a jamais empêché cette circulation, les travailleurs ne s’étant pas privés de courir d’ici et de là, réduits qu’ils étaient à l’état de glebae d'adscripti (attaché au sol).

Dans mon entreprise, le travail proposé atteint un volume de douze mois non pourvus en travailleurs. Dans un autre moulin, nous ne pouvons pas mettre en marche nos nouvelles machines, pour les mêmes raisons de pénurie d’ouvriers. Si j’en reviens à ma propre demeure, je ne peux constater que ma frustration : mes salons ne sont toujours pas pourvus des portes adéquates, ces dernières ayant été envoyées il y a un certain temps déjà pour être changées, du fait que le progrès de ce travail a été stoppé par un mouvement de contestation d’ouvriers du bois. Le charpentier du village dans lequel je réside ne peut en effet achever ma commande, ayant, comme il dit, été à court de manœuvres toute l'année. Je ferai donc cette suggestion : des voies de circulation devraient être ouvertes officiellement entre deux ou trois de nos grandes villes, par l’intermédiaire de vos bureaux, qui pourraient alors gérer les travailleurs que les paroisses les plus surchargées ne peuvent entretenir, et que vous obligeriez en leur demandant de nous transmettre leurs listes des familles concernées. Les Fabriques en difficulté de recrutement pourraient alors consulter ces listes et choisir soit de faire déplacer des familles vers leur paroisse, soit des enfants en bas âge ou des hommes, des veuves, des orphelins, etc. Si ceci pouvait être fait, je ne doute pas qu’en peu de temps, nous puissions absorber un nombre considérable de travailleurs en surplus dans le Sud par exemple, qui pourraient nous êtes fournis plutôt que de les voir partir en Irlande. Vous devez évidemment comprendre que nous ne pouvons pas mettre en place ce système avec la population de rebuts et les pauvres insoumis qui vivent chez nous. Nous devons donc jouer franc jeu : les ouvriers durs à la tâche, ou les veuves avec leurs familles, qui ont choisi de vivre une vie honnête dans un workhouse, j’en suis confiant, sont certainement en demande d’une telle solution. Je puis ajouter, qu’il me semble que cela pourrait être expérimenté très vite sur une petite échelle. Nous voulons tous du travail. Est-il donc permis d’envisager que l’année prochaine, à moins d’un imprévu, soit une année de croissance de la production de notre fabrique ? Car sans cela, en repoussant plus loin un tel accord, ne redoutez-vous pas que cela ne devienne un encouragement à la débauche, à l’organisation en syndicats de travailleurs protestataires et ne conduise finalement à des revendications d’augmentation de salaire ? Et si, imaginez que la nourriture devienne bon marché, que le désir d’éducation (je ne veux pas dire simplement la capacité de lire et écrire qui, ici, ne concerne que très peu de gens), mais l'éducation capable d’affecter les façons, les morales, et l'utilisation appropriée de leurs avantages, venaient à devenir une revendication, ne pourraient-elles pas aussi, devenir les objets d’une vive déploration ? Je souhaite que le gouvernement ne permettra pas à une autre session de passer sans œuvrer pour que nos projets ne soient mis en place."

 

A mort les pauvres !

Le système de Speenhmaland avait créé une distinction décisive entre la "pauvreté utile", positive car elle motivait les pauvres à trouver à n’importe quel prix un emploi, et "la pauvreté stérile", qui résultait d’une disposition à la paresse, une pathologie en quelque sorte, poussant évidemment au crime. Seuls les pauvres utiles devaient être sauvés. On mit ainsi en place une politique de tranquillité — ce fut son nom—, qui visait à les récupérer (en échange d’un salaire le plus bas possible). Evidemment : l’un des objectifs moins charitables de cette politique de tranquillité visait à ne plus avoir de taxe à payer pour le soulagement des pauvres, cela va sans dire…--joël jégouzo--.

 

Rapport annuel de la Commission des lois sur les pauvres, Manchester, annexe C, numéro 5 (1835). Traduit par mes soins.  

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9 novembre 2010 2 09 /11 /novembre /2010 08:49

sartre.jpgSartre s’interroge en 1947. Mais c’est une interrogation de philosophe.

Où trouver l’appui qui l’enracinera dans cette dimension du sens dont parlait March Bloch ?

Qu’est-ce que la littérature, dans cette dimension du sens commun qui la fonde ?

Quand y a-t-il littérature ?

 

 

Faisons vite : la question ne se pose presque plus déjà quand Sartre la pose. Gracq est en passe de lui donner une conclusion deux ans plus tard, dans son pamphlet : La Littérature à l'estomac. Une manière de remettre les pendules à l’heure (d’été), non sans intelligence ni talent, ni raison du reste. Mais avec Gracq, il ne s’agit déjà plus que de partager le gâteau. Les prix littéraires en deviendront la forme la plus achevée : une farce pour les générations futures. Gracq affûte donc une arme redoutable : l’autonomie du littéraire. La transposition, en somme, de la réquisition de Heidegger dans le champ littéraire.

 

Quelle fin poursuit la littérature ? Aucune. Ce qu’elle est réellement ? Demandez à Mallarmé, désabusé : ce n’était donc que cela, la création littéraire : un pur jeu formel… Mais à l’époque de Gracq, cela fait figure de manifeste. Contre Sartre. On trouve l’idée élégante, en plus d’être rassurante. Exit l’Histoire. La littérature dégagée. Il n’y a plus rien à voir, peut-être plus grand chose à lire, il n’y a pas de conscience littéraire, et s’il en existe une, elle ne reflète rien. Si : son potage de lettrines et de poncifs accumulés à la hâte, voire de dissertation scolaire poussive mais aux allures grammaticales coruscantes sur la carte et le territoire. Le tout articulé par une propédeutique de la lecture à combler d’aise les maisons d’édition : enfin un auteur qui va nous faire vendre du bouquin. Car pour Gracq, seule la grâce du lecteur peut fonder le plaisir du texte, comme le dira plus tard Barthes, et seul ce plaisir actualise le pacte littéraire –en attendant que le pacte ne se scelle ailleurs bientôt, hors des usages du texte, sur cette autre scène où se joue l’image de l’auteur. Du coup, la littérature connaît son premier glissement : libérée des gros clous de l’Histoire, elle devient un marché. Enfin… On parle encore, dans les officines, d’une "demande" à laquelle répondre. Réponse faite pour apaiser les consciences dans un pays où la littérature reste un mythe fondateur de l'idée nationale.

D’un côté donc, chacun sa niche : on taille le marché en parts. On promeut même l’élargissement de la cible : pourquoi ne s’en tenir qu’aux seuls lecteurs ? Puisque le livre est un produit, le non-lecteur fournira demain la clientèle de masse de ce marché. Superbe malice. Au terme de laquelle, évidemment, ne survivront que les vedettes de la littérature show-biz. Les chanteurs de charme, comme l’écrivait Pierre Senges. Ce fut le grand miracle de l’après-Sartre. Aux enfants de Gracq, pour faire vite, il ne restait qu’à devenir les actionnaires d’une société de consommation bâtie sur ce vide, et dont la logique ne servirait en fait qu’à redistribuer les dividendes du marché (du livre).

Voilà. On y est. A en toucher le fond bientôt. Rien d’étonnant à ce que le formalisme ait fini par régner en maître dans les Lettres françaises : il n’ouvrait en somme qu’à des querelles de tirages. Et encore, l’époque du formalisme était une époque bénie, du point de vue de la qualité littéraire des textes promus sous leur manière. Restait à mettre en place les hiérarchies : la Blanche, et les autres littératures. Une littérature des élites (?) et des littératures populaires, avant d’en joindre, ultime pied de nez, les deux bouts dans la foirade des Prix.joël jégouzo--.

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8 novembre 2010 1 08 /11 /novembre /2010 08:37

skopje2.jpg"Sans innocence à l’être la vérité sacrera le démon".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Battement de l’âme pour un frère rêvé (extraits)

(…)

Je reconnais même je sais et feins tout d’ignorer

Le rythme du temps – il le fait sien,

Je sais être du silence ignorant de mon âme,

De la foi rancuneuse avec quoi je rends grâce !

Et m’agenouille,

Je nourris la bêtise

Qui me prive des grâces de la sagesse,

Comme corrompre la douceur,

Et de l’amour de l’homme baiser ma seule lèvre,

Voici : je suis sec !

 

 

 Ne pas me hâter (extraits)

Ne pas me hâter,

 

Ne pas me hâter de dire que je suis humain,

La dérision s’étiole le béjaune affolé ;

Et ouais ! Qu’il en soit ainsi !

Ne pas me hâter

De prouver que je suis humain –

- de toute éternité !

 

Né en 1954, à Skopje en Macédoine, dans une société qui ne pratiquait pas l’édition. Aucun texte imprimé connu, sinon par la Biennale Internationale des Poètes en Val de Marne. Poèmes traduits par Pierre Chopinaud.

Image Skopje : vue d’un satellite.

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7 novembre 2010 7 07 /11 /novembre /2010 00:00

hdante.jpg"La parole humaine ne retentit pas dans le vide. Elle ne demeure pas stérile. Elle est une sommation du silence, elle appelle…"

Elle appelle dans l’inexorable nuit du dehors qui fait de nous des êtres d’intérieur, égarés dans un monde donné pour notre seule réalité, têtu et contingent, mais incapable de fabriquer autre chose que des combinaisons précaires -dès lors, frivoles.

"Sous la copieuse machine des apparences, il y a en réalité vacance, absence." Ou bien à peine les murmures d’un réel qui s’avance à notre rencontre comme un effet de texte pour nous parler, humblement et joyeusement, de sa propre absence.

Et nous avons beau savoir que nous sommes un certain commencement de son être et qu’il écrit aux dedans comme aux dehors nos fins possibles, nous devons l’amener à d’autres connaissances.

La vocation du poète est ainsi de constituer un spectacle fermé depuis lequel affronter la Totalité. Poësis perennis. Même si et parce que, "le but de la poésie n’est pas de plonger au fond de l’Infini pour trouver du nouveau, mais au fond du défini pour y trouver l’inépuisable."

Car nous aurons toujours à trouver notre route et la recommencer, "conduite ou égarée, comme des Héros d’Homère, parmi les vicissitudes les plus passionnantes et les plus imprévues, vers des sommets de lumière ou des abîmes de misère." --joël jégouzo--. 

 

Les citations sont de Paul Claudel : Réflexion sur la Poésie.

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6 novembre 2010 6 06 /11 /novembre /2010 00:00

le pauvreL'examen du projet de loi de finances de la Sécurité sociale a permis au gouvernement, la semaine dernière, de s'attaquer à l'accès des étrangers à la couverture maladie universelle (CMU). Le 2 novembre, le député UMP marseillais Dominique Tian et ses collègues du collectif Droite populaire, ont déposé une série d'amendements visant à restreindre le dispositif de l'Aide médicale d'État (AME). Plus de 200 000 personnes seraient concernées, pour un coût à peine supérieur à celui de 2 airbus présidentiels…

Au delà du spectre des maladies infectieuses contractées et véhiculées par ces travailleurs du bout du monde, contaminant nombre de mises ne garde de nos chers députés et qui ne sont pas sans rappeler les assignations biologiques les plus odieuses des discours européens sur le thème de l’étranger, il est admirable de voir à quel point les thèmes racistes, aujourd’hui, rejoignent les figures politique de la lutte non contre la pauvreté, mais contre les pauvres…

Relire Simmel en associant la figure du pauvre à celle du sans-papier (qui est au fond un étranger pauvre), dans cette perspective, apparaît plutôt instructif. Simmel se posait en particulier la question de savoir ce que faisait apparaître l’aide aux pauvres, en tant qu’institution publique. Et non sans pertinence, il montrait que l’aide fournit aux pauvres, sous couvert d’assistance, n’avait de raison d’être que de subvenir à leurs seuls besoins vitaux, se présentant in fine comme des mesures techniques de maintien des pauvres dans l’exclusion.

"L’assistance publique occupe, dans la téléologie juridique, la même place que la protection des animaux", observait-il. Personne, par exemple, n’est puni pour avoir torturé un animal, mais pour l’avoir fait ouvertement. Idem des pauvres ou des sans-papiers : personne n’est punissable, car personne ne les malmène ouvertement.

Par ailleurs, Simmel observait l’absence de droit des pauvres à être aidés : le pauvre, tout comme le sans-papier, n’a aucune légitimité à porter plainte. Il n’existe pas de droit opposable du pauvre en cas de défaillance de l’assistance, tout comme il n’existe pas de droit opposable du sans-papier plongé pourtant dans une situation de précarité telle, qu’elle menace sa vie. Cette élimination du pauvre, tout comme du sans-papier, de la chaîne juridique est ainsi ce qui peut se concevoir de pire du point de vue des Droits de l’Homme. Si bien que le pauvre, en tant que pauvre, peut bien certes appartenir à la réalité historique de la société, tout comme le sans-papier, juridiquement, ils sont l’un et l’autre "sans âme". L’un et l’autre sont placés (de force) en dehors des espaces auxquels, pourtant, ils appartiennent : ceux du milieu historique réel. Cette négation les enferme de fait dans une totale négativité de leur être, les renvoyant l’un et l’autre à la typologie du lien social conflictuel. Le devoir d’assistance, ainsi que le député Dominique Tian le conçoit, ne sera plus un devoir de secours mais de stigmatisation du pauvre, comme du sans-papier, dans le seul but d’en contrôler les déplacements avant de les nier purement et simplement pour l’enfermer là où sa vie prend son seul sens possible : son élimination.joël  jégouzo--.

 

Georg Simmel, le Pauvre, éd. Allia, traduit de l’allemand et présenté par Laure Cohen-Maurel, janvier 2009, 92 pages, 6,10 euros, EAN : 978-2-84485-300-4

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5 novembre 2010 5 05 /11 /novembre /2010 00:00

casse-dub-siecle.jpgLe document n°1 des ventes aux Etats-Unis. Mais pas en France. On ne se demande plus pourquoi. Mais on se rappelle comment les banquiers américains nous avaient vendu leur crise, l’art de la titrisation, ou comment couper de l’héroïne pure avec de la farine pour la refiler à l’étranger. Et tout le monde avait marché. Mais il y avait mieux : le Big Short made in US, ou l’art de gagner des fortunes en spéculant à la baisse sur un produit. De nombreux mois avant le Krach, une poignée de traders avaient engagé des sommes énormes sur l’espoir de ce krach, empochant par la suite jusqu’à 50 fois leur mise ! C’est cela que l’ouvrage raconte, jusque dans le détail des calculs, des combines, des alliances, des noms. Un livre qui eut un énorme retentissement aux Etats-Unis et de nombreuses implications juridiques, car il décrivait avec précision les méthodes, les prises d’intérêt et le laxisme des banques, peu effrayées à vrai dire de faire faillite, assurées qu’elles étaient de voir le monde politique voler à leur secours… C’était l’époque bénie où un trader pouvait fabriquer un titre pour miser sur son échec et gagner un maximum à ce jeu… C’était l’époque bénie de la corruption massive des agences de notation qui garantissaient les actions les plus pourries pour mieux les revendre à une banque française un peu lente à la détente, sans trop avoir à se préoccuper des conséquences. C’était l’époque bénie…, mais le livre nous apprend que rien n’a changé, que les Etats se sont simplement endettés pour sauver ces banques véreuses, prêtes à nous en remettre une couche. Un pamphlet saignant, loin de la langue de bois de nos Ministres, accumulant page après page les témoignages d’incompétences avouées. La confession d’une imposture, les confessions de ces traders voyous qui ont réussi le casse du siècle avec la complicité des banques et des politiques, celui de dettes personnelles remboursées avec les deniers publics ! --joël jégouzo--.

 

Michael Lewis, Le casse du siècle, titre original : The Big Short, éditions Sonatine, traduit de l’américain par Fabrice pointeau, avec la collaboration de Guy Martinolle, septembre 2010, 322 pages, 20 euros, EAN : 978-2-355-840531.

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4 novembre 2010 4 04 /11 /novembre /2010 10:11

judith-good.jpgStefan Nowotny s’était attelé à la tâche de cerner les ambiguïtés du concept d’hybridité, tel que fournit dans les Postcolonial Studies. Sa première interrogation portait sur l’étymologie du concept lui-même, renvoyant à une origine zoologique, et plus pratiquement aux thèmes discursifs des pratiques d’élevage, enrôlés dans les discours de construction des idéologies de la race. Il en suivait ensuite les usages sous le couvert des technologies sociales du XVIIIème siècle au XIXème siècle, au sein desquelles l'opposition entre la conservation de la pureté et la problématique du mélange étaient centrales. Retrouver un vieux concept raciste déployé dans ses théorisations récentes à l'encontre des proscriptions racistes, avait ainsi de quoi choquer. En fait, avec une singulière intelligence, Homi Bhabha s’en était emparé moins pour étudier des identités culturelles que des opérations d’identification. Là réside la force de sa vision.

Le concept lui-même semble ne pas avoir eu cours dans le contexte colonial, sinon sous la formalisation du métis. Mais la réalité de l’hybridité traversa insidieusement les discours coloniaux. Le pouvoir colonial, pour imposer sa domination, exigeait par exemple de ses sujets qu’ils valident les symboles et les discours de son autorité. Ainsi, à l’intérieur du cadre autoritaire mis en place, se répétait dans les mentalités des dominés ces rapports de domination, sous la forme d’une ré-appropriation de l’acte de soumission par les sujets soumis eux-mêmes. Cette répétition engendrait cependant, ainsi que le démontra Homi Bhabha, des différences qui éloignait du coup ces figures de discours de la simple représentation. A travers la répétition, une différence était introduite dans les rapports sociaux, qui ne laissait intacte ni l’autorité coloniale, ni la société opprimée, hybridisant littéralement l’une et l’autre, les déstabilisant de manière simultanée. C’est cette distance de la répétition qui devait, selon Bhabha, transformer finalement les symboles d’autorité en signes de différence. Judith Butler l'a par ailleurs souligné : "la réitération du pouvoir non seulement temporalise les conditions de sujétion, mais dans la mesure où elle les montre temporalisées, non-statiques, elle révèle ces conditions actives et productives. La temporalisation achevée, par et à travers la répétition, pave les voies pour le déplacement et le renversement de l'apparence du pouvoir".

Bien évidemment, une telle résistance a un prix : celle d’une complicité certaine avec le pouvoir auquel on s'oppose -"dans l'acte d'opposition contre la sujétion, le sujet répèt(ant) sa domination", ainsi que l’écrit Judith Butler. Ce qui amenait Stefan Nowotny à conclure que le concept lui-même, s’il se montrait opérant à ré-ouvrir la question de la domination en pointant les conditions d'émergence d’une résistance possible, ne pouvait pour autant aider à organiser une capacité politique concrète de changement. Mais il est vrai que son étude visait surtout à démontrer que l’on ne pouvait exporter, ainsi que la tentation s’en présentait aux Etats-Unis, le concept d’hybridité du champ des Postcolonial Studies à celui de la contestation politique en général. Il est un point, en revanche, où son étude mériterait d’être reprise, lorsque, étudiant l’expansion du concept d'hybridité dans ces types de transgression qui prétendent reformuler un espace entre l'art et la politique, Stefan Nowotny épingle non seulement l’impuissance de ces discours à changer quoi que ce soit, mais donne à méditer sur les complicités à l’œuvre, qui finissent par verser ces pratiques artistiques du côté de la "Réaction" plutôt que de celui de la contestation…--joël jégouzo--.

 

Hybridités ambivalentes, Stefan Nowotny, Université de Stuttgart, mai 2002.

Judith Butler, The Psychic Life of Power: Theories of Subjection, Stanford University Press, 1997.
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3 novembre 2010 3 03 /11 /novembre /2010 09:23

culture.jpgQuel usage pouvons-nous faire aujourd’hui du concept de culture nationale ? Que peut-il devenir, passé au crible des Postcolonial Studies ? Car si l’on admet avec Homi Bhabha que toute culture est hybride, si aucune n'est pure, que désigner dans l’emploi de ce terme, qui permette d’en valider l’usage commun, celui d’une totalité culturelle déterminée nationalement et qu’il serait possible à loisir non seulement de décrire, mais de discriminer et d’évaluer identitairement ?

L’énoncé «toute culture est hybride», balaie un espace intellectuel très vaste, entre la borne de l'hybridité et celle de l’identité. Et cet énoncé commande bien évidemment que l’on ne puisse rabattre son contenu ni sur l’une, ni sur l’autre des positions proposées. Si bien qu’il pourrait s’avérer inopérant, s’il n’ouvrait pour le coup à la seule interrogation intéressante, qui est celle de la question des opérations d'identification et de discrimination à l’œuvre au sein de ce que nous nommons culture. Question dont on aurait alors tôt fait de découvrir le vrai contexte d’énonciation : politique et non culturel.
La rhétorique des cultures, largement inefficace, rappelait le théoricien des cultures Stefan Nowotny lorsqu’il se penchait précisément sur cette problématique, largement inefficace donc dans sa confrontation aux culturalismes néo-racistes, ne l’est ainsi peut-être que parce que sous ce mot de culture, les opérations les plus louches sont menées. Dont celles qui, au cœur des constructions culturelles, relèvent de ces fameuses «négociation»s (le terme et le procès qu’il désigne relève de la problématique de l’hybridation construite par Bhabha), constitutives de toute démarche culturelle, orientant pour des raisons souvent extra-culturelles vers tel segment identitaire plutôt que tel autre, le tout selon une intentionnalité encore une fois plus politique que culturelle. Opérations qui ont pour effet de déguiser des mécanismes d’exclusion en choix culturels.

En fin de compte, le concept de "culture" semble bien ne plus pouvoir être compris que comme l'effet de pratiques discriminatoires, visant uniquement la production de différentiations culturelles «en tant que signe d'autorité» (Edith Butler). Sa seule fonction serait ainsi de «créer des marques de pouvoir, qui ne sont autre chose que les symptômes d'une société qui ne veut pas trouver d'issues politiques à ses problèmes», ainsi que l’affirmait Stefan Nowotny, dans sa communication faite sur ce sujet à l’université de Stuttgart, en 2002. Une communication que l’on pourrait relire aujourd’hui en l’élargissant, même si l’exercice pourra paraître grossier, au problème de la création artistique dans son ensemble, affirmant sous des discours d’apparence anodine -l’art du métier-, rien d’autre que la production de signes d’autorité renforçant culturellement un ordre politique qui conduit à l'exclusion juridique des non-citoyens de l'Etat-Nation –les émigrés par exemple, les Rroms, voire toute minorité «culturellement» disqualifiable… Reste tout de même que si l’emploi du terme de culture est devenu non sans raison problématique, sa disqualification ne satisfait pas, quand bien même il s’apparenterait à ses termes fourre-tout dont le flou assure une rentabilité épistémologique indéniable. Mais peut-être au fond que cette problématisation récente, nécessaire, finira par ouvrir droit à une conception du fait culturel éloignée de ces signes d’autorité dont la culture contemporaine se montre par trop friande.--joël jégouzo--.

 

Hybridités ambivalentes, Stefan Nowotny, Suttgart, Zentrum für Kulturwissenchaft, 05/2002.

Edward W. Said, "Kultur, Identität und Geschichte", in: G. Schröder / H. Breuninger (Hg.), Kulturtheorien der Gegenwart. Ansätze und Positionen, Frankfurt/M.: Campus 2001.

Edith Butler, The Psychic Life of Power: Theories of Subjection, Stanford University Press, 1997.

Art and Contemporary Critical Practice : Reinventing Institutional Critique, Stefan Nowotny, MayFly ed., 266 pages, mai 2009, ISBN-13: 978-1906948023.

 

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