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20 septembre 2011 2 20 /09 /septembre /2011 06:43

pena-ruiz.jpgQu’est-ce que la laïcité, quelles en sont les raisons historiques, les principes philosophiques ainsi que les traductions juridiques, pour l’Etat, l’école et la société ? Henri Pena-Ruiz, professeur de philosophie, s’est attaché à nous l’expliquer en quelques propositions claires, comme volonté de la République de ne pas distinguer les personnes entre elles. La laïcité, commente-t-il, fonde notre cadre politique sur trois principes indissociables qui ne visent à rien moins qu’unir les êtres humains et les faire vivre ensemble de la façon la plus juste qui soit. Premier de ces principes, celui de la liberté de conscience, nécessairement articulé au principe d’égalité des droits de tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions spirituelles, principe auquel la Puissance Publique assujettit sa vocation : l’Etat, qui est la communauté de droit de tous les citoyens, n’est dans son rôle que lorsqu’il vise l’intérêt commun et non l’intérêt particulier de certains.

On comprend bien ce que pointe Henri Pena-Ruiz, qui dans l’Histoire de notre pays s’est construit non sans tumulte comme la garantie d’un fonctionnement plus juste de la Puissance Publique. Mais si l’on comprend le sens historique de ce combat, en revanche, là où le philosophe peine, c’est à sortir de l’approche historico-philosophique pour nous expliquer en quoi, aujourd’hui, la défense de la laïcité telle qu’elle s’est formulée dans les Lois récentes, s’avérait nécessaire… Définir en outre, comme le fait Henri Pena-Ruiz, notre époque comme celle des crispations communautaristes, en en rejetant la faute sur ces minorités visibles tellement dérangeantes aujourd’hui, paraît pour le moins problématique : c’est la question de l’inégalité républicaine du traitement des personnes, dans les faits et non dans les principes, qui a mobilisé ces minorités, naguère escamotées non seulement de l’espace public, mais du Droit Républicain ! Les propos sur la défense de la laïcité s’avèrent ainsi biaisés : les lois récentes ne visaient en réalité pas à défendre la laïcité, mais à stigmatiser des populations, à distinguer, à différencier, c’est-à-dire à produire exactement l’inverse de ce que l’on énonce ici concernant ce soit disant idéal républicain construit trop théoriquement pour être honnête. Certes, il est bon d’avoir des principes et à ce niveau, on ne trouvera pas grand chose à redire. C’est enfoncer des portes ouvertes et convoquer sans nouveau frais l’Histoire. Au mieux, une piqûre de rappel, peut-être utile, mais pas vraiment nécessaire : nul ne songe sérieusement à confessionnaliser l’Etat français, et moins encore ses nations… Cela posé, dire que la Puissance Publique ne peut s’assujettir à la croyance des uns ne peut être suffisant : la Puissance Publique construit des croyances convenables, des pratiques du moins, qu’elle exhibe sans pudeur en stigmatisant d’autres pratiques comme incultes, sinon barbares. Henri Pena-Ruiz n’est ainsi plus à sa place quand il évoque le voile comme le symbole de l’oppression féminine… On connaît assez cette rhétorique et ses effets dévastateurs pour ne pas y sacrifier de nouveau.joël jégouzo--.

 

La Laïcité, Histoire d’un fondement de la République, Henri Pena-Ruiz, éd. Frémeaux et associés, août 2011 Collection Lectures, 1 cd-rom, ean : 356-1302535128.

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19 septembre 2011 1 19 /09 /septembre /2011 07:59

david-crockett---copie.jpgLes éditions Cartouche publient, comme à l’accoutumée, des textes touchant au destin tragique des amérindiens absolument sans aucun recul, sans appareil critique, sans distance, nous livrant une bibliographie en fin de compte édifiante à force de cécité. Ici, les mémoires de David Stern Crockett, héros de toutes les enfances, qui naquit un 17 août (1786) au bord de la rivière Nola Chucky. Chasseur dès son plus jeune âge, aimant volontiers faire le coup de poing en compagnie des rudes rouliers de cette brutale Amérique naissante, David se maria à Winchester l’année qui vit débuter la guerre d’extermination des Creeks. Saisissant l’opportunité, il s’engagea aussitôt dans l’armée pour "défendre le pays", écrit-il sans rire, quand il ne s’agissait que d’exterminer les indiens… Sa troupe franchit le Tenessee, pénétrant en territoire Creek. David saisit une nouvelle fois sa chance, se fait commando de chasse, traque le "gibier" indien dans les bois, fait du renseignement et gagnent en notoriété grâce aux coups tordus qu’il réussit avec quelques huit cent autres volontaires en quête de sensations fortes : ils encerclent la ville indienne de Black Warrior’s Town, la rase, y mettent le feu, enfermant dans leurs tentes femmes et enfants pour les brûler vifs et croquer ses exploits dans la plus parfaite insouciance d’une plume désinvolte, consignant sans état d’âme l’atrocité banale d’une escouade formée au massacre de masse… "On a brûlé la ville", répètera-t-il à longueur de pages, égrenant un périple tout simplement assassin, de villages en villages semant la mort et la terreur sans jamais en concevoir le moindre mal, avant de devenir trappeur et de consacrer sa retraite à forger sa légende, pour le plus grand plaisir des marchands d’innocence…--joël jégouzo--

 

David Stern crokett, Vie et Mémoires authentiques, éditions Cartouche, mars 2010, 188 pages, 10 euros, ean : 978-2-915842-58-6.

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16 septembre 2011 5 16 /09 /septembre /2011 09:20

espagne-reve.jpgIl faut changer la société, nous dit Pierre Rosanvallon. La Gauche ne peut se contenter de corriger à la marge. Ce à quoi elle incline pourtant, nécessairement, par souci de real politik quand il s’agit avant tout de débarrasser le pays du dispendieux, du funeste Nicolas Sarkozy, quand il s’agit avant tout de rétablir les comptes de la Nation, d’éponger une dette colossale dont on voudrait nous rendre collectivement responsable quand elle n’est que le fait d’une poignée de nantis. Il faut économiser, payer, se sacrifier encore nous promet-on à mots feutrés, tant les dérives du règne sarko auront été monumentales. Au risque d’oublier que la citoyenneté ne peut plus se résumer au vote, à ces journées de dupes de l’urne propriétaire, qui n’a cessé dans notre beau pays de cristalliser cette communauté d’épreuve qu’est devenue la société française.

Comment faire vivre l’idéal démocratique quand le monde politicien n’a cessé d’instruire une citoyenneté politique rapetissée à la votation, au détriment de la citoyenneté sociale qui est là où blesse le bât sous les coups de butoir de l’injustice et des inégalités ? Il y a eu, nous dit Pierre Rosanvallon dans son dernier essai, une spectaculaire rupture du contrat démocratique en France. Une rupture installée par le haut, par un personnel politique plus soucieux de ses privilèges que du Bien Commun, mais à laquelle semble-t-il nous dire, la Nation a elle-même consenti. Un consentement à l’inégalité qui aura fait les (quelques) beaux jours de Sarkozy. Une France convertie à la passion de l’inégalité sous couvert d’une méritocratie qui n’était qu’une légitimation méritocratique des inégalités à la française –voyez la carte scolaire, voyez la conversion des bobos à leur identité résidentielle. Une France qui aura accepté l’affaissement des représentations traditionnelles du juste et de l’injuste. Rosanvallon use de mots forts pour en parler, évoquant la dénationalisation de notre pseudo démocratie, où depuis belle lurette les riches ont fait sécession et les politiciens renoncé à empêcher que naissent de véritables ghettos dans les banlieues –voir à ce sujet le rapport d’une commission parlementaire publiée sous le manteau et aussitôt escamoté dans les archives poussiéreuses de l’Etat, sans susciter le moindre débat alors qu’il livrait des conclusions littéralement stupéfiantes de notre représentation nationale, Droite Gauche confondues…

tunisie1.jpgFaire vivre l’idéal démocratique, dans ces conditions… Nous sommes loin du printemps des révolutions arabes, inventant des procédures quasi physiques de votes délibératifs, réactualisant ces fêtes qui transforment les individus en citoyens…

Il semble pourtant qu’ici et là on ait pris la mesure du vrai écueil de la société française : il faut trouver des réponses sociales pour surmonter la crise, financière, économique, politique, qui secoue notre société. Des réponses sociales, c’est dire quelle importance revêtira alors dans le parcours qu’on nous inflige vers l’urne propriétaire, l’articulation de l’idéal démocratique aux conditions institutionnelles de son effectuation… Mais on a guère entendu les politiques s’exprimer sur les formes techniques que devrait prendre le bon gouvernement des hommes. Or, c’est là qu’il faut agir. Il faut transformer le fonctionnement de la machine gouvernementale. Le triomphe de l’économie ET du gouvernement sur tous les autres aspects de la vie sociale sont insupportables. Il faut toucher à l’ordre fonctionnel de la République, l’enjeu décisif étant le fonctionnement du dispositif gouvernemental. Oui, le gouvernement des hommes est bien l’enjeu majeur de la souveraineté politique, ainsi que l’avait très bien cerné Foucault. L’acte de gouvernement ne peut pas ne pas inclure la liberté des gouvernés. L’Administration Publique ne peut être ce Moloch qu’on nous a imposé. L’idéal démocratique du Peuple Constituant est l’exacte contraire de la pratique du vote secret. Si bien que ces utopies politiques que l’on a vu fleurir au travers du mouvement transnational des indignés par exemple, ou du printemps arabe, ne peuvent être simplement décriées comme les vestiges obscurs déposées sur le rivage d’une civilisation en perdition, auxquels des idéalistes feraient retour nostalgiquement. La Nation, sans la vie publique du Peuple, est-elle possible ? Qu’est au demeurant cette vie publique du Peuple quand elle passe sous la coupe de l’Opinion Publique, sinon la forme contemporaine de l'Acclamation que les médias ne cessent de promouvoir comme une liturgie bien perverse qui vient de nous coûter, déjà, le règne obscurantiste d’un Sarkozy ? Ne livrons plus le pouvoir politique aux mains des experts ou des médias. La Politique est une sagesse, non une science, qui commande d’interroger sans cesse les techniques de gouvernement et de pouvoir, si souvent fatales à l’idéal démocratique. –joël jégouzo--.

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15 septembre 2011 4 15 /09 /septembre /2011 09:04

Cosnay-audiences.jpgDe mai à septembre 2008, Marie Cosnay à assisté aux audiences des étrangers présentés devant le juge des Libertés (et de la détention), à Bayonne. Elle a noté tout ce qui s’y est dit, mais aussi les faits, les gestes, les poses, les mimiques, des paroles saisies de chagrin, frappées par le néant. Elle a observé les juges, dépassés, débordés, désorientés. Elle a noté leur gêne, leurs erreurs, le discours toujours convenu du représentant du préfet accroché à ses chiffres, à l’application absurde de la Loi, comme dans le cas de ce sans-papiers arrêté au moment où il quittait le sol français pour retourner chez lui, enfermé désormais dans une prison française… Elle a noté la consternation des avocats, le manque de métier des commis d’office ou encore l’étonnement, sincère, du juge, que des français puissent accueillir, nourrir, loger des étrangers en situation irrégulière. Elle a consigné les vaines leçons de morales des autorités, constaté que dans les documents officiels de la Justice Française, ni le juge, ni le greffier, ni le représentant du Préfet ne savaient écrire le mot "Sikh". Elle a vu un irakien au sourire triste -n’a-t-on pas libéré son pays ?-, qui s’était introduit clandestinement en France pour y acheter les médicaments dont il avait besoin pour se soigner. Elle a vu le juge le renvoyer mourir en Irak en moins de cinq minutes trente. Elle a entendu cet étrange sabir que l’on parle dans les tribunaux. A qui s’adresse ces juges, incapables de prononcer même le nom des gens ? Elle a vu des enfants pleurer en vain, des femmes rejetées au nom des vindictes ordonnées par nos politiques. Elle a écouté les langues, toutes les langues du monde, une richesse, qui venaient bruisser dans le prétoire. Le hindi, le ourdou. Et la peur, l’angoisse, le désespoir. Elle a chronométré les quelques minutes consacrées à chacun. Parfois moins quand il n’existe pas de traducteur. Ou quand les dossiers s’accumulent de trop. Elle a vu le juge accélérer avant la pause de midi, se perdre dans ses fiches, s’énerver, se tromper, ne plus rien comprendre mais décider encore et s’agacer du ton d’un avocat offusqué de ce que la préfecture ait égaré le dossier de son client, expulsé par le laxisme de l’administration. Car le juge n’a pas le temps d’attendre. Il juge donc, comme il peut, sans trop d’états d’âme, et finit par ne plus délibérer.joël jégouzo--.

 

Entre Chagrin et néant, audiences d’étrangers, de Marie Cosnay, Cadex éditions, janvier 2011, 156 pages, 15 euros, isbn : 978-2-91338880-2.

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13 septembre 2011 2 13 /09 /septembre /2011 10:06

pauvre.jpg"La haine est une défaite de l'imagination" Graham Greene –La Puissance et la Gloire.

 

 

Lui ne connaît que le règne de la misère. Qu’il partage avec des dizaines, des centaines, des milliers, des millions, un ou deux milliards d’autres êtres humains. On ne sait pas trop. Ce compte-là, plus personne ne le tient. Lui moins encore. Il ne sait pas. Qu’il n’est pas seul. Il sait juste que Léon chasse parfois sur ses terres. Un périmètre minuscule. Pour lui voler un mégot, un fond de vinasse surie.

Il faut changer de société, écrit Pierre Rosanvallon. La vérité de nos actions se tient en nous. Non dans ce miroir du monde où le monde ne se contemple pas mais se lit comme un naufrage. Il faut changer cette société en panne de réciprocité, ajoute-t-il. Lui, l’homme de l’image, voudrait bien. Non. En fait il ne veut plus rien. Presque plus rien. Juste mendier tant qu’il en a la force. Pas sur les Champs. C’est interdit désormais. De toute façon il ne sait pas ce que ça veut dire, les Champs. Seul ce déplacement de la vérité opéré par un Ministre l’atteint. Il en mourra bientôt. En attendant, il procède brutalement au renversement de la logique dont nos sens procèdent. Sale, recouvert d’une population de bêtes triviales qui le parasitent. Il faut changer la société, écrit Pierre Rosanvallon. "La Gauche ne peut se réduire à être celle qui corrige à la marge". On aimerait, en effet, la voir à l’œuvre d’un vrai dessein. Et Lui, l’homme de l’image, ne sait pas que cet été un fameux épisode d’exhibition de la Puissance des Grands s’est joué aux States. Sous les espèces d’un socialiste dont on voulait faire notre Président.

gaz.jpgCes dix dernières années, les salaires des très riches ont fait un bond inégalé. Révélant une régression sociale que dix générations avaient cru juguler. Un fait sans précédent, lisible, gros comme le nez au milieu de la figure. Un fait que même les statistiques de l’INSEE ne parviennent plus à cacher. Il suffit de corréler. Mais personne n’y tient. Des faits têtus pourtant.

Par quel désir s’introduire dans l’Intelligence à soi-même ?

L’homme de l’image ne sait plus grand chose. Il ne cherche plus à expliquer ce qu’il est. Ce qu’il voit dans les yeux d’autrui, il ne sait pas ce que c’est. Au nom de quoi a-t-il brisé la relation qu’il entretenait avec lui-même ? Lui n’en sait rien. Pierre Rosanvallon croit le savoir. Nous le savons tous un peu, en effet. Dans ce jeu de dupes où nous tentons chacun de survivre, sans parvenir à comprendre ce pathétique renversement, nous savons bien le nom de cette infamie. Mais de renoncement en renoncement, nous avons perdu l’usage de nos vies. Et nous durons un peu comme lui, sans savoir que nous sommes des millions à galérer dans le chaos des débâcles pérennes.

emeute.jpgIl y a eu des émeutes, hier, à Mulhouse. Les médias n’en ont soigneusement rien dit. Leur séduction opère jour après jour au bouleversement de la condition humaine. L’idée que nous nous faisons de nous-mêmes n’est ainsi pas la nôtre mais la leur, distillée chaque jour à grand frais (c’est nous qui payons). A l’intérieur du visible du monde que les médias produisent, l’argent trace une ligne de séparation féroce qui isole la vie dans sa dimension la plus profonde. Voici ce qu’il en reste : un homme à genoux. Perdu au désir d’être.

Cet ignoré qui fait de lui un être soustrait au regard des autres, à la gloriole du monde, qui fait de lui un moi écrasé, nous en connaissons pourtant bien le sens, à l’éprouver chacun jour après jour dans le silence d’une vie intérieure de plus en plus inconfortable.

Peut-être dissimule-t-il dans l’invisible son moi inviolable ? J’aimerais le croire. Mais cet invisible, aucun regard ne peut plus le traverser pour percer une issue jusqu’à ce qu’il reste d’être au peu de souffle qu’il halète.

La non-réciprocité est le trait fondamental de la nouvelle relation de l’homme à lui-même, nous dit en substance Pierre Rosanvallon...

Il n’y a ainsi peut-être plus de condition humaine. Car cette condition appelait une action de notre part, pour survivre à la grande défaite du monde dans la société qu’on nous a faite. Rosanvallon a raison : la réciprocité fait de nous les soubassements du réseau intersubjectif qui seul fonde l’humanité en l’homme. Lui, l’homme de l’image, en est exclu. Il est mort déjà et ne le sait pas. (La souffrance ne sait connaître qu’elle-même).

Tandis que bavarde la promesse d’un monde qui se dérobe sans cesse, il n’attend qu’une pièce comme une obole égarée entre deux soupirs. Comme si la vie, malgré une telle adversité, ne pouvait toujours pas consentir à disparaître. A peine un souffle ténu, mais que l’on peut entendre. Devant lui il n’y a rien. Pourtant une autre parole parle ici entre nous, face à son image.

Il y a eu des émeutes hier à Mulhouse. Un autre genre de parole en somme. De révolte. Mélangée à autre chose. Une parole confuse donc, mais qui ne cesse à chacun de dire sa propre vie sous le pathétique de ses images, soutenant confusément cet autre fil où se nourrissent ces vies. Le discours mondain peut bien nous plonger dans l’hébétude de ses biens, à quoi revenir si l’on veut comprendre quelque chose à l’activité ordinaire d’un sans-abri ?

greene.jpgAlors dire que cet homme est, c’est affirmer une parole qui s’éprouve en de multiples émotions, sentiments, affects. C’est porter au devant de lui dans le regard que nous lui adressons, même sans le connaître, cette parole de vie qui nous étreint. Quand bien même il n’en saurait rien. Lui. Au secours duquel notre regard (même impuissant) se porte. Charriant, en puissance d’être, cette parole qui nous est commune mais reste pourtant si souvent individuelle. Ce n’est plus alors un abîme que nous mesurons entre son image et lui, mais comblant cet abîme comme nous le pouvons, dans le pathétique d’une indignation qui peine à trouver son expression, ce que nous dessinons n’est rien moins qu’une affinité décisive, si l’on y songe un peu, capable d’unir les vivants à la vie en eux pour ne cesser de nous redonner vie.

Je veux bien alors être de ce retour, inscrit dans une vision radicale du monde des hommes. Il faut changer la société, écrit Rosanvallon. Il en va de la vie, qui nous appelle à refuser la mort qu’ils nous installent encore. Et puis comment échapper à une vérité constitutive de son être ? Sinon à accepter de partir à la dérive dans une errance sans fin ? Aucun enchaînement d’idées n’est utile ici : une parole nous traverse tous au fond, évidente, dans laquelle nous savons que nous pouvons advenir. Ainsi la relation du cœur à la Vérité subsiste-t-elle au cœur de cet abîme que l’image de cet homme a dévoilé. Une parole dont le pouvoir d’effraction est inouï. Car il vient de la vie même. Sa surrection. Son insurrection. Au-delà de toute indignation, soulevée par un souffle, parlant notre vie même, jamais d’autre chose que de la vie lançant son cri pathétique.

Moins l’image de cet homme à genou que cette autre que nous ne pourrons jamais former, de nos regards posés sur cette image, en somme. Au détour du détour de l’image, non pas à la manière dont nous voyons les péripéties du monde s’écrouler, mais dans cette plénitude sans faille de la vie lovée au plus profond de notre être, dans son auto-révélation pathétique, d’où sourd de loin en loin l’indignation qu’elle soit pareillement meurtrie. Là émerge la Toute Puissance de cette Parole d’indignation où s’enracine le refus des morts annoncées. Là se forge le pouvoir de cette parole pathétique qui fonde la communauté humaine. L’inconcevable pouvoir de dire non, qui n’est autre que le pouvoir de s’engendrer soi-même en nous faisant appartenir à cette Vérité de l’intériorité tragique des êtres que nous sommes. Une parole d’étreinte, qui nous fait croire à cette réalité utopique d’un monde plus juste. L’expérience bouleversante de la liberté est tout entière présente là, dans le pathétique de cette parole d’étreinte. –joël jégouzo--.

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30 juin 2011 4 30 /06 /juin /2011 11:21

islam-drapeautricolore.jpgL’Etat contemporain a fini par s’identifier au territoire sur lequel il régnait. Des Peuples qui le composaient, il a nié la diversité pour instruire, littéralement, au sens juridique et pédagogique du terme, une nation prétendument unanime, ré-enracinée fictivement dans l’espace géographique qu’il s’était taillé.

L’unité linguistique de cet Etat, à l’image de ce qui s’est passé en France, n’a été réalisée que tardivement (1914-1918), après bien des détours de terreur (c’est en effet la Terreur qui en imposa la première l’idée). Et pour le reste, les populations de cette prétendue nation ne furent intégrées qu’à reculons dans l’ensemble politique nouvellement créé -l’intégration civique des femme en est un bon exemple. Le territoire national a toujours été le fait du Prince, non celui des Peuples. Le territoire est devenu ainsi la catégorie politique la plus fondamentale des démocraties contemporaines. Au point que l’Etat contemporain tire sa légitimité du territoire, non des peuples qui le composent. Un renversement politique dont on perçoit bien les échos dans l’idéal de Sûreté Nationale : la Sécurité du Territoire suspens l’ordre démocratique.

Après avoir dissous par la force les peuples qui "occupaient" son espace géopolitique (bretons, basques, etc.), l’Etat contemporain a ensuite défini d’autorité sa communauté d’obédience : ces fameux français de souche pour les uns, naguère force tranquille pour les autres.

immigre.jpgL’immigré clandestin, dans ce contexte, ne peut incarner que la négation du territoire. On comprend alors le soin que l’Etat contemporain met à le pourchasser, partout où il croit en débusquer un…

Par ailleurs, ne disposant pas de sources transcendantes, les droits individuels et subjectifs fondèrent sa rationalité, posant a priori que les groupes non seulement devaient, mais avaient disparus avec le fondement de la République.

Face à l’égalité républicaine, tout groupe ne pouvait être interprété qu’en termes de trahison, sinon de destruction du principe fondateur de l’Etat moderne. La théorie politique moderne refuse en effet de reconnaître la pertinence politique des groupes : ils transgressent les droits des individus en réduisant les personnes à être membres d’un groupe fondant la source de leur identité. L’Etat moderne s’est donc construit sur l’exclusion du groupe : la caractéristique essentielle du droit moderne est d’ailleurs celle de la séparation des individus.

sarkobretagne.jpgEt si dans ce topos le groupe est l’ennemi, l’ennemi le plus dangereux est celui qui relève du groupe aux origines décrétées "étrangères".

Dans ce topos du territoire national replié sur la construction d’une communauté d’obédience d’une part, et l’affirmation outrée des droits individuels d’autre part, l’ennemi le plus dangereux de l’Etat contemporain devient ainsi l’immigré, fût-il français depuis trois générations, qui n’aurait pas voulu renoncer à son identité musulmane, l’insérant dans une problématique de groupe (et qu’importe à ses yeux qu’il s’agisse d’un groupe religieux, l’Etat sait étendre le périmètre de la répression dont il a besoin pour affirmer sa puissance).

Figure du traître par excellence, menaçant de l'intérieur même les fondements de son autorité, le musulman se voit ainsi repoussé dans la sphère de l’étranger au territoire.

famille_francaise-1-copie-1.jpgOr les crimes contre l’humanité ont toujours été des crimes commis contre des groupes. Les victimes de ces crimes ont en effet toujours été d’abord identifiées comme relevant identitairement d’un groupe, ethnique, religieux, voire sexuel ou social.

Les musulmans, quand bien même ils ne seraient pas tous d’origine arabe (et il s’en faut de beaucoup du point de vue de la pensée), forment ainsi commodément le groupe que l’on peut détruire, autorisant par la pseudo radicalité de son étrangeté à la soit-disant culture de souche du pays, la violence qui autorise l’extermination de l’autre, quand il est jugé trop différent.

Enfin, dans l’histoire contemporaine, ce que l’on a pu observer, c’est une inquiétante continuité de violence, des violences ordinaires aux violences extraordinaires. Une continuité si banale et si communément admise (la banalité du Mal appartient à l’Etat laïc), que l’on ne comprend pas comment, aujourd’hui, tant d’intellectuels peuvent s’y vautrer, à moins de se faire les complices conscients de ce déplacement auquel l’Etat contemporain procède quand il use de violence, en la rendant admissible, pourvu qu’elle concerne des victimes acceptables…--joël jégouzo--.

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29 juin 2011 3 29 /06 /juin /2011 05:05

berlin-logo.jpgC’est sur cette phrase énigmatique pour quiconque ne s’est pas laissé aller à flâner dans cette ville gigantesque, que Hanns Zisehler conclut son essai. Et pourtant, avec quelle pertinence résume-t-elle l’histoire –et la géographie- d’une ville dont les dimensions excèdent de parte en part la réalité. L’étrangeté urbanistique de Berlin, cette ville qui tourne le dos à son paysage fluvial et flotte sur une immense étendue d’eau que l’on ne perçoit guère que dans la forme allégorique de ses friches, voire, hier, de ces no man’s land qui trouaient partout l’espace urbain, ou aujourd’hui dans ses interminables avenues aussi démesurées qu’invraisemblables, à se jeter dans de plus incommensurables places encore, aux allures d’embouchures et qui n’en finit pas de surgir ça et là en cascades sous les immeubles les plus inattendus, tient aussi à ce que nulle part on en touche le moindre centre. berlin-est.jpgPour paraphraser Martin Luther évoquant le déferlement de la langue allemande au moment de la Réforme, je dirais volontiers que la chute du mur réveilla ce grand géant endormi, Berlin, ville sans limites étendant au loin une ombre gigantesque. Mais avec moins d’appréhension et de sévérité qu’Hanns Zischler : Berlin excède Berlin, certes, mais de refondations en destructions, la ville a conservé son caractère, résistant à la nostalgie de son histoire sans céder aux sirènes d’un avenir que de toute façon l’Europe n’a pas su lui offrir.

Pour finir, cet étrange opuscule a voulu lui-même décalquer le parti pris de son auteur pour nous offrir de Berlin le collage des singularités qui la forment. Comme si l’on avait déplié quelques unes des marques à travers lesquelles la ville s’offre, sans que jamais l’on puisse en faire le tour, ni recenser ces marques, ces traces, empreintes, cicatrices, stigmates… On aurait pu faire autre chose, à l’infini, mais dans son principe même, celui qui nous est présenté affirme comme une adhérence : le parti pris de l’ouvrage est trop grand pour cet ouvrage… on reste sur une attente, une frustration : Berlin excède ce que l’on en dit, toujours, et quiconque s’est pris à déambuler dans ses rues le sait. --joël jégouzo--.

 

Berlin est trop grand pour Berlin, de Hanns Zischler, éd. Mille et une nuits, mai 1999, Collection : La Petite Collection, ISBN-13: 978-2842054014, épuisé.

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28 juin 2011 2 28 /06 /juin /2011 10:26

bilbao.jpgDans les années 1980, sans crier gare ni en informer leurs administrés et par un surprenant effet de domino, les villes françaises se sont mises à rompre avec leur identité fondée sur le blason, au profit du logo. On a ainsi assisté en France, impuissants les uns et les autres, à un changement radical dans la production des signes publiques de l’identité : après les villes, les départements, les régions, les Conseils régionaux, etc. ont suivi avec frénésie le mouvement. Le blason, qui traduisait un enracinement dans un territoire et une histoire a été purement et simplement éliminé. Elimination qui, à bien des égards, attestait d’une rupture des termes du contrat qui lie toute administration à la collectivité qui l’a élue. Que traduisait donc cette rupture, sur laquelle on a peu entendu de voix s’élever ? A quoi touchait-elle, sinon à ce qui fonde la légitimité de ces institutions, tout autant qu’au projet de Vie commune, voire au sens commun ?

Le blason appartenait à un temps continu, analyse Annick Lantenois dans sa très belle étude sur le design graphique. Un temps structuré par la tradition et par la transmission, témoignant d’un héritage commun. Une sorte de texte imagé qui inscrivait en quelques référents génétiquement établis l’histoire d’une ville, d’une région, dans le cadre d’un récit enfin apaisé. Alors que le logo, avec ses formes géométriques, son allure gestuelle, venait brusquement nier tout enracinement dans la durée. Exit le lieu, exit sa localisation, la ville se représentait désormais comme une dynamique, espace de circulation, potentialité ne se reconnaissant plus de limites géographiques. Proche du slogan, le logo est une injonction vitaliste, une actualité affirmant le présent de la ville, toujours en mouvement, toujours en métamorphose, désactivant les paradigmes identitaires fondés sur la stabilité géographique et temporelle, ainsi que l’affirme avec force et raison Annick Lantenois. Avec lui, il n’y a plus de durée linéaire, l’espace ne se conçoit qu’en expansion, qu’en extension, ramenant paradoxalement la durée au seul présent du signe.

logoClermont.jpgAvec le logo, non seulement l’histoire s’absente du cœur des villes, des départements, des régions, mais l’énergie dont il témoigne ne fait qu’interpeller l’extérieur, un extérieur lui-même non localisé, non localisable, générique.

En retour, ce que le logo construit n’est rien moins qu’un environnement qui parle, curieusement dans l’univers politique que nous connaissons, de la dissémination des identités, reconnaissant cette dissémination pour le seul vrai gage d’avenir. Fonctionnant comme un clip, dans la brièveté de ce qu’il énonce, il s’affiche comme un flux n’affirmant que des discontinuités dans un espace perçu lui-même comme un flux hétérogène de signes, de textes, d’images, d’identités.

Le temps du logo, qui n’articule plus la continuité passé-présent-avenir, semble ainsi vouloir mettre fin à l’histoire, en amont comme en aval, pour la contracter dans son signe présent. Plus d’identités, plus d’histoires, plus de récits, rien d’autre que ce congé étonnant, encore une fois quand on y songe, dans un pays dont les autorités et les médias ne cessent d’évoquer la peur d’une perte d’identité !

Strasbourg-logo-5.jpgSortir les sociétés du temps pour les faire entrer dans le temps de l’événement. Que le présent ne soit plus l’articulation entre un passé et un avenir mais la réitération de son seul événement. Voilà peut-être au fond ce que nous condamnons dans cet impératif qu’il nous impose, alors qu’il semblait plutôt piquant quand il déconstruisait l’enfermement identitaire des villes, des régions. Dans ce que le logo cristallise artistiquement, ces valeurs de jaillissement, de volatilité, de flexibilité, d’efficacité, on pourrait reconnaître les valeurs d’un libéralisme presque sympathique, tourné vers le refus des pesanteurs du passé et s’accommodant mal de ce néo-libéralisme imbécile que nous connaissons, crispé sur des productions identitaires hébétées.

Rien d’étonnant non plus, comme nous le révèle l’auteure, à ce que ce soient les vieilles villes industrielles du Nord de la France qui aient tourné le dos en premier au blason dans leur volonté, abusée peut-être, excessive, tourmentée, de rompre ou de croire rompre avec l’impasse dans laquelle le crime post-industriel les avait plongées. Vouées à la liquidation elles se mirent à liquider leur histoire. Toutes voulurent gagner le label de culture "Ville d’art et d’histoire", qui date de 1985, et dans lequel elles fantasmaient leur reconversion. La transformation de leurs vestiges historiques en patrimoine intéressant l’humanité dans ce qu’elle avait de plus abstrait, leur laissa entrevoir un court instant la promesse d’un beau retour sur investissement. Leurs visuels clignotèrent alors comme des signaux tournées vers un avenir nécessairement radieux. Ces villes s’extirpèrent donc avec entrain des symboles qui racontaient leur pesant enracinement.

bilbao-musee-guggenheim.jpgL’auteure nous parle à ce propos d’un "effet Bilbao", consacrant la transformation d’une région économique en perte de vitesse en un logo qui permit à la ville d’exister enfin dans la carte touristique internationale. Voilà donc tout ce que l’on pouvait espérer : un devenir de parc de loisir ou de complexe sportif, servi par une industrie culturelle performante, tandis que la valeur Travail se voyait relégué dans les salles obscures des plus poussiéreux musées. L’effet Bilbao soumis ainsi des régions entières à une logique de marques. Un imaginaire qui l’emportait bientôt sur la vieille histoire franquiste épouvantable de cette même ville. Pas sexy la torture infligée au basques. On généralisa l’amnésie mémorielle devant l’histoire. Les villes furent dessaisies de leur mission politique et de leurs fonctions collectives : elles se mirent à penser en termes de privatisation de l’espace public, pour favoriser des communautés privées d’intérêt. L’Histoire, au terme de ce petit tour de passe passe, semble alors bien n’être plus la dimension du sens que nous sommes, mais la dimension des intérêts que nous devons défendre, avec ou sans notre consentement… --joël jégouzo--.

 

Le vertige du funambule, de Annick Lantenois, éd. B42, nov 2010, 85 pages, 13 euros, ean : 9782917855126.

images : logo Bilbao, musée Guggenheim, logos divers

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27 juin 2011 1 27 /06 /juin /2011 10:15

vertige.jpgLe design graphique a tout envahi. Sans que l’on ait bien songé à en thématiser les raisons, ou les conséquences. Voici un outil dont les sociétés de la fin du XIXème siècle se sont dotés pour traiter visuellement les informations, les savoirs, tout autant que les fictions. Un outil qui prétendait réorganiser les conditions du lisible et du visible, inventer une syntaxe scripto-visuelle capable d’orienter le regard… et la lecture. Un outil qui a fini par construire un pouvoir exorbitant, pesant sur nos manières de lire, de comprendre, restructurant tout l’inconscient de la lecture. Ce qui du coup l’a investi d’une fonction éminemment politique, en plus d’une dimension culturelle : le design fut au cœur de la redéfinition des identités collectives, redéfinition concomitante d’un changement de l’organisation du temps dans nos sociétés, du statut du texte et de celui de l’image. Un changement qui dut beaucoup à la crise que la rationalité traversa à la fin du XIXème siècle, puis au déclin progressif des grands récits historiques qui avaient fondé la relation entre le politique et l’esthétique.

Evidemment, cette histoire du design, n’aura pas été homogène. Et son pouvoir ne s’est pas construit en un jour. Il aura fallu attendre par exemple les années 1980 pour que les municipalités françaises s’y convertissent en adoptant chacune son logo, rompant de fait avec leur identité fondée jusque là sur le blason. Rupture qui aura témoigné, profondément mais sans que cela ne soit jamais explicité, d’une transformation aiguë de ce qui fondait leur légitimité politique.

Mais revenons à cette histoire, souvent paradoxale, car si par exemple le design est apparu dans un moment où l’on rompait avec l’idée de progrès comme dogme fondamental d’un savoir qui sauve, il tenta du moins tout d’abord avec force de promouvoir l’art et la culture comme clefs de l’émancipation sociale et politique des individus. Dans les années 1920, l’identité graphique répondait encore au projet de progrès social. Qu’en est-il aujourd’hui ?

musee-parc.jpgPour le prendre par un autre biais, dans les années 80, François Mitterrand adopta la logique médiatique, réservée au privé jusque là, introduisant de fait une rupture dans l’idée d’un Etat au service de l’intérêt général. Dans le sillage de cette marchandisation du Bien Commun, le design se vit ouvrir de nouveaux horizons, dans le domaine de la culture en particulier : l’épuisement des récits du devenir, qui sanctionna paradoxalement sous la présidence du changement socialiste l’épuisement des récits du changement et de la transformation sociale, plaça la culture dans une orbite marchande. Les musées, pour la bonne cause, devinrent des parcs d’attraction. La culture devint une industrie, détissant la valeur du Travail dans un pays qui ne savait plus donner de travail à ses citoyens. En corollaire, le spectacle de la culture sembla produire une amnésie mémorielle généralisée devant l’Histoire (sociale en particulier), à l’heure même où partout fleurissait l’incontournable devoir des mémoires… Exit l’émancipation sociale et politique des individus : la culture visait désormais autre chose, affirmant sa puissante marque de distinction sociale.

Reprenons tout de même, pour ne pas conclure trop vite à une trahison de la culture. Reprenons au niveau du statut du texte. L’exemple est intéressant, qui aide à relativiser tout critique excessive du design. L’écriture s’était affirmée comme fixation de la mémoire, inventée au moment où les civilisations se sédentarisaient. Parce que le monde nourrissait de projets d’avenir structurés autour de grands récits, le rôle de l’écriture s’y révéla fondamental. Las, le monde d’aujourd’hui n’aurait, lui, plus de grands récits à porter, en particulier sur son devenir. C’est dans ce vide que ce serait engouffré le design graphique, comme fin de l’histoire purement textuelle. Erodant la lisibilité au profit de la visibilité, dans un retour à l’ornement qui étonnamment traduirait au fond un retour à l’oralité, renouant avec cette forme de discours que l’on retrouva dans le monde occidental chaque fois que la rationalité y était en crise. L’ornement, pratique des premiers hommes, redécouvert dans les années 1990, nous dit Annick Lantenois. L’ornement et le tracé introduisant une sorte de rationalité géométrique où l’essentiel de la forme recouvrirait l’essentiel du sens, dans la référence symbolique au geste et à sa durée. Une fin du livre en quelque sorte. Mais… Ce dernier répond-il toujours à nos pratiques intellectuelles ? Sa conception téléologique sous-jacente d’un temps continu clairement articulé par le déroulement du savoir dans la durée de son argumentation, traduit-elle toujours nos manières de penser ? La culture du design est aujourd’hui numérique. Elle s’effectue selon des mécanismes de pensée et de raisonnement dont les articulations sont plus complexes qu’elles ne l’étaient par le passé, dans un paysage cognitif exogène, comportant à même valeur des motifs textuels, sonores, visuels. Ne faudrait-il pas creuser là ? Une culture s’invente au fond, dans tous les sens du terme, une culture du texte sans le livre, d’un art sans objet, une muséographie certes encore trop confisquée entre les mains de ces experts qui, comme dans tous les autres domaines de la vie en société, ont tendance à s’approprier le pouvoir qui devrait nous revenir, et que nous aurions tort de ne pas investir. Le design graphique est peut-être au fond une pensée nouvelle qu’il faudrait arracher des mains des experts pour nous réapproprier les marques de notre devenir. Arracher la culture à son orbite marchande et sa logique de domination, à l’heure où l’idée du progrès social est non seulement une idée raisonnable, mais de Salut Public ! L’émancipation sociale et politique est plus que jamais à l’ordre du jour, et le design graphique à son service, qui invente, sur le net comme sur les murs de nos tecis, des formes d’intelligence que les musées n’ont plus. --joëljégouzo --.

 

Le vertige du funambule, de Annick Lantenois, éd. B42, nov 2010, 85 pages, 13 euros, ean : 9782917855126

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26 juin 2011 7 26 /06 /juin /2011 05:55

pendus-epitaphe-villon.jpgPresque tous les jours on nous redit

 

Que le Temps passe à côté de nous,

Que les arbres s’inclinent par pur accident

Et que jamais

Ils ne veulent nous saluer.

Ce dilemme existe et c’est une autre

La révolte des marées et la plénitude

Des champs qui sourient aux caresses de la pluie.

 

 

 

Il faut bien se protéger des idées malsaines,

Des propos suicidaires des tribuns,

Crocodiles cherchant les rivages,

Surtout au Printemps où la grêle

Nous surprend en plein délit de récolte.

Il faut protéger les livres et les fleurs

Et l’huile d’olive de Crête et d’autres îles,

Sans dire merci aux tempêtes soudaines

Car un soleil rit toujours très loin et très haut.

 

Frères humains ! Criait François Villon

En escaladant les murs de La Sorbonne.

Le bruit des racines reste peu audible

On entend mieux la criée à Lisbonne.

 

pendusLa plage tournée n’est pas une page close

Il n’y a pas de cloisons pour la mer

Qui déferle.

Que vive la vie, juments et étalons

Et tous les près où ils courent

Et ils s’aiment.

Un café bien tassé est une ancre qui descend

Jusqu’aux sables des antipodes

Un flambeau qui voyage

Par les nuits d’été.

Les fleurs du mal surplombent les parterres,

Fidèle héritage du dandy Baudelaire,

C‘est ainsi que la rime nous revient aux lèvres

Et la lune nous rappelle un baiser ancien.

On voit encore, malgré les ouragans,

Le lilas qui fleurit après le rude hiver,

Et de nos voix peut-être une chanson

Dira aux quatre vents notre joie éphémère.

 

Fleurs_du_mal_fr01.jpgMais le brouillard déjà nous envahie, le chemin devient obscure.

Rentrons chez nous, dans notre dernière demeure,

Où des mains connues, depuis si longtemps éloignées,

Des voix si proches de la nôtre, depuis si longtemps effacées,

Nous attendent, peut-être...

 

Mario Freire De Meneses

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