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11 juin 2011 6 11 /06 /juin /2011 05:41

pessoa-a-table.jpg

 

 

 

 

Tous les soirs mes amis, morts,

Viennent s’asseoir à ma table.

 

Je leur sers du vin

Ils me servent du Temps passé

Je leur dis mon amour et mon chagrin

De les voir, de moi, si éloignés

 

 

Si raisonnables

Alors qu’ils étaient

Feu de joie étonnement

Cris de rage et de révolte

A pleines poignées.

 

Ils me sourient

De leurs bouches sons de velours

Revire voltent tournoient ivres

Se posent sur un manège

Cheval baleine la vie est pleine.

 

Délicieuses flammes aimantées

Leurs pensées

Viennent à ma rencontre.

 

Poignards de soie

D’authentiques Orients

Me déchirent la raison.

 

Que du désir

Que des luttes

Que des Éphémères

Zanzibars

Tristes et Utopiques

 

"Mar", mer amère

Insupportable distance

"Rio", fleuve fuyant

Mémoire serpent

 

Dans tous mes rêves

Les étoiles volaient haut

Alors que la réalité

Les dénonçaient

A raz des porcheries

 

Je m’en vais bientôt

Une pensée perdue

 

Entre-temps,

Tous les soirs mes amis, morts,

Viennent s’asseoir à ma table.

 

MFM.

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10 juin 2011 5 10 /06 /juin /2011 05:03

ibycus.jpgNevzorov vit dans un quartier de Pétersbourg qui empeste le pâté bon marché. Seule lecture : les potins consacrés aux aristocrates. Au détour d’une ruelle, une diseuse lui prédit l’avenir. Un destin ! Il sera riche et célèbre. De fait, voici que le hasard lui tombe dessus sous la forme d’un gros meuble écrasant un ami, antiquaire… Des bandits viennent de dévaliser sa boutique. L’antiquaire agonise sous son meuble. Par chance, Nevzorov sait où est caché le magot, que les bandits n’ont su trouver. Il s’en empare, jette sur le mourant un regard indifférent et s’enfuit. Le voilà riche ! Il se fait aristocrate, mais tombe aussitôt sur une vraie grue qui le plume, tandis que la révolution gronde dans les rues. Il ne cessera dès lors de fuir, de monter des plans plus foireux les uns que les autres et d’être le jouet d’aventures qu’il n’a pas voulues. Le voici comptable d’une bande de brigands. En 1919, il atteint Odessa, fait par hasard main basse sur leur trésor, fuit de nouveau. Rêveur impulsif, il ne cesse de marcher "la tête en l’air à la rencontre du danger", imprimant au roman sa structure picaresque emboîtant les aventures, structure appliquée à un personnage qui, au fond, ne rêve que de mettre fin au récit de ses aventures. Le type même de la personnalité contemporaine des gens de pouvoir, riche, jamais mieux engagée qu’auprès d’elle seule malgré les détours démagogiques, se prétendant libérale quand elle n’est qu’ordurièrement lige du bon vouloir des nantis, ou socialiste quand elle n’est occupée qu’à créditer leur encours, sans morale, sans autre ambition que la sienne ni meilleure espérance, centrée sur un moi minuscule et veule. A croire qu’Ibycus ne vaut rien, même comme héros de roman, ainsi que l’affirme son auteur. Il finira tout de même riche, bookmaker de courses de cafards dressés. Ecrit en 1924, ce roman picaresque féroce, dessinant sans complexe les traits de la personnalité moderne de l’homme occidental de pouvoir, passerait aujourd’hui pour une gentille fable, tant ces gens là ont su parachever le destin d’Ybicus et nous faire prendre leurs trahisons pour des lampions de fêtes. --joël jégouzo --.

 

 

Ibycus, Alexeï Tolstoï, traduit du russe par Paul Lequesne, édition L’esprit des péninsules, dessin de couverture de Pascal Rabaté, mai 98, 206p, 18,30 euros. Isbn : 2910435539.

Ou chez Rivages, mars 2005, 6,99 euros, ean : 978-2743613860.

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9 juin 2011 4 09 /06 /juin /2011 08:30

glaneuse.jpg

KAMEL LAGHOUAT,

LA GLANEUSE

(Ils veulent diminuer le nombre des morts pour faire grimper celui des vivants…)

 

"Encombrée de ballots elle avançait vêtue de noir les étoiles du matin annihilées.

Elle avançait sur la place du marché, un lourd sac au bout de chaque bras rempli de sa récolte, des choux, des pommes, les légumes que les marchands jetaient à terre.

La foule des pauvres, peuple en souffrance, fugitif,

Nos voix pour le soutenir, béquille tandis que des ombres agonisent contre les murs des parkings.

Elle avançait les épaules fléchies le soleil de juin nu comme un tombeau.

Cris rauques, huées, on déblayait la place, déjà les machines poussaient les fruits que les pauvres disputaient aux chiens.

Elle veillait à son bien, quatre gros sacs.

Je la voyais, un sac l’autre, les éléments épars d’une violente cruauté,

A côté d’elle nos ruines, la misère, quelle affaire.

Elle s’est couchée plus loin, lasse.

Nous avons dû mourir ensemble déjà.

Nos corps doivent êtres là-bas.

Son voile couvre la colline

Son voile couvre le pays.

Je vous écris depuis sa mort bordée d’épaves,

naufragée vacante où la question sociale est devenue celle de l’utopie ou de la mort, les uns se couchent les autres sont morts déjà,

baiser aux fronts des mères calleuses."

 

A la fin, la démocratie était seulement le moyen pour les politiques de laisser crever les gens sans faire de vagues. La convention UMP vient de valider les aménagements au dispositif imaginé par l'ancien Haut Commissaire aux solidarités actives, Martin Hirsch -qui n’a pas osé s’y opposer au delà de quelques propos reflétant son amertume. Faisant fi de l’engagement du Président de la République, décidément devenu plus que jamais celui des riches, l’UMP projette de contraindre les bénéficiaires du RSA aux travaux forcés, 5 heures hebdomadaires –sur les marchés, sans rire, commentait l’un d’entre eux- en échange de leur maintien en survie… Le poème de Kamel Laghouat, 19 ans, évoque au fond mieux qu’aucun commentaire la situation dont on parle. --jJ--

 

 

Image : Denis Bourges, qui présenta pour les 20 ans de Tendance Floue une série intitulée "Border life", dont les images résument son regard sur le cloisonnement et la frontière. Ici, une glaneuse au marché Aligre, à Paris, en 2010.

 

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8 juin 2011 3 08 /06 /juin /2011 16:28

saint-julien.jpgIl est invraisemblable que le mot puisse atteindre quoi que ce soit de vrai. L’ironie de Flaubert tient précisément à ce que, l’ayant compris, il ne cesse d’en mimer l’illusion : déroulant l’inventaire des signes à travers lesquels le monde nous est offert, le texte qu’il écrit n’atteint que lui-même. Mais sans doute n’était-il destiné qu’à cela : non l’amertume mallarméenne d’Igitur mais le désir du texte. Ironie de la réalité défunte aussi bien, où le verbe s’épuise dans l’inventaire roboratif du mot juste, le mot contre le souffle au fond, celui du comédien, à bien des égards.

Ce serait donc une erreur que de vouloir monter à la scène un tel texte. Est-ce bien sérieux cependant d’en parler ainsi, quand la critique nous le ferait passer pour l’ascèse d’un Flaubert aux prises avec la création –comme si l’affrontement quasi charnel aux mots portait en lui seul toutes les possibilités de dignité du théâtre…

Dans le dispositif scénique que l’on pourrait en faire, j’imagine comment la petite musique des mots pourrait faire craquer la langue : car ce texte est sublime de son vide que l’on entend partout. Peut-être faudrait-il tout retirer, le plateau, les éclairages, la musique, disperser le public dans une salle trop grande et poser au loin un comédien comme une présence incongrue, immobile et presque muet, car le moindre faux pas assourdirait le texte : c’est la syllabe qui fonde la scansion du saint Julien. C’est l’absence du monde qui fonde sa présence, si bien que l’ébauche d’un geste, si mesuré soit-il, l’éparpillement du son gênerait.

Il n’y a pas, en définitive, cette possibilité du corps à corps sensuel et violent de l’acteur au texte dans le Saint Julien. Tout juste le pari d’en provoquer le heurt. Armé de ces béquilles, l’acteur s’avancerait en un lieu où le texte ne dit plus rien. Il conterait Julien sous des murailles forcées déjà, le promènerait sans inspiration quand le texte ne cesse d’en produire l’absence. Le corps à corps du comédien se fonderait ainsi sur une  méprise. «Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière », écrivait Flaubert (lettre à Louise Colet). C’est cela sa légende : de moins en moins de matière, les mots comme une récollection d’objets morts, le néant au bout, rien d’autre. A cet évidemment, l’acteur oppose naturellement son éloquence, un phrasé attentif à son propre écho -puisqu’il ne reste que lui-même, aux prises avec sa voix. Etrange intimité du coup, entre le public et ce dernier, qu’un vide indéfinissable menace, l’un et l’autre toujours sur le point d’y tomber et toujours retenus sur le bord de tomber par un geste, un bruit, si minime soit-il. Pesant déséquilibre, où ce que l’on partage est moins l’intimité d’une expérience commune que l’appréhension de voir tout cela rater. Dans la nudité de l’acte théâtral, souvent le regard traîne en quête d’une consistance qui se dérobe. Mieux vaudrait ne pas l’entendre ce texte et cependant il reste qu’à l’entendre on peut mieux prendre la mesure de l’absorption du réel dont il procède. Malgré lui si l’on peut dire, ou malgré le paradoxe d’un jeu sobre qui le maintiendrait sur les bords de tout personnage, quand le comédien réussit à nous donner le vide à entendre par le fait même qu’il le remplit. Qu’il dise où ça ne parle pas, en définitive, ne parviendrait pas à taire le silence de la machine flaubertienne. --joël jégouzo--.

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7 juin 2011 2 07 /06 /juin /2011 08:56

A_PIED_SUR_LE_TOKAIDO.jpgVoyager à pied. Un genre au Japon. Un genre philosophique même. A l’époque d’Edo s’entend. Par millions, jetés sur les routes, les japonais voyageaient. Un genre littéraire aussi bien, celui du récit de voyage, sur la route d’Ise en particulier, celle du fameux monastère. Des routes noires de monde, femmes, enfants, vieillards, gens d’armes, de maison, journaliers. En 1793, Jippennsha décide de descendre à Edo. Le long de la côte pacifique, il clopine sur le Tôkaido. Trois serviettes, un grand foulard sur la tête, un éventail pliant, quelques pinceaux, de l’encre, du papier de soie, Jipennsha part à l’assaut des cinquante trois relais de la route. Ecrit en forme de guide touristique à l’adresse des amateurs de spécialités régionales, il moque en fait ce Japon traditionnel que tous portent aux nues, transformant l’épopée en cavale littéraire, égrenant les bourdes, les calembredaines, les quatre cent coups en somme, accompagné d’un ami plus fantasque encore, dans l’absolu non-sens de leur virée. Très vite, le voici qui rompt de fait avec la philosophie du voyage, qui se fait égrillarde sous sa plume. Rétif au labeur littéraire, bâclé pour couvrir ses dépenses, il s’adonne plus volontiers au pétrissage frénétique de la pâte à nouilles pour mettre un peu de beurre dans ses épinards, laissant la phrase s’étirer à l’envi, diverger et nous égarer. Fuyant cocher de porche en porche, une voile plantée au milieu des fesses pour courir plus vite, il sème partout sa joyeuse pagaille et vide les fonds de ses poches sur des comptoirs de fortune, impécunieux, toujours, cultivant même cette impécuniosité constitutive de la liberté qu’il s’offre de pouvoir toujours se tenir dans le dire le plus loufoque qui soit et de n’être jamais que là, dans la désinvolture d’une langue à tout jamais déliée, inventant au passage mille expressions picaresques toutes plus hilarantes les unes que les autres, des expressions qui durent imposer à ses traducteurs le plus réjouissant labeur qui se puisse imaginer ! --joël jégouzo--

 

 

A pied sur le Tôkaidô, de Jippensha Ikkû, roman picaresque traduit du japonais par Jean-Armand Campignon, Picquier poche, 394 pages, 10,50 euros, janvier 2011, ean : 978-2-877-303613.

 

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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 07:02

golan.jpgLe barbelé est destiné aux êtres vivants. Pas la palissade par exemple, qui ferme les enclos. Ni la clôture, destinée aux animaux. Le barbelé, lui, est même spécifiquement destiné aux êtres humains. Il ne sépare pas : il veut les atteindre. Dans leur chair. Leur donner une leçon. Les atteindre dans leur sensibilité. Pour produire de l’animalité, qui justifiera bientôt les moyens barbares employés pour la réduire. Déchirer, littéralement, tel est son sens. Porter un coup décisif à la capacité de souffrir de ce qui fut un être humain. Que son corps devienne celui d’une bête sauvage. Le barbelé est fait pour animaliser l’humain, prélude à l’exercice d’une violence sans frein.

gunatanamoC’est pourquoi il fonctionne comme un opérateur visuel superposant l’image de l’animal à celle de l’homme. Moins une prévention qu’une menace. Hic sunt leones. Il ébranle le statut de celui qui s’y aventure. Et s’il se dresse aux frontières de certaines unités étatiques, c’est pour produire une distinction entre ceux qui restent des hommes et ceux qui n’en sont plus, s’affirmant l’instrument d’une gestion barbare de l’espace politique. Car la clôture qu’il désigne est définitive qui, produisant une différence dans l’espace, exclue celui qui se trouve de l’autre côté de toute condition civique et politique, voire de toute condition métaphysique : il n’est plus rien. Une bête vouée à mourir. Le barbelé, qui refoule l’extérieur, s’affirme comme un opérateur de sélection, de ségrégation entre ce qui doit vivre et ce qui doit mourir, où l’étranger passe de la figure classique de la simple altérité à la figure du monstre, ou de l’ennemi absolu, fut-il désarmé, fut-il un civil en quête d’une vieille revendication légitime. Et pour l’y préparer, entre deux champs de frises de fil de fer barbelé, le no man’s land, qui est ce lieu du passage des hommes qui deviennent des morts en sursis quand ils s’y aventurent. L’invention d’un lieu de non-droit, international d’abord, national ensuite, où l’homme n’est plus qu’une matière survivante déshumanisée. --joël jégouzo--

 

 

http://www.joel-jegouzo.com/article-32386776.html 

Histoire politique du barbelé , de Olivier Razac, éd. Flammarion, coll. Champs Essais, oct. 2009, 220 pages, ean : 978-2-081217015.

images : Golan, civils palestiniens tentant d'entrer sur le plateau. Plus de 20 morts, le dimanche 5 juin 2001.

Guantanamo.

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5 juin 2011 7 05 /06 /juin /2011 10:09

burroughs2“Take a page of text and trace a medial line vertically and horizontally.

You now have four blocks of text : 1, 2, 3 and 4.

Now cut along the lines and put block 4 alongside block 1, block 3 alongside block 2.

Read the rearranged page.” (The Third Mind p.14)

 

 

 

Truth is here when all words are rubbed out, même s’il n’y a pas de mot à craindre quand on les sort du temps.

Il me semble que tu l’avais vu, à Paris, dans les années 90, riant de se draper encore si bien en lui. J'attendrai ici. Nous voyagerons dans le temps, mais pas trop : je reviens moi-même d’un voyage de mille ans. Qu’on siffle un verre. Ce qu’il reste d’être. Un nouvel imaginaire peut-être.

 

 

 

William S. Burroughs and Brion Gysin, The Third Mind (1965), Crayon, gelatin silver prints, letterpress, offset lithography, and typescript on graph paper. Los Angeles County Museum of Art.

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4 juin 2011 6 04 /06 /juin /2011 08:27
lordon.jpg
On le connaissait sociologue, on le découvre dramaturge. Frédéric Lordon signe une pièce de théâtre sur un sujet qu’il connaît bien : celui de la prétendue crise financière que nous venons de traverser et dont les séquelles marquent et marqueront encore nos années à venir. Crise prétendue en ce sens qu’elle a été provoquée par les milieux financiers, non pour se tirer une balle dans le pied mais nous tirer une balle dans la tête : grâce à la rhétorique mensongère des élites, ils ont réussi à empocher deux fois leur mise, une première en provocant cette crise, une seconde en nous donnant l’addition à régler. Une comédie donc, en alexandrin pour en souligner l'indécence, incontournable figure d’une coutume du vieux monde cultivé pour nous faire avaler ses couleuvres. L'immobilier s'écroule ? Les riches s’en mettent plein les poches. Il remonte ? Les riches empochent les dividendes. Le banquier se réjouit de ce que le monde se porte mal, de ce que le monde se porte bien. Il se réjouit de ce que la presse ne cesse de porter si haut l’étendard de sa (prétendue) liberté : elle aidera le commun à avaler ses couleuvres, vautrée dans la fange du mensonge, il s’en fout : à mort les pauvres !, tout le reste n’est que littérature… Seule l’apparence compte. Toujours sauve, voyez le pitre BHL dissimulant sa société d’exploitation des forêts africaines avec la complicité d’à peu près tout ce que Paris compte d’approximatifs intellectuels. Les riches sont épatants du reste, à laisser les journalistes camper aux portes de leurs demeures –tant qu’ils lèchent les bottes, le gousset est sauf. N’ayons pas peur d’user d’une telle vulgarité : la domination inventée par les néo-libéraux est d’une vulgarité plus grande encore.
Acte 1 scène 1, le bureau du Président. L’actuel. La Dette publique explose ? Zéro problème, on fait combien ? Ah, quand même… Rigueur pour les autres, l’alexandrin bouffon, on enverra les intellos leur expliquer qu’il faut se sacrifier, que tous doivent se sacrifier –enfin, presque tous, faut pas exagérer quand même. Et ces derniers de s’empresser, nous assommant d’idées toutes plus généreuses les unes que les autres, pleines de promesses d’avenir, tenez : la croissance est déjà à nos portes, demain vous roulerez mieux, dans notre farine…
Je ne sais pas si la pièce est une réussite théâtrale. Mais la postface mérite son détour, quand Frédéric Lordon revient à ses amours, l’écriture sociologique mâtinée d’humeur. Armé de Bourdieu et de Spinoza, voilà qu’il se lance dans une réflexion réjouissante sur la question de l’Idée, cheval de bataille du demi-intellectuel, une spécialité de chez nous. Eh bien non, les idées, surtout les grandes, n’ont jamais porté grand chose, ni moins encore mené bien loin sans le secours des affects. Car seuls les affects peuvent doter les idées d’une force qu’elles n’ont pas. Une force extrinsèque au monde des idées, ce fonds de commerce brimbalant des intellos de service -commandé. Il serait temps de le comprendre : le pseudo dévoilement critique des universitaires ne dévoile rien à la vérité, tout comme les cris d’orfraie des tenants du tout culturel. Il faut lire ces quelques pages sur la débilité de la pure analyse pour comprendre combien nous abusent les belles âmes bigotes, agenouillées sur le parvis de cultures ossifiées. Car enfin, comment les idées se dotent-elles du pouvoir d’affecter ? Aristote l’avait bien vu en construisant sa rhétorique, seule capable de faire que les idées nous rentrent dans la tête, c’est-à-dire dans le corps, pour y produire leurs effets : l’accélération du rythme cardiaque et le dépli des jambes, l’indignation et la révolte enfin. La rhétorique des affects, seule, pousse au crime de lèse-majesté. Au fond, nous n’avons pas besoin d’idées : nous avons besoin d’affects, d’affections. On peut analyser la crise financière, ce dont ne se prive aucun média, mais in fine, nous savons qui paiera la facture. Les analyses sont faites pour faire passer la pilule. La crise, qui était au départ un délire de traders est devenue par un tour de passe passe crapuleux celle de la Finance Publique. Il n’y a pas jusqu’aux socialistes qui n’en soient convaincus, DSK parcourant l’Europe (quand il le pouvait) pour expliquer aux peuples appauvris qu’il est sage d’accepter de se serrer davantage la ceinture. Et quant à l’effondrement moral du néo-libéralisme qui a lieu sous nos yeux, on peut l’analyser sous toutes ses coutures si l’on veut, rien ne fera qu’on en vienne à bout par ce fil là. Il ne faut plus laisser la parole à ces chères élites qui ne cessent de s’auto-glorifier. Il faut monter des machines affectantes, nous dit Frédéric Lordon, un théâtre de la rue en colère, des samizdats à distribuer sous le manteau quand les journalistes ne font plus leur boulot, ces blogs que le Pouvoir haït tant, pour nous arracher à cet horizon du capitalisme relooké par le monde de la finance, qui n’est pas seulement tragique, mais haïssable au plus haut degré ! --joël jégouzo--.
 
D’un retournement l’autre, comédie sérieuse sur la crise financière, en quatre actes et en alexandrin, Frédéric Lordon, éd. Du Seuil, 136 pages, 14 euros, ean : 978-2-02-104577-2.
 
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3 juin 2011 5 03 /06 /juin /2011 12:21
tunis-paris.jpgMain basse sur tous les secteurs de l’activité économique et sociale, de l’Education à la Défense, en passant par l’industrie et l’immobilier, comme de juste. Ben Ali ne faisait pas dans la dentelle, on le sait, et sa dictature camouflée en modèle de (presque) démocratie ne gênait en rien les autorités françaises, mieux : nos élites, patrons de presse, industriels et politiques tout disposés à lui prêter main forte aux pires heures de péripéties peu glorieuses pour la diplomatie française.
Nous découvrons ainsi, sans consternation, l’étendue de ce "ni droite ni gauche" qui écoeure tant désormais, DSK main dans la main avec MAM, Pasqua cul et chemise avec les conseillers du Président Narkosy, Peugeot, Orange et Séguéla à la manœuvre… Décidément, un grand ménage s’impose en France !
Seule interrogation : que des journalistes du Monde ou des grandes chaînes de télévision publiques n’aient trouvé que ce cadre éditorial pour révéler le gisant de ces compromissions… Comme si une chape de plomb recouvrait les tribulations de la vérité dans notre pays si mal inspiré, godillant en eaux troubles avec la complicité de ces élites qui n’ont au fond de cesse que de nous abuser pour mieux profiter de la rente que nous leur accordons malgré nous…
Un dernier mot tout de même, sur cette façon de faire des livres, en flux tendus crochetés à l’actualité, ne creusant rien à vrai dire, mais surfant sur une vague. L’éditeur semble se spécialiser dans le scandale politico-médiatique, une veine éditoriale désormais et c’est là ce qui devrait nous donner à réfléchir, surtout quand les acteurs de cette dénonciation sont ceux-là même qui auraient dû, aux postes qu’ils occupaient, dénoncer bien en amont de l’actualité les scandales qui venaient. On s’interroge aujourd’hui par exemple sur l’attitude du PS face aux casseroles que traînent un DSK depuis tant et tant d’années, tout comme un Lang ou un neveu d’ancien Président. Il leur faut donc attendre le scandale pour laisser entrevoir leurs propres contrefaçons ? A Droite ce n’est évidemment pas mieux et dans le milieu éditorial itou, comme si le paysage politico-médiatique s’était entendu depuis belle lurette pour sceller le sort de notre démocratie… Que l’on fasse maintenant des hits de tels scandales, sans aucune volonté politique derrière pour tenter d’y remédier à l’avenir, sinon les mêmes promesses récurrentes de laver toujours plus blanc, voilà qui en dit sur l’état de décomposition de ces élites, du moins celles qui occupent le devant de la scène politico-médiatique… --joël jégouzo--

Tunis et Paris, les liaisons dangereuses, Nicolas Beau et Arnaud Muller, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, mai 2011, 62 pages, 6,90 euros, ean : 978-2-35013-210-5.
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31 mai 2011 2 31 /05 /mai /2011 05:22

chiracQue reste-t-il d’une présidence ? Des Lois, des monuments, des discours. Ramassés dans le temps, ces discours offrent la vision d’un état d’esprit, sinon d’un mandat, et mieux encore, dans le cas de ceux de Jacques Chirac, nous offrent en filigrane l’écho d’une inquiétude qui traversait souterrainement le pays –j’y reviendrai.

Mais tout d’abord, à les écouter, on mesure tout ce qui, aujourd’hui, nous sépare d’une telle conception du service de l’Etat, quand bien même Chirac n’aura pas été exempt de tout reproche sur ce point –il s’en faut même de beaucoup. Car quel effroi de mesurer, à l’aulne des discours chiraquiens, le mépris dans lequel l’actuel président tient, lui, les institutions républicaines… Tout au long des allocations présidentielles qui nous sont présentées, Jacques Chirac n’aura cessé de marteler avec force ce mot de "République" qui est précisément l’oublié très conscient des discours du président en exercice qui n’aura eu de cesse, lui, d’en privatiser l’action…

Mais revenons à Chirac. Au fond, le plus surprenant quand on écoute ces discours d’une traite et en les prenant dans le fil de leur ordre chronologique, ce n’est pas tant ce qu’ils disent que ce qu’ils laissent en suspens. "Cohésion", "égalité des chances", "fraternité", "justice", "tolérance"… On se rappelle la fameuse fracture sociale, moins énoncée pour que l’on y remédie que pour prendre acte de ce que la France était en train de s’échouer, à la dérive d’elle-même. Pas un de ses discours qui ne porte trace de cette inquiétude, au prétexte de la combattre, combat sans cesse différer au demeurant, mais témoignant sous la forme d’un projet politique avorté d’une anxiété qui se faisait jour, qui ne cessait de monter en puissance, contaminant un vivre ensemble dont le modèle faisait brusquement long feu. On ne peut qu’être frappé par ce bruit sourd de mots repris sans cesse pour tisser au final la trame langagière d’une société en train de se défaire.

Il y a eu certes le grand discours du Vel d’Hiv’, ou bien celui prononcé à Ramallah le 23 octobre 96, Chirac fier d’être le premier chef d’Etat à s’exprimer devant la première assemblée élue librement par le peuple palestinien, "sur sa terre", et affirmant avec force sa légitimité à décider librement de son destin étatique.

Ces discours resteront sans doute, pour éclipser celui, plus circonstanciel en apparence, du 14 novembre 2005, à propos des émeutes des banlieues. Pourtant à mes yeux le discours le plus symbolique d’une République désemparée. Etonnant dans sa terminologie même, Chirac parlant "des événements", graves, que la France venait de vivre, re-qualifiant les émeutes dans cette terminologie que l’on croyait obsolète de Mai 68 et de la Guerre d’Algérie. Et tandis que l’on évoquait ici et là une "crise de sens", Chirac, butant sur ces "événements", en creusait malgré lui la signification, quelques mois plus tard, avec ce discours de janvier 2006 portant sur l’instauration d’une journée commémorant l’abolition de l’esclavage, qui en reprenait le motif sans pour autant l’associer aux émeutes oubliées déjà par les médias, mais pourtant enracinées profondément dans ce déni de civilisation qui nous vaut aujourd’hui de ne toujours pas savoir reconnaître derrière la philosophie de l’esclavage et de la colonisation le point obscur mais peut-être fondateur de la culture européenne. --joël jégouzo--.





JACQUES CHIRAC 1995-2007 PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, ANTHOLOGIE SONORE DES DISCOURS (37 ALLOCUTIONS HISTORIQUES SÉLECTIONNÉES PAR PHILIPPE BAS ET LOLA CAUL-FUTY), Direction artistique : Philippe Bas & Lola Caul-futy Frémeaux, Label : FREMEAUX & ASSOCIES 4 CD-roms.

 

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