LE TEMPS DE RENAÎTRE (MEMOIRES DU GENOCIDE ARMENIEN)
27 Avril 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant
Dans ce très poignant échange dissymétrique entre un père et sa fille autour d’un héritage douloureux -celui du génocide arménien-, Janine Altounian avait tenté d’éclairer son propre parcours à l’intérieur des traces laissées dans son psychisme par le Journal de déportation de son père. Elle en avait fait un livre, épaulé si l’on peut dire par d’autres voix fortes -psychanalytiques. Dénouant les malentendus d’une réception hâtive qui en avait fait tout d’abord un enjeu de mémoire familiale, bouteille à la mer sans assignataire, reléguée au fond d’une armoire, elle avait fini par comprendre que ce document ne pouvait rester enfermé dans l’espace du vécu familial. Là, piégé dans les méandres égologiques, prisonnier dans l'enclos d’une famille traumatisée, il ne pouvait déployer qu’une histoire impossible à vivre. Car seule l’Histoire, en tant que d’autres, arméniens luttant pour la reconnaissance du génocide de leur peuple, l’avait contrainte, pouvait aider à inscrire leurs souffrances dans sa trame pour soulager les mémoires individuelles, illustrant parfaitement la maxime de Marc Bloch : "L’Histoire, c’est la dimension du sens que nous sommes". Au fond, cette dimension de la conscience historique qui ressortit au même "continuer à vivre dans un monde inhumain" dont témoignait le Journal de son père, forgeant dans la tragédie de leur déportation commune la précarité de ce sens que nous ne pouvons pas renoncer à être.
Il y a ainsi quelque chose de très "beau", encore que le mot paraisse déplacé s’agissant d’une réalité cousue d’abîmes, à moins de l’entendre dans cette signification que lui donnait Rilke d’un commencement de la terreur que l’on aurait été capable d’affronter et à laquelle l’émotion du beau confronte, il y a quelque chose de très beau, oui, dans cet échange que Janine Altounian a risqué (mais pouvait-elle s’en dispenser ? Et si oui, à quel prix ?), pour témoigner à son tour du temps qu’il faut à s’éveiller de pareilles atrocités. Deux, voire trois générations affirme-t-elle, une durée qu’il faudra bien compter à charge des bourreaux pour s’arracher enfin au traumatisme des meurtres de masse. Deux, voire trois générations pour parvenir à symboliser ce que l’on reçoit en héritage. Pour que les "les morts d’aujourd’hui (bénéficiant enfin) d’une sépulture", celle-ci vienne "clore l’espace béant des mises à mort terrifiantes dans le nulle part des déserts".
Assertion inouïe, si l’on y songe, que celle de penser que "les défunts d’ici protègent les morts de là-bas", dénouant, peu à peu et à l’ombre des sépultures nouvelles, ces liens douloureux qui ligaturaient les enfants aux parents pour que le temps du réveil, qui vient de ce que l’Histoire ait trouvé les mots pour libérer ces "affects gelés", s’avance enfin. --joël jégouzo--.
Mémoires du Génocide Arménien –héritage traumatique et travail analytique, Vahram et Janine Altounian, PUF, 236 pages, avril 2009, 32 euros, isbn : 978-2-13-057327-2.
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