LE TERRITOIRE NATIONAL ET L’IMMIGRE CLANDESTIN…
L’Etat contemporain a fini par s’identifier au territoire sur lequel il régnait. Des Peuples qui le composaient, il a nié la diversité pour instruire, littéralement, au sens juridique et pédagogique du terme, une nation prétendument unanime, ré-enracinée fictivement dans l’espace géographique qu’il s’était taillé.
L’unité linguistique de cet Etat, à l’image de ce qui s’est passé en France, n’a été réalisée que tardivement (1914-1918), après bien des détours de terreur (c’est en effet la Terreur qui en imposa la première l’idée). Et pour le reste, les populations de cette prétendue nation ne furent intégrées qu’à reculons dans l’ensemble politique nouvellement créé -l’intégration civique des femme en est un bon exemple. Le territoire national a toujours été le fait du Prince, non celui des Peuples. Le territoire est devenu ainsi la catégorie politique la plus fondamentale des démocraties contemporaines. Au point que l’Etat contemporain tire sa légitimité du territoire, non des peuples qui le composent. Un renversement politique dont on perçoit bien les échos dans l’idéal de Sûreté Nationale : la Sécurité du Territoire suspens l’ordre démocratique.
Après avoir dissous par la force les peuples qui "occupaient" son espace géopolitique (bretons, basques, etc.), l’Etat contemporain a ensuite défini d’autorité sa communauté d’obédience : ces fameux français de souche pour les uns, naguère force tranquille pour les autres.
L’immigré clandestin, dans ce contexte, ne peut incarner que la négation du territoire. On comprend alors le soin que l’Etat contemporain met à le pourchasser, partout où il croit en débusquer un…
Par ailleurs, ne disposant pas de sources transcendantes, les droits individuels et subjectifs fondèrent sa rationalité, posant a priori que les groupes non seulement devaient, mais avaient disparus avec le fondement de la République.
Face à l’égalité républicaine, tout groupe ne pouvait être interprété qu’en termes de trahison, sinon de destruction du principe fondateur de l’Etat moderne. La théorie politique moderne refuse en effet de reconnaître la pertinence politique des groupes : ils transgressent les droits des individus en réduisant les personnes à être membres d’un groupe fondant la source de leur identité. L’Etat moderne s’est donc construit sur l’exclusion du groupe : la caractéristique essentielle du droit moderne est d’ailleurs celle de la séparation des individus.
Et si dans ce topos le groupe est l’ennemi, l’ennemi le plus dangereux est celui qui relève du groupe aux origines décrétées "étrangères".
Dans ce topos du territoire national replié sur la construction d’une communauté d’obédience d’une part, et l’affirmation outrée des droits individuels d’autre part, l’ennemi le plus dangereux de l’Etat contemporain devient ainsi l’immigré, fût-il français depuis trois générations, qui n’aurait pas voulu renoncer à son identité musulmane, l’insérant dans une problématique de groupe (et qu’importe à ses yeux qu’il s’agisse d’un groupe religieux, l’Etat sait étendre le périmètre de la répression dont il a besoin pour affirmer sa puissance).
Figure du traître par excellence, menaçant de l'intérieur même les fondements de son autorité, le musulman se voit ainsi repoussé dans la sphère de l’étranger au territoire.
Or les crimes contre l’humanité ont toujours été des crimes commis contre des groupes. Les victimes de ces crimes ont en effet toujours été d’abord identifiées comme relevant identitairement d’un groupe, ethnique, religieux, voire sexuel ou social.
Les musulmans, quand bien même ils ne seraient pas tous d’origine arabe (et il s’en faut de beaucoup du point de vue de la pensée), forment ainsi commodément le groupe que l’on peut détruire, autorisant par la pseudo radicalité de son étrangeté à la soit-disant culture de souche du pays, la violence qui autorise l’extermination de l’autre, quand il est jugé trop différent.
Enfin, dans l’histoire contemporaine, ce que l’on a pu observer, c’est une inquiétante continuité de violence, des violences ordinaires aux violences extraordinaires. Une continuité si banale et si communément admise (la banalité du Mal appartient à l’Etat laïc), que l’on ne comprend pas comment, aujourd’hui, tant d’intellectuels peuvent s’y vautrer, à moins de se faire les complices conscients de ce déplacement auquel l’Etat contemporain procède quand il use de violence, en la rendant admissible, pourvu qu’elle concerne des victimes acceptables…--joël jégouzo--.