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La Dimension du sens que nous sommes

LE DESIGN GRAPHIQUE ET LA FIN DE L’HISTOIRE TEXTUELLE…

27 Juin 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

vertige.jpgLe design graphique a tout envahi. Sans que l’on ait bien songé à en thématiser les raisons, ou les conséquences. Voici un outil dont les sociétés de la fin du XIXème siècle se sont dotés pour traiter visuellement les informations, les savoirs, tout autant que les fictions. Un outil qui prétendait réorganiser les conditions du lisible et du visible, inventer une syntaxe scripto-visuelle capable d’orienter le regard… et la lecture. Un outil qui a fini par construire un pouvoir exorbitant, pesant sur nos manières de lire, de comprendre, restructurant tout l’inconscient de la lecture. Ce qui du coup l’a investi d’une fonction éminemment politique, en plus d’une dimension culturelle : le design fut au cœur de la redéfinition des identités collectives, redéfinition concomitante d’un changement de l’organisation du temps dans nos sociétés, du statut du texte et de celui de l’image. Un changement qui dut beaucoup à la crise que la rationalité traversa à la fin du XIXème siècle, puis au déclin progressif des grands récits historiques qui avaient fondé la relation entre le politique et l’esthétique.

Evidemment, cette histoire du design, n’aura pas été homogène. Et son pouvoir ne s’est pas construit en un jour. Il aura fallu attendre par exemple les années 1980 pour que les municipalités françaises s’y convertissent en adoptant chacune son logo, rompant de fait avec leur identité fondée jusque là sur le blason. Rupture qui aura témoigné, profondément mais sans que cela ne soit jamais explicité, d’une transformation aiguë de ce qui fondait leur légitimité politique.

Mais revenons à cette histoire, souvent paradoxale, car si par exemple le design est apparu dans un moment où l’on rompait avec l’idée de progrès comme dogme fondamental d’un savoir qui sauve, il tenta du moins tout d’abord avec force de promouvoir l’art et la culture comme clefs de l’émancipation sociale et politique des individus. Dans les années 1920, l’identité graphique répondait encore au projet de progrès social. Qu’en est-il aujourd’hui ?

musee-parc.jpgPour le prendre par un autre biais, dans les années 80, François Mitterrand adopta la logique médiatique, réservée au privé jusque là, introduisant de fait une rupture dans l’idée d’un Etat au service de l’intérêt général. Dans le sillage de cette marchandisation du Bien Commun, le design se vit ouvrir de nouveaux horizons, dans le domaine de la culture en particulier : l’épuisement des récits du devenir, qui sanctionna paradoxalement sous la présidence du changement socialiste l’épuisement des récits du changement et de la transformation sociale, plaça la culture dans une orbite marchande. Les musées, pour la bonne cause, devinrent des parcs d’attraction. La culture devint une industrie, détissant la valeur du Travail dans un pays qui ne savait plus donner de travail à ses citoyens. En corollaire, le spectacle de la culture sembla produire une amnésie mémorielle généralisée devant l’Histoire (sociale en particulier), à l’heure même où partout fleurissait l’incontournable devoir des mémoires… Exit l’émancipation sociale et politique des individus : la culture visait désormais autre chose, affirmant sa puissante marque de distinction sociale.

Reprenons tout de même, pour ne pas conclure trop vite à une trahison de la culture. Reprenons au niveau du statut du texte. L’exemple est intéressant, qui aide à relativiser tout critique excessive du design. L’écriture s’était affirmée comme fixation de la mémoire, inventée au moment où les civilisations se sédentarisaient. Parce que le monde nourrissait de projets d’avenir structurés autour de grands récits, le rôle de l’écriture s’y révéla fondamental. Las, le monde d’aujourd’hui n’aurait, lui, plus de grands récits à porter, en particulier sur son devenir. C’est dans ce vide que ce serait engouffré le design graphique, comme fin de l’histoire purement textuelle. Erodant la lisibilité au profit de la visibilité, dans un retour à l’ornement qui étonnamment traduirait au fond un retour à l’oralité, renouant avec cette forme de discours que l’on retrouva dans le monde occidental chaque fois que la rationalité y était en crise. L’ornement, pratique des premiers hommes, redécouvert dans les années 1990, nous dit Annick Lantenois. L’ornement et le tracé introduisant une sorte de rationalité géométrique où l’essentiel de la forme recouvrirait l’essentiel du sens, dans la référence symbolique au geste et à sa durée. Une fin du livre en quelque sorte. Mais… Ce dernier répond-il toujours à nos pratiques intellectuelles ? Sa conception téléologique sous-jacente d’un temps continu clairement articulé par le déroulement du savoir dans la durée de son argumentation, traduit-elle toujours nos manières de penser ? La culture du design est aujourd’hui numérique. Elle s’effectue selon des mécanismes de pensée et de raisonnement dont les articulations sont plus complexes qu’elles ne l’étaient par le passé, dans un paysage cognitif exogène, comportant à même valeur des motifs textuels, sonores, visuels. Ne faudrait-il pas creuser là ? Une culture s’invente au fond, dans tous les sens du terme, une culture du texte sans le livre, d’un art sans objet, une muséographie certes encore trop confisquée entre les mains de ces experts qui, comme dans tous les autres domaines de la vie en société, ont tendance à s’approprier le pouvoir qui devrait nous revenir, et que nous aurions tort de ne pas investir. Le design graphique est peut-être au fond une pensée nouvelle qu’il faudrait arracher des mains des experts pour nous réapproprier les marques de notre devenir. Arracher la culture à son orbite marchande et sa logique de domination, à l’heure où l’idée du progrès social est non seulement une idée raisonnable, mais de Salut Public ! L’émancipation sociale et politique est plus que jamais à l’ordre du jour, et le design graphique à son service, qui invente, sur le net comme sur les murs de nos tecis, des formes d’intelligence que les musées n’ont plus. --joëljégouzo --.

 

Le vertige du funambule, de Annick Lantenois, éd. B42, nov 2010, 85 pages, 13 euros, ean : 9782917855126

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