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La Dimension du sens que nous sommes

en lisant - en relisant

HIBAKUSHA : DES SURVIVANTS DE NAGASAKI A CEUX DE FUKUSHIMA…

9 Mars 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

enfant.jpgLe monde est devenu une arène où ceux qui peuvent souffrir sont immolés. Fukushima, c’était il y a un an déjà. La centrale explosait dans le pays champion toute catégorie de la technologie. Le plus fiable. Un désastre. Avec lequel les japonais n’en ont pas fini. N’en finissent pas. La seule chose qui ait pris fin, ce sont les feux de l’actualité. A peine de nouveau braqués aujourd’hui sur une commémoration vide de sens, vide de résolutions. Le pire arrive toujours dans le nucléaire. Le pire nous arrivera. Ce n’est qu’une question de temps. Fukushima. Un séisme de magnitude 9, le plus fort jamais enregistré au Japon. Relayé par un tsunami. Le séisme coupa l'alimentation électrique externe de la centrale et de ses six réacteurs, la privant de son système de refroidissement principal. Personne ne voulait croire possible un pareil scénario. Un raz-de-marée privant la centrale de sa sécurité ! Allons !… Alors aussitôt les autorités mentirent au Peuple japonais. Comme les autorités américaines avaient menti aux peuples américains en leurs temps de catastrophe nucléaire, comme les autorités russes après eux, et les autorités françaises, à jurer qu’aucun nuage radioactif n’avait franchi nos frontières. Une habitude dans la manière de gouverner : ne jamais hésiter à mettre en danger les populations. Une tradition politique.

Là-bas, la mort semble avoir cessé d’enfermer les épaules des enfants dans un sort immobile. Elle s’est mise à trotter dans les campagnes, dans les villes, courant sa chance, plus insidieuse désormais, cherchant son passage dans les organismes fatigués, exposés. Un nuage passe, un nuage est passé. L’infime clématite et la haie emmêlée, la terre s’élance, un papillon près du sol à l’ombre éveillée. Enveloppée de douleurs, l’angoisse envahira l’Histoire. Le ciel nous offrira juste la possibilité du gouffre dans nos tempes. Là-bas, des eaux louches ont vacillé au souffle d’une lumière blanche. Ici, tout va bien. Même si dans l’air quelque chose est passé, venu du bout du monde, le monde partout à nos portes. Quelque chose est passé. Rien, nous a-t-on assuré, sinon que les mouvements de l’air ont pris figure humaine. Sinon que l’eau des rivières peut bouillir et l’homme s’absenter du monde, le ciel nous offre déjà ses rudes nourritures, son linge flottant au vent de nos ténèbres.

les-cloches-62.jpgJe me suis pris à imaginer un tel jour, le moins défendu, un ciel piqué d’été inaugurant le dernier cachot de la terre –(nos pas si lents à l’espérance). Même si tout est parfait ici, à Paris. Les arbres, les mains, les yeux, les rires des enfants. Mais cette ombre au-dessus de nos têtes… A quoi devons-nous donc de voir cette vaste étendue subitement racornie ? C’était l’espace et le ciel était mort. La race souffrante des hommes a essayé la servitude, le mensonge, le carnage, aujourd’hui la catastrophe si peu naturelle… Il flotte comme une représentation vaine de ces choses : le martyre, cette tradition des temps barbares. Le Dr Takashi NaGaï (1908-1951) et son fils Makato Nagaï (1935-2001) ont connu tous deux l’effroi de Nagasaki. Et du martyre. Le 9 août 1945, le souffle d’une bombe puissante emportait leur vie vers son ailleurs, dont ils n’avaient rien décidé. Un médecin et son jeune fils. Qui consacrèrent ensuite leur vie à consoler leurs semblables. Makato avait dix ans à l’époque. Il devint journaliste, publia en 1959 un récit de souvenirs. Son petit-fils, Tokusaburo Nagaï, directeur du Musée Nagaï Takashi, fit paraître en français le livre de son père en 2004. L’explosion nucléaire de 1945 terrifia le monde. Takashi l’évoque dans ses souvenirs. Spécialiste en radiologie, le 9 août 1945, à 11 heures du matin, il était dans son laboratoire. Une lumière blanche sembla traverser d’un coup les murs du laboratoire. Le noir ensuite. Le monde noir, d’un coup. Et le bruit d’une immense catastrophe : tout s’embrase et s’écroule, n’en finit pas de craquer et de tomber, de s’abattre. La bombe vient d’exploser à 400 mètres de la cathédrale de Nagasaki, à Urakami. Sa carotide est tranchée par un éclat de verre, mais il s’en sort, se précipite au chevet des blessés. On dénombre les morts par centaine de milliers. Les blessés aussi. Il écrira tout cela. Témoin. "Dans ce qui avait été notre cuisine, tout de suite je découvris quelques débris chauds et complètement calcinés : tout ce qui restait de mon épouse Midori. Mais tout près brillait la chaîne de son rosaire, et sa petite croix." Attaqué par une leucémie, le Dr Nagaï mourra le 1er mai 1951. A son enterrement, 20 000 personnes brandiront son livre le plus célèbre : Les Cloches de Nagasaki. souvenir-cloches.jpgSon fils publiera en réponse Le sourire des cloches de Nagasaki, paru en France en 2004. Il raconte sa vie d’enfant confronté au souvenir des cendres de sa mère et à la leucémie de son père. Il raconte le drame que le Japon vit toujours. Non pas Hiroshima et sa colonne de flammes. Non pas Fukushima et ses trombes d’eau. Car rien n’est comparable. Il n’y a pas d’équivalence, sinon l’entêtement des autorités à nous exposer au pire.

Aujourd’hui aura lieu la première commémoration de la catastrophe de Fukushima. On tentera de nous faire croire que les autorités sont désormais soucieuses de notre passé comme de notre avenir. Commémorons donc. Comme ont été régulièrement commémorés les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki. Il sera bon alors de rappeler les circonstances de ces tragiques événements. Comme on l’a fait de ces bombardements. Le nom du bombardier américain, celui de la bombe, les estimations du nombre des victimes, sans parler des survivants ("hibakusha "), marqués à vie dans leur chair, leur esprit et leurs relations sociales. Avant que ne retombe l’épais silence des médias en attendant de commémorer de nouvelles catastrophes. Il flotte décidément comme une représentation vaine de ces choses : le martyre, cette tradition des temps barbares.

 

 

Les Cloches de Nagasaki, Takashi Nagaï, 1962, épuisé.

Le sourire des cloches de Nagasaki, de Makoto Nagaï, Tokusaburo Nagaï et Marie-Renée Noir, éd. Nouvelle Cité, août 2004, coll : Récit, 123 pages, 16 euros, ISBN-13: 978-2853134644.

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DE LA VIOLENCE DES PETITS BLANCS D’AMERIQUE -UN LONG SILENCE…

7 Mars 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

mikal-gilmore.jpg1976. Gary Gilmore est emprisonné. Pour meurtre. Il exige que l’Utah rétablisse la peine de mort. De fait, il sera bientôt exaucé et… fusillé. Cinq balles. Dans la poitrine. Son frère cadet enquête. Des années plus tard il s’empare de nouveau de cette histoire. De son histoire. Comment en est-on arrivé là ? Il enquête sur son frère, sa famille ivre de haine, tout droit sortie d’un roman de Faulkner, avec ses petits blancs repus de misère, d’humiliation et de violence. L’histoire se dessine peu à peu. Non sans mal. C’est que Mikal, devenu rédac chef de Rolling Stone Magazine, ne veut pas expliquer, mais raconter. Montrer. Les années 50, une ville américaine moribonde avec sa voie ferrée à l’abandon, qu’aucun train ne semble avoir jamais empruntée. Une ville de revenants. De moribonds. De brutes. De brutes qui meurent de maladies agressives. Alcool, tabac, cancers expéditifs qui vous cognent jusqu’au plus profond de la nuit. Une Amérique obscure, réfugiée chez elle, éternellement. Une histoire dont on sent le poids aujourd’hui encore. Et sa difficulté à raconter la genèse de cette violence, de ce trop plein de violence. Des meurtres, toujours, partout, dans chaque maison, chaque famille. Que Mikal ne veut pas chercher à comprendre, mais montrer. Il y en a trop de toute façon, pour que cela puisse faire sens. Trop d’incompréhension. De tous devant tous. "Je suis le frère d’un homme qui a assassiné des innocents". Condamné à mort en 1977. Cela faisait dix ans qu’il n’y avait pas eu d’exécution. Mais lui, le condamné, avait su convaincre la résistance des autorités. Norman Mailer en fit une histoire –Le chant du bourreau. Et lui, Mikal, le frère du condamné, tente à présent d’écrire l’histoire des origines de cette violence. Celle d’une Amérique profonde. Celle des petits blancs d’Amérique. Faulkner. Une histoire de fantômes. De gamins habillés en cow-boys, mais armés de vrais pistolets. Un autre espace-temps. Une histoire qui est aussi celle des Mormons. Une population égarée, décimée, persécutée, qui a cru ne devoir son salut qu’à la violence qu’elle mettrait à survivre. Une population, la sienne, les siens, qui a tout au long de son histoire cultivé la fatalité du meurtre, nous dit-il. La culture du meurtre. Le livre du Mormon en toile de fond. Bible familiale. Mille ans de violence. D’une tribu aux origines bibliques, embarquée sur un bateau de fortune, une arche sans alliance, voguant jusqu’en ces terres nouvelles pour croire en un quelconque destin aussitôt biffé par la mort prématurée de son fondateur, confiant sa succession au cadet de la famille, au mépris du tourment des aînés, jaloux, qui n’auront alors de cesse que de vouloir se venger contre ce frère préféré… La violence depuis. Jusqu’à celle de Dieu les condamnant à avoir l a peau rouge… La guerre entre les familles. La violence comme principe purificateur. Non la confession des péchés : la violence. Et le Livre du Mormon que Mikal tient en main et qui projette la vision d’une Amérique en proie à la destruction, à la folie meurtrière. En guise de terre promise, une terre soumise à la peur et à la violence. Au souvenir des années 1830, celles de la grande répression des Mormons, chassés des villes qu’ils avaient construites par des milices d’Etat féroces qui les incendièrent, violèrent leurs femmes, assassinèrent leurs enfants. Des milices blanches. Qui les gavèrent d’une violence inextinguible. Dont jamais ils ne purent se rassasier…

 

Un long silence, Mikal Gilmore, traduit de l’américain par Fabrice Pointeau, éd. Sonatine, févr 2011, 565 pages, 22 euros, ISBN-13 : 978-2355840517.

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L’Autriche aura-t-elle la peau du loup (nationaliste) ?

18 Février 2012 , Rédigé par Joël Jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Silence radio sur ce qu'il se passe en Autriche aujourd'hui. Rappelez-vous pourtant, il semble bien longtemps déjà, la Palme d’or décernée au réalisateur autrichien Michael Haneke pour Le Ruban blanc, explorant moins la genèse de la montée du nazisme que les soubassements culturels de la terreur à travers les dégâts de l’éducation protestante. Rappelez-vous encore ce prix d’interprétation masculine attribué à L’autrichien Christoph Waltz jouant un officier SS dans le film Inglourious basterds, de Quentin Tarantino... A l'époque, il semblait que l'Autriche revisitait son héritage nazi sans complaisance, mais la voici de nouveau en ordre autoritaire de marche. Une vieille tradition autrichienne, celle d'un pays qui réussit presque le tour de force de se faire passer pour victime au sortir de la dernière guerre...

Alors relisez ce roman, par trop passé inaperçu, qui avait déjà naguère emprunté ce difficile chemin de mémoire. Moins médiatique qu’une Palme d’or, plus difficile qu’un film virtuose signé Tarantino, La Peau du loup, mérite bien, aujourd’hui, d’être lu et relu. Et pas uniquement parce qu’il évoquerait le poids d’une mémoire accablante qui nous est de moins en moins étrangère : cette voix qu’il invente et parcourt a déposé son grain partout en Europe. Relisez-le, vous verrez bien assez, allez, de quoi il parle !
L'Autriche, elle, le sait, qui a pataugé longtemps dans le sang jusqu'aux chevilles, comme l’affirme Elfriede Jelinek. Pays d'amnésiques, l'accession au pouvoir de l'extrême droite y consacra "la faillite des hommes de nationalité autrichienne devant leur histoire". Mais peut-être aurions-nous dû moins voir dans l'épisode Haider l'homme qui fit honte à l'Europe, que celui qui fit sortir l'Autriche de son innocence. Il faisait un tel bruit autour du silence autrichien sur sa mémoire nazie !
Dans le village de Schweigein (silence), au bout du monde, un matelot se réveille en pleine nuit, en proie à un malaise indéfinissable. Il vient d'entendre un bruit qui a rempli toute la voûte du ciel. Une stridence qui paraît venir d'une vieille briqueterie en ruine. Inaudible d'abord, elle devient vite quelque chose de bestial. Un souffle à l’envers du souffle de l’Esprit, surplombant les hommes pour retomber sur eux comme ces couvercles de plomb sur les ciels de Baudelaire. Résonances sourdes de silhouettes, de figures sans image qui hantent la forêt. Figures dont on a confisqué l'image. Bientôt, des morts mystérieuses plongent le village dans l'ignoble. Tout tourne autour de cette briqueterie - un signe à déchiffrer. Sur le modèle du récit policier, le narrateur épie des objets qui se dérobent à la vue. Dans leur lente remontée au visible, il nous rend littéralement la vue. Mais la chose qui vient n'a tout d'abord ni visage, ni nom. "Il faut (même) se fabriquer des yeux d'oiseau de nuit" pour la voir, car elle est ignoble ! Seuls les cadavres, en Autriche, semblent parvenir à ouvrir les yeux. Cette trace sanglante qui encercle le pays et l'enferme, le matelot la piste, avant de "partir, loin de cette prétendue patrie".--Joël Jégouzo—


La peau du loup, de Hans Lebert, édition Jacqueline Chambon, 1998, 512 pages, ISBN-10: 2877111784, ISBN-13: 978-2877111782

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Bréviaire des robots (Lem) 11ème voyage : la fable de la soumission…

9 Décembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

lem-robot.jpgLe voyage s’ouvre sur les excentricités d’un robot revêche et alcoolique, dans l’Etat "la Merveilleuse", créé par un super calculateur qui l’a peuplé de robots au détriment des humains qui l’habitaient. Hélas, tout n’est jamais pour le mieux dans le meilleur des mondes : une société privée veut le récupérer et envoie un humain, déguisé en robot, mener ses investigations.
Sur place, notre volontaire s’enquiert de savoir s’il existe encore une opposition sur laquelle on pourrait compter. il consulte la presse, y compris celle d’opposition, dont il découvre bien vite qu’elle est elle aussi à la solde du Pouvoir en place. Tout le secteur culturel de l’Etat, dont il croyait pouvoir attendre les ferments d’une révolte possible, est tombé sous la coupe de l’idéologie calculatrice. Hélas pour lui, notre humain se fait prendre et jeté en prison. Le Calculateur, que l’on ne voit jamais mais dont la voix résonne partout, et qui se doute bien que d’autres humains sont disséminés dans son Etat, accepte de lui laisser la vie sauve à la condition qu’il les démasque et les dénonce. Acceptant bien évidemment le deal, notre volontaire ne fait bientôt que croiser partout des humains déguisés en robots, si bien investis dans leur dissimulation qu’ils ne soupçonnent pas même la présence d’innombrables autres êtres humains parmi eux. Toute la capitale est en fait peuplée d’humains souffrant sous leurs masques de robots. Des pseudos robots donc, serviles à souhaits, pétris de peur et jurant matin et soir fidélité au Grand Calculateur.
"Les robots, qui n’étaient autres que des humains, se montraient en tant que néophytes de la perfection, plus robots que les robots eux-mêmes."
"Une affaire abracadabrante : une ville ceinte de cimetières où reposaient, tombées en poussière de rouille, les troupes du Calculateur. Et lui gouvernait toujours, plus puissant que jamais…"
Le Volontaire finit par penser que cette situation ne peut durer, qu’il suffit d’un rien pour qu’elle cesse, puisque l’Etat tout entier n’est à vrai dire peuplé que d’humains. Il s’introduit dans le palais et finit par découvrir, embusqué derrière un micro et des écrans de contrôle rafistolés, en guise de Calculateur, un homme chenu qui vocifère sa haine de l’humain à longueur de journée, croyant avoir trouvé la meilleur planque... 
"Il est consolant de penser que seul l’homme peut devenir une canaille"… --joël jégouzo--.
 
Le Bréviaire des robots, de Stanislas Lem, traduit du polonais par Halina Sadowska, illustration de couverture Philippe ruillet, Folio junior SF n°174, Gallimard jeunesse, ean : 9782070341054.
 
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Simone de Lion Feuchtwanger (l'éthique de la révolte)

4 Décembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

simone.jpgL’histoire d’une fidélité à l’éthique de la dignité humaine, quand la France sombrait dans le chaos de Vichy.
Juin 1940. Sur la petite ville de Saint-Martin déferle le flot des réfugiés. Simone a quinze ans. L’immense pagaille d’une humanité piteuse, jetée sur les routes dans ses habits du dimanche désormais en lambeaux, lui soulève le cœur. Humanité en loques, s’épuisant à traîner derrière elle tout un bardas dérisoire d’objets inutiles, emportés dans un geste de panique au moment du départ. Simone vit dans la famille de son oncle, patron d’une entreprise de transport et d’un dépôt d’hydrocarbure, qui en font l’un des hommes les plus riches de la ville. C’est le frère de son père, mort héroïquement d’avoir passé sa vie à combattre l’injustice. Simone ne comprend le monde que dans la fidélité à cette mémoire, qu’elle n’a de cesse de réhabiliter. Un jour le pont du Serein, seule voie d’accès à la ville, est mitraillé. On dénombre des dizaines de morts. Traumatisée par l’incident, elle découvre sans d’abord vouloir le croire, que son oncle est plus occupé à préserver sa fortune, quitte à se compromettre avec les allemands, qu’à sauver du désastre ces milliers de réfugiés à qui il refuse son essence et ses camions. Contre son propre oncle, elle accomplira bientôt le seul acte de résistance notoire de Saint-Martin.
Ainsi, tout repose symboliquement dans ce roman sur les épaules d’une jeune fille immature, qui offre la seule réponse d’importance à l’Occupation. Ecrit en 1943, alors qu’il fuit lui-même sur les routes françaises de l’exil, Feuchtwanger nous restitue dans cet ouvrage l’atmosphère de la drôle de guerre avec une rare profondeur. --joël jégouzo--.
 
Simone de Lion Feuchtwanger, traduit de l’allemand par Dominique Kregler, éd. Fayard, février 2001, 322p., ean : 9782213601453
 

 
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MADELEINE DE SCUDERY, PROMENADE DE VERSAILLES

30 Novembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

scudery.jpgNi ostentation, ni affectation, l’art de se ballader amoureusement en fait, le seul vrai talent que l’écriture devrait se reconnaître… "Un je ne sais quoi de doux et d’amer tout ensemble", où se congédier sans amertume.

Si l’on connaît Madeleine de Scudéry pour sa Carte du Tendre, ou Clélie, le roman qui fut le plus grand succès de librairie de son siècle, on ignore généralement ses autres œuvres, dont les volumes de ses conversations, pourtant si essentielles à la compréhension de la singularité du modèle français de sociabilité des élites, et sa Promenade de Versailles, subtile thématisation de l’art du récit et de la fonction de la description au sein de cet art.

Le Mercure de France nous en a offert une introduction (seule est publiée en effet la première section de la promenade) qui, il faut le regretter, n’a pas su encourager les éditeurs à rééditer l’ensemble de l’œuvre de Madeleine de Scudéry.

"Il faut poser pour règle générale que l’Art embellit la nature", affirme-t-elle. Le baroque français, tout d’équilibre et de tensions dans l’exhibition de ses ornements, déployant la variété dans la redondance et déclinant subtilement ses dissymétries dans l’astreinte de régularités fictives, trouve dans le style de Madeleine de Scudéry le parfait écho de ses formes. Ses phrases, volontiers galantes, cheminent sans affectation, s’étirent sensuellement, étageant les perspectives en horizons ni trop vastes ni trop bornés, avec juste cette dilection désinvolte du courtisan qui sait enchanter l’imagination sans ostentation, ni lui sacrifier les vertus de l’exacte rigueur cartésienne. Mais au passage, quelle hardiesse à théoriser ce qu’écrire pourrait bien vouloir dire, à changer de focale au creux de ses longues périodes, pour y inscrire, dans la structure même de sa phrase, ce système des valeurs qui ont fondé cette sociabilité des intellectuels français, si détestable par ailleurs… --joël jégouzo--.

 

 

 

La promenade de versailles, Madeleine de Scudéry, Honore Champion, janvier 2002, coll. Sources Classiques, ISBN-13: 978-2745305916, épuisé.

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IL ETAIT UNE FOIS LES CONTES DE FEES…

28 Novembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

contes.jpgPublié à l’occasion de l’exposition éponyme conçue pour la BNF par Véronique Meunier il y a quelques années déjà, le catalogue co-édité par le Seuil et la BNF est sans conteste une remarquable réussite éditoriale. D’abord parce que c’est un superbe objet jusque dans la conception de la maquette, qui rassemble une iconographie tout à la fois pittoresque et savante. Ensuite parce qu’il nous livre des collaborations particulièrement éclairantes sur la constitution et l’histoire du genre. De Perrault à Andersen, en passant par Crébillon et la peu connue Madame Leprince de Beaumont, c’est vraiment l’occasion d’en découvrir toute l’étendue et toute la richesse. L’occasion de redécouvrir également un univers sans grands équivalents. Par sa structure métisse en effet, mystifiant les distinctions entre les genres, le conte merveilleux a su non seulement produire un nombre incalculable de récits, mais générer une énorme vitalité littéraire. Tolkien, bien qu’il ne soit pas directement rattaché au genre mais qui en fut le lecteur passionné, en est la meilleure illustration. Sans doute est-ce parce que le pacte de lecture qu’il suppose ouvre autant à l’autonomie de l’œuvre qu’à celle du lecteur. Flaubert s’étonnait de voir les français préférer Boileau à Perrault. Espérons avec lui que les adultes sauront retrouver non pas le chemin d’une lecture enfantine, mais celui de l’imagination créatrice ! --joël jégouzo--.

 

 

Il était une fois les contes de fées, sous la direction d’Olivier Piffaut, Paris, Seuil / Bibliothèque nationale de France, mars 2001, 573 pages, ean : 978-2020491846

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Bestiaire du Gange

26 Novembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

bestiaire.jpgUn livre illustré pour la jeunesse. Un livre splendide, d’un raffinement insolite, imprimé tout en pages sérigraphiées. Un livre pour les parents, de poèmes tamouls à montrer autant qu’à lire aux enfants. Un bel objet au style délicat, pointant à l’horizon du Beau un accord infini, celui, peut-être, des berges du Gange où les crocodiles poursuivent l’ombre taciturne des rivières. Un livre à lire avec passion, en sentinelle d’un monde que l’on sait encore partager, les belles heures de l’enfance comme au premier matin réfugiées dans la chambre des enfants. Un livre, cet objet de partage, entre l’un, à l’autre jeté par dessus les abîmes du temps, un lieu ouvert sur les mondes qui ne se dérobent jamais. D’une page l’autre le syllabaire exquis convoque ici le héron perché sur sa dernière patte, là l’écrevisse en aplat rouge conjuguant à l’étonnement du bec du premier le regard ébloui d’un garçon de quatre ans. Les yeux mirés sur la page qu’un bleu Giotto dessille, ravissent le ciel de pluie battante qui surplombe le Gange de son dessin virtuose. Partout l’eau, cet élément complice d’un rêve trop intime pour que l’enfant veuille nous le confier entièrement, battement d’on ne sait trop quel cœur, laissant éclore sur les rivages où les vagues scintillent, le cygne blanc, les fleurs des lotus que son regard embrase encore. J’ouvre les yeux, "Le monde est encore intact ; il est vierge comme au premier jour, frais comme le lait !" (Paul Claudel, L’Art Poétique). --joël jégouzo--.

 

 

Bestiaire du Gange, Rambharos JHA, Actes Sud Junior, Hors collection, oct. 2011, 22x35, 32 pages, traduit de l'anglais (Inde) par : Jade ARGUEYROLLES, 21,50€, ISBN 978-2-7427-9870-4

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Le Petit Köchel

20 Novembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

köchelIl a dit qu’il allait se pendre, et c’est tout à fait le genre de phrase irrévocable contre laquelle on ne peut rien…

On a tout de même fini par retrouver le Petit Köchel. La partition traînait sur une boîte en fer blanc. Le petit, lui, le vrai : l’enfant, il doit être à la cave. Il s’y est enfermé depuis si longtemps, qu’il n’a pas dû en remonter. Et puis il a décidé de s’y pendre. Ses mères, qui ont consacré leur vie à Mozart, n’apprécient pas. A cause de cette menace, leur journée est fichue. Elles ne pourront pas répéter aujourd’hui. Ses mères… Ses mères ? ?… D’ailleurs elles ne savent même plus qui est la génitrice de l’enfant. Elles qui ont passé toute leur vie assises devant leur piano, elles doivent aujourd’hui se concerter. Elles ont d’ailleurs longtemps cru que c’était «lui» qui avait volé le Petit Köchel. Mais bon, on l’a retrouvé. On sait du moins où il pourrait être. Tout peut rentrer dans l’ordre. Enfin presque : il reste cette menace. Reculer l’heure de l’horloge ? Il avait annoncé une heure précise croit-on se souvenir. Une heure de pendaison. Mais peut-être pas. De toute façon, pour une fois qu’il exprime un désir, autant qu’il aille jusqu’au bout. En sera-t-il seulement capable ? Et s’il refusait de se pendre ? Ce serait compromettre tout le sens de leur vie à elles, qui sont allées jusqu’au bout de leur passion pour Mozart. Non : il faut qu’il se pende.

C’est dans la prolifération d’une parole nauséabonde qui ne cesse de se répandre entre les personnages que s’achève l’intrigue. L’enfant veut bien ne plus se pendre, si ses mères lui apportent la preuve indéfectible de leur amour. Mais on ne peut aimer Mozart et le petit à la fois… --joël jégouzo--.

 

Le Petit Köchel, Normand Chaurette, Actes-Sud Papiers, juin 2000, 52p., EAN13 : 9782742727520

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TELL ME DARK : ON SE PERD DANS CE MONDE

19 Novembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

tell-me-dark.jpgLes yeux cavés de visions nocturnes, Michaël, halluciné par son plongeon suicidaire dans la Tamise, cherche Barbara. Elle est partout, fantôme dépecé par de funèbres rites sadomasochistes. Défoncée à toutes les heures de sa vie, incapable de sortir du cercle archaïque de ses démons. L’histoire de sa passion pour Barbara l’entraîne aux portes de l’enfer. "On se perd dans ce monde". On veut sentir, on essaie. "Etre aimé. Appartenir. On ne sait pas comment. Alors, on demande à la nuit." Adossé au malheur, parmi les noires épouvantes de l’asphalte, Michaël sait que désormais sa douleur est son unique noblesse et qu’il lui faut la traverser de part en part s’il veut récupérer Barbara. Ni la terre, ni les enfers ne mordent jamais à cette douleur. L’invraisemblance d’aimer, seule, nourrie de son incertitude grandiloquente, est son guide fragile.
Une œuvre conçue dans la fulgurance de la violence beaudelairienne. L’image, grattée, rayée, rouillée en d’affolants lâchers d’encre, déploie toutes les ressources que la peinture, le dessin ou la gravure autorisent. Le texte ricoche abruptement dans ces planches, mêlant au verbe de Baudelaire les notations sèches de Karl Edward Wagner. Un visage monte parfois brusquement dans la page, ou bien il est estompé, à peine esquissé. Ce n’est jamais gratuit : le silence ou le bruit, la présence ou son fantôme, l’absence ou le rêve conditionnent chaque fois le choix des représentations, ou du dessin. --joël jégouzo--.
 
Tell me, Dark, Karl Edward Wagner, Kent Williams et John Ney Rieber, traduit de l’américain par Nicholas Wood, conception graphique Nakama, coll. Atmosphères, Le masque, janvier 2000, 80p.
 
 
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