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La Dimension du sens que nous sommes

Actualité de Marx, Henri Pena-Ruiz

25 Juin 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique, #essais

Daté, Marx ? Henri Pena-Ruiz s’emploie à démontrer brillamment le contraire. Pour le comprendre, il faut partir de son analyse des trois âges du capitalisme. Marx fut le contemporain de ce que l’on a coutume d’appeler le Capitalisme primitif, ou le premier âge du capitalisme. Un capitalisme sans complexe, débridé, partant triomphalement à la conquête des marchés selon sa seule logique de profit maximum. Fort du triomphe de la bourgeoisie au sortir de la Révolution Française, aucun droit social ne venait alors limiter sa course. Par millions, les travailleurs ruraux s’exilèrent pour venir mourir dans ses fabriques. La bourgeoisie conquérante détruisait tout, pour ne laisser entre les hommes que «le froid intérêt», supprimant «la dignité de l’individu devenu simple valeur d’échange», et se livrant à l’exploitation «ouverte, éhontée, brutale», des hommes et de la nature. Réduisant les rapports humains à de simples rapports marchands, Marx expliquait comment les marchés emportaient tout et détruisaient tout sur leur passage, à commencer par les traditions les plus ancrées, pour bouleverser les rapports sociaux existants à leur seul avantage. Très vite, les travailleurs, les ouvriers, comprirent que sans leur résistance, le déferlement de la fureur capitaliste allait être non seulement pour eux-mêmes, mais pour l’humanité et la nature, le plus effroyable saccage que la terre ait connu. L’entrée dans le deuxième âge du capitalisme se fit sous la pression des masses ouvrières, entre 1870 et 1970 pour le dire vite, qui par leur volonté, leur sacrifice et leur intelligence limitèrent les effets meurtriers de ce capitalisme sauvage. Le capitalisme fut obligé de composer avec d’autres exigences, sociales, et pour tout dire humaines. Mais de nouveau à la fin des Trente Glorieuses, dans les années 1970, le capitalisme fort du capital accumulé grâce à la rente pétrolière principalement, se mit en tête de lever tous les freins à son exploitation cynique du monde. Le néolibéralisme n’a cessé depuis de partir à l’assaut des conquêtes sociales, au point que nous connaissons aujourd’hui le plus fantastique assaut jamais orchestré dans le monde contre notre humanité, rien moins. La mondialisation financière a vu le triomphe idéologique du néolibéralisme, avec l’immense complicité des médias. Et l’on retrouve finalement aujourd’hui cette sauvagerie que Marx dénonça en son temps, à travers la plus ahurissante régression politique et sociale jamais accomplie depuis des siècles. «La Loi du dividende maximum caractérise notre monde», affirmait Marx en 1848. La bourgeoisie, continuait-il, qui ne peut exister sans jeter l‘ensemble des rapports sociaux dans «l’insécurité perpétuelle», s’est lancée à l’assaut du monde pour faire de ce monde un vaste marché artificiel et «tout mettre en exploitation». Après avoir «enlevé à l’industrie sa base nationale», voici que le credo du libéralisme, celui du prétendu libre échange, ne cache même plus sa vérité : cette «liberté d’écraser le travailleur». Le ressort du capitalisme est le même aujourd’hui qu’il y a deux siècles ! Avec cette différence qu’aujourd’hui, c’est une vraie guerre qui est menée contre les peuples et les individus. La mondialisation est une guerre de domination définitive, antihumaniste, effroyable. Ce «Capitalisme inhumain» que dénonçait Marx dans les années 1848, nous le voyons tous les jours à l’œuvre, aux yeux duquel l’homme n’est qu’un moyen, un «résidu facultatif d’une logique d’enrichissement qui ne se connaît pas de limite». Et aujourd’hui de nouveau, «le rapport de force est outrancièrement favorable au capitalisme». Ne nous cachons pas les yeux, même si partout la colère gronde. Destruction du code du travail, des services publics, des Communs, le visage du capitalisme mondialisé a réintroduit de nouvelles  de figures de la misère, de la pauvreté, tant son «succès éclatant s’assortit de la régression sociale la plus terrible». Marx parlait d’Hubris capitaliste, qui procède par la destruction systématique de tous et de tout, y compris de la nature. Prédateur de l’homme, il l’est également de la nature. Nous y sommes. L’urgence et notre responsabilité sont d’affirmer notre humanité face à sa furie dévastatrice. Et cela en sachant qu’il n’y aura pas de «quatrième âge» du capitalisme, mais sa fin, ou la nôtre.

Karl Marx, philosophe de l’émancipation, un cours particulier de Henri Pena-Ruiz, Frémeaux & Associés, direction artistique : François Lapérou, Claude Colombani et Jules Frémeaux. 4 CD.

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Guide de l’Antiquité imaginaire, Claude Aziza

20 Juin 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #LITTERATURE

Roman, cinéma, bande dessinée, etc., l’Antiquité n’a jamais été aussi présente dans nos cultures. C’est cette Antiquité bis que Claude Aziza a exploré, du péplum à la BD en passant par ses grands classiques que sont Astérix ou Tintin. En 2008, il dénombrait 600 titres récents. Plus de 900 en 2016. Clef de voûte de cette production : la connaissance du latin et du grec, et bien évidemment celle de l’histoire de l’Antiquité, cette gigantesque et fascinante mosaïque dont les pièces n’ont cessé d’être déplacées au fil du temps. A commencer par celles des mythes en tout premier lieu bien sûr, un mythe ne cessant d’être réécrit. Au point que cette Antiquité imaginaire a fini par former à son tour une sorte de mythe de l’Antiquité, que Claude Aziza a tenté d’expliciter, en en racontant l’histoire, du Moyen Âge à nos jours, à travers les genres et les médiums. A vrai dire depuis l’âge d’or du roman historique, tel l’Astrée d’Honoré d’Urfé (1607-1627), qui se passe au Vème siècle dans une Gaule idéalisée, ou l’Ariane de Desmarets de Saint-Sorlin (1632), exhumant au passage toute une littérature méconnue qui a nourri pourtant, sinon donné sens aux Lettres françaises. Traversant les siècles, Claude Aziza évoque la curieuse rupture du XVIIIème avec l’inspiration antique, avant de s’enthousiasmer pour le frénétique XIXème siècle qui vit son retour s’effectuer avec force.  De l’érudition mal digérée d’abord, et puis les deux grands, Chateaubriand et Walter Scott, qui balisèrent avec talent ce retour de la culture gréco-latine. Et ne firent pas que baliser cette culture, Le Génie du Christianisme par exemple modélisant une nouvelle esthétique littéraire, tandis que Walter Scoot redéfinissait le genre du roman écossais pour le porter aux sommets de la littérature mondiale. Plus près de nous, Flaubert, puis Yourcenar, achevèrent d’en asseoir l’importance. Enfin, la bibliographie à elle seule vaut le détour, qui en fait un livre de référence pour tous les passionnés de culture antique.

Guide de l’Antiquité imaginaire, Claude Aziza, Les Belles Lettres, nouvelle édition novembre 2016, 368 pages, 19 euros, ean : 9782251446219.

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Politique et Philosophie de l’Education, Luc Ferry

19 Juin 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Quelle est la finalité de l’Education ? Eduquer ou Instruire ? Instruire, répond Luc Ferry : l’enseignement relève de la sphère publique, l’éducation de la sphère privée. L’élève d’un côté, l’enfant de l’autre. Mais certes, on ne peut instruire sans éducation préalable. Mieux : l’instruction est impossible sans ce préalable. Convaincant quand il nous dresse le tableau des discours en jeu au fil des siècles, Luc Ferry l’est moins quand il tente d’asseoir son raisonnement sur une philosophie du «travail», de l’effort si l’on préfère, qui aurait subi le contrecoup des pédagogies post-soixante-huitardes, privilégiant à l’excès le jeu au travail scolaire. Moins convaincant, parce que toutes les pédagogies expérimentées, voire désormais mises en œuvre par le ministère lui-même, comme la classe inversée, ne se résument pas à jouer en classe… Peu convaincant en outre, parce que le sacro-saint modèle du mérite républicain qu’il défend mordicus, ne peut aujourd’hui cacher l’hypocrisie et le vide sidéral qui en forment la matière et la réalité. Il manque ainsi à son propos une réflexion pédagogique plus pertinente sur ces modèles qu’il met en cause et qui nous éloigneraient du goût de l’effort, tout autant qu’il manque à son discours la réalité des chiffres, dans une France plus inégalitaire que jamais. Pour autant, le constat qu’il dresse des «difficultés» du système scolaire français reste en partie pertinent et inquiétant : 35% des élèves qui sortent du primaire sont en grandes difficultés de lecture ! La faute à notre laxisme face à l’enseignement de la grammaire par exemple, qui est à ses yeux un patrimoine (oubliant au passage qu’au XVIIème siècle, les réformes de la langue française et de sa grammaire avaient pour point commun de les rendre compliquées, afin d’écarter les gueux de leur maîtrise), un héritage qui commande un apprentissage rigoureux, loin des fadaises de l’auto-construction des savoirs. On veut bien… D’autant que Luc Ferry songe à des causes plus profondes, qu’il nous explicite enfin. La racine du mal se trouve à ses yeux dans un vrai changement épistémologique qui affecte l’humanité tout entière. Elle tient dans ce paradigme qui est devenu la puissance d’unification de l’Esprit, qui structure en profondeur notre relation au monde et à nous-même, celui de l’innovation permanente, ou pour reprendre la formulation de Schumpeter qu’il affecte tout particulièrement : celui de la destruction créatrice. Le nouveau balaie l’ancien, doit le balayer même dans nos sociétés néolibérales capitalistes fondées sur l’impératif de consommation de masse, qui commande le renouvellement incessant des usages que nous faisons du monde, de ses objets tout comme de nos vies.  L’homme contemporain ne peut y échapper, son salut, dans cet environnement indépassable qu’est le capitalisme global passe par son adhésion à cet impératif. Impératif qui du coup provoque une sorte de schizophrénie de l’électeur de Droite –Luc Ferry emploie le terme-, attaché aux valeurs de la tradition, mais contraint de faire tourner la machine capitaliste, qui a besoin d’un peuple de consommateurs, plutôt que d’un peuple réfléchi… Et qui donc impose la destruction des traditions, de toutes les traditions, à commencer par celles qui fondent la vie scolaire bonne… Quels remèdes dans ces conditions ? Et c’est là qu’on ne peut plus suivre du tout Luc Ferry : il y aurait d’un côté la bonne destruction créatrice, de l’autre, la mauvaise destruction créatrice… Si bien que l’on pourrait choisir et que cette liberté qui nous est offerte in fine ruine son argumentation : la destruction créatrice n’est donc pas un paradigme structurant notre épistémê. Bien… Voilà qui laisse de l’espoir à la critique des discours néolibéraux : le monde peut tourner autrement. Attelons-nous à le transformer !

Politique et Philosophie de l’Education, Luc Ferry, Frémeaux & Associés, livre audio, Direction artistique : Lola Caul-Futy Frémeaux, durée totale d’écoute : 2h33 minutes, 5 novembre 2015, 2 CD MP3, ASIN: B01CUWT79U.

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L’Affranchie, Pauline Moingeon Vallès, Compagnie Zineb Urban Théâtre

16 Juin 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #poésie, #théâtre

Elle est là devant nous, apaisée. Elle ne se tient pas devant nous : elle EST là. Non pour faire front, non pour faire face. AVEC nous. Pour partager avec nous ce moment où elle est enfin, en vrai. Comme le disent les petites filles : pour de vrai. Ou peu s’en faut : elle joue. Pour de vrai. Apaisée. Presque. A construire cet «avec» nous. Non pour dire donc, récapituler, mais être là. Ou presque : dans cet infime écart que la représentation impose. Adoptive. Quelque chose comme ça : elle nous a adoptés, plus qu’elle nous demande de l’adopter. Nous, son public, qu’elle s’emploie à saisir puis à défaire pour l’emmener ailleurs. Au travers de ce bout d’image par exemple, qu’elle nous tend, interrompant le cours de la représentation pour nous l’offrir à examiner. «Est-ce qu’on peut aimer une photo au point de se confier à elle ?». Mais elle ne se confie pas. Elle ne témoigne pas. Elle n’est plus ce martyre qu’elle devait être, elle n’est plus à cette place qu’on lui avait assignée. L’atroce est derrière elle, d’une histoire qu’il faut entendre, que nous devons entendre, que nous allons entendre et dont elle nous affranchit à son heure à elle, traversant ses âges passées, de la petite enfance à l’âge adulte –celle qui est devant nous. Une histoire d’adoption, de mère séparée de son enfant, de saccage, que nous allons découvrir –patience-, au gré du texte. Elle, elle est juste ici, maintenant, avec nous. Dans l’assurance de sa performance de comédienne. Avec juste ce qu’il faut d’inquiétude sous le personnage pour être personnellement présente à ce moment infiniment fragile. Dans une interprétation pourtant toute en cordialité. Le visage attendri, lumineux, la diction sûre de son bon droit enfin conquis, et puis les bras jetés soudain par-dessus l’horizon embrassant on ne sait trop quoi, qui, quand il n’y a plus personne à étreindre. Le public ? Trop imaginaire et trop réel en même temps. Quoi donc alors, quand il n’y a plus personne à étreindre ? Sinon cette étreinte pathétique de la représentation théâtrale… C’était son histoire d’ailleurs, ce problème d’étreinte. Enfin, celle de son personnage. Qu’elle anime d’un regard. Accrochant l’un, l’autre de la salle, dans cette proximité audacieuse. Traversant les yeux à la nage… Il y a cette franchise au vrai, non une innocence. La franchise d’une histoire difficile. Douloureuse. Qui déroule son tragique au fil du texte, le retient puis l’abandonne entre nos mains. Là, devant nous, pour qu’il devienne notre histoire dans cet instant magique où le théâtre se fait. Ce que je veux dire, c’est qu’elle est là et que ce n’est pas si aisé, qu’elle nous tient devant elle pour nous amener à être sans elle dans cette histoire, blessée, celle d’Alice. Qu’elle incarne. Celle d’une douleur dont elle s’affranchit (encore). Qu’elle dépose devant nous, entre nos mains. A nous d’en prendre soin. Et dans cette contraction que le théâtre construit, c’est notre propre capacité de résilience qu’elle vient solliciter. Elle, est affranchie. Le trouble est du côté du public. Empoigné. Saisi. C’est son histoire à lui désormais. Le texte est superbe, écrit en dialogues rêches, directs, intègres. Qui se conclut par la mise en scène d’une bande sonore où se fondent les unes dans les autres les voix de sa vie, élémentaires, installées chacune dans sa probité.

L’Affranchie, de et par Pauline Moingeon-Vallès, Librairie l’établi, Alfortville, jeudi 14 juin 2018.

L’Affranchie, une création de la Compagnie ZUT (Zineb Urban Théâtre, Montreuil), mise en scène de Elise Touchon Feirreira, sera donnée au Festival Off d’Avignon du 5 au 29 juillet, à 17h au Laurette Théâtre.

Site web : http://www.compagniezut.fr/

 

L’Affranchie : «Alice Albert a 36 ans. Elle vient de recouvrer la santé et la liberté. Elle a enfin emménagé seule dans un petit appartement où elle a donné rendez-vous à son fils, Nim, qu’elle n’a pas revu depuis leur séparation quand il avait un an.

Inspirée d’une histoire vraie et basée sur des témoignages, L’Affranchie raconte la vie d’une femme qui après n'avoir été que l'ombre d'elle-même, s'éveille de nouveau à la vie et trouve la force d'en savourer chaque instant. Cette force qui habite chacun de nous et nous relie les uns aux autres.»

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LE PAUVRE, SIMMEL

15 Juin 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Simmel avait déjà démontré, en son temsp, que l’aide fournit aux pauvres, sous couvert d’assistance, n’avait de raison d’être que de subvenir à leurs seuls besoins vitaux, se présentant in fine comme une série de mesures techniques de maintien des pauvres dans l’exclusion.

"L’assistance publique occupe, dans la téléologie juridique, la même place que la protection des animaux", observait-il. Personne, par exemple, n’est puni pour avoir torturé un animal, mais pour l’avoir fait ouvertement. Idem des pauvres : personne n’est punissable, car personne ne les malmène ouvertement.

Par ailleurs, Simmel observait l’absence de droit des pauvres à être aidés : le pauvre n’a aucune légitimité à porter plainte. Il n’existe pas de droit opposable du pauvre en cas de défaillance de l’assistance, tout comme il n’existe pas de droit opposable du sans-papier plongé pourtant dans une situation de précarité telle, qu’elle menace sa vie. Cette élimination du pauvre de la chaîne juridique est ainsi ce qui peut se concevoir de pire du point de vue des Droits de l’Homme. Si bien que le pauvre, en tant que pauvre, peut bien certes appartenir à la réalité historique de la société, juridiquement, il est "sans âme". Et placé de force en dehors des espaces auxquels, pourtant, il appartient : ceux du milieu historique réel. Cette négation l'enferme de fait dans une totale négativité de son être, le renvoyant à la typologie du lien social conflictuel. Le devoir d’assistance, après le discours de Macron, ne sera plus un devoir de secours mais de stigmatisation du pauvre, dans le seul but d’en contrôler les déplacements avant de les nier purement et simplement pour l’enfermer là où sa vie prend son seul sens possible aux yeux des néolibéraux : son élimination.

 

Georg Simmel, le Pauvre, éd. Allia, traduit de l’allemand et présenté par Laure Cohen-Maurel, janvier 2009, 92 pages, 6,10 euros, EAN : 978-2-84485-300-4

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En Marche vous ordonne d’être sereins, puisque le Marché est jovial…

14 Juin 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

De quoi avons-nous peur ? L’entrée en matière du philosophe Pierre-Henri Tavoillot promettait un beau questionnement :  la peur était, à l’entendre, le principal sujet de la philosophie. De la peur de la mort à celle de l’avenir, voire à celle du passé qui nous hante. J’attendais, à entendre son introduction, Tavoillot évoquer Homère, le moment Calypso de la rupture du grand poète avec la mythologie pour entrer de plain-pied dans la réflexion philosophique sur la Vie Bonne. Mais non, Tavoillot poursuivait, de convention en banalité, une réflexion de classe de terminale, évoquant l’homme sage, capable de   s’arracher à ses peurs. Rien de bien nouveau, de la philosophie de comptoir solidement arrimée à ses poncifs. Et puis très vite, le propos a tourné à l’aigre. C’est que Tavoillot entendait nous parler de cet apparent paradoxe d’une société, la nôtre, qui n’aurait jamais été aussi sécure et cependant jamais aussi apeurée. Et de dérouler le fil de ces «grandes et petites peurs» de nos concitoyens, devant l’emploi, la nourriture, les boissons, le climat, etc. Une infinité de peurs insignifiantes à ses yeux, alors que nous vivrions une époque «formidablement» sécurisée – et Tavoillot d’évoquer ces assurances prises sur le chômage, l’éducation, la santé, que sais-je encore, pour balayer nos peurs vétilleuses d’un geste las, préférant à ces anxiétés misérables l’évocation de l’épouvante millénariste qui confinerait au grotesque dans le cas du catastrophisme écologique, une autre superstition écartée d’un revers méprisant de la main comme une diablerie contemporaine… Tavoillot devait pourtant en rajouter sur ce chapitre, tant la peur millénariste lui paraissait digne d’intérêt, pour évoquer cette fois la construction de nouveaux «diables» dans ces dénonciations de l’industrie agro-alimentaire dont nos contemporains comploteurs jurent qu’elle «conspire secrètement à nous empoisonner»… Allons bon : Monsanto voudrait nous empoisonner ? Le glyphosate, dangereux ? Une farce, à ses yeux, que celle de méchants laboratoires pharmaceutiques et autres Bayer, jadis occupés à expérimenter sur des êtres humains dans les camps de concentration ces médications de rêve qui allaient déferler sur nos sociétés, soit disant engagés aujourd’hui dans un complot mondial contre notre santé… Ces dénonciations, affirmait-il, ne seraient que procès en sorcellerie, alors que, objectivement, «on aurait tous des raisons de se réjouir ». Ben voyons… Mieux : à l’entendre, dans cette société d’assurance et de confort qui est la nôtre, la peur serait devenue un impératif, tenez-vous, encouragé par des médias, critiques de notre situation sociale et politique… La peur serait même devenue une vertu, un devoir, inscrit dans la faconde du déclin de l’occident… Alors que, tenez-vous toujours, il est «possible de vivre sereinement» dans nos démocraties... Sereinement ? Oui, devait-il nous assurer, mais à certaines conditions. Et là, cela vaut son pesant d’or de l’écouter : à la condition de ne pas remettre trop en cause l’Etat, le Marché et l’Assurance (un concept fourre-tout qu’il s’est forgé pour évoquer sans doute ce qu’il reste de feu l’état providence), ces trois «sécuriseurs» (dans le texte) de nos existences. Vous avez bien lu : les trois piliers sans lesquels notre sécurité vacillerait… Entendez bien : la condition de notre vie bonne serait de ne pas les remettre en cause, voire de ne pas trop leur en demander puisque c’est tout ce qu’il nous reste et qu’à tout prendre, ce reste, même ramené à sa part congrue, n’est pas pire que… quoi au juste ? Vivre au Moyen Age, empoigne-t-il en exemple… Quelle fumisterie ! Il faudrait donc simplement «mieux combiner» ces trois sécuriseurs, plutôt que de vouloir mettre autre chose à la place, désir qui, de toute façon, n’exprimerait à ses yeux qu’une «nostalgie infantile»… Les bras nous en tombent… Dans quel monde Tavoillot vit-il ? Les peurs qui s’expriment en France seraient illégitimes, déraisonnables, irrationnelles ? Vraiment ? Le chômage de masse, la misère de masse, la précarité de masse et on en passe, de ces lois qui jour après jour détricotent justement ce pilier de «l’assurance» qu’il nous refile enrobée d’un vague tissu de ratiocinations philosophiques… Les peurs des français seraient infondées ? Et que dire de son mépris des mises en garde que jour après jour nous discernons, ahuris, devant la catastrophe écologique qui se prépare ? Ah, mais c’est que Tavoillot n’a voulu prendre pour interlocuteurs que ces illuminés prophètes de la fin du monde… Sérieux ? Quand la leçon de Fukushima n’est pas de faire en sorte que cela n’arrive plus, mais de nous y habituer ? On pourrait multiplier à l’infini les raisons de ne pas écouter Tavoillot se faire le chantre d’une Marche béate vers la soumission au Marché et s’en détourner, décillé. Mais quand le même prétendu philosophe ne sait même pas se documenter convenablement et ignore par exemple les études d’un Robert Hunter Wade sur les mesures de l’étendue réelle de la pauvreté dans le monde, ou celles d’un  David Dollar, ou les réflexions des Agamben, Critchley, Springer sur la Démocratie et ses typologies, on ne peut qu’en être scandalisé qu’il faillisse à ce point à sa tâche de philosophe. A moins qu’il ne se soit fait lui-même idéologue de cette terreur dissimulée qui déferle sur le monde et qui a nom néolibéralisme.

La peur, du point de vue philosophique, Pierre-Henri Tavoillot, éd. Frémeaux & Associés, mai 2018, 3 CD MP3, durée d’écoute : 3h 34 minutes, 29,99 euros, ASIN: B07CRN5CPZ

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Le problématique financement des organismes paritaires collecteurs (OPCA), Céreq

13 Juin 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Jusqu’à la réforme de 2014, les contributions obligatoires (le fameux 0,9%) finançaient les OPCA. Depuis, les versements conventionnels ne représentent plus qu’un quart des besoins de financement des formations… Du coup la recherche de compléments de financement est devenue un enjeu économique pour ces OPCA, changeant profondément la nature de leur métier et leur imposant de nouvelles stratégies de développement, voire de survie tout court. Et bien évidemment, la logique de service public a dû là encore céder le pas à la logique marchande. A priori, tout le monde s’entendait à y voir un bienfait : les OPCA allaient devoir se remettre en cause plutôt que de gérer la simple collecte fiscale. De fait, aujourd’hui cette collecte ne représente pas plus de 10% de leurs activités. De moins en moins banquiers, de plus en plus «conseillers», on  imaginait qu’ils allaient mettre en place des structures cohérentes et pertinentes sur les objectifs à long terme de la formation en France. Dans la réalité, les OPCA ont basculé vers une logique commerciale de court terme, destinée à satisfaire les attentes les plus immédiates des entreprises, lesquelles, pour une grande part, ne réfléchissent guère plus loin que le bout de leur nez… Là encore, la logique de l’intérêt général, évacuée, n’a pas donné lieu à une puissante réflexion sur le long terme dans le financement de la formation en France…

Profonde mutation de l’offre des services des OPCA, Céreq, Bref n°362, mai 2018.

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«L’Ancien régime, armé de policiers, de magistrats, de gendarmes et de soldats, semblait inébranlable»… (Pierre Kropotkine, L’Esprit de révolte).

12 Juin 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Aucun régime n’a la force qu’on lui prête. Rappelez-vous l’URSS, rappelez-vous le mur de Berlin, rappelez-vous le vieil Est s’effondrant comme un château de cartes sous son propre poids. L’assaut donné par Macron à l’intelligence, aux acquis sociaux, ses millions de grenades lancées pour tuer, mutiler, terrifier, ses sbires lâchés dans les rues contre les migrants, contre les Rroms, contre toutes les populations fragiles n’y feront rien. Tout cela s’évanouira sous son propre fardeau et malgré sa tentative de réinsertion d’une classe politique au bout du rouleau. Car plus personne ne croit leurs mensonges, ni les discours fumeux d’une classe médiatique discréditée à vie. Mais dans le même temps, à l’heure où notre survie sociale, politique, voire notre survie tout court en tant qu’espèce est menacée, il est temps de comprendre, comme l’explique Simon Springer dans son essai, «qu’une politique fondée sur l’attente du changement ne libérera jamais personne de quoi que ce soit». L’action prévaut, ici, et maintenant, pour ouvrir demain à autre chose que la nuit qu’ils nous promettent. Chaque instant de l’expérience du changement a lieu aujourd’hui même, comme la ZAD de NDL l’a démontré, sa répression ne témoignant que du danger que représente son expérience salvatrice. Refuser l’oppression quotidienne, non pas vivre l’espoir comme un futur improbable mais réconfortant, mais l’arrimer aux gestes qui déjà nous propulsent ailleurs. Alors commençons donc de rompre définitivement avec la litanie des fausses promesses. L’ordre néolibéral est un vide sidéral. Nous savons que nous pouvons transformer le monde, qu’«il suffit d’un geste  de courage, de bienveillance, de solidarité». De solidarité… Ce que partout l’on voit fleurir et s’épanouir dans cette géographie fragmentée des luttes qui ne cessent de témoigner de la vérité de notre situation et non de cette fixité myope d’un monde battu que les médias voudraient nous faire avaler par commodité et par hargne. Il est temps, oui, de relire, comme nous y invite Simon Springer, Elisée Reclus et Pierre Kropotkine, quand plus que jamais la possibilité de la liberté passe par cette prise de conscience : rendre possible des liens non hiérarchiques entre nous, contre la violence du souverain. Il est temps de renforcer ces liens de solidarité, de redonner sens aux Communs. Le Capitalisme, indépassable ?  Le néolibéralisme, la seule issue politique ? La société néolibérale investit beaucoup d’énergie et d’argent pour rendre cette idée vraisemblable –et très peu à tenter de le vérifier. A bien y regarder, rien ne tient de ses promesses. Alors oui, «le changement commence toujours n’importe où et partout, ici et maintenant, car demain n’arrive jamais s’il n’est pas déjà là» (Simon Springer).

Pour une géographie anarchiste, Simon Springer, traduit de l’anglais par Nicolas Calvé, éditions Lux, collection Instinct de liberté, mai 2018, 304 pages, 18 euros, ean : 9782895962618.

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Voleur, espion et assassin, Iouri Bouïda

11 Juin 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Znamensk, naguère Welhau, en ex-Prusse orientale annexée par les soviétiques au sortir de la guerre, peuplée d’allemands qui jusqu’à aujourd’hui ont conservé le souvenir de leur appartenance germanique. Malgré les déportations massives, malgré la russification, malgré le repeuplement despotique. Iouri Bouïda se rappelle Könisgberg, devenue Kaliningrad. Et ces familles qui parlaient l’allemand que la Russie soviétique ne parvint jamais à éradiquer. Welhau donc, contrainte de fêter l’anniversaire de la Révolution d’Octobre dans les ruines d’une ville en ruines. La ville natale de Iouri, dont le lard était la base de l’alimentation, pas même fumé, juste accompagné de sel et d’ail. Le souvenir de Stalingrad est dans toutes les mémoires et Iouri se rappelle son enfance au sortir de la guerre. On tuait les poux à coup de DDT dans la tête des gamins. Son père s’occupait de l’usine de fabrication de papier. Juste à côté, il y avait cette immense décharge où par wagons entiers, l’URSS livrait au pilon des millions de tonnes de livres interdits. A commencer par ceux de Staline dans la fin des années 50. Khrouchtchev est au pouvoir, soixante tonnes de biographies de Staline viennent d’être livrées à la décharge, tandis que 140 autres tonnes patientent déjà. La décharge, c’est l’immense bibliothèque où le père de Iouri ramasse des livres à lui offrir. En douce. Tout. Sans réfléchir. Tout ce qui leur tombe sous la main. Lui, lit tout. Sans rien comprendre parfois. Jusqu’à ce que par hasard il finisse par découvrir Le Révizor. Qu’il lut d’une traite, relut et relut encore. Puissant. Ce n’était plus de la littérature d’un coup à ses yeux. Mais autre chose. Sans qu’il sache bien quoi. Sinon que Gogol était un fou. On lançait Spoutnik dans le ciel, lui vagabondait. Nous livrant une sorte d’autobiographie romancée. Forte, sauvage. Iouri Bouïda raconte l’être humain renvoyé à sa petitesse existentielle. L’humanité sordide, veule, mais roublarde, attachante. Il raconte une période de l’histoire où la cruauté était la norme de la vie. Et remonte le fil du temps. L’entrée des troupes en Tchécoslovaquie, la fin du récit héroïque soviétique, Brejnev, tandis que lui découvre Dosto, Thomas Mann, Flaubert, Conrad, tous ces auteurs de décharge… Peu à peu, la littérature s’installe dans sa vie. Par le biais de la décharge qui lui révèle le poids des mots, des textes, des livres. L’expérience littéraire. Son expérience littéraire. Kafka, «en dehors du monde terrestre». Beckett, Faulkner. Il ne savait comment appeler ça. C’était le début de quelque chose, la fin du Je dans la littérature. Et puis Shakespeare enfin, la littérature la plus résolument antisoviétique qu’il ait connue.

Voleur, espion et assassin, de Iouri Bouïda, traduit du russe par Sophie Benech, Gallimard, collection Du monde entier, février 2018, 328 pages, ean 9782072723902.

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Les différents visages des formations continues à visée écologique, Céreq n°363

9 Juin 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Depuis le fameux mensonger Make the Planet great again, une pluie de rapports s’est abattue sur la France de la transition écologique repoussée aux calendes, ainsi que sur les formations, étrillées pour mieux réaliser cette forfaiture… Car il est bien entendu en macronie que ce n’est pas seulement des couleuvres et du glyphosate qu’En Marche nous fera avaler, mais l’arrogance de tout un système littéralement criminel, destiné à faire rendre gorge à notre humanité. Quid donc de la formation promise dans ces conditions ? La réalité, étudiée par le Céreq, c’est qu’en matière d’écologie, l’offre est restée négligeable. C’est-à-dire non seulement dérisoire, mais qu’aucun effort n’a été fait pour en cadrer les savoirs. Elle se caractérise donc par une grande «diversité» (quelle pudeur) et une grande instabilité des savoirs proposés, entre expertise élevée et n’importe quoi. Et bien évidemment, aucun moyen financier n’a été prévu pour améliorer cette situation… Voire même : la belle hypocrisie gouvernementale a confisqué la majorité des budgets alloués au secteur pour lancer ses comm’ mensongères, chargées de masquer son énième trahison. Bien sûr, tout cela est révélé à mots très très couverts par le Céreq, qui ne veut pas voir son maigre pécule rogné encore et ses missions réduites à néant… Alors parlons «savoirs». Peu de référentiels existent, nous dit le Céreq. Ce qui n’étonnera personne, car sous Hulot, il n’est pas question de faire le moindre pas en direction d’une agriculture plus saine par exemple… Les formations, explique pudiquement le Céreq, «peinent à trouver leur modèle économique». En clair, cela signifie que faute de financement public, elles doivent se tourner vers le marché. En conséquence, aucun corpus de savoirs stables n’est disponible. Le flou règne, qui a l’avantage d’autoriser le gouvernement à le mettre en avant pour invoquer un frein théorique à sa volonté de développer ce type de formation. La boucler est bouclée, le tour est joué. L’ignoble et le cynisme ont de beaux jours devant eux… L’enquête «Former Vert» le confirme, qui montre que pour l’essentiel, notre transition écologique est confiée à des organismes privés. Or, cette même enquête révèle qu’il existe une vraie demande de formation dans la jeunesse, ainsi qu’au niveau des demandeurs d’emploi. Qu’à cela ne tienne : nombre d’entreprises se sont positionnées pour capter cette conscience écologique et proposer des formations coûteuses, sinon bidon, qui ne débouchent sur rien. Si : flouer des jeunes prêts à débourser des sommes folles par souci écologique de notre avenir...

Les différents visages des formations continues à visée écologique, Céreq n°363, 1er trimestre 2018, bulletin du Centre d’étude et de Recherche sur les qualifications, issn 2553-5102.

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