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La Dimension du sens que nous sommes

en lisant - en relisant

Tabucchi, Fra Angelico, récits vagabonds

27 Mars 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

Tabucchi nous offre dans ce curieux recueil quelques courts textes écrits lors de crises d’anxiété ou d’insomnies. Récits vagabonds, incertains de leur statut, bribes à la dérive d’espaces confidents, paroles lancées pour rien, sinon le plaisir des mots et parfois pas même : les textes sont «ratés», mais cela n’a guère d’importance.
La nouvelle qui donne son nom générique au recueil raconte l’histoire de Fra Angelico. Penché sur un rang d’oignons, un oiseau l’apostrophe. Une sorte de poulet déplumé, venu s’empêtrer dans les branches d’un poirier. Angelico vole à son secours. Débarrassé de sa robe de bure, il constate que ses jambes maigrelettes rappellent celles de l’oiseau. Deux autres créatures célestes, pas moins pitoyables, tombent à leur tour sur terre, où elles se mettent à gigoter ridiculement. La fable se poursuit sur le même ton : ils sont venus sur un commandement divin pour être peints par Angelico. Le peintre s’exécute, les place dans ses fresques du couvent de San Marco. Le lecteur se prend ici à rêver : à quoi aurait pu ressembler l’ajout d’un tel volatile dans le chef-d’œuvre d’Angelico ? Mais c’est la force de Tabucchi que de s’en tenir là, sollicitant d’un coup notre imaginaire comme peu savent le faire. Et c’est un vrai bonheur qu’il puisse exister ce genre d’ouvrage, pratiquement sans enjeu, pas même celui de la littérature, tant Tabucchi ne cherche pas à faire oeuvre mais à partager, sereinement plutôt que simplement, le goût de lire.



Les Oiseaux de Fra Angelico, de Antonio Tabucchi, 10/18, juin 2000, 88 pages, ISBN-10: 2264027789, ISBN-13: 978-2264027788

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La sélection du prince charmant…

11 Février 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 

prince-charmant.jpgUn vendredi. 13. D’ordinaire, Gersande n’y croit guère. Mais c’était un vendredi 13. Elle avait déboulé dans la chambre de sa sœur aînée. C’était l’heure, il fallait sauter du lit, déjeuner sur le pouce et filer à l’école. Et puis… Marguerite est tombée dans l’escalier. Au bas de la dernière marche elle gît, livide, inconsciente. Samu, traumatisme crânien, Marguerite est dans le coma. Le coma ! Alors ce mot du petit frère penché sur le visage éteint de sa sœur lui entre dans le crâne à elle, Gersende, pour n’en plus jamais sortir : "Marguerite, elle attend le Prince charmant. Comme la Belle au bois dormant." Gersande ne peut rien pour sa sœur, sinon être là, l’aimer et par la force de l’amour peut-être… A son chevet relayant son père, sa mère, jour après jour, jour et nuit. Le prince charmant, elle voudrait tellement y croire, le trouver, qu’il vienne d’un baiser délicatement posé sur les lèvres de sa sœur la réveiller enfin. Les jours passent. L’idée folle la bouscule. Elle, Gersande, qui vivait jusque là dans l’ombre de sa sœur, l’ombre d’une ombre à présent. Trouver, sélectionner un prince qui les sauverait toutes deux. Une idée folle pour con jurer cette folie où elle se voit partir, sa sœur gisante sur son lit d’hôpital. Marguerite lui manque tellement. Horriblement. Dans la chambre de sa sœur, elle s’essaie à lui ressembler. Faux seins ballottant et la gorge sèche comme un caillou. "Mon cœur s’émiette à l’intérieur"… Comment aimer ? Et puis Gersande finit par tomber amoureuse, à force de l’espérer. Alors au chevet de sa sœur, elle ne cesse de parler de cet amour qui la ravit. Paul. Un coup de foudre. Dans l’urgence de vivre peut-être, la main dans la main de sa sœur. Jusqu’au jour où elle sent un doigt bouger dans cette main inerte. A force peut-être de lui conter sa propre histoire d’amour. Quarts de nuit, de jour, elle ne cesse de lui parler de Paul, et de lui lire Rimbaud. Est-ce grâce à Rimbaud qu’une nuit les paupières de Marguerite se mettent à frémir ? Gersande s’en persuade. Il ne faut rien lâcher. Elle ne cesse dès lors de lui confier cet amour qui la porte et qui l’accompagne à son chevet. Quelle sortie alors, un jour, d’un coup, Marguerite sur le bord de ses propres lèvres, enfin ! Superbe roman jeunesse. Poignant, tout simplement, de cette beauté où croise la force de l’amour dans les cœurs adolescents.

 

 

La sélection du prince charmant, Agnès de Lestrade, éd. Sarbacane, coll. Mini-romans, 61 pages, 6 euros, ISBN-13: 978-2848655253.

 

 

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Adèle : «J’aime pas l’amour»… (Pour une saint Valentin saignante)

11 Février 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 

adele.jpgMortelle, Adèle, à quelques encablures de la Saint Valentin ! L’amour… y’a bien Ludovic, le nouveau, qui la rend chamallow… En cklasse, le prmeier jour où il est apparu, ça a fait paf ! Adèle venait de piger d’un coup l’histoire du coup de foudre…Et Ludovic, c’est du lourd. Enfin, non : Adèle plutôt. Qui tourne gentiment son film d’horreur à la maison et nourrit son chat au lait périmé depuis que Ludo a dit qu’il n’aimait pas les chats… Dans la vie, faut savoir ce qu’on veut : aimer ou être aimé… C’est saignant Adèle, d’une franchise assourdissante. Et l’imagination fait le reste. Un cordial, en ces temps de niaiseries. Mais bon, pour ce qui est d’aimer, y’a du pain sur la planche. L’amour, Adèle a tout c ompris : "c’est nul, ça fait souffrir". Et quant aux garçons, Adèle en est restée malgré elle aux temps des chevaliers de pacotille qui lèvent le camp sous sa fenêtre dès que sonne l’heure de leur émission TV préférée… Mais bon, ça ne l’empêche pas de tomber raide dingue de Ludo et de s’en défendre comme elle peut : mal. Comme nous tous. A ceci près qu’avec Adèle, la Saint Valentin sera tout, sauf bébête…

  

 

 

Mortelle Adèle, Tome 4 : J'aime pas l'amour, Mr Tan, Miss Prickly, avec la contribution de Rémi Chaurand, éd. Tourbillon, sept. 2012, Collection : BLAGUES & CIE, 94 pages, 6,15 euros, ISBN-13: 978-2848017686.

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Où faire pipi à Paris ?

9 Février 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 

pipi.jpgUne vessie contient à peu près 250 à 300 cl de liquide. En moyenne. Sachant que l’être humain élimine de 1 à 2 litres d’urine par jour, je vous laisse le soin de calculer combien de fois il doit se rendre aux toilettes pour le faire. Et encore, ce calcul ne tient-il pas compte de nombreux autres paramètres, tel celui du froid, très actuel, qui alourdit considérablement l’obligation.

En fait, nous passons trois ans de notre vie aux toilettes. Paraît-il. Ce qui n’est pas rien et justifie, à soi seul, ce guide : autant uriner dans le confort. Cécile Briand, en proie à une singulière affliction, las de devoir partager les toilettes pour femme avec des messieurs très peu soigneux, a donc conçu ce petit guide qui recense quelques 200 toilettes accessibles au public -en dehors des sanisettes infectes, évidemment, dont les villes ont meublé leur habitat. 200 toilettes classées par arrondissement. Parmi lesquelles celles de 34 bibliothèques, 20 mairies, 13 lieux d’étude et 10 centres hospitaliers. On en tombe sur les fesses, au passage, de découvrir avec quelle aisance il est possible, en France, de pénétrer les lieux en principe les mieux protégés… Forcer les portes de l’Ecole du Louvre semble un jeu, tout comme celles des Archives Nationales, recelant au dire de l’auteur les toilettes les plus spacieuses de la Capitale. Ce dont je doute, ayant personnellement fréquenté assidûment celles de l’Ancien Ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, sises jadis sur le site de l’ancienne école Polytechnique –mais peut-être s’y trouve-t-il encore ? En tout cas, les toilettes, héritées de l’X, ouvraient sur un vrai salon d’aisance en marbre rose, de la taille d’une grande chambre de bobo. Mais bon… Un guide touristique donc, menant du Louvre aux Beaux-Arts, pour le coup la plus belle école supérieure de Paris avec ses jardins, ses cloîtres et ses fontaines ombragées. Maintenant, si le mystère vous tente, retenez-vous et précipitez-vous au jardin des Plantes : les toilettes les plus occultes, au dire de Cécile, seraient celles de la Galerie de paléontologie…

  

 

Où faire pipi à Paris ? : Guide de 200 toilettes accessibles au public, Cécile Briand, éd. Attila, oct. 2012, 150 pages, coll. Lupin, 8,50 euros, isbn 13 : 978-2917084557.

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Le Hobbit, ce fragment singulier du tissu sans couture de l’Histoire…

7 Février 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 

le-hobbit.jpgCe qui est en cause dans les féeries, ce n’est pas la possibilité : c’est le désir.

Le désir d’enchantement, la grâce de construire une image inédite du monde : la nôtre, humains. Car le conte, ce fragment singulier du tissu sans couture de l’Histoire, dénie notre défaite universelle finale, et c’est en ce sens que Tolkien pouvait voir en lui quelque chose comme un evangelium donnant un aperçu fugitif de la Joie, d’une Joie qui porterait au-delà des murs du monde sans cesser d’habiter l’ordre de ses poignantes douleurs.

Le Hobbit… Cette histoire raconte comment un Bessac fut conduit à faire et à dire des choses inattendues…

Superbe interprétation que celle de Dominique Pinon, dans une mise en scène musicale grandiose. Superbe lecture, volontaire, désinvolte, amusée, grave, levant à chaque tournant de phrase le désir qui l’habite.

Quel travail aussi, dans ces accumulations à la Rabelais qu’affectionne Tolkien, ces descriptions de lieux, d’espaces, d’êtres, toujours reprises bien que posées toujours avec une folle exactitude.

Superbe lecture soulignant la drôlerie du texte, portée par une affection qui la fait osciller entre le banal et le sublime, n’ayant renoncé ni aux ragots ni à l’emphase d’une injonction supérieure, construisant mot après mot le sens d’une aventure réelle dans la jouissance d’un texte incroyablement volubile.

Superbe lecture qui donne à voir les déplacements de l’un, les trottes de l’autre, l’espace autour des mots, nous baladant dans une lecture qui savoure irrésistiblement cette histoire qu’elle nous conte.

"Y a-t-il lieu à un commentaire si un adulte lit (un conte de fée) pour son propre compte ?", se demandait Tolkien (Faerie), qui déplorait que les temps modernes aient pareillement relégués les contes à la chambre des enfants. Tolkien fuyant les mignardises pour enraciner son histoire dans les pulsions humaines fondamentales et ne renonçant jamais à poser la seule vraie question, qui est celle des origines. Tolkien, contraint ainsi de se positionner dans le champ de l’anthropologie, construisant avec méthode sa grammaire mythique loin de cette chambre des enfants où l’on avait confiné les contes "comme on relègue à la salle de jeux les meubles médiocres ou démodés"… Tolkien blâmant que les contes de fées soient devenus des greniers et des chambres de débarras aux contenus en désordre et tellement délabrés, offrant pourtant, parfois, une œuvre somptueuse "que seule la stupidité avait fourré à l’écart"…

Dominique Pinon semble bien, lui, lire Le Hobbit pour son propre compte et tordre le cou à la créance littéraire susurrée à toutes les heures de la raison adulte, selon laquelle le conte ne vaudrait que par cette suspension de l’incrédulité qu’il exigerait. Ce n’est pas la crédulité qui fait la valeur d’un conte : c’est son caractère démiurgique. La suspension de l’incrédulité n’est qu’un subterfuge. Du reste, l’humilité des enfants et leur manque de vocabulaire seuls, nous donnent à croire qu’ils sont crédules, alors qu’il n’en est rien : ils s’efforcent (simplement) d’aimer ce qu’on leur offre" (Tolkien). Absurde, étrange, vrai, faux, fantastique… les enfants savent bien débrouiller tout cela. Et puis, comme l’affirme si justement Tolkien, l’enfant n’a aucun désir de croire : il veut savoir. C’est nous qui avons besoin de croire. Et d’accepter comme une grâce souveraine ce besoin de croire. Pour faire face, bien sûr, à cette défaite universelle finale qu’un sourire à demi moqueur ne saurait conjurer. Besoin de croire loin des fadaises, voilà tout. Dans l’épreuve de ces contes de fées du XIXème siècle des romantiques allemands par exemple, qui n’étaient pas de simple consolation : la Faërie inscrit ce qui est fini, dont cette "capacité de l’Homme pour ce qui fut fait". Tolkien avait usé d’un concept personnel pour traduire cette difficulté de rallier la cause d’une Joie blessée de douleur : le concept d’eucatastophe, conçu comme relevant de l’essence même de la vie des êtres humains. Le conte en était à ses yeux l’expression la plus achevée, où il n'est guère possible de déguiser notre néant.

  

 

Le Hobbit, J.R.R. Tolkien, nouvelle traduction de Daniel Lauzon, texte intégral lu par Dominique Pinon, édition Audiolib, 2 CD MP3, durée d’écoute 10h14, novembre 2012, isbn 13 : 9782356414915.

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Malcolm Lowry, Le feu du ciel… et la dérive infinie des hommes

12 Décembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 
malcolm_lowry.jpgDeux nouvelles introuvables de celui qui vitupérait contre la presse, agacé qu’on le prît pour un bon samaritain bourré et qui, quoi qu’il arrive, par-delà la culpabilité, l’alcool et les signes divers, tenait bon quand le monde se laissait, lui, gagner par une sorte d’hystérie.
Des leçons de Lowry, je veux bien ne me rappeler que ces successions d’orages alors que l’incendie couve sous sa maison et que les portes des prisons s’ouvrent en grand.
Lisez le donc, ne lisez rien d’autre et surtout pas ces Goncourt saupoudrés d’une philosophie maigrelette. Lisez Lowry qui égrène sans fin les incendies de la raison et qui, de cauchemars en cuites phénoménales, sait n’imposer aucune explication soutenable. Lisez Lowry, toute lumière devenue confuse, tenant bon vivre loin du mépris facile des cyniques aux dents élimés, tenant bon le cap de l’orage et des tempêtes que chaque être recèle. Lisez Lowry déambulant le long des routes fades, la foudre à portée de main pelée d’intelligence, quand bien même aucune intelligence ne se manifeste plus qui pourrait l’emporter sur la foi -en quoi reste la question de ce détraquement universel qui fait que l’esprit n’est peut-être pas la bonne manière d’affronter toute épreuve.
("La volonté, affrontée à son propre mal panique, incapable de se sauver toute seule", et "se surprend à croire à la grâce" M.L.)
Malcolm plonge dans l’océan, les vagues, avec répugnance, le rejettent vers le rivage, mais il a dégraissé sous l’écume abusive les frontières de l’univers romanesque. Peu d’écrivains en furent capables.
 Lisez-le donc, tout Lowry, et non uniquement sa grande tragédie lyrique, Under The Volcano (1947). Car il reste de lui quantité de textes où triomphe cette intrigante passion du réel qui l’animait tant, son écriture à son exigeant travail, toujours, et non obligeamment forclose sur quelque labeur stylistique sans espoir.
Lisez son œuvre comme un appel à la jouissance, exultant du désir sacré des corps dont la force animale ne s’accorde qu’aux mondes plus amples que ceux qu’on nous a faits.
Lisez cette œuvre singulière, pleine de ferveur renversant les usages du bien écrire, carnavalesque et mélancolique, ouverte sur une physique de la réplétion et non de l'anhélation penaude, telle celle d’un Ferrari.
Lisez-le, lui qui savait faire vraiment de la littérature un phénomène. Et lisez-le en anglais si vous le pouvez, pour savourer sa grammaire incongrue, ses élisions temporelles trouant de part en part un texte aux sursis impeccables. Voyez comme il sait travailler au corps les signifiants du discours littéraire, enchâsser les phrases, nuancer la syntaxe. Regardez ce qu’il fait du concept de mélancolie, du concept d’entropie dont d’autres usent à la va comme je te pousse.
le-feu-du-ciel.jpgCorps et âme, lisez Lowry, suez en lui ces gouttes qui montent au visage de l’agonie. Mâchez ses mots, si matériels qu’ils en percutent les corps et laissez-vous porter par le rythme de sa phrase, à bout de souffle logeant l’homme dans sa démesure.
Soignez les corps rédempteurs, ne vous effrayez pas des résonances cosmiques de l’œuvre. Jetez plutôt vos vieux romans, oubliez le fatras des littératures secondaires, leurs yeux prématurés ignorant que tout livre est un esquif embarqué dans un voyage qui n’a jamais cessé.
Lisez Malcolm balayant les opacités feintes de ces romans imbéciles qu’on voudrait nous faire prendre pour de la littérature quand ils ne sont que des reliefs abandonnés aux vivats. Ne soyez pas dupe, errez en sa compagnie titubante et face au désenchantement du monde, résistez à l'esthétique virulente du communiqué, à l’équivocité fascisante. Préférez la polyphonie fuyante, énigmatique, de Lowry : lui sait réellement explorer le malaise et le sentiment d'étrangeté que tout homme en exil de lui-même éprouve. Et si l’on vous raconte que c’est toujours au milieu des champs de ruines que l'homme goûte à la beauté, élisez plutôt les riens dont se soutient son œuvre que les fadaises des rédacteurs qui n’exhibent qu’une écriture au fonctionnement symptomatique d’une société gagnée par le fascisme.
Lisez Lowry, qui sait ce qu’il en coûte de réintroduire le jeu et la liberté dans un système romanesque au bord de l’asphyxie.
 
 

Le feu du ciel vous suit à la trace, monsieur ! Suivi de Le Jardin d'Etla, de malcolm Lowry, traduit de l’anglais par Clarisse Francillon, Geneviève Serreau et Robert Pépin, éd. Librairie La Nerthe, coll. La petite classique, nov. 2012, 56 pages, 7,50 euros, isbn 13 : 978-2916862347.

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PROUST, LE MENSUEL RETROUVE

3 Décembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 

mensuel.jpgProust avant Proust… Il a 15 ans, il écrit. Il écrit même depuis toujours semble-t-il. Dans le Journal du Lycée Condorcet tout d’abord, auquel il livre douze collaborations. Journal recopié à la main ou reproduit au carbone, avec une ambition absolue qu’il partage avec ses condisciples : prendre les lettres Françaises d’assaut. Par la suite il fondera la revue Verte, qui ne connaîtra qu’une livraison et ne circulera qu’à un seul exemplaire. Puis la Revue Lilas, Daniel Halévy aux commandes, entouré de Marcel et d’une poignée de jeunes gens ambitieux. Proust l’affirme dans sa montre évidemment, son grand col blanc, sa cravate flottante, ses minauderies et la cour qu’il suscite et fédère autour de ses grandes passions péremptoires. De retour du service militaire, effectué à Paris, il fréquente les salons. Celui de Mme de Caillavet tout particulièrement, avenue Hoche. Il y met en scène le désir, moins le sien propre que celui des autres, agaçant au plus haut point. Et publie enfin dans une revue qui a pignon sur rue : Le Mensuel. Véritable laboratoire de ses 19 ans. La Mode bien sûr, presque essentiellement, malgré le détour de la poésie. L’ombre de Mallarmé pèse sur le sujet, mais il y a beaucoup à guigner en intelligence, en ironie, en morgue. Proust scrute donc, la révolution du corsage tout spécialement, qui n’offre plus une vision fugitive de la silhouette féminine, ni ne se mêle de jouer encore les refuges "pour les hanches critiquables". Proust chronique bien sûr les sorties littéraires, mais ne s’affronte pas aux grands auteurs : tactiquement, il fustige surtout le dogmatisme de la critique française. C’est enlevé, c’est disert, mais cherche encore trop le bon mot, la formule qui fera mouche. La mode l’occupe mieux, qui lui offre une tribune taillée à sa mesure pour explorer son monde. Proust s’attaque ainsi à la robe de bal des jeunes filles –toute la haute société ne parle que de cela. Blâme les demoiselles de si mal comprendre la vertu de leur simplicité. Sa critique s’aiguise au fil des livraisons. L’observateur scrute, décortique, tire de son essai sur le chapeau une superbe étude de mœurs. Quelques impressions des salons lui valent un peu de réputation, et puis Trouville vient perforer de part en part la revue, livrant les premières ébauches d’un ton qu’il ne quittera bientôt plus. Ses plus belles pages, épanouies aux folies et aux apaisements d’une mer toute boréale, "sans la plus mince lacune au revers des coteaux", piquée d’aventuriers qui ont "trouvé la force de vouloir encore, les vagues couronnées de mouettes", risquer "ce loisir mélancolique de contempler la légère ceinture d’azur" où fuir "parmi l’écume inconnu et les cieux"…

   

Le Mensuel retrouvé, Précédé de Marcel avant Proust, de Marcel Proust, préface de Jérôme Prieur, Editions des Busclats, novembre 2012, 160 pages, 15 euros, ISBN-13 : 978-2361660130.

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Mo Yan, la Belle (littérature) à dos d’âne…

23 Novembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 

mo-yan1.jpgPrix nobel de littérature 2012.

Han Qi est dépassé par cette Chine en pleine mutation où l’on ne sait plus contempler les éclipses, celles qui ont déjà eu lieu, ou pas, comme celles qui n’auront peut-être pas lieu et l’inverse. A moins qu’il ne s’agisse d’autre chose. Sur ce point, Han Qi ne parvient pas à se prononcer. Il n’a peut-être vu qu’une comète après tout. Ou un grand cerf-volant. Allez savoir. La réalité n’est jamais aussi mathématique qu’on l’aimerait. Tenez, Han Qi vient justement d’apercevoir une jeune femme en robe rouge juchée sur un âne. En plein Pékin. Noir. L’âne. Et petit. Un âne quoi. Suivi d’un homme à cheval. En armure. Tandis que les voitures, toujours plus nombreuses dans cette Chine conquérante, se talonnent comme des moutons. Prévenantes tout de même. A l’égard de l’âne sur lequel est juchée la jeune femme. Belle, évidemment. Mais incongrue, là, au beau milieu de la circulation. Tout comme l’homme en armure qui la suit. Dont on se demande ce qu’il fait là, je veux dire : dans le récit aussi bien. A quoi joue-t-il ? Quelle est sa fonction plutôt ? Surtout lorsque, en bon lecteur moderne, on a lu Genette et que l’on sait à quoi s’en tenir sur le genre, à réciter mentalement que tout récit comporte une part de représentation d'actions (on suit l’âne et le cheval dans l’embouteillage géant), d'événements (l’irruption de l’un, de l’autre, d’une éclipse ou pas…), en se disant bon, ça, c’est la narration, tandis que pour son autre part la description se charge de la représentation des objets qui vont donner corps au récit, etc.

Vous n’y êtes pas. Ou plutôt, si : c’est l’histoire même, ça. Sa justification pour ainsi dire. Dont s’inquiète Han Qi, beau joueur, qui nous prend en charge et nous mène juste derrière l’âne sur lequel est juchée une belle jeune fille. Même si le récit, lui, ne sait trop qu’en faire de cet âne, du cheval, de la jeune fille et de l’homme qui la suit… Qu’importe : Han Qi, lui, sait quoi en faire : il les suit. A moins qu’il ne les précède pour nous aider à mieux suivre le récit. Allez savoir ! Quelque chose comme une expérience du texte en train de s’élaborer –ce que, de fait, notre lecture sanctionne avec son temps de retard.

Il y a donc cet âne, la jeune fille, l’homme en armure et la police qui les somme de s’arrêter. Un flic frappe même l’armure du cavalier. Qui sonne vide. Evidemment : ce cavalier n’a d’autre fonction que de nous intriguer, pas d’encombrer Pékin. Décontenançant le flic, sauvé par la chute d’une bouteille de bière, de marque allemande. C’est précis. Si précis que cela fait entrer du coup notre réel dans la réalité du récit. Je bois la même. Un effet de réel comme disent les techniciens de la littérature. Mais peut-être pas. La canette troue bien de part en part le récit, mais ce dernier l’engloutit aussitôt… Voilà notre canette recyclée aussitôt dans l’ordre du conte –ce qui, après tout, devrait être le lot de toute canette de bière, ce recyclage…

Tandis que toute la foule est devenue Han Qi. A son même visage lisse. Respirant, inspirant tout l‘amour qu’il éprouve déjà pour la jeune fille juchée sur l'âne. Quand de nouveau resurgit le réel sous les traits d’une moto, de deux plutôt, et d’un fourgon de police. La Chine contemporaine a horreur de ce disponible où les contes vous transportent. Place Tian'an men. L’âne, le cheval, traversent alors la place jusqu’au grand immeuble du Centre Commercial International. La nuit tombe. Il ne reste que Han Qi derrière le cheval blanc, qui lâche un crottin et part au triple galop… dans une superbe cavalcade, réalisme hallucinatoire si l’on veut ainsi que le qualifient les critiques, où l’effet de réel, dans un récit au fond privé de toute fonction référentielle, n’ouvre qu’à la malice du conte, où l’écriture reste inexorablement un lieu de fiction, magique !

  

 

 

La Belle à dos d'âne dans l'avenue de Chang'An, de Mo Yan, traduit du chinois par Marie Laureillard, éd. Philippe Picquier, coll. Grand format, mai 2011, 192 pages, 16,70 euros, isbn 13 : 978-2809702651.

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Emmanuel Lepage : Un printemps à Tchernobyl

14 Novembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 

 

tchernobyl.jpg26 avril 1986. L’ex plus grave accident nucléaire se produisait à Tchernobyl. Vingt-deux ans plus tard, Emmanuel Lepage y est allé, pour en revenir avec ce poignant documentaire en Bande dessinée.

Jamais de blanc. Jamais de couleurs franches et moins encore primaires. Tout est délavé, marron, brun, gris cendré. Parfois, si, l’échappée d’une couleur vite rattrapée. Le tout comme enduit de fines couches de pellicules décollées. Tout a brûlé en 86. Les peaux, les bras, les jambes. Les gens n’étaient plus les uns pour les autres que des objets radioactifs. Leurs chairs détachées des os, les morceaux de poumon, de foie, recrachés par la bouche. Là-bas. On ne sait plus vraiment où. Abandonnant leurs maisons, grattant le sol, les poteaux, les palissades, griffant leurs noms d’une signature affolée. Là-bas : ce dont personne ne parle plus. Même si le nuage radioactif glisse encore, de case en case. Et ce rappel : l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Autriche, l’Italie, etc., avaient interdit la consommation du lait sur leur territoire. Pas la France. Alain Madelin affirmait alors : "Il n’y a aucun problème en France". Il ne fallait pas fragiliser la filière du lait. EDF ouvrait grand ses portes aux journalistes : "Il n’y a aucun problème en France", le pays le plus nucléarisé du monde par habitant pouvait dormir tranquille. Mais à deux jours de train de Paris, on évacuait par centaines de milliers les gens. Le baptême du feu de la fameuse Glasnost de Gorbatchev. Déjà les liquidateurs déshabillaient leur sacrifice. Combien furent-ils ? On ne saura jamais. Entre 500 000 et 800 000. Certains ont survécu. Ils touchent 67 euros de pension par mois. Emmanuel Lepage les a rencontrés. La thyroïde arrachée, leurs enfants difformes. Trois millions d’enfants devraient subir un traitement à vie. Beaucoup mourront avant d’arriver à l’âge d’homme. C’est aujourd’hui. Entre 1986 et 2004, plus d’un million d’ukrainiens sont morts des suites de l’accident. C’est aujourd’hui. Pas hier. Et demain donc. D’autres meurent déjà. Encore. Toujours. Tchernobyl. Des artistes se sont installés tout près du périmètre interdit. Emmanuel Lepage est membre de leur association. Ils témoignent. La zone autour d’eux est décharnée. Défigurée. Désagrégée. Partout traînent des carcasses d’animaux abattus par l’armée. Contaminés. Mais des paysans sont revenus habiter leur terre. Malgré le crépitement des compteurs Geiger. Sur la grand place de Tchernobyl trône toujours la fête foraine. La grand roue grince toujours au vent. Partout règne l’illusion d’une région sous contrôle, avec ces hommes en uniforme qui tentent de donner le change, quant tout échappe tellement à l’homme.

  

 

Un printemps à Tchernobyl, Emmanuel Lepage, Futuropolis, octobre 2012, coll. Albums, 168 pages, 25 euros, isbn : 978-2754807746.

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SHANGHAI : LA CITE DE LA POUSSIERE ROUGE

10 Novembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

cite-riviere.jpgUne histoire du peuple de Shanghai, de cette Cité de la Poussière Rouge qui traversa les âges, résistant aux Empereurs, à la dictature du Prolétariat, à la Chine néo-capitaliste d’aujourd’hui.

De ces constructions qui sont le produit du peuple qui les habite, tant leur extravagante structure paraît douée d’une logique propre à organiser hardiment sa destinée. Un peuple hétéroclite, riche de la diversité qui le traverse, le féconde, le recompose dans une identité tout à la fois multiple et unique, unanimement tenace au final, opiniâtre et roué. De ces peuples qui ont su résister à tout en s’adaptant à tout.

Une petite histoire populaire raconté par l’écrivain chinois Qiu Xialong, lequel, à l’image de cette fantastique plasticité des habitants de la Cité, fut d’abord interdit d’école sous la Révolution Culturelle, avant de soutenir une thèse sur T.S. Eliot et partir aux Etats-Unis poursuivre ses recherches.
Une histoire éparpillée en nouvelles établies selon un ordre chronologique, de 1949 à nos jours, organisant les moments clefs tout à la fois de la Cité et de l’Histoire chinoise du XXème siècle.
Et dès 49 l’on découvre la force d’inertie de cette Cité dont les nationalistes voulurent faire, avec Shanghai, une Stalingrad orientale. Le tournant qui allait les sauver, pensaient-ils. Mais rien ne put venir à bout des habitants de la cité et les nationalistes durent s’enfuirent, tandis que le narrateur passait à côté de l’Histoire terré sous son lit, vaincu par une peur très ordinaire et non moins salutaire.
Mais de toutes les histoires que narre Qiu Xialong, la plus édifiante est peut-être celle de Bao, le poète ouvrier. Histoire construite en deux temps pour enjamber la Chine de Mao et trouver son dénouement dans celle d’aujourd’hui. Tout commença pour Bao en 1958, alors qu’on exhumait la vieille conférence prononcée par Mao en 42 sur la littérature et l’art, qu’il voulait mettre au service de la Révolution. Bao fut prié d’écrire des poèmes. Pas du tout familier de la chose, lui que l’on venait déjà d’arracher à sa cuisine pour l’envoyer secourir les forces vives de la nation dans les usines du Peuple, raconta au commissaire qui tentait de l’enrôler combien la réussite d’un plat de Tofu était chose malaisée. L’histoire plut. Bao fut sommé de composer son premier poème :

Telle fève de soja produit tel tofu
Telle eau donne telle couleur.
Tel savoir faire fabrique tel produit.
Telle classe parle telle langue.


Le poème fit le tour de la Chine et Bao devint membre de l’Association des écrivains chinois. Bien plus tard, en 1996, ayant traversé toutes les vicissitudes maoïstes, dénonçant quand il le fallait, s’auto-critiquant avec non moins d’opportunité, Bao fut encore sommé d’accepter un poste de chercheur à l’Université. Un poste qui, cependant, lui laissa le loisir de faire grandir ce genre de petite échoppe que la Chine nouvelle encourageait à développer (que cent fabriques s’épanouissent, quelque slogan post-communiste de la sorte), dans laquelle il pouvait s’adonner à la seule passion qui ne l’avait jamais quitté : celle du Tofu. Si bien que dans cette Chine du capitalisme effréné, sa boutique put s’enorgueillir d’être l’une des rares à passer le cap du millénaire et produire un Tofu bien meilleur que le Tofu d’Etat
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Cité de la Poussière Rouge, de Qiu Xialong, traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Batlle, Liana Levi – Piccolo, mars 2010, 222 pages, 9 euros, isbn : 978-2-86746-540-6.

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