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La Dimension du sens que nous sommes

Et je mangeais ma peur, Marc Verhaverbeke (1/3)

30 Juin 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #poésie

Et je mangeais ma peur est une traversée poétique de la mémoire, du corps et du langage, entre filiation blessée et soulèvement intime. Le texte déplie une parole sensuelle, fragmentée, hantée par la perte mais tendue vers la lumière. Il sculpte dans le sable et le silence une écriture en lutte contre l’oubli, la norme et la mort.

Les éditions de notoriété publique publient donc le dernier texte poétique que Marc Verhaverbeke ait écrit. Jamais édité à ce jour. Comme un adieu. Cependant, un adieu qui n'en serait pas un, qui ne clôturerait rien, tant le texte laisse flotter une impression d’érosion, d’un effacement abondant en traces, c'est-à-dire les déposant, les produisant. Pas vraiment un dernier texte en somme, bien que le dernier, mais comme la mise en scène de sa disparition, sous l'empreinte d'une trace persistante longtemps après la fin de l’écriture. Et puis aussi, une sorte de pensée du refus de la clôture, affirmant avec force que tout texte demeure toujours en suspens, sinon un suspens.

Ainsi, ce texte qui semblait le dernier en tant qu’adieu à l’écriture poétique, résonne en effet tel une mise en scène, même si le poète paraît s'y effacer dans son propre langage. Car l'un des éléments les plus frappants de cette mise en scène est la manière dont Marc Verhaverbeke se détache du langage : "Je dis les mots à côté, que je vais partir à nouveau du texte" . Certes, il ne s'agit pas ici d’un départ mais de partir du... Partir comme revenir au texte, mais partir tout de même, même s'il s'agit de partir du texte lui-même, dans toute l'ambiguïté de cette formulation, comme si au final, l’écriture devenait un lieu qu’il fallait quitter et non auquel revenir et poursuivre. "Viendra donc ce temps où ne m’accompagneront plus mes personnages." Voyez, on est comme face à une rupture, une séparation. A venir. Mais alors : il ne resterait plus ensuite que le vide à embrasser ? Ou bien n'est-ce qu'une forme de rouerie, le poète exhibant une pensée de l'effacement qui ne ferait que renouer avec l'habitus des siens en écriture, ces poètes qui ont nommé l'exil, fût-il intérieur, comme leur topos où, cessant d'écrire, il(s) ne s'y effacerai(en)t jamais.

Qui ? Eux les poètes ? Ou l'exil ? Ou tel poète, sinon tel p(o)ère à tel fils manqué...

Qu'est-ce que ce recueil orchestre ? La fin de l'écriture ? Vraiment ? Ou le début de la lecture ? La lecture comme résurrection de l'écriture, une fois qu'elle a abandonné son empreinte au bon vouloir de ceux qui, liront ou pas ?

"Je parle d’un cimetière au milieu du lac. Je parle de chevaux blancs." Image puissante de la mort engloutie, dissoute dans l'eau et donc présente, toujours là. Drôles d'eaux amniotiques dans cette métaphore filée qui n'est grosse que d'un cimetière disparu où disparaissent encore les noms de ceux jadis...

"Ce sera le septième jour", affirme le poète. Celui du repos, du vide. Qu'en dire ? En ne cherchant pas à fixer un savoir des autres jours, le poète prononce-t-il l'acceptation du vide ? Fait-il laisser être l'effacement ?

Peut-être alors faut-il de nouveau, ou vraiment, écouter le poème, revenir au poème et l'écouter plus que l'entendre, car peut-être est-ce du côté de son rythme que les choses sont dites dans un souffle musical.

"Je parle... Je parle..."

Il y a comme un effet incantatoire dans cette répétition qui martèle cette idée en en accentuant la progression émotionnelle. Avec dans l'alternance de phrases longues et brèves ( "Je parle d’un cimetière au milieu du lac. Je parle de chevaux blancs."), comme des points de rupture, de silence, marquant moins la fin du souffle que sa reprise. Ce, quand le souffle se reprend, se dissémine et revenante, la fin sans cesse rouvre ses propres traces dans une parole qui joue à s'effondrer sur elle-même, convoquant la fragilité du sujet parlant dans l'impossibilité d'un vrai retour, pour mimer le refus d'en maîtriser le sens. Un geste qui fait du poème un espace de dérive, non de résolution.

On a parlé de mort à sa lecture. Oui, le thème de la mort est profondément inscrit dans ce recueil, mais il n’est jamais abordé de manière frontale. Il apparaît ici et là, sous des formes symboliques liées à la transformation.

On a parlé de transformation, mais il faudrait l'entrevoir comme métamorphose :

"Le silex trouvé plus tôt dans le sable pourrait bien s’éveiller scarabée." Ici, la pierre inerte devient un être vivant, mais vers quelle forme qui serait réellement nouvelle ?

"Rejetés par une répétition de ressacs, tenus un temps en amertume, sur quelle île nous coucher, Ulysse, à la fin démaquillés ?" L’image d’Ulysse est étrange dans ce non retour qui ne cesse de convoquer l'enfance et ses souvenirs brefs. Ulysse démaquillé au pluriel, ce que j'entends, même si je sais l'énoncé autrement postulé. Dans l'effacement, Ulysse récupérant son identité : l'écriture, comme une vérité qui ne se révélerait qu'après le voyage, ou à sa relecture...

On a parlé de métamorphose, non comme une forme nouvelle, mais comme mémoire et comme trace :

"J’ai écrit dans les escaliers fréquemment mon nom troqué contre une pleine brassée d’épines."

De quelles traces parlons-nous ? De celles laissées dans le langage et qui persistent obsessionnellement dans cette langue congrue que Marc déploie ?

« Je parle d’un cimetière au milieu du lac. Je parle de chevaux blancs."

Quelle image encore une fois, que celle de ce cimetière enfoui sous l'écume.

"Viendra donc ce temps"

qui jamais n'est fixé, figé, qui fait circuler comme une métamorphose, celle de l'être au langage. Mutation lente, qui passe par cette « chienne » d'écriture à la laisse souvent trop courte... Notre héritage dit le poète, « réticence généreuse », où s'embrouille toute présence qui voudrait par trop s'arrimer, quand il n'y a au milieu du lac qu'une cavalcade blanche et liquide.

 

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Et je mangeais ma peur, Marc Verhaverbeke éditions de notoriété publique, juin 2025, 12 euros, ean : 9782919275083.

contact éditeur : denotorietepublique@aol.com

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Ainsi Font, PUP fiction #6

22 Juin 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #poésie

Les éditions de notoriété publique affichent leur sixième Ponctuation urbaine Poétique (PUP fiction), dans la vitrine de la librairie l'établi d'Alfortville. Conçue et réalisée par Une Roserie, cette PUP fiction #6 propose un QR code renvoyant à la chanson créée et interprétée par Une Roserie, qui a donné samedi 21 juin dans la foulée un concert à la librairie, dans le cadre du mois des fiertés et de la fête de la musique.

 

Quelques mots sur ces PUP fictions.

Il s'agit d'affiches, offertes à l'inattention des passants, souvent affairés à des courses dont on ne sait pour quelles raisons elles leurs pressent toutes, et toujours, le pas. Du temps donné donc, pour qui saurait l'accepter. Car ces affiches ne font sens dans la ville qu'à la condition que ce temps-là soit pris, celui d'une suspension, toute affaire cessante. Des affiches qui vérifient pour ainsi dire et sans contrainte l'assertion de Marc Bloch : « L'Histoire, c'est la dimension du sens que nous sommes », du sens que nous prenons en l’occurrence le temps de faire advenir. Un sens qui dépendrait de chaque un, de chaque regard posé sur l'affiche, qui est elle aussi un regard placé sous celui, envisagé, des passants, offert à leur vue, plus tard à leur su, on l'espère : une connaissance, dans tous les sens y compris familier, que ce mot pourra prendre. Une connaissance qu'il s'agit encore une fois de faire lever, d'animer, d'éveiller, à laquelle donc porter secours, tant il faut sans cesse porter secours aux signes émis. Une connaissance discrète donc, qui n'impose en rien son urgence. Des images en somme -il y en a tellement!-, qui se soucient comme d'une guigne d'être ou de n'être pas : elles ne sont qu'à la condition que nous leur prêtions attention. Car il ne s'agit de rien d'autre que de les rendre visibles, de leur restituer leur visibilité et non de les exhiber, ainsi que se pavanent celles, habituellement obscènes, de nos cités, aux abois à se concurrencer l'une l'autre, à mendier ici une œillade, là le spectre d'un rêve frelaté.

 

Deux choses encore, qui se rejoignent au fond. Ces affiches ont donc été conçues tout d'abord comme des images. Le texte n'y est perçu qu'intégré à l'image et c'est l'image, elle, qui intrigue ou non le coup d’œil qu'on daignera lui accorder. C'est rallier là la conception que le théoricien de l'image, W. J.-T. Mittchel se faisait de ces objets de représentation : qu'est-ce que les images nous veulent réellement ? Dans la puissance inachevé de leur être, vers quoi font-elles donc signe ?

En second lieu, sous ces images un texte s'énonce, qui ne redit pas l'image, laquelle, au demeurant, n'a rien à dire mais à montrer. Un texte souvent intime. C'est le fait remarquable de ce projet. Un texte intime qui s'affiche. Qui s'extime.

L'extime. Il faut ici penser à ce concept forgé par Lacan et défini par Serge Tisseron. Une sorte d'extériorité intime (Lacan, 1959-1960, au cours du séminaire L'éthique de la psychanalyse, transcription Saferla). Songeons à cet extérieur (de l'image comme du texte) qui loge au-dedans de chacun de nous et nous porte de notre for intérieur au for extérieur de la cité. Comme un mouvement essentiel.

Songeons alors aux mots de La Roserie dans cette PUP fiction #6, se récupérant enfin comme sujet de son existence et le chantant. Reprenant corps dans ce mouvement d'extime. Comme on dit reprendre pied (puisqu'il y est question d'enfance). Songeons à cet échange qu'elle induit : que nous dit son image de ce que nous sommes en train de devenir ? Fragile symptôme d'une élévation commune, du spectateur qui a enfin vu l'affiche, à celle qui la lui a présentée, ce mouvement fait signe à notre humanité, intimement.

 

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Les barbares, mes intimes, Ghassan Zaqtane

20 Juin 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #poésie

Poète palestinien de la génération de Mahmoud Darwich, de celle qui connut la première Nakba qui vit la moitié des palestiniens forcés de quitter leur terre, Ghassan Zaqtane signe un recueil bouleversant et cependant porté par une force invraisemblable, celle des palestiniens, jamais vaincus malgré 70 ans de martyre. Dans sa préface, son traducteur, Abdelatif Laâbi, note la difficulté à être, quand on est palestinien, qui se glisse jusque sous l'impossible formulation du pronom « je ». Comment se reconnaître en effet, depuis une telle négation orchestrée par l'occident rageur ? Ghassan Zaqtane le sait, qui ne peut constater que l'invraisemblance qu'il y a à ne pouvoir plus communiquer qu'avec des absents, assassinés, déportés, exilés. Des êtres disparus dans des lieux disparus écrit-il. Mais parler d'exil ici serait faible. Il ne s'agit pas de cela : les palestiniens n'ont jamais cessé d'être chassés, en départ forcé, construit méthodiquement, on l'a vu, on le voit à Gaza, sommés de se réfugier dans le Sud pour que les bombes les tuent, sommés ensuite de se rendre dans le nord, pour que les bombes les tuent. Que reste-t-il de Gaza ? « Qu'est-il arrivé aux exilés ? Qu'est-il advenu de leur visage ? Qu'est-il arrivé à leurs enfants ? »... On ne le sait que trop désormais. Ne reste que l'adresse du poète à ses lecteurs : « Raconte, ô étranger ! ». Alors racontons, avant que « les noms anciens » aient tous disparus, « derrière des métaphores », dit Ghassan Zaqtane. L'image est forte et vrai et terrifiante : il ne nous restera demain que ces métaphores pour évoquer le peuple palestinien, sacrifié, « alors qu'un sanglot gigantesque / submerge le monde ».

Tout cela est réel, c'est aujourd'hui, c'est maintenant. Ce n'est pas là-bas, c'est ici ici que « les morts s'assoient (…) / Ils veillent seuls / pensent à nous / et sans raison aucune / se mettent à attendre. »

 

 

#jJ #joeljegouzo #ghassanzaqtan #ghassanzaqtane, #palestine #gaza #poesie #poésie @abdellatiflaabi #abdellatiflaâbi #maisondelapoesierhonealpes

 

Les barbares, mes intimes, Ghassan Zaqtane, hors série de la revue Bacchanales, Maison de la Poésie Rhône-Alpes, traduit de l'arabe (Palestine) par Abdelatif Laâbi, juin 2025, 104 pages, 17 euros, ean : 9782367610450

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Le Dernier voyage d'Ottla Kafka, Fanny Lévy

17 Juin 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

5 octobre 1943, la sœur de Franz est dans un convoi à destination d'Auschwitz. Un convoi d'enfants, accompagnés de cinquante-trois adultes, dont elle qui dans son wagon veille sur vingt enfants décharnés, malades, terrorisés. Elle les fait chanter pour les détourner de leurs angoisses tout en songeant à ses propres filles, qu'elle espère en sécurité.

Durant ce voyage, Ottla passe en revue sa vie. Il y est bien sûr beaucoup question de Franz, dans une vision intimiste, sensible, affectueuse. Mais pas que, fort heureusement : Ottla nous est révélée dans toute la force de sa grandeur.

Elle se souvient, se rappelle, se remémore, par exemple le 9 novembre 1938, la nuit terrible, les synagogues brûlées, les exactions, les meurtres sauvages, la lourde amende infligée à la communauté. Son départ volontaire pôur d'autres horizons, son mariage. Puis les déportations de ses proches qui avaient commencé dès que le Président de la République Tchèque avait remis le sort de son pays entre les mains de Hitler. Elle se rappelle qu'alors, rien ne s'était opposé à sa décision. L'Assemblée élue avait même voté un nouveau code pénal pour y faire entrer le crime de « souillure de la race » criminalisant son couple, mixte, et dépouiller les juifs de toute légalité. Ottla avait donc d'abord était séparée de ses filles et déportée à Terezin, cette « ville » atroce aux mensonges de cartes postales distribuées par les nazis. Le monde occidentale s'était repu de ces images factices. Ottla se rappelle la visite de la Croix Rouge, le camp lessivé, transformé en havre de paix dans cette fausse cité du « comme si ». « Le führer offre une ville aux juifs », disait la propagande nazie, déguisant le camp en « paradis résidentiel ». Théâtres, concerts, tout était faux. Sauf que, une vie artistique souterraine avait fini par s'y affirmer. Les déportés avaient créé leur propre résistance artistique, comme cette République de Skid, imaginaire, celle des enfants de Terezin, qui publiaient leur journal secret rédigé par quarante gamins refusant de sombrer dans la vie animale où les nazis voulaient les plonger. Les adultes publiaient aussi Netsar et Rim,rim, deux magazines prohibés évidemment. Ottla s'occupait des écoles clandestines, participait aux conférences organisées dans le Bloc B5 sur son frère.

Elle se rappelle ce frère, sa famille, Franz qui ne parvenait pas à tenir tête à son père. Seule Ottla l'osait. Elle, elle s'était enfuie, avait voulu construire sa propre destinée : agricultrice, à une époque où le machisme patriarcale ne permettait pas aux femmes autonomes de l'être « vraiment ». Elle s'était installée tout de même, avait loué une ferme, travaillé durement dans les champs pour cultiver la terre contre la volonté de tous. Être paysanne, libre. Réinventer le monde, le labeur, depuis son carré de terre qui avait paru si dommageable aux hommes qui l'en empêchèrent.

 

7 octobre 1943. Auschwitz. Les mots millénaires chantés lors de la montée au crématoire. Et puis la chambre à gaz, ici ouverte sur une très longue séquence mémorielle. Franz bien sûr, sa vie son œuvre. Qui ne peut faire oublier celle d'Ottla. Le récit se clôt du reste sur sa biographie. Poignante. Sur le rappel de ce que sont devenus ses amis, ses proches. Sur le cortège arraché à leur anonymat des noms des 1196 enfants gazés ce jour-là à Auschwitz. Ainsi que les noms de leurs 53 accompagnateurs. Poignant.

 

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Fanny Lévy, Le Dernier voyage d'Ottla, éditions Inculte, 02 avril 2025, 324 pages, 22 euros, lu sur épreuves non corrigées, ean : 9782330204365.

 

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Anaïs s'en va-t-en guerre, Anaïs Kerhoas

13 Juin 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #entretiens-portraits

Un jour Anaïs a décidé qu'elle serait herboriste. Marre du lycée, de la ville, des études qui ne débouchent sur rien. Elle l'a décidé au retour d'un voyage quasi initiatique en Inde où, après la rupture avec son petit copain, il lui a fallu s'assumer seule dans un pays lointain.

Autodidacte, n'y connaissant rien à la chimie des plantes, loin du monde des agriculteurs, elle s'est lancée toute seule avec une opiniâtreté féconde, dans une aventure incroyable : cultiver et vendre ses plantes aromatiques. Se sentir enfin libre ! Non sans obstacles. Pensez, une fille de la ville. Pas de terrain. Pas d'argent. Qu'y connaissait-elle à l'agriculture, à la terre ? Mais en Inde, « elle s'était connectée à la terre », avait découvert « le caractère sacré de la nature ». Et puis elle avait fini par se former en France aux métiers de la terre, était devenue une vraie agricultrice, avait frappé à toutes les portes, sans se décourager bien que partout on lui ait affirmé que son projet était irréalisable. Mais Anaïs n'en a pas démordu. Elle voulait vivre sa vie plutôt que la subir.

Ce petit ouvrage raconte sa trajectoire, exceptionnelle a bien des égards. Anaïs a réussi. Sa ferme fonctionne, elle est aujourd'hui pérenne et soulève l'enthousiasme, au point que la télévision de Rennes en a tourné le documentaire. On la voit dans les champs, sincère, spontanée, pestant contre l'ineptie de l'administration, travaillant la terre en attendant d'avoir la sienne. Sans relâche. Le film est le résultat d'une année entière passée à ses côtés, de janvier 2012 à l'automne 2013. Un film émouvant, magique, empreint de sa fièvre et de sa joie. Avec une seconde partie pleine de surprises : Anaïs a toujours un train d'avance et continue de forcer l'admiration. Une héroïne, oui, le mot n'est pas galvaudé, d'un genre nouveau pour ces temps qui se voudraient modernes et ne sont que poussiéreux. Un exemple pour ceux qui refusent de se laisser ensevelir sous les déchets et les catastrophes d'un capitalisme prédateur, vandale, occupé à broyer les vies et l'environnement.

 

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Anaïs s'en va-t-en guerre, Anaïs Kerhoas, éd. Pocket, 140 pages, juin 2021, ean 9782266312714, 1ere édition en 2020 par les éditions Equateurs.

le film sur le site de TVRENNES35

 

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Le Héros était une femme – Le genre de l'aventure, collectif

12 Juin 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essai, #essais

Une étude universitaire sur le genre féminin des «héros» du cinéma contemporain. Héros, plutôt qu'héroïnes ? Le terme est discuté dans l'avant-propos, le compromis, retenu sous le syntagme de « héros féminin », préféré à « héroïne », même si ce choix ne va pas de soi, ne peut aller de soi, ne doit pas aller de soi. Pour quelles raisons ? D'abord parce qu'héroïnes s'est construit comme le féminin de héros, subsumant sous ce vocable des valeurs essentiellement masculines. Les super-héroïnes évoluent par exemple dans un univers où la violence, obligatoire, les contraint à faire leurs ces valeurs. Or, dans sa démarche, cette étude voudrait analyser et comprendre ce qui évolue à ce niveau, et former un marqueur, un outil qui permettrait de questionner la réussite ou l'échec d'un « potentiel bouleversement du système de genre » dans le marché cinématographique du super héros. Autour de quel terme donc cristalliser les changements qui opèrent dans les questions de genre de ce marché ? « Héros féminin » en traduit l'essentiel : un frémissement, certes, mais aussi la reconduite des valeurs patriarcales sous couvert de féminisation des héros au cinéma. Non sans ambiguïtés. Lara Croft, Kiddo, Lisbeth Salander en sont les jalons, qui expriment autant leur force d'émancipation qu'une indéniable masculinité de l'héroïne, dans la construction de leur représentation.

L'ouvrage est passionnant. Il interroge non seulement les modèles qui se mettent en place aujourd'hui, mais, au travers d'études plus anciennes, comme celles de l'université du Wisconsin sur les héroïnes grecques, reviennent sur ces typologies de l'Antiquité et sur les conditions d'acceptation des héros féminins dans la culture antique. Héros qui ne pouvait pleinement être du genre féminin qu'à la condition de sortir de la communauté humaine, soit en prenant un caractère allégorique, soit, comme dans le cas des Amazones, en s'en excluant.

Pas moins intéressante, l'étude lexicale de ce termes. Dans Le Robert par exemple, il existe deux entrées, l'une pour héros, l'autre pour héroïne. Dans la seconde, la référence à l'antiquité a disparu... En outre, la sémantique déployée dans l'effort de définition, interne l'héroïne dans sa « force d'âme » et la place dans une position plus passive que le héros. Enfin, cette définition l'ancre fortement dans l'espace de la fiction, où le personnage devient souvent adjuvant du personnage principal : elle peut être par exemple héroïne sans être le personnage principal, ce que la fiction ne conçoit pas pour son pendant masculin -ni la définition. Rappelons que l'étymologie proposée par Le Robert, pour héros renvoie à hêrôs, chef de guerre puis demi-dieu et que la troisième définition proposée pour le masculin en fait un être réel, et non un personnage de fiction, comme dans la cas de la définition de l'héroïne.

La féminisation du terme ne suffit ainsi pas à établir une égalité sémantique entre les deux termes. La question demeure alors entière de savoir comment faire pour que l'héroïsme s'épanouisse dans des formes non genrées. Le « héros féminin » au terme de l'étude, révèle une promesse manquée. C'est Catwoman par exemple, réplique sans consistance du héros masculin. Certes, Buffy paraît vouloir introduire plus d'ambiguïtés, un entre-deux incorporant des contradictions. Mais elle est bien seule.

Or la figure d'un héros féminin devrait pouvoir ouvrir à des narrations différentes. Il s'agit donc désormais de tenter de penser le héros féminin comme sortie du modèle dominant. Construire une histoire qui ne serait plus soumise à la logique de la domination masculine et de ses codes narratifs, sans doute depuis la singularité propre aux opprimés.

 

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Le Héros était une femme – Le genre de l'aventure, collectif sous la direction de Loïse Bilat et Gianni Haver, éditions Antipodes, collection médias et Histoire, novembre 2011, 268 pages, ean : 9782889010509.

 

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Et ce monde étrange continue de tourner, P.N.A. Handschin

10 Juin 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

…« Est-ce que ça fait de moi quelqu'un d'horrible ? ». Ainsi débute ce roman, seizième opus de Tout l'Univers, le cycle grandiose de Handschin, inauguré en 2003. On rencontre les mêmes personnages, les mêmes objets, dont ce piano, acheté deux ans plus tôt, qui tant meubla le précédent opus. La même ronde autour de ces objets, même si Sarah-Lee souhaiterait voir Pierre rencontrer d'autres gens. Justement, le roman s'ouvre sur une fête. Mais Pierre n'a qu'une idée : éviter qu'on s'adresse à lui. Il tourne, seul, en rond comme dans la marche de Radetzky (Johann Strauss corrigé par Joseph Roth). Forcené. Allez, tout le monde a cette marche en tête. Obsédante, enlevée. Il faut vraiment l'avoir en tête cette célébration de l'effondrement de l'empire austro-hongrois avec ses battements de mains qui allaient applaudir non la fin de l'horreur, mais son engendrement. Il faut se rappeler que lorsque pour la première fois elle fut jouée devant des militaires, ils se mirent spontanément à en battre la mesure, des pieds, des mains, dans un carnaval enragé. Il faut avoir en tête que depuis, la tradition veut que son public en fasse toujours de même et que les chefs d'orchestre qui l'interprètent se tournent vers ce public pour le diriger en même temps que l'orchestre, comme un monument à la folie des siècles. C'est ça, l'opus que vous tenez entre les mains. Une marche folle, pour ne pas dire fanatique, où tout s'aplatit dans un nivellement absurde. Le monde grimace de cette soupe dont il se repaît et rien ne semble pouvoir l'arrêter. Il avance tête baissée. On retrouve ici les obsessions de Pierre Kléber, le dérèglement climatique qui vient d'ouvrir en grand les portes d'une apocalypse assurée, jalouse de la terreur qui partout ranime la bête immonde et devancera, sans doute, la sienne propre. « Je tourne en rond », avoue à plusieurs reprise ce fameux Pierre, angulaire, n'en doutez pas, de nos défaites, qui ne déferlent plus mais nous submergent (Rilke en médaillon).

Alors il peut bien consigner les menus ou les grands événements du monde toujours plus improbables chaque jour, se rappeler, plus ou moins et qu'importe, ou récapituler -c'est le moment en effet, demain ne sera plus. Il peut bien, dans une pensée dérisoire et nécessairement fugitive, saisir ici et là cet esprit du temps qui dérape tant et se désoler à même hauteur de son statut social, on voit bien que l'écriture, comme la mémoire, ou même la pensée, ne sont plus un salut.

La structure narrative demeure comme dans les précédents, rhapsodique. Les idées se relancent par contiguïtés. Tout juste sommes-nous surpris au détour d'une observation, de réaliser qu'il parle de notre temps, de notre ici, de notre maintenant, de l'année qui vient de s'écouler, aussi vaine, aussi nauséabonde, tout juste plus meurtrière, et qui ne nous laisse que l'effroi de devoir admirer la cadence implacable qui accélère à chaque nouveau battement de cil notre effondrement. Qui pourra s'en extraire ?

Peut-être ne reste-t-il déjà que cette dernière phrase du roman comme seul horizon de notre marche insensée (de Radetzky) : « Pourquoi, soudain, comme un grand vide devant moi, et cette envie de pleurer ? ».

Lisez-le, lisez-le ! Quand pleurer deviendra la seule résistance, la dernière note où, dans une ultime lucidité, comme Pierre nous entreverrons notre propre vertige, notre propre désarroi, comme autant d'échos d'un monde qui avance sans jamais s'arrêter, vers sa fin. L'envie de pleurer ne sera plus alors seulement personnelle : elle appartiendra à l'époque entière, au terme d'une marche imposée où chacun, malgré lui, aura fini par en battre la mesure.

 

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Et ce monde étrange continue de tourner, P.N.A. Handschin, éditions Jou, février 2025, 194 pages, 15 euros, ean : 978-2-492628-11-5.

 

Le nouveau piano, P.N.A. Handschin - La Dimension du sens que nous sommes

 

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Le nouveau piano, P.N.A. Handschin

9 Juin 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Un monument ! XVème volume du cycle Tout l'Univers, entamé en 2003. Un monument que ce cycle, commencé avec Déserts, et qui connut une vraie traversée du désert éditorial... Il faut d'emblée saluer l'initiative des éditions Jou, qui nous en ouvrent à nouveau l'accès.

Tout l'Univers, donc. Ici, le dit d'un quinquagénaire peintre qui n'expose plus, ne vend rien, ne peint du reste plus. Homme au foyer. Un univers que l'on aurait tort d'imaginer minuscule, tant en le recouvrant de ses mots, il nous ouvre au vertige d'une parole inachevable, percluse pourtant, de toutes les fins d'une humanité au bord de son abîme -même si, à son avis, peut-être, les peintures des grottes préhistoriques tiendront plus longtemps que les déchets nucléaires (ne restera alors que cette image, incompréhensible, du moins qui aura perdu tout sens dans une histoire sans humains).

 

Quel sens donner à cette faconde rapportée ? Que nous dit-on qu'il se dit ?

Du coq à l'âne tout d'abord, on voit bien comment le roman se relance, d'un mot son jeu, l'autre convoqué ouvrant chaque fois un nouveau fil narratif. La structure rhapsodique de ce roman, puisque l'auteur a décidé qu'il en serait un, fascine. L'écriture s'y déploie en contiguïtés, verbales ou cognitives, plus qu'en continuités logiques.

Est-ce un roman pour autant, outre le personnage exprimé et ses adjuvants  ? Pour faire roman, quelques récurrences alertent le lecteur, qui donnent de la consistance au texte. La musique, les lombrics, le réchauffement climatique, les trous noirs, Soulages et la guitare, sans parler du nouveau piano, dont on ne sait trop depuis combien de temps déjà il est nouveau et en quoi ce nouveau importerait, ou plus, sinon qu'il suppure le romanesque à l’œuvre. Maudit soit l'ordre des choses, et du temps, que P.N.A. Handschin s'emploie à bousculer, à défaire puis reprendre, recoudre plus exactement, autour de ces quelques obsessions. Déconcertant ? Pas vraiment : car c'est quoi la posture romanesque ?

Le sens, le narrateur ne nous y invite même pas. Et moins encore à croire à l'existence de ce Pierre Kléber, pas même colon de son être. Une coquille vide. Qui pense où il n'est pas, qui est où il ne pense pas.

Il y a du Rabelais, certes, et du Perec dans ces « je me souviens » qui n'omettent pas de faire mémoire commune. De résonances plutôt. On croit ici et là pouvoir dresser l'oreille. Il est question d'attentats par exemple. On sait. On a connu plus ou moins cela. Pour en faire quoi ? Car le je qui s'énonce si mal à force de saturations, construit de rappels en reprises, reste une coquille vide qui décrit un monde lui-même énucléé autour de lui, dans une sorte de vertigineuse entropie. Sa femme, les enfants qui grandissent et demain partiront, partent déjà, et lui, le père, appelé, déjà, à n'être qu'un souvenir. Qu'il consigne. Puis plus rien.

J'ignore si c'est comme cela qu'il faut lire ce roman. Non pas celui du temps qui passe. La structure temporelle du texte est troublante au demeurant : il n'y a aucune mesure réelle du temps, si ce n'est cette grande échelle inutile de l'âge de l'univers, où rôde un trou noir de quatre millions de masse solaire. Tout passe. Si vite. « Si » ? Pourquoi ce « si » ?

Le texte est comme une longue anamnèse hors du temps. Un laps posé dans un temps infiniment court, qui ne peut tenir dans aucune lecture de ce laps. Un temps qui aurait déjà eu lieu en somme... Pierre Kléber a beau parfois se dire « tout à coup », c'est dans un temps si court qu'il a formulé ses pensées qu'elles ne peuvent avoir été raisonnablement dites. Nous sommes un vendredi (p.152) pourtant. Le week-end approche. Mais sa faconde a arrêté le temps. Nous sommes dans un chiasme. Dans une poignée de seconde au cours de laquelle tout l'univers a défilé. Mais il n'y a pas de profondeur. Juste des surfaces. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Soulages est si présent. C'est comme si ce temps était celui que pointe le motif récurrent de la mort qui rôde, celui de l'agonie, celui de la fin de l'agonie plutôt, quand on est mort déjà et qu'on ne le sait pas encore, que tout à coup tout vient de défiler et déjà s'en est en allé. « C'est comme si »... la dernière phrase du tableau.

 

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Le nouveau piano, P.N.A. Handschin, éditions Jou, mars 2024, 230 pages, 16 euros, ean : 9782492628085.

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