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La Dimension du sens que nous sommes

Malheur au peuple qui a besoin de héros (Hegel)...

1 Avril 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essai, #essais

Si un peuple a besoin de héros, affirmait Hegel, c’est qu’il est dans une impasse et ne dispose pas de la cohésion lui permettant d'en sortir. D'où l'attente de l'apparition, littéralement et au sens quasi religieux sinon superstitieux du terme, de l'homme providentiel, capable de « le » (et non « nous ») sauver. Car malheur au peuple qui a besoin de se soumettre à une telle idolâtrie, tout comme malheur « au peuple dont le présent est assez précaire pour qu’il cherche dans le passé des représentants exemplaires de son identité menacée » (Jean-Pierre Albert, 1999). Ce prophète espéré, en effet, destiné à subsumer sous sa figure le destin collectif, n'incarnera en réalité qu'une dérive superstitieuse, pour faire de ce destin un leurre, sinon une monstruosité.

Certes, Hegel avait à l'esprit le champ du politique. Bien des décennies plus tard (dès 1922), le philosophe et juriste Carl Schmitt thématisera à son tour cette problématique du chef charismatique, encensant, lui, la montée en puissance du « héros » nazi, avant de prendre ses distances avec Hitler, sans pour autant renoncer à ses conceptions autoritaires de l'état. (Voyez comme nous subissons toujours cette idéologie de l'homme providentiel, et même si ces derniers s'incarnent en de navrantes formules...).

Cela dit, ni Hegel, ni Schmitt n'ont pensé les résonances de la figure du héros dans le champ de la fiction artistique. Or il y aurait beaucoup à gagner à repenser dans un même temps le politique et nos imaginaires : malheur au peuple qui a besoin de la fiction du héros...

Qu'en est-il des héroïnes ? Malheur au peuple qui a besoin d'héroïnes ?

La question ne se posait même pas bien sûr, ni dans l'esprit de l'un, ni dans celui de l'autre. Les Lumières elles-mêmes n'avaient-elles pas contourné l'interrogation ? Kant partageait avec son temps ce préjugé : les Lumières, seul le masculin en incarnait le possible... La figure du héros, cette «grande fraternité qui ne se trouve que de l'autre côté de la mort» (Malraux, L'espoir, chapitre 6), ne s'accomplissait vraiment que dans son genre masculin. Et tant pis si jusqu'à Malraux, sinon aujourd'hui, on a conservé l'habitude de stabiliser l'image de ce héros dans des gestes simplets et grandiloquents, traçant autour de lui les frontières de son insularité : à l'assignation masculine répondit la convocation du singulier : l'héroïcisation individualise, gommant les solidarités sans lesquelles, en réalité, il n'est pas de héros possible.

Héroïciser dès lors, mais quoi, et qui ?

Que devient la polis entre les mains du héros ?

Si le héros peut devenir ce démiurge que dénonce Hegel, fondateur d’institutions selon Carl Schmitt, s'il peut devenir le curateur d'une constitution irrévocable de la vie collective, qu'attendre réellement de lui ?


 

(Autour de la manifestation initiée par la librairie l'établi d'Alfortville, « Vous êtes l'étincelle #3 », autour des littératures jeunesses et young adult).

Voir : Héroïnes / Héros - La Dimension du sens que nous sommes

 

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La fabrique des héros - Du martyr à la star, Sous la direction de Pierre CentlivresDaniel Fabre et Françoise Zonabend, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1999.

https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.3993.

 

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