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La Dimension du sens que nous sommes
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Réflexes primitifs, l’Europe de Peter Sloterdijk

4 Avril 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique, #essai, #essais

Autant le dire, je ne suis guère convaincu par les propos de Sloterdijk, s’affirmant «conservateur de gauche» et stigmatisant cette fois encore une Europe par trop accueillante tout particulièrement au regard de l’immigration en provenance des pays africains, et qui se consumerait désormais en une aide vaine aux pays émetteurs… Alors qu’il lui faudrait tout simplement «désamorcer la bombe démographique» africaine ! C’est faire peu de cas de la responsabilité historique de l’Europe qui, après avoir pillé l’Afrique (qu’elle continue allègrement de piller), devrait dénoncer sans relâche la corruption qu’elle y a installée !  On ne peut qu’être frappé par la violence de ce texte, véritable éructation célinienne, daté de l’année 2016 et réédité ici parmi un ensemble d’autres textes plutôt disparates, sinon décousus et qui tous, au fond, ont pour mission de tenter de réhabiliter notre philosophe érigé à la gloire de plus grand philosophe européen contemporain… On y voit donc Sloterdijk abattre ses cartes, stigmatisant comme jamais l’humain, « toujours prompt à se vautrer dans l’ignominie ». Certes, à la marge et construit, poussé à l’être veule par une classe politico-médiatique jamais en manque d’abjection. Cette courte éructation de Sloterdijk contre les attaques dont il aurait été «victime» en Europe à propos de ses prises de position sur l’immigration, n’a en fait d’autre but que de le disculper d’avoir si mal examiné la question. Et on ne peut être que frappé par la violence  du ton pamphlétaire qu’il déploie pour défendre cette Europe des Traités dont il prétend qu’au fond, elle peut parfaitement fonctionner avec 30% de participation électorale : «l’Europe, affirme-t-il, est une réalité si forte qu’elle n’a pas besoin de devenir populaire». Du reste, elle se passe fort bien des européens, tant ses décrets et lois en bloquent toute contestation… On l’aura compris, Sloterdijk défend l’Europe contre les peuples européens, toujours suspectés de sottises à ses yeux. Et ce faisant, notre philosophe défend une conception particulièrement féroce d’une Europe insérée dans la société mondiale contre le gré de ses populations. Ce qu’il exclut de son champ de réflexion, c’est toujours la question sociale. Et de vilipender ces populations, qui ne savent pas s’élever au-dessus du niveau de «la tribu», à peine à celui, désuet à ses yeux, des «nations», quand en réalité nous devrions tous nous expatriés de ces cadres... La société contemporaine, à son dire, se devrait de ne plus être jamais « nulle part auprès d’elle-même », et perdre définitivement sa capacité à rassembler, un frein autant pour l’économie que «le progrès de l’humanité». Exit les nations, les régions, le sentiment national bien sûr, le sentiment d’appartenance à une histoire : tous consommateurs, il nous faut nous dé-soler, et nous défier des quelques rares médias qui tentent encore de produire l’effet peuple, l’effet nation. En ligne de mire de cette pensée réactionnaire : les mouvements sociaux, néfastes à ses yeux, qui tous tentent encore de créer du Commun. Et Sloterdijk de stigmatiser les rares médias qui essaient de soutenir à bout de bras l’idée de Peuple, en envoyant, affirme-t-il, jour après jour des signaux de stress aux membres de ces communautés. Balayons tout cela, soyons résolument post-modernes, repoussons ces idéaux imbéciles de solidarité, devenons chacun notre propre start-up, communicant exalté de nos gloires éphémères. Enfin… ce n’est pas si certain, parce que Sloterdijk voit aussi dans ce mouvement se dessiner le cynisme qui a perdu les sociétés occidentales. L’éructation est confuse : il faudrait se défaire de ces cadres, pour en accepter un plus ancien, celui de la soumission au philosophe-roi… Ce sont les foules, au fond, que Sloterdijk exècre – le mot n’est pas trop fort. Ces foules incapables de reconnaître les sages et tout particulièrement LE sage éclairé qu’il est, nécessairement placé au-dessus du remugle quotidien, de la multitude imbécile. «Seul le sage éclairé sort de la caverne pour se placer dans la lumière des idées». Alors, face à l’aveuglement universel, il ne reste qu’une seule issue pour lui : contrer cette rage populaire qui a surgi avec et depuis la Révolution française...

Réflexes primitifs, considérations psychopolitiques sur les inquiétudes européennes, Peter Sloterdijk, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, éditions Payot, 15 mars 2019, 172 pages, 16,50 euros, ean : 9782228923613.

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Beckett, 27 juillet 1982, 11h30, Michel Crépu

3 Avril 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #LITTERATURE, #en lisant - en relisant, #essais

Un hommage. Exercice toujours périlleux quand il s‘agit de Beckett, qui a le don de vous renvoyer à votre propre bêtise… Beaucoup d’embarras donc pour commencer, sinon  de fatras. Beaucoup de maladresse, Crépu K.O. avant même de monter sur le ring du fameux 27 juillet 82, tournant autour, tardant, repoussant à plus tard le récit de ce fameux rendez-vous. Rencontrer Beckett ! A l’époque, moins Beckett en fait que l’homme qui avait vu Joyce, qui lui avait parlé, qui l’avait côtoyé… Joyce donc en 82, Beckett en accessoire. L’immense Beckett. Beckett qui jeune, se voyait bien secrétaire de Joyce. Après tout, il avait tout vu, tout lu. Beckett si impressionnant. Crépu se rappelle Godot et ce qu’en écrivait Anouilh : « Les pensées de Pascal jouées par les Fratellini ». C’est ça, oui, tout à fait ça. Beckett si cultivé, annotant Goethe, Dante, son interlocuteur. Beckett croisant Sartre à Paris dans l’escalier de Normal’Sup. Il ne signera pas l’Appel des 121. Ne fera pas le déplacement pour le Nobel. Sans bruit. Sans raison. Préférant voyager à vélo par monts et par vaux, traversant la France à vélo. Crépu se rappelle, sort de sa poche cette photo des éditions de Minuit où l’on voit Beckett s’ennuyer drôlement. Beckett racontant Lucia Joyce, qui était un peu amoureuse de lui. Et Ussy, sa maison de campagne, que fréquentaient Jasper Johns et Bram Van Velde. Tout de même : Beckett résistant pendant la guerre. Sans bruit. Seulement bon qu’à écrire, comme il devait l’avouer plus d’une fois. Mais quelle écriture ! En 1953, on joue Godot au théâtre. Un choc, ce charabia ! On connaît un film de lui, et puis des pièces de plus en plus courtes. « Est-ce que quelqu’un est au courant de la marche à suivre ? »… Comment vivre ?... « Non, ça n’a pas l’air »… Alors son œuvre, ce «quand même» décisif et ce qu’il nous reste d’ébahissement devant. Tout. Crépu nous livre peu à peu, au-delà de son émotion, l’interminable Beckett. On n’en a jamais fini avec lui, même s’il nous avoue qu’un jour, il a cessé de le lire. Beckett, ses phrases si brèves. Ouvragées. Rien de messianique et cependant… Non. L’Histoire ? On ne sait pas pourquoi. A l’image de Molloy qui doit voir sa mère et ne sait pas pourquoi. Reste son langage, inouï. Qui ne cesse de toucher au plus juste de ce que le langage permet. D’échouer. Échouer… la grande affaire de l’humanité. Naufragée, abordant pourtant toujours en quelque contrée inconnue, comme Crépu après toutes ces années, s’essayant à nous parler de Beckett. Échouant à son tour semble-t-il : «Beckett n’a pas trouvé son lecteur magistral». Vraiment ? Ni en France ni nulle part ailleurs ? Rien. Beckett indemne, toujours, résistant à toute interprétation. Alors finalement, comment était ce 27 juillet 82 ? Pinget avait conseillé à Crépu d’écrire à Beckett. Courtois, bienveillant, Crépu avait été fasciné par son regard si doux, si bienveillant. Le prétexte, c’était un mémoire universitaire, que Crépu n’écrira pas du reste. Lire, seul, le retenait déjà. Donc Beckett, en chair et en os, au PLM Saint-Jacques. Crépu nous en livre très peu, magnifiquement. Pour nous parler ensuite de son père. Comment c’est, le sommet de la littérature ?... Seule la littérature est une chance unique. Que les héros de Beckett ont saisie, bien qu'ils ne soient que des rescapés. Comme nous tous.

Beckett, 27 juillet 1982, Michel Crépu, édition Arléa, mars 2019, 16 euros, 86 pages, ean : 9782363081810.

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Brutalités policières : le massacre des innocents…

2 Avril 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Inutile de documenter le sujet, les images sont innombrables qui l’explicitent et seul l’aveuglement coupable des médias et de la Justice impose un doute qui ne peut être. Littéralement, les brutalités policières crèvent les yeux. Nous avons libéré les instincts les plus bas de ses forces armées, moins entraînées à combattre la violence qu’à la pratiquer elles-mêmes désormais. Le problème n’est ainsi pas uniquement celui du non encadrement des opérations de maintien de l’ordre, qui toutes sont devenues l’inscription d’un désordre féroce dans la cité, par le fait même des doctrines répressives qui y sont à l’œuvre. Le problème, c’est que théoriquement, la police ne peut exercer de violence qu’à des fins légales. Or ce que l’on découvre aujourd’hui, c’est que cette même police détient, sur le terrain, le pouvoir de définir elle-même ces fins. Les dangers d’un tel laisser-aller sont évidents, tout comme l’ignominie d’une telle autorité ne fait plus aucun doute : ses pouvoirs se sont étendus des «casseurs» aux braves gens, pris indistinctement pour cible. La violence à l’œuvre est bestiale, confuse, gratuite, arbitraire, désordonnée –pesons chacun de ces termes, qui ensemble révèlent une violence chaotique. Au final, la police française s’est mise à la disposition de fins en rien universelles : elle ne fait que protéger le Droit de l’oligarchie qui prétend en outre la commander et dont l’autorité sur ces mêmes forces de police n’est en rien légitime : tout peuple a le droit de manifester son désaccord avec le régime en place. La violence chaotique de la police française n’est ainsi que l’expression d’une violence conservatrice dont le seul but est de protéger les nantis. Walter Benjamin affirmait qu’en tant de crise politique, la police ne faisait que révéler le moment où l’Etat ne sait plus garantir, à travers l’ordre juridique, que sa volonté de détourner les richesses du pays pour le seul profit d’une poignée de parasites, déstabilisant jusqu’au fondement du Droit. Et c’est la raison pour laquelle nos forces de police, car ce sont les nôtres, ne peuvent plus intervenir que dans des situations juridiques confuses. On l’a vu avec l’affaire Geneviève Legay : une manifestation certes interdite, mais des personnes âgées que l’on ne peut charger brutalement, ainsi que le Droit français le commande. Peu à peu, jour après jour, cette crise que le pays traverse vide l’institution policière de sa substance. Sa violence est sans contours précis, sans limites. Une violence chaotique qui témoigne de la dégénérescence de nos institutions et qui procède du caractère problématique du Droit. En outre, l’impunité et le mensonge qui entourent les brutalités policières témoignent de ce que l’état français préparent les corps armés à soutenir les bases d’un pouvoir qui ne saurait désormais être troublé par une quelconque critique, d’un pouvoir qui saura imposer le silence et ses mensonges à une population enfin asservie.

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Fake news gouvernementales et mensonges d’état, mais… #PasDeVague…

1 Avril 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Voici donc à quoi ressemble l’état français : un conseiller du président, Ismaël Emelien, travaillant à la Loi anti fake news, mais n’hésitant pas à (mal) bidouiller une vidéo pour disculper Benalla en se comportant comme un vulgaire barbouze digital,  une conseillère promue au rang de porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, affirmant le plus tranquillement du monde : "J'assume parfaitement de mentir", et cette lamentable affaire Geneviève Legay, voyant un procureur, un préfet, un président relayer les approximations douteuses d'une presse corrompue selon laquelle, non, Geneviève Legay n'aurait "pas été touchée par des policiers", et ce, malgré l'insistance et le nombre des témoignages, y compris dans les rangs de la police, et de vidéos repoussées d'un geste de dédain par cette même presse et ce gouvernement qui ne tient pour vrai que sa post-vérité hallucinée... L'état français est donc le théâtre des manipulations les plus grossières, qui nous ramènent au bon vieux temps des régimes totalitaires, commandant à son arme de destruction massive de la vérité, l'Education Nationale, qui sort tout juste d'une semaine de la presse au secours de ces médias qui nous font tant honte, de traquer (presque) partout ces infox, ces fake news qui tant nuisent à la démocratie... Fake news dont, rapports scientifiques à l'appui, comme celui de la CAPS/IRSEM (Les manipulations de l'information : Un défi pour nos démocraties - 04.09.18), on nous invite, gravement, à comprendre qu'elles sont essentiellement et dangereusement le fait des réseaux sociaux, non des médias traditionnels et moins encore de la presse papier : "Les manipulations de l'information ne sont pas nouvelles mais ont pris une dimension sans précédent en raison des capacités inédites de diffusion et de viralité offertes par internet et les réseaux sociaux, ainsi que de la crise de confiance que vivent nos démocraties. Ce phénomène (...) menace les démocraties et la souveraineté de leurs institutions." A un point tel que le gouvernement, grand producteur de fake news, n'a pas hésité à promulguer une Loi adoptée le 20 novembre 2018, dite Loi organique contre la manipulation de l'information, que le Conseil Constitutionnel valida le 20 décembre 2018. Au plus vite donc, comme s'il y avait péril en la demeure... Mais que penser d'un législateur incapable de tenir lui-même le fil d'une vérité qu'il ne cesse de compromettre jour après jour ? Que penser d'un gouvernement pareil et d'une Loi pareille, sinon qu'elle visait alors peut-être à nous livrer aux mensonges de l'état et de sa presse ? Et que penser d'une institution comme l'Education Nationale, contraignant ses enseignants à dénoncer la fabrique des fake news, sans jamais aborder le problème de ces mensonges d'état ?

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Psychologie de l’argent, Georg Simmel

29 Mars 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essai, #essais, #Politique

A l’origine, en 1889, 600 pages d’un essai touffu, acheminé de digressions en exemplifications presque gratuites, confus pour tout dire, qui dérouta en son temps ses lecteurs. D’analogies en connexions, de l’agriculture au Moyen Âge au style de Zola, Simmel a voulu construire non pas une magistrale thèse sur la valeur, mais en éclairer le terrain, sinon le terreau, pour au final démontrer qu’en réalité, l’usage de l’argent n’avait qu’un seul but : faire l’économie d’une réflexion sur la valeur des choses et des êtres. L’argent, nous dit Simmel, ne sert qu’à faire l’économie de la prise de conscience des vraies valeurs, en réduisant les valeurs qualitatives à des chiffres, des nombres, du quantitatif. Inodore, incolore, c’est un moyen qui est devenu une fin, qui plus est, à prétention salvatrice. Mais l’argent ne sauve de rien, au contraire : il n’a cessé de nous enfoncer dans la marchandisation de la vie, de toute vie à la surface de la planète, des biens tout autant que des êtres. L’argent n’a cessé de nous corrompre pour reprendre le vocabulaire des Lumières, faisant disparaître dans sa finalité les causes de toute chose. Au point que la question n’est plus de savoir quelle est la valeur de ces choses, mais combien elles coûtent. L’argent dans la culture moderne, écrivait Simmel en 1896, c’est ce que l’on pouvait redouter de plus vulgaire dans le processus d’acculturation de l’humanité : parce que l’argent n’a fait que sanctionner notre renoncement aux vérités, introduisant jusqu’au plus profond du processus de pensée la mécanique sournoise du mensonge et  de la propagande.

Psychologie de l’argent, Georg Simmel, éditions Allia, traduit de l’allemand par Alain Deneault, 78 pages, 7 euros, ean : 9791030410266.

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Walter Benjamin : le Droit est par essence une violence qui ne garantit que le Pouvoir.

25 Mars 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique, #essai, #essais

Max Weber avait tenté de légitimer la violence policière : dans un état de droit, seul l’état peut en disposer. Et avec lui, juristes et constitutionnalistes s’étaient précipités dans la brèche : les concepts de Droit et de Justice encadraient la violence d’état et la légitimaient. Une violence étatique qui appartenaient aux moyens, nous assuraient-ils, et non aux fins : pour restaurer un ordre menacé par exemple et donc en vue de fins «justes»... Benjamin reprit à nouveaux frais cette réflexion. La violence étatique est-elle morale, même en tant que moyen ? Est-elle légitime ?  Est-elle juste ? Approfondissant ses analyses, c’est dans la Terreur de 1793 qu’il trouva les racines d’une telle légitimation de la violence d’état, et dans les théories du Droit naturel, bâtissant une sorte de darwinisme mal digéré, qui ne voyait dans la violence qu’un critère de sélection naturel. Mais dans le Droit positif, le nôtre théoriquement, nulle part les philosophes ne sont parvenus à en justifier l’usage. La violence n’est que le résultat d’un développement historique. C’est cela que Walter Benjamin analyse. Quelle est la légitimité de l’usage de la violence étatique ? Cette violence peut-elle garantir le Droit ? La Justice ? Sa réponse est sans ambiguïté : non. Non, parce que le Droit lui-même n’a que faire de la Justice. Que sont les Lois ?  Prenant l’exemple du droit de grève, Benjamin nous aide à comprendre qu’il n’est que le résultat d’un rapport de force, une violence accordée aux salariés pour se soustraire à la violence patronale. Par la suite, les puissants virent bien l’intérêt d’un tel droit : éviter une violence plus terrible, celle de la révolte prolétarienne. Ne pas le reconnaître, c’est interdire tout espace de protestation et risquer bien pire : le renversement de l’ordre juridique. Car qu’est-ce que l’ordre juridique, sinon là encore le résultat d’un compromis. Ou d’une défaite. Ou d’une victoire si l’on veut. Le Droit n’est que cela, rien d’universel, il ne fait que sanctionner un état en suspension dans le vide, ce moment où la «paix» sociale a imposé un nouveau Droit. Dans notre situation historique, et cela crève les yeux désormais, la vraie fin du Droit français est la protection des puissants. Il faut le répéter et l’entendre : la paix sociale n’est que la reconnaissance d’un nouveau droit, d’un compromis. C’est la raison pour laquelle il ne peut y avoir de paix sociale en France : Macron est allé trop loin. La violence de rapine mise en place par Macron dévoile son but ultime : la protection des puissants. Une violence de rapine qui en appelle à la violence de la guerre contre la «violence» des Gilets Jaunes qui est, elle, fondatrice d’un nouveau droit. Et c’est parce qu’elle porte en germe les termes d’un Droit nouveau, démocratique, qu’elle constitue une menace essentielle. La soumission exigée des citoyens par la classe politico-médiatique n’a pour seule but que la conservation du Droit ancien, profondément inégalitaire et sans aucun fondement moral. Théoriquement, le droit positif, qui devrait être le nôtre, se devait de favoriser l’intérêt de l’humanité en chaque individu (Kant). Inutile de gloser : du combat pour la planète à celui d’une vie plus juste, il crève les yeux que le Droit français a pour seule origine la violence. Il y a quelque chose de pourri au royaume de France. C’est cette pourriture que les Gilets Jaunes ont débusquée. Mais pas simplement levée : les Gilets Jaunes n’anticipent pas un bouleversement futur : ils le réalisent ! Et c’est en cela qu’ils sont encore plus dangereux. L’économie néolibérale est dévoilée avec eux et partout elle révèle son visage de bête sauvage, folle de rage parce qu’on voudrait lui tourner le dos. La violence du Droit français a introduit dans nos vies une violence sans fin, instituant, pour le dire avec Benjamin, «comme Droit une fin qui, sous le nom de Pouvoir, n’est ni universelle, ni indépendante, ni délivrée de la violence mais lui demeure intimement et nécessairement liée ». La Justice française, mise à nue, n’a plus qu’une obsession : garantir le Pouvoir en place et uniquement ce Pouvoir. Non la Justice. Mettant à nue la vérité d’un énorme mensonge que Georges Sorel avait en son temps révélé : « Le Droit est le privilège des puissants. Sa tâche est de détruire toute menace, toute opposition ». Notre devoir est donc bien celle que dessine la conclusion de Benjamin : «c’est en dépassant le Pouvoir de l’état qu’on édifie un nouvel âge historique».

Pour une critique de la violence, Walter Benjamin, édition Allia, traduit de l’allemand par Antonin Wiser, mars 2019, 64 pages, 6,50 euros, ean : 9791030410532.

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Ratlines, Stuart Neville

22 Mars 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Ratlines : ces filières d’exfiltration des nazis qui traversaient tous les pays d’Europe, enjambaient les mers, offraient à l’Argentine les futurs cadres de ses répressions populaires. Partout au sortir de la guerre, la complaisance a régné, partout dans les «démocraties» occidentales, des bonnes volontés se sont mobilisées pour sauver les braves SS de Hitler. Au vrai pour mettre à l’abri une idéologie qui séduisait bien des politiques. L’Irlande n’y a pas coupé. Et ce sont ses heures sales et sombres que le roman raconte. Ces heures sales où l’IRA elle-même, au prétexte que l’Angleterre était l’ennemie, s’acoquinait avec les dignitaires nazis et qualifiait la guerre de 39-45 d’Emergency.

La baie de Galway. On est en 1963, la guerre est loin, mais sur le sol irlandais, les anciens nazis prospèrent. Un mystérieux commando s’en prend pourtant à ces fuyards pas même honteux. On en tue sur le sol irlandais quand ailleurs, comme en France, on leur fait des ponts d’or... Au point que le jeune Ministre de la Justice, aux dents aussi longues qu’il est lâche, s’en émeut. Il faut que cesse la chasse aux anciens nazis. Les médias ne doivent pas rouvrir cette page immonde de l’histoire du pays. D’autant qu’en 63, Kennedy a promis de passer par l’Irlande ! Combien au juste d’anciens nazis vivent cachés sur le sol irlandais, vaquant tranquillement à leurs affaires ? On n’en fera pas le compte. Trop sensible. Parmi ceux-là, le colonel Otto Skorzeny, celui qui a enlevé Mussolini sur l’ordre de Hitler. Un peu trop voyant, mais qu’il faut protéger… Ryan est chargé d’enquêter. Moins un flic qu’un agent secret : l’enquête ne doit pas faire de vagues. Jeune, peu enthousiaste à l’idée de  devoir protéger de pareilles crapules. Très vite filé par un mystérieux commando tandis qu’il est sur les traces de l’équipe justicière. Ryan remue la boue de cette Histoire. Celle de nationalistes franchement hostiles aux Alliés en 39-45 et qui ont conservé de leur hostilité une idéologie bien suspecte. Tout comme il est sur la piste d’anciens activistes fascistes français proches des nazis, eux aussi immigrés en Irlande. Skorzeny, autrichien passé à la SS, semble mener la danse en Irlande. Rien n’aurait donc changé ? De meurtres en assassinats, Ryan finit par tomber sur le Mossad, qui tente de mettre à jour le circuit financier de cette filière toujours active. Voire… On ne sait pas trop s’ils sont venus pour la bonne cause ou des raisons plus veules : s’emparer d’une sorte de trésor de guerre nazi.  C’est le fric et le Pouvoir qui mènent la danse. Le fric de la filière de financement des émigrés nazis à l’étranger. Ce fric qui circule partout dans le monde sous couvert de banques complaisantes. Stipendiées. C’est le circuit de l’argent, des banques aux églises, des églises aux politiques, des états aux états que l’on suit ici, au mépris des peuples qui ont souffert, des peuples qui souffrent, des peuples dont les sacrifices sont ignorés. Le fric qui est la vraie motivation des exécutions d’anciens nazis, par une bande de voleurs, non de justiciers. L’Europe est sombre, autant qu’elle l’était sous la férule de l’Allemagne nazie, mais badigeonnée au ripolin démocratique. Le sujet est fort, traité selon les conventions du polar toutefois, avec une intrigue qui en dévore pour beaucoup la substance, au point que j’ignore s’il est réussi ou non. On sent comment il se relance, comment l’intrigue, comment tel personnage, telle situation le portent. Comment l’auteur met par exemple dans les pattes de son héros, Ryan, cette midinette qui lui permettra de faire avancer l’action. Tout un art, certainement, mais par trop artificiel à mon sens : la forme au détriment du fond. Mais en même temps, il y a dans cette superficialité de la relance quelque chose de vulgaire qui va bien au traitement du fond : ce n’est qu’une affaire de gros sous au final… Cette morale génocidaire d’une société qui n’a cessé de prendre l’homme pour un moyen, non une fin.

Ratlines, Stuart Neville, Rivages/Noir, traduit de l’anglais (Irlande) par Fabienne Duvigneau, mais 2016, 444 pages, 9 euros, ean : 9782743636661.

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Que gagne-t-on à se former ? Enquête du Céreq

20 Mars 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Depuis 1990, la France a connu un essor global du niveau d’études et les salaires en début de carrière ont, dans leur ensemble, progressé. Pour tout le monde ? L’étude du Céreq modère les enthousiasmes. S’il reste vrai que globalement la poursuite d’études supérieures garantit l’accès à des salaires plus élevés, le critère de qualité de l’emploi ne semble plus aussi bien arrimé qu’il ne l’était autrefois au niveau d’étude. On assiste même à un effet de ciseau sur les salaires des diplômés. Certes ceux des grandes écoles s’en sortent toujours le mieux et voient même leur bonus s’accroître. Pour les autres, dans leur globalité, les générations étudiés ont vu leur salaire médian progresser de 75 euros… 75 euros seulement, en 20 ans, serions-nous tenté d’écrire ! Une légère augmentation qui en outre n’a pas concerné toutes les catégories de diplômés. Les évolutions n’ont pas été homogènes : les plus diplômés ont même enregistré un recul net de leur pouvoir d’achat, d’environ 220 euros sur ces 20 ans, particulièrement les M1, qui ont littéralement décroché, tandis que la hausse n’a profité qu’aux diplômes en deçà de la licence, et par compensation du retard pris à ces niveaux de rémunération… Evolutions inverses de pouvoir d’achat donc entre le haut et le bas de la hiérarchie des salaires, entre la génération 1992 et la génération 2010. La dégradation de la conjoncture économique et surtout celle du marché de l’emploi l’expliquent principalement. Rappelons le taux de chômage des jeunes français en 2013 : environ 25% ! Un chômage de masse qui a contribué largement à accroître le décalage entre la masse des diplômés et le volume d’emplois disponibles. Ajoutons également le fait que désormais, ce sont 44% des jeunes qui arrivent sur le marché du travail avec un diplôme d’étude supérieure en poche, contre 27% en 1990 ! Et qu’en outre la création salutaire des licences professionnelles depuis 1999, la mise en place du LMD en 2002, le développement de l’apprentissage dans le supérieur ont multiplié les opportunités de décrocher un diplôme de qualité pour des publics qui en étaient autrefois écartés. Il en ainsi résulté un déclassement pour les diplômés du supérieur, qui pèse aujourd’hui sur leur niveau de rémunération. Au final, cette montée en qualification suscitant des attentes légitimes chez les jeunes, risque fort de provoquer un solide sentiment d’amertume générationnelle : que gagne-t-on à se former ? Rien dans la France d’aujourd’hui semble-t-il, du moins pas grand-chose…

Que gagne-t-on à se former, Céreq, Bref n° 372, 1er trimestre 2013, Arnaud Dupray et Christophe Barret, issn 2553-5102.

www.cereq.fr

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Écorces vives, Alexandre Lenot

19 Mars 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Nous avons tout perdu. Autant fuir, s’en aller, déserter cette société sans issue que le capitalisme nous a fait, « vers le silence caché, dans l’illusion du monde »... Eli a filé. Quelque part dans le Cantal. Loin de tout donc. Il y vit un peu comme le dernier des hommes. Comme il y a eu un dernier léopard d’Egypte.

Dans une vieille ferme un feu se déclare. Le capitaine Laurentin en est saisi. Un feu dans les gorges de la Brune, c’est tout ce qu’il reste de l’humanité : l’incendie d’une ruine et l’image d’un homme des bois perdu dans le Cantal, avec à ses trousses un officier de police solitaire, qui n’a pas envie de jouer au flic de service. Non : reste le poids d’une région où il faut être né pour en comprendre les détours. Reste des personnages exilés dans cet espace inhospitalier qui bientôt va vouloir expulser tout ce qui lui est étranger, comme un corps le ferait d’une greffe qui ne doit pas prendre. Dont Louise, qui a atterri ici dans une sorte d’envol pourri hors du nid familial, après son échec au concours d’une école d’art. Ici, où personne ne va plus nulle part. Ici, le Grand Central, massif. Louise, Eli, Laurentin s’y sont égarés, plus qu’ils n’y sont installés. Par quel bout prendre la vie désormais ? Partout autour d’eux, des hameaux dépeuplés, le lourd silence abandonné. L’incendiaire est récupéré, soigné, caché. Lison vient d’enterrer son homme, il lui faut lui survivre à présent, là, dans ce pays relégué, en périphérie de tout. Qui est le sien pourtant. Eli, Andrew, Fiona… Des étrangers, le Cézallier au loin. Sans espoir, sinon de carte postale. Ce qui ne sert à rien ici, où le deuil règne en maître. Jamais déposé. Toujours renouvelé. Toujours renouvelable : l’incendiaire inquiète. Rassemble. Les pays s’organisent : un rôdeur hante le Cantal, menace ses us, ses coutumes. Le peu qu’il leur reste, ils ne veulent pas le voir s’effondrer. Laurentin reçoit un avis de recherche. Il y a un dossier à la préfecture sur Eli. Plus ou moins réfugié syrien. Une menace. Laurentin s’en fiche, tout comme il bat froid le préfet descendu à la hâte dans ces contrées perdues parce qu’un tag venait d’y apparaître : ACAB. Cela mérite battue, que l’on s’arme. On redoute une ZAD, on redoute des actes de survie : au sommet d’une colline, un ou des êtres humains n’ont-ils pas écrit : «APACHES»… La République prend peur, les pays prennent peur. Partout l’inquiétude gronde, s’arme de ces vieilles pétoires que l’on déterre de la guerre de 39-45. Assez pour s’entretuer. Une guerre se joue désormais. On se rappelle combien on se haïssait déjà, du temps des grands-parents, voire de plus loin encore. Premier roman instruit par une écriture superbe, où les femmes surgissent telles des figures de tragédies dans ce monde clos, géographie  au front bas dictant ses affres sans concession.

Alexandre Lenot, Ecorces vives, Actes Sud, collection Actes noirs, octobre 2018, 204 pages, ean : 9782330113766.

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Le cri des pauvres, Véronique Fayet

18 Mars 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique, #essai

L’entendez-vous cette clameur ? Celle des pauvres. Ces êtres en souffrance. Ni  «cassos», ni «RSA». Des êtres humains. Non des parias. Non des coupables. Non des malades. Non des paresseux : la manche, ça ne rapporte rien. Les êtres qui vivent dans la rue n’ont pas choisi d’y vivre : il n’y a aucun confort à vivre dans la rue. On y meurt même très vite en réalité. Les pauvres. Des millions. 14% de la population française. Et beaucoup d'autres basculent, qui survivent au SMIC. Le Secours Catholique observe même le cas d’enseignants vivants dans leur voiture… Ou ces retraités de plus en plus nombreux qui viennent mendier une soupe le soir, parce qu’ils ne peuvent plus faire face ! Véronique Fayet pointe du reste les modalités de calcul du seuil de pauvreté en France, que de plus en plus de professionnels dénoncent : tel qu’il est fixé, il n’est plus pertinent pour décrire cette paupérisation dans laquelle le pays s’enfonce. On assiste en fait à une vraie rupture historique dans notre histoire sociale, qui justifie la peur dans laquelle les classes moyennes vivent désormais, elles qui risquent, en effet, réellement, de basculer dans la pauvreté, comme en témoignent certains indicateurs, comme celui de l’état de santé des français, qui ne cesse de se dégrader. A terme, ce qui se joue n’est rien moins que l’avenir de notre démocratie, bousculée, rabotée, sacrifiée à l’ignoble. Depuis 2008, la grande misère n’a cessé de s’amplifier en France. Entendez-vous son exhortation ? Ce cri qui déjà se joint à celui de la planète, de la démocratie, insultée, bafouée, mise en péril par une poignée de nantis égoïstes. Il y a urgence en effet, et sur tellement de fronts !

Véronique Fayet, La révolution fraternelle –le cri des pauvres, éditions Indigènes, 1er trimestre 2019, 36 pages, 4 euros, ean : 9782375950760.

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