Frances E. Jensen, Le Cerveau adolescent
Frances E. Jensens est neurologue, spécialiste des études du cerveau. Elle a passé sa vie tout d’abord a étudié le cerveau des enfants en bas âge, puis celui des personnes âgées. Jusqu’au jour où, confrontée aux deux adolescents qu’elle avait à la maison, elle s’est sentie dépassée par leur comportement. Plongeant dans la bibliothèque des neurosciences de Harvard, elle s’est rendue compte qu’en fait le cerveau des adolescents n’était quasiment pas étudié. Jusque-là, les spécialistes des neurosciences partageaient le préjugé selon lequel, au fond, le cerveau des adolescents ne différait pas de celui des adultes. Elle décida alors de se jeter à corps perdu dans son étude. Pour découvrir que ce cerveau n’était en rien comparable au cerveau des autres âges de la vie. Ce qui le distingue ? Le cerveau humain semble se développer d’arrière en avant et du coup, les lobes frontaux sont les derniers à être mis en chantier, alors qu’ils sont le siège du jugement, de la décision, du contrôle de l’émotion. Soumis au bombardement hormonale de l’amygdale et de l’hippocampe, la fonction dite exécutive du cerveau humain n’a que peu de chance de n’être pas submergée jour après jour par ce déferlement d’émotions qui caractérise si bien le monde adolescent. Cela dit, si le câblage du cerveau humain est progressif et si celui de l’adolescent manque de matière blanche, il dispose à profusion de matière grise et, selon les termes des spécialistes de neuroscience, est ainsi configuré pour apprendre, disposant de capacités littéralement inouïes pour cela, des capacités dont plus jamais le cerveau humain, malgré sa plasticité, ne disposera ! L’adolescent connaît en quelque sorte l’âge d’or du cerveau humain, de quoi se convaincre de l’aider à mieux disposer d’une telle félicité. L’étude de Frances Jensen est donc suivie de conseils à l’égard des décideurs qui ont en charge leur éducation et d’informations pratiques, voire d’un guide de survie à l’attention des parents d’adolescents, tout ce qu’il y a de plus réjouissant. Elle y revient bien sûr sur la question sensible du sommeil, de l’exposition aux écrans, mais insiste surtout sur le problème du stress, dans un contexte sociétal qui ne cesse de le renforcer, au risque de porter préjudice au processus de maturation du cerveau. Car toutes les études désormais le montrent : dans cette maturation du cerveau adolescent, l’environnement est de loin le facteur le plus déterminant. Or de ce point de vue, la responsabilité des politiques est immense. Frances Jensen milite ainsi depuis pour que l’école soit réformée, ce dont elle a pu convaincre une ville américaine, où les résultats ont engrangé de spectaculaires progrès. Pour le reste, en France par exemple, on attendra vraisemblablement les calendes pour qu’une réflexion de fond s’organise sur ces questions…
Le cerveau adolescent, Frances E. Jensen en collaboration avec Amy Ellis Natt, traduit de l’américain par Isabelle Crouzet, J.C. Lattès, mai 2016, 346 p., 20 euros, ean : 9782709650403
Céline Alvarez, Les Lois naturelles de l’enfant
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Je ne sais trop que penser de la démarche. Céline Alvarez a voulu expérimenter une autre manière d’enseigner. Comme des milliers de professeurs aujourd’hui en France, peu satisfaits des conditions d’exercice du métier qu’on leur propose, tout comme de la philosophie même de l’instruction publique telle qu’énoncée dans les directives ministérielles. Avec cette différence que ces derniers se sont embarqués dans une aventure au long cours, quand Céline Alvarez s’est… contentée dirions-nous, de vérifier sur un très court terme la validité de ses hypothèses pour en faire un best-seller et se retirer aussitôt du système éducatif. C’est-à-dire qu’elle n’en a pas fait un métier, encore moins une vocation. Tout juste un coup de théâtre. De semonce pour les uns, de pub pour les autres. Un coup de gueule donc, si l’on veut, qui n’enlève certes rien au contenu qu’elle nous livre, pour une grande part inspiré de ce qui se pratique ici et là sur le terrain loin des feux de la rampe, et des grandes recherches de sciences cognitives initiées un peu partout dans le monde, ici plus particulièrement en référence à celles du Center of the developing child de Harvard. On a ainsi comme une récapitulation de ce qui se dit et se fait, présentée par la presse comme un événement singulier dont le mérite reposerait tout entier dans l’engagement d’une personne, notre héroïne, Céline Alvarez… Une expérience, non un usage donc. Un événement limité dans le temps et l’espace quand en réalité, des milliers d’enseignant s’y adonnent jour après jour, contre leur hiérarchie et contre la surdité d’une époque peu amène en réflexions constructives.
Sur le fond, on ne sera pas surpris. D’autres ont dénoncé, depuis beau temps, les défaillances du système français, du reste pointées d’année en année par le Ministère de l’Education Nationale lui-même, à la sortie de la primaire par exemple : 300 000 élèves en difficultés au moment d’aborder la sixième… Dont 40% d’entre eux plombés par de graves difficultés. Déploration vaine ou hypocrite d’institutions qui se contentent d’en dresser la carte sans parvenir à endiguer la catastrophe. Pourquoi une telle tragédie ? Laissons de côté la bêtise d’administrateurs plus préoccupés par leur carrière que du terrain. Aux yeux de Céline Alvarez, c’est d’abord parce qu’il s’agit d’un système construit sur des valeurs, non des relations. Sur des principes, non sur des êtres. Des principes qui en outre méconnaissent les lois «naturelles» de l’apprentissage, plongeant par cette ignorance la plupart des enfants dans des situations d’inquiétude, de stress, voire de souffrances graves et in fine, d’échec. Le constat n’est pas nouveau. Sans doute a-t-elle le mérite de le rappeler. Tout comme d’affirmer qu’au fond, cette ignorance ministérielle est construite et que cette école française qui s’est fondée sur la prétention à former des êtres libres, d’une manière très piquante, a soumis l’apprentissage de la liberté à l’obligation de docilité que le fonctionnement de la classe française exige… L’école française est ainsi essentiellement brutale, de cette brutalité qui partout façonne le vivre ensemble à la française. Que dire en outre d’un système pointé cette année encore par l’OCDE comme le plus inégalitaire des pays dits développés ?
Céline Alvarez s’est donc résolue à refuser d’apporter sa pierre à un tel édifice. Elle a passé son concours et s’est vue nommée dans une ZEP sans contrôle, à Genevilliers. Un lieu perdu aux yeux de son administration, sans enjeux politiques pour l’inspection générale qui l’a donc laissée faire à peu près ce qu’elle voulait. Perdu pour perdu, on ne risquait plus grand-chose… Une aubaine donc, puisque carte blanche lui était offerte. Et ce qu’elle a expérimenté tient au fond en deux mots : reliance sociale. Que les enfants apprennent à se relier, en développant d’abord leurs compétences non cognitives : la coopération, l’entraide, l’empathie. Des dynamismes qui favoriseront l’émergence des compétences dites exécutives : la mémoire de travail, le contrôle inhibiteur, la flexibilité cognitive, qui sont les trois compétences fondamentales à développer dans le processus d’apprentissage et sans lesquels aucun instruction n’est possible. En gros, la meilleure manière d’aider nos enfants à acquérir des savoirs scolaires, c’est de ne pas se focaliser sur l’enseignement de ces savoirs, mais de faciliter le développement des compétences excécutives qui permettront aux enfants de conquérir par eux-mêmes efficacement ces savoirs. Pour cela il faut donc s’appuyer sur le cercle vertueux de la gratification intérieure, plutôt qu’extérieure –les fameuses carottes de l’éducation répressive… Et bien évidemment, il fallait repenser l’espace architectural de la classe, privilégier la vigilance linguistique qui est dans les petites classes le moyen le plus sûr d’aider à développer une pensée complexe, riche, structurée, apte à soutenir le développement des fonctions cognitives, et accorder la priorité à l’apprentissage sensoriel : apprendre, c’est faire et non se contenter d’écouter. D’où la prégnance des interactions humaines, ce en quoi elle qualifie cette pédagogie de naturelle : l’enfant, guidé par l’adulte, explore par lui-même, l’erreur comme la vérité. Guidé par l’adulte : c’est dire que sans cette foi en l’élève que l’adulte manifeste, cette foi qui porte l’enfant au-delà de lui-même, rien ne peut arriver. Au fond, éduquer c’est, comme l’affirmait Montaigne, allumer des feux, accompagner l’enfant dans son travail de création.
Trois années durant. Fin 2014, pour des raisons obscures, le Ministère mettait fin à l’expérience -sans doute entre autres parce que la démarche s’appuyait aussi sur des collaborations scientifiques prestigieuses. Céline Alvarez démissionnait en juillet 2014, bouclait son livre, allumant peut-être un contre-feu dont on espère qu’il sera durable, ou plutôt qu’il donnera l’envie au vaste public qu’il a touché de se mettre à l’écoute de ces résistances pédagogiques qui partout en France illuminent bien des écoles et d’en être solidaire !
Céline Alvarez, Les Lois naturelles de l’enfant, éditions Les Arènes, sept. 2016, 454 pages, 22 euros, ean : 9782352045502
L’école française, républicaine vs démocratique ?
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La revue du site Question de classe(s) s’interroge dans son numéro 6 sur le système scolaire français que l’OCDE vient d’épingler (rapport de septembre 2016) comme le plus inégalitaire des pays développés. Alors, républicain ou démocratique, ce système ? L’un ou l’autre donc, pas les deux à la fois. Non sans documenter notre réflexion sur cette construction de l’intelligence faite en réalité dans notre beau pays pour écraser les uns et protéger une poignée d’autres, enfants issus des classes riches. Une construction inepte donc, inique, cynique, où l’on éduque pour exclure, où l’on exhausse une élite dont la médiocrité patente ne cesse jour après jour d’éclater au grand jour. Eduquer sans exclure, telle aurait dû être la devise d’une démocratie sereine, au lieu de quoi la République nous sert son anxiété dévastatrice, à redouter de voir ses privilèges se dissoudre dans la masse.
Dressons le bilan : la rénovation du collège a échoué. La rénovation du lycée a échoué. La rénovation du supérieur a échoué. L’enfant n’est toujours pas au cœur de ce système hypocritement inégalitaire et reste, dans l’esprit de nos ministres, un être qu’il faut corriger, redresser, fidèles qu’ils sont à la conception qu’un Bossuet se faisait déjà de l’éducation, filée dans sa fameuse métaphore du bosquet, plus portée à surveiller et punir qu’à encourager et guider. Un système d’une amoralité écœurante, qui ne cesse de faire croire que seul le mérite en est le critère fondateur, alors que toutes les études sur la question montrent que réussites et échecs scolaires ne sont que des constructions sociales.
Le numéro est passionnant d’un bout à l’autre, qui ne cesse de nous interpeller sur nos attentes en matière d’école. Captivant de tant savoir poser les bonnes questions, tout comme il inquiète de pointer à ce point le manque total d’ambition du débat publique, nous révélant à vrai dire combien la question du Bien Commun a disparu de cette société sans Histoire, au sens où un Marc Bloch entendait l’Histoire comme la dimension du sens que nous voudrions être. De fait, au-delà de toutes les volontés affichées, il ne resterait qu’un immense renoncement en partage, qui nous commanderait de reformuler ainsi la question du sens de l’école dans une telle société : « A quoi bon une pédagogie émancipatrice dans un monde réactionnaire ? A quoi bon créer ici et là des temps et des îlots d’épanouissement et de créativité sociale, au milieu d’un rapport de force défavorable ? Pourquoi s’obstiner, alors que tout indique que chaque tentative sera écrasée, que chaque avancée sera stoppée, que chaque réussite sera isolée ? »
L’école française est tellement à l’image de l’idéologie républicaine actuelle : un instrument d’exclusion ! Elle n’est plus désormais, sous gouvernance socialiste, qu’une école de l’ordre, de la hiérarchie sociale et du nationalisme. Il y a, sur ce dernier point, des analyses fascinantes dans ce numéro. De celles qui vous jettent à terre quant à ce qu’elles révèlent de cette école qui ne sait que faire des enfants issus de l’immigration, tout comme elle n’a su que faire des enfants d’ouvriers. Une école dont seule une image vieillotte de l’identité française en constitue l’horizon. Enseignement néo-colonial ? Laurence de Cock le démontre magistralement à travers l’étude de l’apprentissage du fait colonial dans les manuels scolaires, l’instruction publique s’étant mêlée dès ses origines d’en prescrire l’usage, pour bien évidemment louer la grandeur de la République tout d’abord, apportant la civilisation aux peuplades primitives… Et s’il y eut bien, certes, après la seconde guerre mondiale le frémissement des pensées antiracistes et tiers-mondistes pour faire entendre un autre son de cloche, timidement ouvert à l’idée de tolérance à l’égard des cultures étrangères, cette parenthèse se referma bien vite, dès les 1980, sous l’égide d’un Chevènement vouant aux gémonies la lecture culturaliste de sa chère civilisation coloniale, pour se couvrir les yeux de peaux de saucissons et ne surtout pas avoir à reconnaître qu’en fait, l’altérité culturelle passait depuis des lustres dans l’identité même de la France. Depuis Chevènement, le discours nationalo-républicain n’a cessé de croître, entraînant dans son sillage tout un courant de pensée réac-publicain qui, de renoncement en ralliement (au néolibéralisme) a fini par clôturer l’école de la république entre ordre social et crispations identitaires, au nom de son mot d’ordre chétif : « civiliser le social », qui nous vaut aujourd’hui de voir le droit de manifester mis en cage.
N’autre école, Questions de classe(s), n°6, printemps 2016, issn : 2491-2697, ean 9782918059806
Calais, toute cette honte française qu’il reste à boire !
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En février 2016, les éditions Actes Sud publiait un petit opuscule pour alerter et secourir en même temps (les bénéfices de la vente de l’ouvrage étant redistribués aux associations en charge du problème) les migrants de Calais. Fin 2015, la Jungle de Calais en comptait près de 6 000, contraints de vivre dans des conditions si invraisemblables, que le Conseil d’Etat lui-même avait fini par condamner le gouvernement Valls, coupable d’exposer les migrants à des «traitements inhumains ou dégradants». Qu’on en juge par soi-même : la seule réponse apportée avait été de faire livrer 25 containers capables d’accueillir chacun 12 personnes, soit un espace vital réduit à 1,16m2 par personne, alors que de nombreuses familles avec enfants attendaient désespérément un logement décent. Pire : le gouvernement avait juste construit un camp clos par des barbelés et encerclé par les CRS, qui ne comprenait que 80 toilettes pour 6 000 personnes, pas de douches, pas de cuisines, juste quelques robinets, pas d’enlèvement des ordures, tandis que la société Eurotunnel inondait une partie de ses sites pour dissuader les migrants de rallier l’Angleterre. Partout les ONG déploraient que l’eau stagnait, que les rats pullulaient, qu’il n’existait aucune hygiène, qu’il était impossible de se laver, de laver son linge ou de le faire sécher pour les plus débrouillards. Et quant à l’intérieur du camp, il était livré purement et simplement à la barbarie d’hommes abandonnés à eux-mêmes et aux maffias locales ! Imaginez : en janvier 2016, le gouvernement n’avait trouvé comme seule autre solution que de disperser les réfugiés. Il n’en restait plus que 2000. Aujourd’hui, la Jungle de Calais compte plus de 10 000 réfugiés ! Qui vivent dans les mêmes conditions dégradantes. Il y a trois jours, de violents affrontements les ont opposés aux forces de l’ordre, qui n’hésitent pas à gazer tout le camp où vivent pourtant de très nombreux enfants et se contentent de maintenir un check point aux deux accès, sans se préoccuper de ce qui se passe à l’intérieur. Or, on ne compte pas les mineurs isolés qui survivent là, dans la troisième plus grande ville de la région ! Que penser de cette infamie, sinon qu’il y a, et massivement encore, une vraie mise en danger de populations déjà traumatisées par les guerres qu’elles ont été contraintes de fuir ? 10 000 personnes, une goutte d’eau rapporté à la population française, et pour lesquelles on se refuse à trouver une solution simplement digne ! On ne nous fera pas croire que l’état français ne peut assumer cette charge, qu’il n’assume du reste pas, puisque ce sont des bénévoles qui s’en chargent ! Un état qui s’est, soit dit en passant, engagé auprès de l’UE et du Haut Commissariat aux Réfugiés à accueillir 30 000 réfugiés d’ici 2017, et qui jusque-là n’en a accueillis que… 1000 ! Un état qui s’est engagé à «récupérer» des centres d’enregistrements italiens et grecs 2375 réfugiés, et qui n’en a accueillis que 169 ! Ce serait une honte, si l’abjection n’était en réalité le vrai terme de cette position !
Bienvenue à Calais, Marie-Françoise Colombani, Damien Roudeau, Actes Sud, février 2016, ean : 9782330062569.
SEJOURS A L'ETRANGER EN COURS D'ETUDES
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Le Conseil de l’UE ne cesse de prôner le développement des séjours étudiants à l’étranger comme facteur d’une bonne intégration professionnelle. L’étude du Céreq (Centre d’études et de Recherches sur les Qualifications) fait le point sur cette ambition : la mobilité à l’étranger des apprenants constitue-t-elle réellement « un important moyen de renforcer la capacité d’adaptation des personnes » ? L’enquête Génération 2010 évalue donc l’effet de ces séjours en cours de scolarité, du point de vue de leur impact sur l’insertion des jeunes. Elle montre d’abord leur importante diversité, une diversité qui laisse apparaître de grandes inégalités : les séjours les plus performants et les plus longs, les plus coûteux donc, ne concernent presque exclusivement que les jeunes issus d’un milieu social favorisé. Mais pour relativiser aussitôt leur impact sur les trajectoires d’entrée dans la vie active : car si les parcours étudiés bénéficient d’une meilleure insertion, c’est en fait d’abord parce qu’ils sont issus des formations les plus performantes. Les mobilités, dont les plus « compétitives » là encore –celles des grandes écoles de commerce par exemple, ou d’ingénieurs-, sont en fait clairement confisquées par les « élites » étudiantes. Elles ne font que reproduire les inégalités d’un système dont l’horizon demeure borné à celui des origines sociales : seuls 6% des enfants d’ouvriers ont pu en bénéficier. Quant aux effets sur l’insertion professionnelle en France, ils demeurent en fait limités au regard de cette étude. Seuls quelques conséquences significatives, mais de faible ampleur, sont visibles sur le taux de cadres en 2013 ainsi que sur leur niveau de rémunération à cette date. Pour le reste, l’insertion repose toujours, en France, sur les conditions sociales de départ. L’essentiel est donné d’emblée par la classe sociale d’origine, un séjour à l’étranger ne parvient qu’à la marge à rivaliser avec cette condition de départ… En outre, paradoxalement, ces séjours conçus trop souvent en fin de parcours universitaires, limitent les opportunités d’embauche auprès des employeurs français –du moins pour ceux qui ne sortent pas de filières « élitistes ». Les vrais effets importants concernent en fait les séjours lors des parcours professionnels.
Bref du Céreq, n°348, juillet/août 2016. Issn 2116-6110. www.cereq.fr
Michel Rocard, des malentendus du PSU au grand virage à Droite…
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Dans ce long entretien accordé à Claude Imbert en 2014, Michel Rocard révélait qu’au fond, il avait toujours était plus à droite qu’on ne le croyait et qu’il aurait aimé que la Gauche socialiste prenne avec lui, bien plus radicalement qu’elle ne s’y adonnait pourtant déjà avec Mitterrand, ce grand virage à droite qu’il lui rêvait. Un grand virage dont il aura été l’artisan résolu, et ce dès la création du PSU et malgré les malentendus qui entourèrent cette création : classé à l’extrême gauche de l’échiquier politique français parce qu’il s’opposait à la Guerre d’Algérie, le PSU n’était en fait qu’un parti de scission, qui tentait d’actualiser les thèses socialistes des années 46 pour convertir les socialistes aux lois du Marché. La confusion, certes, lui permit de grossir très vite ses rangs en recrutant principalement des chrétiens de gauche dont les exigences sociales poussaient constamment les cadres du Parti plus à gauche qu’ils ne le souhaitaient. C’était la grande époque de la CFDT, qui a fini elle aussi par devenir le syndicat réactionnaire que l’on connaît aujourd’hui. Car en réalité les cadres du PSU étaient plutôt, à l’instar de Rocard lui-même, proches d’un idéologue américain comme James Burnham, lui-même artisan de la conspiration mise en place par les américains au sortir de la guerre de 39-45 pour convertir l’Europe au libéralisme. Reste qu’à décrypter pareille confusion, Rocard passionne de si bien dessiner le paysage politique français depuis une bonne cinquantaine d’années, à travers par exemple les relations qu’il entretint avec François Mitterrand, si méfiant à son égard, abandonnant dès son accession au pouvoir l’hypocrisie d’un pseudo discours de Gauche pour faire semblant de se convertir aux pseudos contraintes du Marché. On retiendra du portrait de Mitterrand qu’il nous dresse la juste compréhension de son jacobinisme : cette volonté de tout ramener au politique et à la décision gouvernementale, sans jamais croire au dialogue social. Nous en sommes plus que jamais là avec Hollande et Valls, en un sens, oui, digne héritier de Rocard, de ce qu’il y avait de plus contestable en Rocard, son calcul politique, lui qui demeura longtemps au PSU tout simplement pour ne pas s’isoler dans ce marché de la fausse gauche qui se montrait de plus en plus concurrentiel. Aux yeux de Mitterrand nous dit Rocard, le dialogue social n’avait pas de sens. Seul le champ parlementaire comptait. Calculs, tactiques politiciennes, on connaît ces dérives qui nous ont tant coûté, provoquant aujourd’hui le déficit démocratique que l’on sait. Dans ce passage à droite, Rocard aura tenté, affirme-t-il, de maintenir quelque chose de cette longue tradition chrétienne de gauche échouée désormais, soucieuse du dialogue social, de légalité républicaine et des institutions de la République, les meilleurs outils de gouvernance à son sens, on croit rêver ! Mais certes, il n’a pas tort d’affirmer que Matignon, au sein de ce dispositif constitutionnel, s’est avéré être un vrai centre de pouvoir. Lui qui, tant et tant de fois eut recours au 49.3, sait de quoi il parle… On découvre du reste un Rocard peu critique de la présidence Sarkozy, et in fine très attaché à cette Vème défaillante, crispée, arrogante et autoritaire qu’il ne songeait surtout pas à réformer. De son regard sur le monde d’aujourd’hui, seule une idée forte transparaît : celle de l’issue «verte» pour seule dynamique mondiale. Notre monde, Rocard le voit engagé dans une course contre la montre tant les menaces, principalement écologiques, se sont accumulées, imprévisibles, irréversibles, fomentant partout leur effet de seuil. Aucune nation ne pouvant par essence apporter de réponse, la vraie idée forte de cet entretien c’est au fond le sentiment que seule une gouvernance mondiale pourrait nous sauver et qu’il nous faut en conséquence dépasser le cadre des souverainetés nationales. Loin des identités chétives, ouvrir en grand un débat neuf sur le sens du devenir humain. Mais là, les bras nous entombent : Rocard, dans cet entretien, affirme que c'est le levier sécuritaire qu’il nous faut travailler pour y parvenir, celui-là même qui partout dans le monde est en train de refermer sur les peuples son horizon funeste ! Sécurité climatique, financière, alimentaire, identitaire, nous avons besoin, selon lui, de construire les instruments autoritaires qui «permettront aux hommes de vivre demain»... Du moins, comme des esclaves… Nous y sommes presque : Valls réalise son rêve…
MICHEL ROCARD, Une Histoire du XXème siècle, entretiens avec Claude Imbert, FREMEAUX & ASSOCIES, PRODUCTION : CLAUDE COLOMBINI FRÉMEAUX , ÉDITORIALISATION : LOLA CAUL-FUTY , Nombre de CD : 4, isbn : 3448960543125.
Bastille, la victoire fielleuse de Valls
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Tout était honteux hier à Bastille, hormis l’intervention de Nuit Debout, sur laquelle je reviendrai. Le dispositif policier tout d’abord, sur-dimensionné cette fois. Dès 10h du matin, les bus contournaient Bastille, voire tous les quartiers limitrophes. Le 87 par exemple, que j’ai emprunté et qui descendait de Saint-Germain, nous a déposé à la hauteur du marché Mutualité. A pied, on pouvait croiser dès le quai des Célestins, un peu avant le quartier Saint-Paul, des escadrons de CRS qui stationnaient en réserve. Le Boulevard Henry IV était fermé à la circulation. 2 escadrons de CRS, 2 escadrons de Gardes Mobiles y stationnaient, ainsi qu’une noria invraisemblable de camions de grilles anti-émeutes. Toutes les rues adjacentes à Bastille peu à peu se verrouillaient. Dès 11h des check points étaient opérationnels. Les CRS, Gardes Mobiles, et autres CDI se voyaient distribuer leurs gazeuses, individuelles ou familiales, leurs boucliers, leurs grenades. Rations généreuses. J’ai tenté de faire le tour de ce dispositif choquant. Un escadron de chiens d’assaut prenait position dans une petite rue discrète, le canon à eau arrivait. Dès 11h30, la plupart des check points autour de Bastille étaient en place. Valls venait de rétablir les frontières : impossible à présent d’accéder à la place sans passer par une fouille humiliante. Quiconque portait sur lui une écharpe ou un casque devait choisir : la ou le laisser au poste frontière, ou se voir interdire l’accès à la Place… Les CRS négociaient le plus grand vestiaire de leur histoire… Mais quiconque tentait de passer avec un masque ou du liquide physiologique se voyait arrêter, menotté, embarqué ! Une centaine d’arrestations arbitraires ont ainsi été effectuées par les forces de l’ordre, dont ce postier, dont la vidéo circule sur les réseaux sociaux, menotté et emprisonné parce qu’il avait dans son sac des lunettes de soleil «non-conformes»… J’ai vu des jeunes gens poussés derrière les camions de la police, rue de la Roquette, contraints de se mettre en slip. Boulevard Richard Lenoir, les flux ininterrompus de manifestants devaient patienter au bon vouloir d’agents plus ou moins zélés. Car l’ensemble était brouillon, sans ordre bien établi : ici on passait avec drapeaux et sacs à dos, là, niet. Rue Saint-Antoine, 30 militants CGT se sont vus refuser l’accès à la place au prétexte qu’ils arboraient des drapeaux... Devant l’agacement du groupe et le rassemblement des mécontents de l’autre côté de la frontière, un adjudant responsable de la position a fini par laissé passer tout le monde sans fouille, tandis qu’une rue plus loin une jeune femme se voyait refoulée parce qu’elle refusait de se soumettre à une palpation… Curieuse ambiance du coup, des flics partout, la BAC parano qui errait parmi les manifestants en traque de profils «louches»… 3 jeunes porteurs de sacs à dos furent ainsi pris en chasse, tout près de la tête de manif qui se mettait en place. Pour rien : leurs sacs vidés, il ne restait sur le trottoir que des mouchoirs en papier et quelques livres séditieux à leur reprocher.
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Drôle d’ambiance, celui d’un drôle de siège, avec ses flics paranos et de très nombreux autres, soulagés : ça allait être une partie de plaisir finalement, cette foule docile, qui arrivait en flot continue, du moins ceux qui parvenaient à passer les barrages, innombrables à présent –jusqu’à quatre dans certaines rues ! En tête de cortège, une ligne de flics et les S.O. de la CGT et de F.O. qui tenaient gentiment leur fil anti-débordement par la main. Martinez en guest star, assailli par une foule de journaliste, le leader de FO derrière, moins sollicité et puis les inévitables voitures-ballons des fédérations. Les syndicats renouaient avec leur vieille tradition inoffensive du ballon-merguez. Et tout ce petit monde s’est mis en branle pour filer la parade accordée par Valls. Tandis que des milliers de manifestants ne parvenaient pas à rallier la place. Le tour s’annonçait pitoyable. Drôle d’ambiance : au fond, personne n’était dupe. On marchait sans guère de conviction. Les refoulés de Bastille s’en allaient, eux, porter ailleurs leur colère. Par téléphone, on apprenait que ça pétait à garde de Lyon. Devant le palais Brognard aussi. Mais il y avait tellement de policiers ce jour-là dans Paris que les escarmouches étaient vite neutralisées. Partout du reste, en dehors de Bastille, la police semait l’embûche de ses barrières anti-émeutes. Le cortège, funèbre, avançait donc son pas de sénateur quand enfin la journée s’anima un peu. Nuit Debout débarquait, prenant la manif en sens inverse. «Chef, ils défilent dans le mauvais sens, on fait quoi ?» Panique des casques bleus. Le temps qu’ils tergiversent, on a bien parcouru une centaine de mètres derrière la fanfare de Nuit debout, ralliée par une foule de manifestants que le défilé à la Valls ne séduisait guère. Puis les renforts en bleu sont arrivés. «Faut tourner dans le bons sens»… Le ridicule ne tue plus… Les discussions s’engagent avec la première ligne : «ça vous fait quoi d’obéir à des ordres imbéciles ?», tandis qu’au fond du Boulevard Bastille, la tête du cortège arrive… Mais les ordres sont les ordres : il faut tourner dans le bon sens, c’est Valls qui le veut… Les gamins en arme de la première ligne lèvent les yeux au ciel. Des ordres crétins, en effet… Pas les premiers, pas les derniers… Lorsque la tête du cortège arrive à moins de cent mètres, l’ordre de repli est donné, dans une belle pagaille… La fanfare de Nuit Debout accompagne la déroute des forces de l’ordre. Nous avançons à la rencontre du cortège, dont nous sommes la queue. Le service d’ordre de FO, agacé, tente le coup de poing. C’est que Nuit Debout n’a pas respecté leur préséance. Les syndicats ont bien ré-endossés eux aussi leurs uniformes. Du moins les appareils, calculateurs, susceptibles quant à l’Ordre politique de la société civile. Et l’on comprend cette réaction : en tournant dans le mauvais sens, Nuit Debout leur révélait l’inanité d’un tel cortège ballon-merguez.
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Curieuse ambiance. Qui laisse un fort goût d’amertume. Sitôt la boucle bouclée, FO décidait la dispersion de la manif. 55 minutes de marche, en rond. «On fait quoi maintenant ?». Partout des citoyens dépités. La CGT emboîta le pas. Le canon à eau se positionnait, les flics mettaient leurs casques. Un goût de défaite. La CGT a accepté l’humiliation proposée par Valls, qui en sort victorieux, quand bien même cette fois encore le décompte de la préfecture aura été lamentable. Nous étions 60 000, dans un cirque à ciel ouvert, à tourner comme des bourriques pour la plupart, dans ce bon sens de marche décrété par Valls. Une petite heure de déambulation. Restaient les autonomes, peu enclins à satisfaire cette vilenie. Ils sont allés faire la fête au siège de la CFDT, la centrale supplétive de l’ordre vallsien. On comprend. Reste la propagande, le coup de force des médias, le coup de force du gouvernement, pour jeter les forces innombrables de la contestation sociale dans le plus grand désarroi. Reste la montée en puissance de la violence dans l’espace théoriquement pacifié qui aurait dû être celui des démocraties, qui signe l’échec des conceptions démocratiques de l’autorité souveraine : le Souverain, en France, n’est plus le Peuple, ni la Nation, mais l’Etat. Et sa violence n’est que l’expression d’une violence privée : celle de la ligue au Pouvoir.
Petra scandali – la pierre de scandale (à Balkany et aux Républicains)
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Malgré ses casseroles, les républicains ont décidé d'investir Patrick Balkany pour les prochaines législatives... Ce matin, un chroniqueur de Rance Inter s'en prenait aux électeurs de Levallois : après tout, si l'on en arrivait là, c'était bien de leur faute et leur refus de sanctionner Balkany les élisait au partage du "tous pourris", en omettant de dire que Levallois était une banlieue riche et que les abstentions, élevées, y sanctionnaient une farce d'année en année consommée...
Toute honte bue (mais rassurez-vous, il en reste toujours à boire dans cette Vème Ripoublique abjecte), le jeu politique must go on... C'est pas demain la veille, pour le dire familièrement, que l'on verra ce jeu se casser brusquement le nez sur un mur de honte. Ces temps de misère politique absolue nous feraient presque regretter ceux de la Rome antique... A Rome il y avait une pierre dressée devant le principal port du Capitole, sur laquelle pouvaient venir s’asseoir les banqueroutiers. Ils devaient alors remettre tous leurs actifs à leurs créanciers et crier trois fois Cedo Bona (je cède mes biens) avant de frapper trois fois la pierre de scandale, fesses nues. Après quoi, il n’était plus possible de poursuivre les débiteurs qui s’étaient livrés à ce rituel humiliant. Mais ils perdaient dès lors toute crédibilité dans la ville, et aucun tribunal ne recevait plus leurs plaintes. Sort peu enviable, mais à tout prendre plus enviable que celui qui frappait auparavant ces mêmes banqueroutiers : la Loi romaine autorisait alors les créanciers à tuer et couper en morceaux leurs débiteurs, ou les vendre comme esclaves pour récupérer leur argent. Dès le premier siècle Apr. J.-C. leur punition fut donc cette vente des biens à nu, les fesses posées sur une pierre de scandale. A la Renaissance cette peine resurgit à l’encontre des commerçants qui ne respectaient pas leurs engagements. La pierre était généralement dressée dans la Loggia dei Mercanti, sculptée en deux teintes de marbre, blanc et vert. Par la suite on y enchaîna les condamnés, pantalon troussé sur les chevilles, pour recevoir en public leur fessée. On utilisa enfin ces mêmes pierres pour exposer les corps des suppliciés. Puis elles furent révoquées et on érigea curieusement des pierres un peu semblables pour les discours des orateurs publics... Curieuse destinée de l’art oratoire… Tout comme des expressions qui enveloppèrent ces pierres de scandale : de l'ancien supplice romain évoqué plus haut semble venir l’expression "être la cause du scandale". Les linguistes ne sont toutefois pas tous d’accord sur cette origine judiciaire. Selon certains, l'expression ne découlerait pas tant du droit romain que des textes de l'Évangile selon saint Jean, dans ce passage où il raconte la lapidation d'une femme adultère. Une histoire de pierre, là encore… Pour d’autres, l’analyse attentive des lois romaines et de la langue parlée permet de mieux situer l'origine de l'expression. Ce qui est certain c’est qu’à l’époque où trônait cette pierre de scandale dans le port de Rome, Jean n’avais pas écrit son évangile. Du nom de cette pierre de scandale naîtra l’expression Lapis offensionis – puis Lapis offendiculi, sous la plume de Tertullien qui deviendra notre pierre d’achoppement… Là où l'éthique achoppe, en politique... Imaginez Balkany, les fesses posées sur une pierre de scandale. Hélas, il n'y aurait pas assez de pierre de scandale pour les asseoir tous, nos chers politiques et autres Lafarge...
Loi Travail, le 18 Brumaire de Valls
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Voici que le Premier Ministre exige de la CGT qu’elle renonce à notre manif jeudi… Cazeneuve lui emboîtant le pas pour adjurer, lui, que la manif soit «statique»… Tout cela au prétexte fallacieux que la République ne pourrait assurer ni la sécurité des manifestants, ni celle des riverains… A en croire Cazeneuve, même, des groupuscules néo-fascistes seraient prêts à faire le coup de poing. Et sa police ne saurait les arrêter ! Qu’on réalise un peu ce que cela veut dire : la police française, placée en état d’urgence, serait incapable d’assurer l’ordre public… Elle ne pourrait pas même nasser une poignée de fachos, elle qui sait si bien tabasser les opposants à la Loi Travail… Comment dans ces conditions pourrait-elle nous protéger de la menace terroriste ? Qu’on réalise un peu ce que cela donne aussi à entendre : des groupes paramilitaires néo-nazis, identifiés, pourraient en toute liberté envahir, jeudi, les rues de Paris ! C’est comme de nous dire que l’Ordre souhaité en France se réalisera avec la complicité de supplétifs fascistes…
Mais il y a pire : pour la première fois en France, un gouvernement somme la première centrale syndicale du pays de renoncer à l’exercice du droit républicain de manifestation ! Pour la première fois dans ce pays, un gouvernement voudrait museler toute opposition à sa politique !
Et cela bien que l’immense majorité des français se soit prononcée à de nombreuses reprises contre cette Loi inique ! Et cela alors même que la représentation syndicale voit ses rangs grossir de jour en jour d’organisations que cette Loi inquiète ou, à tout le moins, interroge : voyez la CGC des cadres se poser la question de son bienfondé… A l’exception bien sûr de la CFDT, qui peaufine déjà en coulisse les conditions de notre servage. Et cela alors même que la représentation politique doute du sérieux d’une telle loi, obligeant le gouvernement à préférer ne pas entamer de débat public pour contourner l’Assemblée Nationale et passer en force contre tout le monde !
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Il y aurait presque du 18 brumaire là-dessous, n’était le manque de grandeur des personnages, cherchant à clore la Révolution Française, quand Napoléon décida de privilégier l’Ordre au débat politique. Un tournant que justifiait à ses yeux l’état de désordre dans lequel était tombée la France, et de violence, diffusée avec les encouragements de la police à tous les corps de la société française… On plaça ce jour-là la ville de Paris sous le contrôle de la police… En sachant que la remise au pas se paierait au prix fort : arrestations massives, déportations, exécutions sommaires, massacres… Les élections furent maintenues, mais elles ne servirent qu’à désigner une liste de notables. Et Napoléon sortit du jeu politique l’opposition. La comparaison s’arrête ici. La guerre civile, aujourd’hui, c’est celle que mène un gouvernement minoritaire contre la population française. L’Histoire, la nôtre, est désormais prise dans une contradiction qui pousse Valls à chercher à détruire ses adversaires, tout en prétendant incarner les principes de la démocratie française. Ses principes, pas le peuple, qui lui a tourné le dos et dont il oublie qu’il est le souverain, en République. Aux yeux de Hollande Valls, Cazeneuve, l’état doit combattre, éradiquer toute contestation pour asseoir sa domination. Et leur pari, en ne laissant aucune issue à la contestation, c’est de la pousser à bout, ce bout où seul un soulèvement populaire pourrait stopper leur acharnement à gouverner contre la Nation française. Parce qu’ils font le pari que le peuple français n’osera pas se soulever, ne risquera pas une opposition aussi extrême. Face à cet état puissant, en effet, leur surenchère criminelle mise sur la faiblesse de la politisation de la population civile, pourtant clairement inscrite dans le refus des logiques politiciennes. Depuis près de trois mois, l’état français a mobilisé de gros moyens pour intimider le Peuple, et mobilisé un outillage mental qui s’apparente à celui des pires dictatures. Si bien que l’enjeu majeur est en effet celui de la place du Peuple dans le processus de rupture qui est désormais engagé.
Le mensonge intellectuel sur lequel le libéralisme a prospéré
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Au moment où Darwin rédige son œuvre sur la filiation des espèces, les penseurs du Libéralisme cherchent une justification morale au système d’exploitation qu’ils mettent en place. Une explication qui puisse ravir les masses laborieuses elles-mêmes et justifier l’exploitation des plus faibles. Ces penseurs croient la trouver dans cette conception selon laquelle la sélection naturelle devrait pouvoir s’appliquer dans toute sa rigueur à la société humaine : seuls les plus forts sont nécessaires, il faut donc laisser la vie sociale suivre son cours, ne fournir aucune aide aux indigents et ne construire aucun état Providence qui serait contraire aux lois de la nature. Une idée fort simple, génialement simple même, qui va se répandre comme une traînée de poudre dans le monde occidental, justifier le pire et même rallier à sa cause les opprimés. L’homme qui va être la cheville ouvrière de la propagation de cette thèse simplissime, c’est Herbert Spencer, que les salons mondains vont se disputer et dans leur suite logique, les universités. On l’invite donc, partout, systématiquement. On l’écoute, on l’honore, on le publie, on le diffuse. Les nantis ne lésineront pas sur les moyens financiers à mettre en œuvre pour la propagation de sa pensée. D’un transformisme darwinien mal digéré, Spencer passe à un évolutionnisme philosophique imbécile que tout le monde reprend en cœur. Une idée fruste que l’on transpose aussitôt dans une pseudo pensée économiste, selon laquelle le marché lui-même serait structuré selon ces lois «naturelles», tout comme on en importe l’idée dans la philosophie de l’histoire, énonçant sans rire que l’Histoire n’est pas autre chose que cette évolution qui privilégie les forts sur les faibles. La thèse de Spencer va devenir la bible, littéralement, de la conception du développement économique et moral de l’Occident. Promu d’abord vigoureusement par les Etats-Unis, toute son œuvre est aussitôt traduite dans toutes les langues européennes. Au point que lorsqu’on y regarde de plus près, on découvre aujourd’hui qu’aucun système philosophique n’a connu un tel succès, une telle diffusion, qui coïncide bien évidemment avec la montée en puissance des idées libérales. Une vraie conspiration libérale en somme, contre le monde libre et le monde ouvrier naissant.
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Les premiers articles de Spencer sont évidemment dirigés contre la pensée socialiste naissante. Selon un modèle fort rustique, Spencer inféodant toute sociologie possible à un corpus biologique pour poser sa Loi de l’évolution des sociétés humaines, qui séduit immédiatement les gouvernements en place : le marché est vertueux, il faut donc en libérer le potentiel et pour cela, il nous faut toujours moins d’état. Il faut abandonner «aux lois naturelles l’équilibre social»... C’est l’adaptation qui doit fonder en outre l’essentiel de notre conception morale de la liberté. Le bonheur social ne peut dès lors s’entendre que comme effet adaptatif, contre les réglementations étatiques. Spencer ira très loin dans son idée : il faut selon lui libéraliser non seulement le domaine économique, mais aussi le domaine éducatif… Il appliquera ensuite ses théories à la sociologie, à la psychologie, à l’éthique, où il recommande de pondérer l’altruisme pour libérer l’égoïsme créateur… Le darwinisme social vient de naître, aussitôt contredit du reste par… Darwin lui-même ! Nous le verrons plus loin. Pour l’heure, la société victorienne applaudit des deux mains. Aucune logique philosophique n’est désormais en position de rivaliser avec ce darwinisme social, ni d’enrayer la Domination politique de quelques-uns sur la masse. Spencer va jusqu’au bout de sa pensée, et pour mieux la partager avec les «idiots» non cultivés, l’illustre en développant l’équation société = organisme vivant. «Les membres doivent travailler pour nourrir l’estomac», avance-t-il ingénument. Filant la métaphore, Spencer développe l’idée d’un corps social à l’image du corps humain et ce faisant, oublie au passage le système nerveux central qui commande tout… Il l’oublie car bien évidemment, cela l’obligerait à repenser cette problématique de l’état au centre de la société, et dont il ne veut pas. Son organicisme va donc se dispenser d’un cerveau et du système nerveux central… Mais Spencer, qui n’est pas totalement sot, va finir par découvrir que son raisonnement ne tient pas vraiment la route… Il réalise que son image de la société comme corps humain dépourvu de cerveau est idiote. Que son analogie est fausse. Ce qui le plonge dans l’embarras, d’autant que tous les penseurs du libéralisme ont suivi et se fichent de la fausseté d’une telle analogie. Les classes dominantes anglaises ont besoin d’une auto-justification idéologique pour légitimer leur domination sauvage, nul ne doit venir bouleverser l’édifice conceptuel élaboré sur les pas de Darwin… Une politique d’implacable coercition se met en place, en particulier à l’extérieur du pays, dans ces lointaines colonies dont les médias dominants évoquent l’exotisme. Les conséquences de l’annexion idéologique des recherches de Darwin sont dévastatrices. De transposition en transposition, on finit par penser les rapports entre les nations, puis entre les peuples, sur ce modèle, pour justifier la domination blanche. En France, la première traduction de Darwin paraît en 1862 ! Elle comporte une préface imprégnée des idées de Spencer. Darwin fait part de son indignation, mais rien n’y fait. Aux Etats-Unis, le darwinisme social devient l’idéologie fondatrice de l’individualisme libéral, de la dynamique sociale construite sur le modèle de la lutte pour la survie du plus apte et son corrélat : l’élimination des moins aptes, dont dépend le perfectionnement continu de la société. Spencer lui-même, déjà troublé par la bêtise de son analogie, finira dans ses vieux jours par condamner une telle outrance idéologique.
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Il faudra attendre la sortie du grand livre de Darwin, La Filiation de l’Homme, pour voir Darwin réagir avec force contre ce détournement idéologique de ses découvertes. L’ouvrage paraît en 1871. Mais personne ne le lira. Le nouvel essai de Darwin est pourtant tout simplement prodigieux, pour nous aujourd’hui encore ! Il construit un discours essentiel sur l’homme et la civilisation humaine et ouvre à une éthique sociale qui nous sauverait de nos propres déboires contemporains… Dans cet ouvrage, Darwin, qui se pose en scientifique et non en idéologue, montre que la sélection naturelle n’est plus la force prépondérante qui dirige l’évolution de la société humaine. Dans un tel milieu pacifié, affirme-t-il, les relations de sympathie l’emportent sur les relations d’affrontement. La sélection naturelle n’y est ainsi plus un critère efficient, elle devient même une sélection qui dépérit. «La marche de la civilisation est un mouvement d’élimination de l’élimination»… En sélectionnant les «instincts sociaux», l’humanité rompt avec ses racines animales. L’horizon éthique qu’il construit devient ainsi limpide : pour lui, l’individu le meilleur est celui qui est le plus altruiste et le plus porté vers le bien-être social du groupe dans son entier. La grande morale de la civilisation se trouve dès lors dans la protection des faibles. Et c’est, aux yeux de Darwin, non seulement une loi civilisationnelle, mais une loi de sélection : là où la nature a éliminé, la civilisation protège. «La grandeur morale d’une civilisation s’exprime non dans la Domination, mais dans la reconnaissance de ce qui, chez le faible et le dominé, qu’il soit humain ou animal, nous ressemble assez pour mériter notre sympathie.»
CHARLES DARWIN EXPOSÉ ET EXPLIQUÉ PAR PATRICK TORT
Direction artistique : CLAUDE COLOMBINI FREMEAUX
Label : FREMEAUX & ASSOCIES
Nombre de CD : 3
Il faut rendre grâce à Patrick Tort d'avoir su si brillamment dégager tout l'intérêt de la réflexion de Darwin pour notre humanité.
image : la revue acéphale, de Bataille