Et je mangeais ma peur, Marc Verhaverbeke (1/3)
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Et je mangeais ma peur est une traversée poétique de la mémoire, du corps et du langage, entre filiation blessée et soulèvement intime. Le texte déplie une parole sensuelle, fragmentée, hantée par la perte mais tendue vers la lumière. Il sculpte dans le sable et le silence une écriture en lutte contre l’oubli, la norme et la mort.
Les éditions de notoriété publique publient donc le dernier texte poétique que Marc Verhaverbeke ait écrit. Jamais édité à ce jour. Comme un adieu. Cependant, un adieu qui n'en serait pas un, qui ne clôturerait rien, tant le texte laisse flotter une impression d’érosion, d’un effacement abondant en traces, c'est-à-dire les déposant, les produisant. Pas vraiment un dernier texte en somme, bien que le dernier, mais comme la mise en scène de sa disparition, sous l'empreinte d'une trace persistante longtemps après la fin de l’écriture. Et puis aussi, une sorte de pensée du refus de la clôture, affirmant avec force que tout texte demeure toujours en suspens, sinon un suspens.
Ainsi, ce texte qui semblait le dernier en tant qu’adieu à l’écriture poétique, résonne en effet tel une mise en scène, même si le poète paraît s'y effacer dans son propre langage. Car l'un des éléments les plus frappants de cette mise en scène est la manière dont Marc Verhaverbeke se détache du langage : "Je dis les mots à côté, que je vais partir à nouveau du texte" . Certes, il ne s'agit pas ici d’un départ mais de partir du... Partir comme revenir au texte, mais partir tout de même, même s'il s'agit de partir du texte lui-même, dans toute l'ambiguïté de cette formulation, comme si au final, l’écriture devenait un lieu qu’il fallait quitter et non auquel revenir et poursuivre. "Viendra donc ce temps où ne m’accompagneront plus mes personnages." Voyez, on est comme face à une rupture, une séparation. A venir. Mais alors : il ne resterait plus ensuite que le vide à embrasser ? Ou bien n'est-ce qu'une forme de rouerie, le poète exhibant une pensée de l'effacement qui ne ferait que renouer avec l'habitus des siens en écriture, ces poètes qui ont nommé l'exil, fût-il intérieur, comme leur topos où, cessant d'écrire, il(s) ne s'y effacerai(en)t jamais.
Qui ? Eux les poètes ? Ou l'exil ? Ou tel poète, sinon tel p(o)ère à tel fils manqué...
Qu'est-ce que ce recueil orchestre ? La fin de l'écriture ? Vraiment ? Ou le début de la lecture ? La lecture comme résurrection de l'écriture, une fois qu'elle a abandonné son empreinte au bon vouloir de ceux qui, liront ou pas ?
"Je parle d’un cimetière au milieu du lac. Je parle de chevaux blancs." Image puissante de la mort engloutie, dissoute dans l'eau et donc présente, toujours là. Drôles d'eaux amniotiques dans cette métaphore filée qui n'est grosse que d'un cimetière disparu où disparaissent encore les noms de ceux jadis...
"Ce sera le septième jour", affirme le poète. Celui du repos, du vide. Qu'en dire ? En ne cherchant pas à fixer un savoir des autres jours, le poète prononce-t-il l'acceptation du vide ? Fait-il laisser être l'effacement ?
Peut-être alors faut-il de nouveau, ou vraiment, écouter le poème, revenir au poème et l'écouter plus que l'entendre, car peut-être est-ce du côté de son rythme que les choses sont dites dans un souffle musical.
"Je parle... Je parle..."
Il y a comme un effet incantatoire dans cette répétition qui martèle cette idée en en accentuant la progression émotionnelle. Avec dans l'alternance de phrases longues et brèves ( "Je parle d’un cimetière au milieu du lac. Je parle de chevaux blancs."), comme des points de rupture, de silence, marquant moins la fin du souffle que sa reprise. Ce, quand le souffle se reprend, se dissémine et revenante, la fin sans cesse rouvre ses propres traces dans une parole qui joue à s'effondrer sur elle-même, convoquant la fragilité du sujet parlant dans l'impossibilité d'un vrai retour, pour mimer le refus d'en maîtriser le sens. Un geste qui fait du poème un espace de dérive, non de résolution.
On a parlé de mort à sa lecture. Oui, le thème de la mort est profondément inscrit dans ce recueil, mais il n’est jamais abordé de manière frontale. Il apparaît ici et là, sous des formes symboliques liées à la transformation.
On a parlé de transformation, mais il faudrait l'entrevoir comme métamorphose :
"Le silex trouvé plus tôt dans le sable pourrait bien s’éveiller scarabée." Ici, la pierre inerte devient un être vivant, mais vers quelle forme qui serait réellement nouvelle ?
"Rejetés par une répétition de ressacs, tenus un temps en amertume, sur quelle île nous coucher, Ulysse, à la fin démaquillés ?" L’image d’Ulysse est étrange dans ce non retour qui ne cesse de convoquer l'enfance et ses souvenirs brefs. Ulysse démaquillé au pluriel, ce que j'entends, même si je sais l'énoncé autrement postulé. Dans l'effacement, Ulysse récupérant son identité : l'écriture, comme une vérité qui ne se révélerait qu'après le voyage, ou à sa relecture...
On a parlé de métamorphose, non comme une forme nouvelle, mais comme mémoire et comme trace :
"J’ai écrit dans les escaliers fréquemment mon nom troqué contre une pleine brassée d’épines."
De quelles traces parlons-nous ? De celles laissées dans le langage et qui persistent obsessionnellement dans cette langue congrue que Marc déploie ?
« Je parle d’un cimetière au milieu du lac. Je parle de chevaux blancs."
Quelle image encore une fois, que celle de ce cimetière enfoui sous l'écume.
"Viendra donc ce temps"
qui jamais n'est fixé, figé, qui fait circuler comme une métamorphose, celle de l'être au langage. Mutation lente, qui passe par cette « chienne » d'écriture à la laisse souvent trop courte... Notre héritage dit le poète, « réticence généreuse », où s'embrouille toute présence qui voudrait par trop s'arrimer, quand il n'y a au milieu du lac qu'une cavalcade blanche et liquide.
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Et je mangeais ma peur, Marc Verhaverbeke éditions de notoriété publique, juin 2025, 12 euros, ean : 9782919275083.
contact éditeur : denotorietepublique@aol.com