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La Dimension du sens que nous sommes

Le nouveau piano, P.N.A. Handschin

9 Juin 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Un monument ! XVème volume du cycle Tout l'Univers, entamé en 2003. Un monument que ce cycle, commencé avec Déserts, et qui connut une vraie traversée du désert éditorial... Il faut d'emblée saluer l'initiative des éditions Jou, qui nous en ouvrent à nouveau l'accès.

Tout l'Univers, donc. Ici, le dit d'un quinquagénaire peintre qui n'expose plus, ne vend rien, ne peint du reste plus. Homme au foyer. Un univers que l'on aurait tort d'imaginer minuscule, tant en le recouvrant de ses mots, il nous ouvre au vertige d'une parole inachevable, percluse pourtant, de toutes les fins d'une humanité au bord de son abîme -même si, à son avis, peut-être, les peintures des grottes préhistoriques tiendront plus longtemps que les déchets nucléaires (ne restera alors que cette image, incompréhensible, du moins qui aura perdu tout sens dans une histoire sans humains).

 

Quel sens donner à cette faconde rapportée ? Que nous dit-on qu'il se dit ?

Du coq à l'âne tout d'abord, on voit bien comment le roman se relance, d'un mot son jeu, l'autre convoqué ouvrant chaque fois un nouveau fil narratif. La structure rhapsodique de ce roman, puisque l'auteur a décidé qu'il en serait un, fascine. L'écriture s'y déploie en contiguïtés, verbales ou cognitives, plus qu'en continuités logiques.

Est-ce un roman pour autant, outre le personnage exprimé et ses adjuvants  ? Pour faire roman, quelques récurrences alertent le lecteur, qui donnent de la consistance au texte. La musique, les lombrics, le réchauffement climatique, les trous noirs, Soulages et la guitare, sans parler du nouveau piano, dont on ne sait trop depuis combien de temps déjà il est nouveau et en quoi ce nouveau importerait, ou plus, sinon qu'il suppure le romanesque à l’œuvre. Maudit soit l'ordre des choses, et du temps, que P.N.A. Handschin s'emploie à bousculer, à défaire puis reprendre, recoudre plus exactement, autour de ces quelques obsessions. Déconcertant ? Pas vraiment : car c'est quoi la posture romanesque ?

Le sens, le narrateur ne nous y invite même pas. Et moins encore à croire à l'existence de ce Pierre Kléber, pas même colon de son être. Une coquille vide. Qui pense où il n'est pas, qui est où il ne pense pas.

Il y a du Rabelais, certes, et du Perec dans ces « je me souviens » qui n'omettent pas de faire mémoire commune. De résonances plutôt. On croit ici et là pouvoir dresser l'oreille. Il est question d'attentats par exemple. On sait. On a connu plus ou moins cela. Pour en faire quoi ? Car le je qui s'énonce si mal à force de saturations, construit de rappels en reprises, reste une coquille vide qui décrit un monde lui-même énucléé autour de lui, dans une sorte de vertigineuse entropie. Sa femme, les enfants qui grandissent et demain partiront, partent déjà, et lui, le père, appelé, déjà, à n'être qu'un souvenir. Qu'il consigne. Puis plus rien.

J'ignore si c'est comme cela qu'il faut lire ce roman. Non pas celui du temps qui passe. La structure temporelle du texte est troublante au demeurant : il n'y a aucune mesure réelle du temps, si ce n'est cette grande échelle inutile de l'âge de l'univers, où rôde un trou noir de quatre millions de masse solaire. Tout passe. Si vite. « Si » ? Pourquoi ce « si » ?

Le texte est comme une longue anamnèse hors du temps. Un laps posé dans un temps infiniment court, qui ne peut tenir dans aucune lecture de ce laps. Un temps qui aurait déjà eu lieu en somme... Pierre Kléber a beau parfois se dire « tout à coup », c'est dans un temps si court qu'il a formulé ses pensées qu'elles ne peuvent avoir été raisonnablement dites. Nous sommes un vendredi (p.152) pourtant. Le week-end approche. Mais sa faconde a arrêté le temps. Nous sommes dans un chiasme. Dans une poignée de seconde au cours de laquelle tout l'univers a défilé. Mais il n'y a pas de profondeur. Juste des surfaces. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Soulages est si présent. C'est comme si ce temps était celui que pointe le motif récurrent de la mort qui rôde, celui de l'agonie, celui de la fin de l'agonie plutôt, quand on est mort déjà et qu'on ne le sait pas encore, que tout à coup tout vient de défiler et déjà s'en est en allé. « C'est comme si »... la dernière phrase du tableau.

 

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Le nouveau piano, P.N.A. Handschin, éditions Jou, mars 2024, 230 pages, 16 euros, ean : 9782492628085.

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