Merdeille, Frédéric Arnoux
8 Janvier 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant, #LITTERATURE
Une fable. La science de la frappe. Littéraire. S'enquérant du terrain, le nôtre, pas celui de la cité qu'il conte et non relate, avec ses trois bâtiments en triangle : « là-où-on-habite ».
Mais d'où ça part quand même, conter...
A Ici, la vie ordinaire s'agrémente de chasses aux rats qu'on empaille ou qu'on mange, et de fines pluies de suicidés. Viols, prostitution à deux balles, drogues, cognes. Ici. Rien. Qu'Ici. Il n'y a rien à Ici, serait-on tenté d'écrire, sinon le droit de s'entretuer mais pas trop. Sinon que l'agora est le terrain de foot. Sinon qu'Airwick passe pour une eau de toilette. N'allez pas croire cependant qu'il s'agit d'une quelconque cour des miracles, entre Fellini et Jean Genêt, les yéyés de madame Fofana pour trophée et la fausse naïveté du narrateur pour consolation. La fable n'est pas aussi crédule ni le naufrage sans beauté. Tout le récit, de l'ange au sexe ensanglanté aux massacres de quelques communautés parentes, nous est adressé. A nous lecteur. Qu'est-ce que ça fait de lire l'anéantissement ? Comment en revient-on ? Eux ? Les ceusses dont on nous parle, se retrouvent déportés. Parce que le camp est l'issue incontournable de notre monde. Mais ils vivent. Toujours plutôt qu'encore, derrière les barbelés. Le narrateur s'y endort même la tête posée sur l'effigie de papier glacé de la fillette qu'il aimait.
La littérature, une consolation ? Qu'on ne parle pas de tendresse défiant le cauchemar d'un univers abjecte. Même s'il y en a, et tellement, entre les protagonistes de cette fable. Qu'on ne parle pas d'une issue romanesque bien menée. Les gestes de désespérés sont ici maquillés sous un voile d'écriture innocente, de pure dénotation. Habile. Comme un non-lieu éblouissant. Celui des métaphores qu'elle déploie, du sens que l'on déporte donc, lui aussi : ne creuse-t-on pas dans ce récit des tombes dans un terrain vague pour y enfouir le nombre ?
Un jour la vie sera chouette : celui du jour où la page refermée on pourra sereinement savourer, le livre lu, la grande maîtrise de son auteur. Vraiment ? N'écrirait-il que pour cela ?
Une fable donc, qui nous est destinée. Une destinée, faut-il entendre. De tourneur de page : un livre, son suivant. Pour oublier peut-être « Là-où-on-habite », qui est pourtant un monde bien réel, mais qui ne se laisse pas regarder facilement. Ni décrire. C'est pourquoi on en a fait un conte. C'est pourquoi on fait de l'insupportable des contes. Comme Hilsenrath de Fuck America, ou du Conte de la dernière pensée.
Car il n'y a d'issue à Ici que là-bas, derrière les barbelés... Lire n'est pas une consolation. C'est peut-être ce que Frédéric Arnoux interroge dans cette fable où le no futur se conjugue en noyés et pendus, défenestrés et gamins affamés que des militaires raflent comme une mise opportune...
Il faut lire Merdeille et ne plus le reposer, ni se reposer en lui : ce conte n'est pas une prière. Ou bien. Miséricorde pour l'humanité que nous ne portons plus en nous, ou si peu.
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Frédéric Arnoux, Merdeille, éditions Jou, août 2020, 154 pages, 13 euros, ean : 9782956178262.
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